Les linéaires du grand magasin
Les folles de Chaillot : au supermarché...
Un jour je me suis dit : tous ces produits que des millions de gens utilisent dans le monde, depuis des dizaines d'années, pour leur besoins personnels, faire propre chez soi et être bien propre sur soi... Que deviennent -ils, qu'ont-ils fait à la Terre ? Les usines, les voitures, les avions, les trains, les ponts, qu'ont-ils fait ?
Le calcul est vertigineux, le désastre est inimaginable, je n'avais jamais vu ça comme ça ! Mais d'autres se sont mis à compter (depuis plus de cinquante ans déjà), scruter, vérifier, soupeser, analyser, microscoper, scientifiser, à anticiper. Résultat des courses : on court à la cata ! Elle est là, perceptible, mais je vois que les linéaires du supermarché ne changent pas, au contraire, dans mon quartier, ils ont refait tout le magasin et ils ont allongé les rayons, ce qui fait qu'il faut mettre des patins à roulettes pour inspecter le rayon et choisir son yaourt, choisir sa lessive, ses pâtes, ses biscottes, son huile, son vinaigre... Et bien sûr, j'en passe... Et pas forcément pour le meilleur, mais pour le pire...
Voilà la Danielle qui pète un câble !! Il est bien temps !
J'étais dans les rayons des fruits et légumes justement, pour choisir mes : poireau-brocoli-courgette, le trio gagnant de ma soupe quotidienne, quand une dame, avec une certaine bouteille, comme moi, me dit : vous ne trouvez pas que les légumes sont chers ? Oui, vous avez raison... Mais je n'ai pas eu le temps de disserter sur la question qu'elle embraye sur un autre sujet, je laisse tomber ma courgette, mon poireau et je l'écoute. Elle portait un masque sous le nez et moi sur le nez : oui, vous disiez ? Elle part sur les prix, difficile d'inviter ses amis, mais bon, je viens d'hériter d'une grosse somme d'argent, 200 000 euros, une rétroactivité sur vingt ans de je ne sais pas qui, je n'ai absolument rien compris de ce que me disait cette dame qui venait de la Martinique (elle me l'avait dit au début). J'avais enregistré, tout le reste me laissait totalement dans le brouillard, mais elle finissait toujours ses phrases par : le Seigneur sait qui vous êtes, ce n'est pas de votre faute, soyez ce que vous êtes, ce qui vous arrive n'est pas de votre fait... Bon, oui, donc madame, faites-vous plaisir, ne regardez pas au prix, invitez vos amis, passez une bonne journée, restez heureuse avec vos amis... Je repris ma courgette, mon poireau et j'allais tout droit au brocoli, loin de l'héritière... Ma curiosité avait été piquée au vif : 200 000 euros, c'est une somme, de quoi parlait-elle ? Enfin de la distraction, sur le même rayon, une autre dame me demanda de peser ses tomates en grappes, elle ne savait pas lire, je me suis réjouie de lui rendre ce petit service !
Dans ma tour :
Une dame, qui a l'âge de ma tour, comme moi, n'arrête jamais de parler, vous lui demandez l'heure, gare à vous, ça risque de durer une plombe ! La météo ? Pareil, le tour du cadran ! Sa santé ? Alors là, vous risquez gros, la santé c'est sans fin, excuse-moi je suis pressée, on m'attend, j'ai un rendez-vous, et vous filez à l'anglaise... À la prochaine, fais attention à toi, il faut lui parler de loin et déguerpir... Elle a le cœur sur la main mais pas la langue dans sa poche ! Un petit conseil de jardinage ? Laissez tout crever et partez, prenez vos jambes à votre cou, toujours avec le sourire, car elle ne ferait pas de mal à une mouche, elle veut aider tout le monde et tout le monde la fuit... Ah ! C'est elle, courage, fuyons !
Dès que vous l'apercevez, mieux vaut changer de rue et lui faire un grand coucou de la main, elle est connue comme le loup blanc, mais elle ne mord pas, elle a toujours le sourire, elle veut aider, elle vit toute seule et vous parle toujours de ses neveux et de sa nièce qui vient d'accoucher, filez au plus vite, car l'accouchement s'est mal passé... Elle cherche quelqu'un pour arroser ses plantes quand elle partira en vacances, c'est une affaire d'État, tout le monde voudrait bien lui arroser son balcon, mais... Elle a beau savoir que vous avez aussi des fleurs, des plantes vertes qui viennent du monde entier, elle tentera de vous expliquer tout de A à Z, deux heures ont à peine suffit à ma gentille voisine (celle que tout le monde aime dans la tour) pour en venir à bout, ne t'inquiète pas, tout va bien se passer, tu peux partir tranquille, j'arrose seulement si la terre est vraiment sèche, pas de problème, j'ai eu tes plantes deux ans de suite, je connais le mode d'emploi... Mais elle ne vous croit pas, elle fait la révision générale à chaque fois ! Ma gentille voisine s'est couchée tard, le soir des explications de terres...
Nous deux, avec ma voisine, on l'aime bien, même si elle ne va pas droit au but, c'est une méandreuse, une fabrique de cordes à nœuds à elle toute seule, elle n'est pas synthétique, loin de là, vous l'aurez compris, on en rit, et à chaque fois ça recommence : bon alors maintenant je vais lui dire d'aller plus vite, mais jamais ça ne marche, alors on change de trottoir jusqu'à la prochaine fois !
Elle veut aider tout le monde et tout le monde la fuit... C'est notre dingo à nous, ses mots coulent comme un torrent, les chutes du Niagara ? Bien sûr que non, c'est pire, cherchez bien dans le monde, une cascade qui cascade comme elle, c'est introuvable, mais nous deux, ma voisine et moi, quand on en parle on dit : elle est comme ça, laissons courir... Elle a le cœur sur la main... Tu ne trouves pas, Danielle, que ça s'aggrave pour notre amie ? Oui, tu as raison, je crois avoir remarqué, tenons bien la barre serrée !
Le départ :
C'est pour bientôt, j'ai sorti mes listes de tout : les vêtements, les premières courses à faire en arrivant, les câbles et les rallonges pour tous mes appareils... Depuis de longues années, je fais ça, je connais cette petite musique, tout est à ma portée... Mais je trouve le moyen à chaque fois d'oublier quelque chose, l'année dernière c'était le petit plat à tarte, l'année d'avant la rallonge pour la tablette, l'année d'avant, avant, la pommade à la cortisone pour les aoutas... Cette année, ça sera quoi ?
Je vais revoir mes arbres, mes vaches, mes prés, mes étangs, mais dans quel état avec cette chaleur ? Mes amis vont bien... Mais chaque année compte double, nous marchons en marche arrière, allez, roulez jeunesse, je vais repédaler en "faisant bien attention", comme me disent mes fils... Jusque là pas de bobo, que des photos, cette année j'emporte un pliant tripode, pour m'asseoir devant les vaches et les paysages autant de temps que je le voudrais...
Avec mon siège tripode je vais en voir de toutes les couleurs
Mes amis, portez vous bien, ma pharmacienne me dit que tout est positif, avec les tests... Gardez le masque... Je vous embrasse...