vendredi 13 août 2021

360° autour du métro Denfert-Rochereau (2) : le SDF, le mur peint d'Agnès Varda, et la dame inconnue...


L'appartement d'un SDF

Le SDF :

En sortant de la Fondation Cartier, les yeux et le cœur remplis de fleurs, j'ai cherché la rue du "Mur d'Agnès Varda", et je suis tombée nez à nez avec cet arrangement insolite !  Je l'ai regardé en long et en large, et je me suis interrogée : qui peut bien avoir installé cette ligne de sacs (qui contenaient des journaux bien pliés et tassés, j'apercevais nettement leur contenant) ? Interloquée, j'ai cherché autour de moi qui pourrait m'en dire plus sur ce rempart improvisé. Un monsieur, justement, au volant de sa voiture garée presque à côté, me renseigna : excusez-moi monsieur, je suis très intriguée par cet alignement de sacs et cartons, ils appartiennent à une personne ? Oui madame, ils appartiennent à un homme qui vit ainsi depuis dix ans dans cette rue, il va et vient, plie avec soin les papiers, les range et dit bonjour à tout le monde. Mais ce monsieur, comment fait-il pour vivre ainsi ? Je ne sais pas, mais il est là depuis longtemps, il semble malade, tout le monde le connaît dans la rue. Nous sommes restés à parler de cet homme un petit moment, une vraie désolation... Et puis, chemin faisant, j'ai rencontré une dame, ancienne gardienne d'un immeuble, proche de l'appartement du SDF, qui m'a indiqué où se trouvait le mur d'Agnès Varda !

Ma deuxième photo en revenant du mur d'Agnès

Le mur d'Agnès !

Je l'ai trouvé sans aucune difficulté, un peu plus loin, j'ai pris des photos difficilement car il y avait plein de voiture garées juste devant : comme d'habitude pour le street-art, c'est la loi du genre, les dessins des rues ne sont pas faits pour être dans des galeries... Un monsieur, me voyant faire la photo, me lance : c'est 10 euros la photo, je souris, et il reprend : c'est pas cher du tout pour une photo d'Agnès Varda ! Vous avez raison, monsieur, rien du tout, le mur est magnifique et je vois que vous aimez Agnès comme moi, nous étions à 100% d'accord sur le sujet... Il me fit un grand geste de la main pour me dire au revoir !!!

Hommage à Agnès Varda et à son œuvre - fresque - Jean-Baptiste Colin (JBC) - artiste urbain (l'artiste préfère dire" artiste-peintre, les murs sont des supports comme les autres"), vit et travaille à Montreuil

J'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois pour prendre entièrement la fresque, par petits morceaux... Forcément, entre les voitures, les motos et les vélos, pas facile ! Je jubilais : voilà Agnès dans une rue pas très loin d'où elle demeurait, la célèbre rue Daguerre (dont elle a fait un beau documentaire qui s'appelait "Daguerréotype" en 1976), elle passait une revue très personnelle des commerçants de son quartier que l'on voit sur la fresque...) Le mur dans l'ordre d'apparition :

La grande Agnès Varda

Je n'ai plus aucun esprit critique la concernant, c'est vous dire ! J'ai aimé tout ce qu'elle faisait avec le même enthousiasme : ses photos, les courts, les moyens et les longs-métrages pour le cinéma ou la télévision, les installations, j'ai bien aimé aussi ses œuvres de "jeune plasticienne", comme elle aimait à dire, à ses heures. Cependant, il y a un bémol (quand même), c'est la tombe de sa chatte dans le jardin de la Fondation Cartier... Son dernier film avec le graffeur JR était tellement émouvant en 2017, Agnès Varda est décédée en 2019 à 90 ans...

La comédienne Corinne Marchand dans "Cléo de 5 à 7" (1962), un film de fiction poignant !

Le lion volatil (2003), court-métrage où elle met (entre autres) son chat à la place du lion ! Mes souvenirs sont un peu courts pour ce film


Quelques personnages de son long-métrage "Daguerréotype" (1978), un beau regard sur quelques petits commerçants de sa rue Daguerre... Entre le n° 70 et le n° 90, "c'est un album de quartier, c'est mon opéra Daguerre"

La dame inconnue :

Au retour, vers ma station de métro, je recroise la gardienne d'immeuble qui m'avait indiqué le chemin du mur, j'en profite pour avoir des compléments d'information sur la personne qui "demeurait" là... Ah ! Ça fait 25 ans qu'il "habite" ici, il vit dans la rue ! Vous dites 25 ans, un monsieur qui habite votre rue vient de me dire que cette personne habitait ici depuis 10 ans (seulement), et déjà je trouvais que l'histoire était incroyable, comment peut-on habiter sur le trottoir pendant 25 ans, je n'en croyais pas mes oreilles... Si madame, je vous assure, ça fait 25 ans, toute la rue le connait, lui apporte à manger, parfois même, trop, à Noël il est submergé. Moi, pour vous dire, ça fait 35 ans que je suis gardienne ici, j'ai des bons repères, et bien ça fait 25 ans que je le vois ! Il dort sur le pas de la porte du laboratoire biologique dans la rue d'à côté, il se lave et fait ses besoins chez eux, il dépose ses sacs après les avoir remplis de toutes sortes de papiers bien pliés, il est un peu dérangé, mais tout le monde l'accepte... Il a des aides, vous savez, mais il vit là, il doit bien avoir 45 ans maintenant, il est arrivé jeune... Pendant qu'elle me parlait, j'ai vu cet homme qui déboulait du coin de la rue avec un sac lourd au bout de chaque bras, il alla les placer avec précaution, à côté des autres...

Et de fil en aiguille, elle s'était mise à me raconter sa vie, il lui était arrivé mille péripéties. Portugaise d'origine, dans une petite ville agricole à côté de Porto, elle m'avait démarré son histoire à partir de l'adolescence, et j'ai vite compris que ça allait être long, j'avais un peu mal au genou, mais je dansais d'un pied sur l'autre comme un flamand rose, je me suis mise en mode "j'écoute". Elle me raconta, en fronçant les sourcils, que son père ne la quittait jamais des yeux, jamais, "il me guettait pour abuser de moi", il avait très souvent les mains baladeuses, il me guettait de très loin, comme le chat la souris, le regard concupiscent,  personne ne pouvait m'approcher, il était toujours là, j'étais belle et fine en ce temps-là. Elle le fuyait, et se défendait comme elle pouvait... Vous savez, dans mon coin, beaucoup de pères abusaient de leurs filles. Elle a fini par quitter le Portugal, surtout la maison familiale, pour avoir la paix et retrouver une liberté bien gagnée... Je ne suis pas certaine que la vérité vraie n'avait pas été plus cruelle pour elle que ce qu'elle me racontait avec grande  émotion, sur le trottoir... Le temps passait, l'heure tournait, et je n'en étais pas encore au mariage ! Je l'ai pressée : vous avez eu des enfants, vous êtes plus heureuse maintenant ? Vu l'âge qu'elle avait, elle était en retraite depuis un bon moment déjà, ses enfants et petits-enfants l'entouraient, elle se trouvait heureuse... Elle avait beaucoup à dire sur ce qu'elle avait vécu. Les histoires entendues dans les rencontres fortuites ont souvent été passionnantes et quelques fois, effrayantes, tristes, entièrement tristes... L'histoire de cette dame, que je résume ici, a toujours été faite de luttes et de craintes, elle détestait son père, son récit reste encore si présent dans ma mémoire !... Au revoir madame, vivez heureuse à présent, je suis ravie de vous avoir rencontrée... Elle me fit un grand signe de la main... De loin... J'ai repris mon métro... Trop de choses s'étaient passées pour moi aujourd'hui, heureusement que j'étais passée sous les cerisiers en fleurs avant les histoires désastreuses...

Ça n'était pas la première fois que des inconnues me racontaient, avec des larmes dans la voix, aux yeux, les abus sexuels qu'elle avaient subis d'un mari, d'un père, d'un proche, d'un inconnu, j'ai toujours espéré que leurs confidences avaient pu les soulager au moins pour quelques instants !

Dans le wagon du métro, sous mon masque, j'avais de quoi penser et repenser à tout ce que j'avais vu et entendu, d'enthousiasmant et de désespérant tout au long de ma journée... Je me disais, demain ça ira mieux pour mon genou !

Mes amis, les jours se suivent et ne se ressemblent pas, les enthousiasmes ont encore frappé à ma porte... Je vous raconte ça prochainement. À très bientôt entre mes lignes... Portez le masque, protégeons-nous les uns les autres...


PS :



L'habit de lumière est terminé, mon frère a posé une à une les feuilles de chêne sur les bras... Les glands, les pampilles brillent comme des lumières, le trait rouge qui s'échappe, sur l'épaule droite du costume, c'est la trace du sang du taureau ! Yves Boussin - 2021

6 commentaires:

Marie Claude a dit…

Superbe le mur à Agnès...par contre sa couleur de cheveux est uniforme!!

Très triste la vie de ce SDF, il semble être organisé mais quand même, étrange...depuis toutes ces années.
La vie dans ses jeunes années de la gardienne n'est pas non plus très gaie, heureusement à présent elle semble heureuse.
Tu as eu l'oreille attentive comme toujours, même si ton genou te faisait souffrir...
Terminée et superbe la peinture de ton frère, réel talent et tout comme Siu je pense qu'il devrait exposer si ce n'est déjà fait...
Belle après midi à toi Danielle,je te fais de gros bisous, j'attends bien sûr la suite!!!

siu a dit…

Hé hé Danielle, je te vois bien danser d'un pied sur l'autre... comme un flamand rose! C'est fatigant parfois, n'est-ce pas, d'ètre cette extraordinaire cueilleuse de belles images et d'histoires toujours intéressantes dont nous ne nous lassons pas de profiter... Une raison de plus pour t'en remercier avec gratitude!

Etonnante cette espèce de maison sur la rue faite surtout, si j'ai bien compris, de tas de papier.
Je n'ai pas pu m'empècher de penser que dans ma ville tout ça aurait été vite fait disparaitre, à cause de l'orientation politique de l'actuelle administration municipale: par exemple au mois de janvier 2019 l'adjoint du maire avait fait la une des journaux parce ce qu'il avait jeté à la poubelle, dans ma rue, les couvertures d'un clochard qui ne faisait du mal à personne. Mais au moins il y avait eu une toute petite... némésis: les flics l'avaient sanctionné, lui donnant une amende (ils n'avaient pas pu s'en abstenir...), car il n'avait pas respecté le tri sélectif: fou de rage, il avait jeté les couvertures dans les déchets mixtes.

Quant à la triste histoire -et tu as surement raison, on ne saura jamais jusqu'à quel point triste- de la dame portugaise, ceux qui me viennent à l'esprit ce sont des vers de Pietro Metastasio, que mon père évoquait parfois:

Se a ciascun l'interno affanno
si leggesse in fronte scritto
quanti mai, che invidia fanno
ci farebbero pietà!

(fais-moi savoir s'il faut que je traduise)

Je te souhaite un beau week-end, et t'embrasse fort de fort!

Danielle a dit…

Oui, Marie Claude JBC a enlevé sa tonsure à Agnès (ouf!) Moi aussi je réalise avec difficulté 25 ans de vie dans la rue aux yeux de tous... Il y a eu dans cette rue quelques chose d'étrange entre cet homme et les habitants, je suppose aussi qu'il a du rencontré des tas de travailleurs sociaux, pourquoi est-il resté quand même dans la ru ? Je me pose plein de question sur cette histoire ! Nous n'avons pas toutes les données !

La dame inconnue, avait beaucoup à dire, j'ai du l'inviter à finir, en douceur, car il était déjà tard... Mais elle ne semblait pas pressée d'en terminer avec son histoire...

Quelle journée, entre les fleurs de cerisiers, le SDF, l'inconnue, et le mur d'Agnès !

Il faudrait encore des mots et des mots... pour ne pas finir...

Mon frère est très content de se retrouver sur mon blog... Moi aussi !

Chère Marie Claude passe un bon WE chaud, chaud, chaud, je t'embrasse fort.

Danielle



Danielle a dit…

Chère Siu, merci de ta gratitude pour le flamand rose :-))

Moi aussi je me demande comment cette histoire du SDF peut tenir debout depuis 25 ans ! Peut-être y a-t-il autour de lui une association qui s'occupe de lui ? Je ne sais pas... Ton histoire aussi est triste avec ce monsieur et sa couverture...

Oui, Siou, j'ai vraiment besoin de ta traduction, j'ai essayé avec Google mais c'est incompréhensible ! Au secours !!!

Moi aussi je te souhaite un très bon WE et je t'embrasse très fort.

siu a dit…

En espérant que mon français ne soit pas trop mauvais:

Si la souffrance intérieure de chacun pouvait être lue sur son front, combien de ceux qui nous rendent jaloux susciteraient plutôt notre pitié.

Danielle a dit…

MERCI !!!!! C'est formidable !!! Avec ta traduction je comprends tout !

Ton français est merveilleux !!

Passe une bonne journée chère Siu, je t'embrasse très fort de fort.