À la fête d'un quartier :
Les abricots à vendre...
Mon cœur s'est un peu serré en voyant la pancarte "À Vendre". La propriétaire de cette maison y vivait seule, son fils s'occupait de tout, le ramassage des fruits, c'était lui... La cité passe la main, les nouveaux acquéreurs sont plus jeunes, plus fortunés... Ainsi va la vie..."Ceux qui arrivent sont parisiens, ils ont vendu tellement cher leur bien qu'il leur reste assez d'argent pour faire les travaux", les anciens qui sont là depuis plus de quarante ans regardent ces changements en se posant des questions de proximité : vont-ils participer à notre vie associative ? Vont-ils mettre des guirlandes à leur porte à Noël, la prochain vide-grenier aura-t-il lieu ? Va-t-on retrouver cette convivialité acquise de haute lutte dans ce quartier ? Pour l'instant, tout va bien, la dame continue d'installer son linge sur le séchoir du petit jardin, tout en suivant d'une oreille discrète, la discussion entre son mari et moi, quelquefois, elle y met son grain de sel, toujours avec le sourire, en approuvant tout ce que dit son homme... Un couple soudé !
La sublime bignone a été arrachée depuis le passage de témoin à un autre propriétaire (2020)
La rombière de service, la casse-pied intégrale, celle qui prend la cité pavillonnaire pour un champ de blé ondulant sous le soleil, c'est moi ! Il faudrait que rien ne bouge par ici, maintenant que j'ai tout répertorié pendant le confinement de la population. Il faut que je refasse connaissance avec l'habitant nouveau, comment faire sans reconfinement ? Un très gros dossier en perspective ! Je vais préparer ma lettre pour l'UNESCO... Inscrivez le quartier au Patrimoine Mondial, j'ai trop de travail, je n'arrive pas à suivre le changement !
Me voilà à la fête, musique, bavardages et rondes d'enfants, la palette des diversités humaines est bien représentée, notre petit chœur (auquel j'appartiens depuis des dizaines d'années, avec interruption momentanée) démarre avec des chants du 16e siècle, vous imaginez comme le tout le monde s'en moque, sauf notre micro public habituel. Puis nos chants du monde font lever quelques têtes, mais vivement la fin car les enfants ont envahi la pelouse a grands cris, c'est trop long... Je suis bien assise sur un banc en ferraille, bien bas, confortable, je suis là pour un bon moment, une jeune femme derrière moi me confie son sac en tissu, bien lourd, à mes pieds il sera bien gardé, pas de souci, vous pouvez allez vous promener... Notre chœur est très applaudi au final, sans doute bien aidé par l'animateur de la fête au commande d'un micro puissant : public, je vous demande de "faire un maximum de bordel" pour les applaudir et crier, plus fort, plus fort ! Après notre petit chœur, on peut admirer une belle danse indienne, les danseuses sont belles, les robes magnifiques, la musique entrainante, Bollywood est sur la place, les enceintes tremblent, attention aux oreilles, ça tourbillonne... Vient ensuite une jeune chanteuse amateur du quartier, belle voix et pas de style, puis un chanteur lui succède, même style et pas beaucoup de voix, les enfants s'y mettent, et moi j'ai toujours le sac de la dame entre les pattes... Au moment de partir, je ne veux pas l'abandonner au premier prédateur venu, un gros risque, elle me l'avait confié, j'en avait fait l'inventaire pour trouver une adresse, un n° de téléphone, rien ! Si j'étais Prévert, je pourrais même en faire un beau poème : un ordinateur Apple Air extra plat, un téléphone tout neuf, une trousse de maquillage qui pesait son pesant de cacahouètes, des mouchoirs... et un raton laveur ! Que faire ? Comment le restituer à la dépositaire trop légère, disparue ? Ah, la voilà ! Merci, merci, vraiment, je n'avais pas vu le temps passer, et je suis un peu trop confiante avec mes affaires... Totalement hors-sol, la jeune femme imaginait que son sac pouvait rester seul, sans surveillance, sur un banc, à l'attendre au milieu de la foule... Avec tout ce qu'il y avait dedans ! Vingt-cinq fois elle me remercia, de rien, de rien, de rien... Son cas d'inconscience me dépassait largement pour lui faire des recommandations d'ancêtre... Bonne soirée, je suis vraiment contente que vous ayez pu retrouver vos affaires... La fête est finie pour moi, je pouvais repartir délivrée, la conscience tranquille...
À la pharmacie :
Vous savez, ici, nous prenons soin des gens comme s'ils étaient nos pères et mères ou nos cousins... On ne vous laissera pas sans médicaments, même si votre ordonnance n'est plus valide pour l'instant... Le monsieur est reparti rassuré, ses médocs dans un petit sac ! Dans cette pharmacie, toutes les femmes sont voilées des pieds à la tête, ce qui fait fuir les uns et venir les autres, au gré des convictions... Elles prennent le temps de parler avec chacun, c'est très utile, et moi je me fiche totalement de la façon dont elles sont habillées...
Au fil du temps, malgré les changements de propriétaire, elle est restée ma pharmacie... Le quatrième rappel, par ici madame, et hop je pique, puis j'attends mon petit quart d'heure, confortablement installée dans un fauteuil rembourré... Toujours le sourire, prenant le temps, ça me va !
Dans le quartier, les pharmaciennes ont fait parler d'elles : dis-donc, à la pharmacie, t'as vu, elles sont toutes voilées ! Ah oui... En fait, dans le quartier il n'y a aucune femme aux comptoirs des commerces, dans les restos, elles sont en cuisine, dans les épiceries, toujours des hommes, cherchez l'erreur !
Mon cardiologue :
Mon cardiologue est un humain... En partant, il me dit : bonnes vacances ! Mon cardiologue n'aime pas les discours, il a l'œil et le bon, sur ses appareils de contrôle... Nous, ses malades, nous avons beaucoup de chance !
Le Père-Lachaise :
Souvent, mes promenades finissent au Père-Lachaise, il y a toujours quelque chose de beau à voir, je suis dans un paysage que je connais bien, pas trop loin de chez moi, je prends mon temps, je regarde les arbres remarquables, les allées pleines d'herbe, les oiseaux, pas de bruit de voiture, c'est la campagne de la ville... Je trouve toujours une tombe qui n'est plus à personne, tellement elle est vieille et abandonnée, et qui me sert de siège... Je reste toujours un bon moment à scruter l'horizon... Aujourd'hui, j'ai revu l'ange ! En sortant, j'ai vu aussi, la très belle cour, juste derrière le cimetière...
Mes amis, mes passagers, la prochaine fois je vous raconte ma visite dans la petite église orthodoxe russe du 19e arrondissement, bien cachée aux yeux du monde ! Portez-vous bien... La contamination remonte, restons prudents. Je vous embrasse...