dimanche 22 janvier 2023

Rosa Bonheur à Orsay ! Le bonheur et l'émotion...


 Labourage nivernais - 1849 - Rosa Bonheur (1822-1899)

À la campagne, en Indre ou ailleurs, partout où je suis allée, les vaches m'ont toujours attirée. Ces gros animaux tranquilles, courts sur pattes, qui vous regardent de leurs gros yeux, dodelinant de la tête, l'herbe en bouche, m'ont toujours hypnotisée. Je les trouve belles, puissantes, utiles au monde... Il faut prendre son temps avec elles, ne rien faire brusquement, au mieux ne pas bouger, attendre qu'elles viennent à vous, si le grand silence s'en mêle, vous pouvez entendre le bruit de leur langue couper l'herbe fraîche... J'ai toujours fait bon ménage avec les vaches, derrière les barrières, ou les fils tendus un peu électrifiés. Ce sont de beaux animaux, encore proches de nous, si vous avez encore la chance d'aller les regarder aux champs... Mon premier, ou mon deuxième coup de pédale quand j'arrive à la campagne, c'est pour elles ! 

Tout ça pour dire combien j'ai été touchée par les représentations qu'en a fait madame Rosa Bonheur. J'avais prévu d'aller les voir à Orsay, de continuer le pèlerinage, d'être dans l'émotion de les voir en grand peints avec amour, pas autrement. Rosa Bonheur transmet ça immédiatement, on y est, on est ému, on les admire dans toute leur splendeur, tous ces animaux sont enfin revenus en ville pour notre plus grande admiration ! Un monsieur plus tout jeune, à côté de moi, se demandait tout haut : c'est quoi, la fenaison, déjà ? Pas de réponse de sa voisine, je lui ai soufflé : c'est quand on coupe l'herbe dans les champs ! Je me suis dit, ça doit faire longtemps qu'il ne va plus à la campagne !

Moi qui n'aime pas le Musée d'Orsay, pour la grande foire aux peintures et aux touristes qu'il représente pour moi, je m'y suis précipitée le cœur battant !


Labourage nivernais (détail) - 1849 - Rosa Bonheur (1822-1899)

L'émotion était au rendez-vous, je les retrouvais, avec leurs yeux inquiétants qui vous fixent longtemps, jusqu'au moindre geste qui va les faire fuir... Comment peut-on peindre aussi bien, au delà des apparences, ces animaux magnifiques ? J'ai tout retrouvé chez Rosa Bonheur, cette énorme sensibilité, son observation si pointue, on sentait les animaux à la peine, si bouleversants, si vivants encore, accrochés au mur du musée... Allez les amies, tirez...


Labourage nivernais (détail) - 1849 - Rosa Bonheur (1822-1899)


Labourage nivernais (détail) - 1849 - Rosa Bonheur (1822-1899)

Derrière les vaches de Rosa, sur la colline, la campagne touffue, la petite maison me rappelaient l'Indre, en bien plus beau ! Je retrouvais cette intimité qui me lie, depuis tant d'années, à ce coin (heureusement) perdu de ma campagne de vacances, où, du regard, tout le paysage semble m'appartenir. En voyant cet immense tableau du labourage nivernais, interprété avec génie, je me disais que pour moi, l'exposition était terminée. Mais non, elle était loin de l'être, j'ai reçu en plein cœur le grand cerf, les lapins, le renard, le chien, les chevaux... Certains de ces animaux me sont familiers, ils n'ont pas encore disparu de notre terre, on peux encore les admirer un peu partout. On ne peut pas dire ça des grands lions avec leurs bons regards, presque humains, je les ai trouvés touchants, pas méchants pour un rond, presque amicaux, tous ces animaux, du plus grand au plus petit, Rosa avait fait fort de nous les montrer de façon grandiose, magnifique, percutante. L'attachement, le respect qu'elle avait pour eux se voit sur toutes ses toiles, avec force... Avec sa virtuosité, son talent, sa patte, l'artiste a installé d'emblée une émotion palpable dans chacune de ses rencontres avec le règne animal... Moi qui ne suis pas de la tendance "chien-chien à sa mémère", je me suis laissée émouvoir sans difficulté par le petit chien blanc attaché... Les lapins, les moutons, les oiseaux... Tous les autres, pas un animal ne me laissait indifférente !


Barbaro après la chasse  - 1858 - Rosa Bonheur (1822-1899)


Les deux lapins - 1840 - Rosa Bonheur (1822-1899)


Le cerf - 1893 -  Rosa Bonheur (1822-1899)

Unique, vibrant, devant les bouleaux, le grand cerf nous saisit du regard, chut ! Il risque de s'enfuir ! Comme toutes les fois où je m'emballe devant des œuvres, c'est le bonheur garanti pour quelques jours... D'affilée...

Je n'ai pas réussi à me défaire de ses peintures avec moutons, ses interprétations merveilleuses, chaudes, foisonnantes, étaient fascinantes. La laine des moutons est enveloppante, épaisse, elle grimpait sur moi, j'étais dans leur chaleur, douceur, émerveillement, comment a-t-elle pu réussir ce tour de force : donner à voir la beauté, de la nature de cette façon qui ne ressemble à aucune autre ? Voyez la simplicité, le calme d'un trajet en barque, avec tant de bêtes, les attentes silencieuses du berger sur l'alpage écossais, dans les Pyrénées... Le regard de Rosa sur les animaux de la campagne est inoubliable, la précision de sa peinture, les couleurs choisies... Du plus petit au plus gros, les animaux ont de l'expression, ils nous regardent. Aujourd'hui, ses peintures ne sont plus "simplement" superbes, elles nous murmurent... Prenez soin de nous, nous sommes en train de disparaître !! Nous sommes tous dans la même galère, les humains et les animaux, les fleurs, les arbres, tous les terrains trop vagues, les haies, les buissons, la beauté du monde est en danger, depuis trop d'années...


Changement de pâture, ou la barque - 1863 - Rosa Bonheur (1822-1899)


Détail


 L'alpage - Rosa Bonheur (1822- 1899)


Moutons aux pâturage dans les Pyrénées, sans date - Rosa Bonheur (1822-1899)


 Étude de renard - 3e quart du 19e siècle - Rosa Bonheur (1822 -1899)


Le grand lion chez lui - 1868 - Rosa Bonheur (1822-1899)

À cause de ses beaux yeux poignants, de sa fourrure épaisse de petit renard rouge, on a envie de le prendre dans les bras, de le caresser... Sans se soucier du danger ! Les lions pourraient faire pleurer, tellement leur belle présence me rappelle aussi leur disparition... Rosa Bonheur reste une femme d'aujourd'hui, singulière et libre, une artiste majeure, cette magicienne qui nous livre tous ces sublimes portraits d'animaux vivants de son époque, témoigne aujourd'hui, sans le savoir, de la perte des espèces organisée sur notre Planète... Comment ne pas crier, pleurer, se battre ?

Rosa Bonheur (si vous voulez tout savoir, Wikipedia est là) a bien traversé son 19e siècle, artiste originale, forte, talentueuse, virtuose, oubliée pendant de longues années, à l'écart des courants artistiques, elle a résisté à tous les vents, les critiques, elle a tout fait en dépit du "bon" sens commun... On juge encore ses œuvres très kitsch, mièvres, et Cézanne la tenait pour un "excellent sous-ordre", "horriblement ressemblant".

Rosa Bonheur, longtemps oubliée de l'histoire de l'art, a droit à une rétrospective, 200 ans après sa naissance, dans un grand musée parisien,  le musée d'Orsay !!! Bravo !!

Mes amis, à bientôt pour d'autres coups de cœur, je vous embrasse. Après un petit tour en Avignon, je reprends contact avec vous... Je vous embrasse...

jeudi 12 janvier 2023

La Clémence de Titus (Mozart) à la Philharmonie de Paris ! Une grande soirée !

 

La grande salle de la Philharmonie (photo empruntée sur internet)

Je l'avais su longtemps à l'avance : La Clémence de Titus, le magnifique Opéra de Mozart, serait donnée en version "concertante" à la Philharmonie de Paris, mais ce que je ne savais pas, c'est que je pourrais avoir le bonheur de le voir ! Un tour de passe-passe me le permettrait, puisque je n'avais pas de billet... L'invitation est tombée, à la dernière minute... Le bonheur complet ! Comme des Monarques d'Angleterre, nous nous sommes faufilés à travers les loges pour regagner dans la salle des places... Disponibles...

Un peu loin, mais assez près pour entendre parfaitement, un de mes fils (qui avait acheté ses places très en avance dans l'année) était, comme d'habitude, au premier rang, l'autre fils, Roi d'Angleterre sur le coup, n'était pas très loin de moi. Les fauteuils de la Philharmonie sont très confortables...

Quelques semaines plus tôt... Dis-donc mamie, ça te ferait plaisir d'aller entendre la Clémence de Titus avec Bartoli ? Je peux te faire rentrer, boum ! Non ! Si ! Pas possible ! Voilà comment la chose avait  été entendue avec ma grande petite-fille, sur mon lieu de vacances d'automne, en Indre... Une occasion inespérée, qu'elle nous offrait (à moi et à son père) grâce à une mission professionnelle qu'elle aurait ce jour-là dans la grande salle de concert parisienne... Incroyable, le coup de poker, avec Cecilia Bartoli et une brochette d'excellents chanteurs, l'ensemble Les musiciens du Prince-Monaco sur instruments historiques (fondé en 2016 avec Bartoli comme directrice artistique, et avec un chef remarquable), rien ne pouvait être mieux... Me restait donc quelques petits tours de vélo à faire dans mes Champs-Élysées de l'Indre, avant d'aller, dès ma rentrée, m'extasier devant ce beau monde de la musique et du chant ! La chance !

Le délice commença tout de suite, masque sur le nez, les lunettes un peu embuées au début, mais j'y étais, nous y étions, j'ajustais mes lunettes, vivement l'ophtalmo car ma vue baisse depuis l'année dernière, pas grave, il suffit d'entendre !

Quand vous entendez une œuvre exceptionnelle comme la Clémence, avec des chanteurs merveilleux et un orchestre divin, vous vous sentez au Paradis ! L'émotion se glisse à pas de velours, les larmes au bord des paupières, pas un geste, tétanisée, rien ne doit troubler ces instants fragiles de pur bonheur !

À l'entracte, je filais vers une place qui s'était libérée quelques rangs plus bas, ma voisine, une jeune femme, entama la conversation, nous sommes devenues amies d'un soir immédiatement ! Nous étions du même avis, tout était parfait ce soir, cette Clémence était une grande Clémence ! Elle adorait Cecilia, moi aussi, nous étions d'accord sur tout.

Après l'entracte, seule en scène, Cecilia, dans le rôle de Sesto, entame pianissimo un chant sublime. Connu de tous dans la salle, ou foudroyé d'émotion dès les premières notes, le silence fut total, inhabituel, remarquable, chaque note accompagnait notre respiration, il se passait quelque chose entre elle et le public, je le percevais, plus un geste, le cou tendu, les yeux larmoyants, il fallait respirer à toute petites goulées... Cet air que j'avais entendu tant de fois, ce soir, se jouait autrement, se révélait, me prenait par surprise, la salle toute entière retenait son souffle ! Ces moments n'arrivent pas souvent, il fallait être là, pour sentir les vibrations dans le public...

À la fin, tout le monde était debout, bis et rebis, merci les amis de nous avoir tant donné, avec toutes vos virtuosités, les saluts n'en finissaient pas, c'était la fête sur le plateau, l'intensité des applaudissements ne trompait pas, l'orchestre, le chœur (Il canto di Orfeo) tous magnifiques, magnifiques ! Personne ne fut oublié,  tout le monde avait été parfait, et Mozart servi divinement  !


Cecilia Bartoli et le chef

Nous nous sommes tous retrouvés à la sortie, le sourire aux lèvres, mes proches, les amis des amis, des habitués de Cecilia, qui viennent à chaque concert, de loin : la plus belle Clémence jamais entendue ! Cecilia n'était pas seule sure le podium, tous les chanteurs étaient loués, le chœur, si précis, si nuancé, si beau, le chef et les musiciens, des magiciens, chacun y allait avec joie pour saluer les prouesses des artistes, un plateau exceptionnel...

La nuit fut courte, après tant d'émotion il est difficile de trouver le sommeil, les jours d'après, tout me revenait et les plus beaux instants me redonnaient les larmes aux yeux... De la joie !

DISTRIBUTION
Wolfgang Amadeus Mozart
La Clémence de Titus
(version concertante)
Les Musiciens du Prince-Monaco
Le Canto di Orfeo
Gianluca Capuano, direction
John Osborn, Titus
Cecilia Bartoli, Sesto
Alexandra Marcellier, Vitellia
Mélissa Petit, Servilia
Léa Desandre, Annio
Peter Kalman, Publio

Mes amis, couvrez vous bien, le virus passe et repasse, faisant à chaque fois des dégâts dans nos corps, le gel ne sert plus à grand chose, c'est par voie aérienne que tout se passe avec le Covid... Ouvrons nos fenêtres... Je vous embrasse.

mercredi 4 janvier 2023

Tout frais tout chaud ! La Comédie Française nous a fait dresser l'oreille !


Le kiosque des noctambules - (verre de Murano) - 2000 - oeuvre de Jean-Michel Othoniel - commande de la RATP pour les 100 ans du Métropolitain (juillet 1900) 

Dès le mois d'octobre, bien avant ma rentrée des grands espaces de l'Indre, nous avions pris rendez-vous avec ma (grande) petite-fille pour des petites virées à la Comédie Française, pas de temps à perdre si nous voulions trouver des places bien placées ! Au taquet devant l'ordinateur, C. s'était mise aux manettes, agendas à gauche, carte bleue à droite, en voiture Simone pour l'art vivant !

Prise de contact sur le site du théâtre, d'abord on n'y comprend rien mais très vite tout s'éclaircit, oui, il y a un plan de salle pour les réservations, nous allons encore pouvoir choisir de belles places, cliquons, hardi petites ! Il restait juste des places pour La Cerisaie d'Anton Tchekhov (sur les quatre spectacles que nous avions sélectionnés), parfait, j'adore la pièce, je l'avais proposée d'entrée à C. En un rien de temps nos places étaient dans nos téléphones, il ne restait plus qu'à attendre le jour J ! Tout sera à recommencer en janvier pour les autres pièces. Comme à la SNCF, il ne faut pas avoir les deux pieds dans le même sabot... L'heure d'ouverture, c'est l'heure d'ouverture ! Moi, bien tranquille, je ne faisais que regarder ma petite-fille tapoter avec art sur le clavier, et tout s'est fait comme par magie !


Le costume d'Alceste (Le Misanthrope, 1837)

Le bonheur total de nous retrouver le jour du spectacle, et de partager le moment si divin du petit café,  nous avons tout le temps de deviser, tout en regardant nos montres. Et admirer le costume d'Alceste dans le Misanthrope en 1837 (restauré en 2022) ! Il y a du monde, je sors mon masque, et nous voilà en baignoire, premier rang (nous avions cru jusque là que nous étions au deuxième rang), les places idéales pour bien voir et bien entendre...

J'avais un peu révisé la pièce, on ne sait jamais, il y a beaucoup de personnages, un bref dépoussiérage s'était imposé (sur internet) pour avoir l'affaire bien en main... Depuis mon adolescence, le petit "froufroutis" des affaires familiales, de la vie ordinaire, les violences sociétales qui se finissaient mal (en général) m'enchantaient... La mélancolie, la musique des dialogues, les nombreux personnages qui s'aimaient, s'opposaient, se réconciliaient, se suicidaient même, me plaisaient, à un moment ou à un autre je pouvais m'attacher à chacun des personnages. Le théâtre de Tchekhov avait cette force, de faire du bruit dans mon cœur.

Dès le début, j'ai eu du mal à retrouver mes petits, car bien souvent je n'entendais pas grand chose, surtout les femmes qui pouvaient murmurer, le dos au public, en fond de scène, ou dans des fins de phrases qui se disaient dans un couloir invisible côté cour ou côté jardin. Intérieurement je me disais : tiens ma fille, tu n'entends plus très bien, c'est arrivé d'un coup, en baignoire, maintenant, c'est beaucoup trop loin pour toi !

Les hommes et quelques femmes tiraient leur épingle du jeu, le son faisait des pirouettes, pas le moment d'être distraite et pourtant, comment garder une attention soutenue quand vous entendez à peine les dialogues ? Une pièce qui contient quinze personnages principaux, pas le temps de les lâcher d'une semelle sans décrocher !

Deux heures et demi sans entracte, pas moyen de dire un mot des mots que nous n'entendons pas, il faudra attendre la fin des fins !

Le salut !

Applaudissements peu nourris, il s'est passé quelque chose ? Ou il ne s'est surtout rien passé du tout ?

À la sortie, nous étions d'accord sur tout : on n'entendait pas grand chose, surtout les femmes, difficile de se plonger dans l'action (même si peu d'action chez Tchekhov), les comédiens n'y étaient pas du tout, dès le début nous avions senti un grand vide, il avait fallu tendre l'oreille tout le temps ! Je me suis demandé au cours de la représentation si ça n'était pas moi qui devenais dure de la feuille ? Aïe, rien ne s'arrange, ce sont les oreilles maintenant qui me jouent des tours... Nous avons ri !

Rassure-toi mamie, souvent, moi aussi je n'entendais rien du tout, j'ai eu du mal à comprendre, de plus, les comédiens avaient tous le même code vestimentaire, seule l'harmonie des couleurs primait, impossible de distinguer les propriétaires des domestiques, les enfants des parents, un embrouillaminis total, il fallait vraiment dresser l'oreille pour tout démêler, ou connaître archi bien la pièce, comme toi... Mais non ma chérie, j'ai eu du mal comme toi, même après une très rapide remise à niveau avec le programme, j'ai eu du mal à retrouver mes petits ! Mon angoisse aussitôt s'était évaporée pour mon ouïe, des oreilles de trente ans ne peuvent pas se tromper et les miennes ont repris du poil de la bête !

Tu as entendu, mamie, comme les applaudissements étaient petits, les gens n'ont pas mis longtemps pour vider les lieux...

Le salut !

Bon, il faut nous tenir prêtes pour le prochain spectacle, "Médée" d'Euripide, je guette la date du premier jour de location... Tu sais ma chérie, je pense que demain, je ferai un petit mail à la Comédie Française pour tout leur dire : mon admiration pour leur beau travail, mon amour pour la Grande Maison et... Qu'on n'entendait vraiment pas bien !

Ils ne m'ont jamais répondu... J'espère qu'en 2024 ils vont y réfléchir !

Mes amis, bonne année, bonne santé et la paix dans le monde, vite, vite, c'est urgent ! Je vous embrasse.