vendredi 23 juin 2023

Ron Mueck à la Fondation Cartier, la dame du bus...

 



Mass - 2017 - Ron Mueck (1958), sculpteur hyperréaliste australien, vit et travaille en Grande-Bretagne

Quelle joie de reprendre pied à la Fondation Cartier, j'y vais régulièrement et régulièrement je me dis : y'a quoi en ce moment chez Cartier ? Ron Mueck !! Un grand artiste que j'aime, l'occasion est vraiment trop belle, j'y cours. Cette fondation trentenaire est un lieu exceptionnel d'art contemporain, dans un écrin de verdure, une sublime maison de verre conçue par Jean Nouvel. Bien avant de pénétrer dans les salles d'exposition, la façade toute en verre offre une œuvre d'art. À qui veut les voir, les reflets, la profondeur de champ offerte par cette forteresse si fragile met en joie immédiatement par sa beauté !


L'œuvre des spectateurs, changements à volonté


Dès l'entrée, le magnifique mur végétal de Patrick Blanc (1998)

Ron Mueck :

Un sculpteur qui sculpte le réel avec une très grande exactitude, jusqu'au moindre détail, les cheveux sont comptés... Un sculpteur hyperréaliste comme son nom l'indique, mais il va plus loin que la réalité en augmentant ou diminuant considérablement les dimensions de ses sujets, avec des procédés de réplique très modernes comme le silicone ou la fibre de verre. Il propose des œuvres vertigineuses, fascinantes et mystérieuses, signifiantes pour chacun des spectateurs... Confronté à lui-même...

Aujourd'hui, il propose une œuvre, à partir de 100 crânes humains surdimensionnés, pesant chacun 45 kg. Les trois couleurs mélangées se voient à peine, l'espace principal de la Fondation est entièrement occupé par l'œuvre, les visiteurs peuvent se promener parmi les crânes, tourner autour, se mesurer à eux, réfléchir, se laisser prendre par les émotions qu'il suscitent. Quand l'accumulation ne permet pas la vision en trois dimensions, il suffit de sortir et de regarder "par la fenêtre".





Dead Weight - 2021 - Ron Mueck (1958)

Le crâne en fonte vous attend à l'extérieur, massif et solennel ! "Le mot anglais Mass signifie à la fois un amas, un tas, une foule, mais aussi une messe". La tête de mort ne laisse personne indifférent, mais la pensée que vous puissiez bientôt lui ressembler est toujours très loin derrière... C'est ce que pensait la jeune femme à côté de moi qui admirait l'ensemble, nous nous sommes mises d'accord sur le fait que le regard qu'on porte sur un objet peut dépendre aussi de l'âge que nous avons... Dans les Vanités si prisées aux 16/17e siècles, la représentation miroir de la mort ne badinait pas avec le public. Ron Mueck joue avec tout ça avec son grand talent pour aller au-delà de la simple reproduction de la réalité, pour devenir un art formel, artistique, plutôt qu'un genre bavard.


La Fondation Cartier demeure l'unique institution française à collectionner l'œuvre de R. Mueck, bravo !! Au sous-sol, il y avait les chiens noirs, effrayants, grands et hauts. Comment ces grands chiens vont-ils attaquer vos/mes neurones ? Aucune peur pour moi, malgré le noir, la force des chiens, les lumières tamisées. Pourtant j'ai toujours eu peur des chiens, une force tenace, irrésistible qui a passé avec le temps, mais il m'a fallu beaucoup de temps... Je n'ai jamais perçu un chien comme une protection, mais comme une attaque, une fureur, un chien pour moi est méchant et rapide, je prenais mes jambes à mon cou, ou je restais figée comme une statue ! Mais ceux de Ron étaient bien sages...  En moi, rien ne s'est effrayé... Ils ne montraient pas les dents, pas de regard, figés, sculptés, inoffensifs...


Les trois chiens - 2023 - Ron Mueck (1958)

Le début de l'histoire commence par le nouveau né, grandeur hors nature, précis, hyper précis, un beau début !


A Girl - 2006 - Ron Mueck (1958)

Le petit bébé a déjà sa tête de grand-mère, il faut souvent attendre quelques heures pour qu'il devienne le magnifique enfant que nous reconnaissons tous, dans les bras de ses parents. Sa dimension monumentale nous rappelle peut-être la formidable épreuve de sa naissance, qui tient du miracle !


De dos

Cette œuvre nous/m'enjoint à mesurer mentalement la place immense prise dans ma vie par chacun de mes enfants, dès le tout début... Je me souviens de l'arrivée du premier et du deuxième de mes enfants, si petits, gros comme des montagnes à bercer, soigner, nourrir, aimer pour toujours...

Méfiez-vous avec Ron Mueck, il faut toujours compter sur les émotions qui rebondissent, du début à la fin, on pourrait en parler pendant longtemps... Ainsi Man in a Boat -2002...


Man in a Boat - 2002 - Ron Mueck (1958)

Que vient-il nous dire dans sa galère, seul au monde, nu au milieu d'une embarcation fragile, le regard dans le vide, les bras croisés devant la dérive, la noyade ? La solitude ? L'impuissance ? À vous de voir, moi j'ai été impressionnée par ce dernier voyage, peut-être ? Comment faire ?


Ron Mueck (1958)

À la Fondation, c'est toujours un plaisir de faire le tour du propriétaire, après les œuvres, le jardin et les grands arbres, la douceur de la lumière et de la journée... Se laisser imprégner...
 

Une belle expo, une belle journée !

La dame du bus :

Ah ! Ma chérie, ça fait longtemps qu'on se voit pas, je me demandais où que vous étiez ? La petite dame toujours toute en noir, du turban aux chaussures, me pose toujours les mêmes questions à chacune de nos rencontres à l'arrêt du bus. Nos horaires ne coïncident pas beaucoup, le hasard, on s'embrasse : moi aussi je suis contente de vous voir, tout va bien, dites-moi ? Je me disais à chaque fois en écoutant les réponses : tout fonctionne bien, elle est pétillante, elle va se promener dans Paris, descend toujours au même endroit, derrière la Mairie de Paris... Et roulez jeunesse ! Toujours avec mon mari nous allons dans Paris, depuis qu'il est plus là j'y vais quand même... Parfait, vous avez raison, c'est bien de sortir ! Oui, avec mon mari on faisait ça, on prenait le bus, on descendait à la Mairie de Paris, on prenait un petit café, on était bien... Mes enfants me disent : maman, il faut sortir, avec mes enfants pas de zigzag, il faut marcher droit, j'les ai élevés comme ça ! Et la voilà repartie avec son mari, la Mairie de Paris... Plusieurs fois avant l'arrivée du bus elle a répété : le mari et la mairie de Paris... Je me suis dit : pourvu qu'elle tienne le coup, quand elle rencontre un voisin elle est toujours en fête, elle fera une belle promenade, je la sens toujours heureuse sur le banc, mais après, quand elle ne voit plus personne ?... Passez une bonne journée, bon voyage, à bientôt !

Mes amis, à bientôt, profitez de l'été, du temps doux, pourvu qu'il pleuve quand même un peu, tout le monde en a besoin, notre Terre doit rester bleue ! Je vous embrasse.

mardi 13 juin 2023

Georges Clemenceau, les abricots, les nouveaux habitants de l'immeuble neuf...


Le petit musée est annoncé, impossible de se tromper

George Clemenceau (homme politique français) est mort dans cette maison en 1929. Par la volonté d'un mécène américain (l'immeuble est secrètement acheté pour le compte d'un admirateur de Clemenceau, le milliardaire américain James Douglas Jr., 1867-1949), et de proches du "Tigre", ce lieu est resté depuis lors inchangé. C'est justement ça qui m'intéressait, un lieu de vie d'un homme célèbre "dans son jus" depuis le début du 20e siècle, ou récemment restauré à l'identique, de 2015 à 2019, sous le contrôle des Monuments Historiques. Parfait ! Comment j'ai repéré ce petit musée, je ne m'en souviens pas du tout, mais j'y suis allée avec beaucoup d'enthousiasme... Clemenceau s'installa à 55 ans dans cet appartement, il y a vécu 33 ans, jusqu'à son décès à 88 ans.

Rien ne m'a déçue, on y entre comme si on allait en visite du dimanche voir un vieux parent. Au premier étage de l'immeuble, dans un appartement vide, tout l'historique du personnage, vidéo, documents, photos, dont un très beau tableau de son épouse...


La cour de l'immeuble


Mary Plummer, épouse de Georges Clemenceau (1848-1922) - Ferdinand Roybet (1840-1920)

Au bout de 23 ans de mariage, trois enfants et un divorce (1892), cette Américaine retourne aux Etats-Unis (Clemenceau la fait expulser pour raison d'adultère, mauvais joueur et normes machistes de l'époque, puisqu'il avait lui-même de nombreuses liaisons féminines), puis revient à Paris, où elle gagne sa vie en guidant des touristes américains. Elle y meurt seule en 1922...

La vie de Clemenceau (1841-1929) est trop dense et passionnante pour en parler même à demi-mot, je vous invite à consulter Wikipédia pour un aperçu, le bonhomme m'a plu sur le simple fait que déjà en son temps, il était contre la peine de mort... Ami des arts et des belles lettres, médecin, Président du Conseil des Ministres de la guerre, Ministre de l'Intérieur, sénateur, député, Président du Conseil Municipal de Paris... Il a fait tous les fauteuils, son surnom "le Tigre" devait lui aller comme un gant ! Un homme a mille facettes, pas toutes de la même couleur !

Je me suis promenée d'une pièce à l'autre dans son petit appartement, où seule la poussière avait bougé... Passionnant de vivre dans le temps intime du Tigre ! Ce petit appartement ne représente pas la dimension du personnage : pas d'or, pas de pompe, pas de brocards, des belles choses, des tableaux, des livres, et ce petit jardin où il élevait des poules et jardinait, échangeant plantes et conseils botaniques avec son ami Monet. Lieu riche d'une vie formidable, à explorer...




La salle à manger


La salle de bain





La chambre à coucher



Le magnifique bureau

Un enchantement, je m'étais invitée dans l'appartement et je pouvais aller dans les coins, observer les objets, la disposition, l'ambiance feutrée, le mobilier d'époque, sombre, les bibliothèques bourrées de livres... Une petite entrée qui donne dans un petit jardin adorable, où je n'ai pas pu aller...



Le vestibule et le petit jardin... Fermé

Seule la cuisine n'était pas visible, les WC derrière la caisse... Dans cet appartement, loin du brouhaha de la vie de Clemenceau, absent du tumulte mais très présent dès l'entrée, je me suis dit : comment ai-je pu ignorer ce petit musée si longtemps ? Ouvert au public depuis 1931 ! Derrière le Trocadéro, dans une petite rue éloignée du circuit touristique habituel. En sortant, je repris mon itinéraire de hasard au pas de tortue... J'ai aussi pris cette photo menteuse que j'aime bien...


La mère et l'enfant

J'ai eu très peu de temps pour déclencher, avant que des personnes en promenade dans le coin ne viennent s'asseoir sur le banc, me prendre le vide. La place paraît tranquille, le cimetière de Passy est à deux pas sur la gauche, le Trocadéro juste à droite et un car entier de touristes asiatiques vient de déverser son flot de visiteurs de Paris, silence, on tourne !

Les abricots :

En jetant un œil "fouilleur" dans le minuscule jardin qui sert de plate-bande au pied de ma tour, je les ai vus ! Trois, dans un état presque parfait, l'un d'entre eux avait été un peu écrasé dans sa chute. Comment faire pour les ramasser, impossible d'accéder au carré de pelouse avant lundi, la petite porte d'entrée du public à l'Office est fermée ! Ils vont pourrir, c'est sûr, et voilà mon sauveur qui sort sur son vélo, un employé (que je connaissais) et qui avait terminé son service d'astreinte, je cours après lui : tu peux me laisser entrer ? Bien sûr, tu pourras ressortir en appuyant sur le bouton "porte" et hop ! À moi les abricots tous chauds, je les prends dans le creux de mes deux mains, comme un oiseau blessé, trois abricots, c'est pas gros... Je file, vue de personne, je vais me régaler ! Dans l'ascenseur, je les renifle, ils sentent la rose, comme d'habitude, arrivée à la maison, lavage, brossage (léger) et dégustation sur le champ, énorme, magnifiques, délicieux, trois abricots les meilleurs du monde, mieux que l'année dernière où j'en avais eu un seul ! Un petit bonheur de la saison, quand je me suis penchée à la rambarde de mon balcon, j'ai vu qu'il y en avait trois autres qui m'attendaient dans les branches, mais il ne faut pas crier trop vite victoire, demain, je démarre de bonne heure (énorme effort pour moi), à neuf heure je serai en bas... Je vous raconterais si la cueillette a pu se faire ! J'ai le cœur qui bat ! Une cueillette bio/locale/délicieuse, ça se mérite...


Première récolte (pile) - saison 2023


Première récolte (face) - saison 2023


Deuxième récolte (nickel) - saison 2023


Dégustation - saison 2023 - Alléluia !

Il faudrait des mots plus puissants pour vous faire sentir le délice de ces fruits ramassés dans l'herbe : du miel ? Non, du sucre ? Non plus, trop commun, très bons abricots ? Mais non, encore trop petit,  merveilleux ? (très très faible) Fruits qui ont poussé comme par miracle au milieu de rien, contre tous les vents et les giboulées, sans engrais, sans élagage, sans soins, avec le regard bienveillant de quelques voisins, quelques interrogations : vous croyez qu'il y en aura ? Mais non, il est mort, presque pas de fleurs. Demain matin petit déjeuner à 8h, je pousse la porte à 9h... Je trouve les mots qu'il faut, juré !

Ce matin, dès l'aube, à l'heure où... Pas du tout, je n'ai pas pu me lever tôt, mais j'ai fait une récolte extraordinaire, 6 d'un coup, gros, énormes, un peu grignotés par les fourmis, mais presque rien... Bien nettoyés, bien curés, je les ai mis en lieu sûr, bien à l'abri dans une belle boîte en plastique, au frais dans le bas du réfrigérateur, pour les faire patienter jusqu'à demain, mes fils viennent dîner avec moi. Je n'ai cependant pas pu résister, j'en ai goûté un, pas le plus beau, mais délicat, parfumé et franchement merveilleux au goût, le miracle a bien lieu tans les ans, un peu d'or pur a chu dans l'herbe...


Troisième récolte merveilleuse de 2023

J'ai regardé avec mes jumelles du très haut où j'habite, penchée raisonnablement sur la rambarde de mon balcon, j'en ai compté 10 encore perchés dans les branches... À nous deux mes amis, je vous attends...

Les nouveaux habitants de l'immeuble neuf :

Si rien n'indique franchement qu'il y a de nouveaux locataires dans les lieux, il faut regarder avec attention les balcons, les premiers habitants sont là, bien visibles : les grands séchoirs à linge, demain ou après s'installeront les canisses en tous genres, faux lierres, bambous, grillages, plastique noir, paravents, vélos... Ils sont là, bien avant les fleurs... Défigurant la façade plus vite que le temps... Je redoute les terrasses, qui peuvent générer la pollution sonore... Mais il faut bien loger les habitants, le mieux possible ! L'immeuble neuf est assez loin de chez moi, mais toujours trop proche à mes yeux, comme s'il allait se rapprocher, dans la nuit, imperceptiblement !!!

Allez, Danielle, occupe-toi de la quatrième récolte au lieu de ronchonner !

Mes amis, à bientôt, pourvu qu'il pleuve partout, c'est le grand bien que je peux souhaiter à la nature et à nous-même... Je vous embrasse fort. 

mercredi 7 juin 2023

Les artistes de ma route : Chiharu Shiota, Chantal Akerman et l'orchestre amateur de ma ville !!!


Installation in-situ (2023) Chiharu Shiota - née en 1972 à Tokyo, vit et travaille à Berlin depuis 1996


Les papiers...


Le vêtement


Le corps...

J'avais noté sur mon agenda, depuis longtemps, le passage de cette tisseuse du temps dans une galerie parisienne, toujours aussi inattendue, ses merveilleux tissages de fils, noués, tendus, enveloppants, qui dévoilent des mystères intérieurs... Je les adore ! Sitôt que Chiharue Shiota envahit un espace, il prend immédiatement tout votre cerveau. La première fois qu'elle m'avait sauté aux neurones, en 2011 (à la Maison Rouge, lieu fermé maintenant hélas !), j'avais trouvé ses installations uniques, d'une poésie touchante, captivantes et ineffaçables. Depuis je suis ses fils de couleur sortis de ses pelotes mentales. Elle incorpore "au fil" de ses fantaisies des objets qui disparaissent, suivant l'angle de vue, avec une infinie légèreté, la transparence de ses œuvres nous livre petit à petit ses obsessions. Dans ses fils, elle y cache des vêtements, des objets, des papiers qui tombent en cascade... C'est merveilleux ! Aujourd'hui s'y ajoutent des petites bronzes remplis d'inextricables fils de cuivre (?)


Petite barque en bronze et paille, d'acier, de cuivre (?), d'entrelacs métalliques...


Robe d'enfant entraperçue !

Elle explique : "À notre mort, notre existence se reflète dans nos vêtements et les objets qui nous entourent. L'existence dans l'absence : c'est un des thèmes de mon travail". Je rapproche cette intention du travail de Chiharu Shiota de que disait également le grand artiste Christian Boltanski de son œuvre : laisser des traces de la vie... Sa représentation de l'absence était si intense et touchante... Combien de fois ai-je eu les larmes aux yeux devant ces œuvres superbes, et très fortes émotionnellement !

L'exposition venait de commencer, tout était bien briqué dans la galerie, les pense-bêtes expliquant les œuvres et le parcours de l'artiste, impeccablement rangés sur deux piles : anglais/ français... Peu de monde, vraiment peu de monde, la chance de faire du corps à corps avec le travail de Chiharu dans le calme et la contemplation... 

Chantal Akerman (allez-y voir sur Wikipedia) cinéaste belge (1950-2015) :


Je la connais depuis toujours, son style, ses histoires, ses lenteurs, ses plans presque fixes fascinent ou agacent. Je ne sais plus depuis combien de temps j'ai vraiment rencontré ses films, peut-être bien sur le Festival du Film de la Rochelle dans les années 80, que j'ai fréquenté pendant quinze ans. L'énorme film de cette cinéaste (détestée ou aimée) : "Jeanne Dealman, 23 Quai du Commerce, 1080... Bruxelles" (1975) dure trois heures et demie sans une miette d'ennui, un ravissement tout au plus, je l'ai vu plusieurs fois et chaque vision m'a permis de le re-découvrir en modifiant mon point de vue, ou apercevoir un plan que je n'avais pas vu la fois précédente... Une nouvelle plongée dans l'inconnu, comme toutes les belles œuvres d'art qui peuvent être regardées/lues à l'infini tellement elles sont riches de sens, d'émotion et de beauté, Jeanne Dealman est de celles-là... Un champ de fleurs, un beau ciel bleu nuageux, des vaches dans un pré jamais ne lassent, les perspectives du regard ou de la compréhension varient avec le spectateur. Jeanne Dealman est de cette trempe !

Depuis peu (2022), le film a été reconnu par l'une des revues (britannique) de cinéma, les plus connues au monde, Sight and Sound, comme :  " Le meilleur film de tous les temps".  Le film est revenu en salle le 19 avril, restauré ! Je m'y suis donc précipitée, plein de choses m'avaient échappées, le temps avait passé pour moi aussi, modifiant mes perceptions, bien sûr ! L'œuvre est splendide, émouvante, et éternelle... Chantal Akerman avait  25 ans quand elle a réalisé ce film. "Son élection tient ainsi du miracle dans une industrie encore dominée par les hommes, comme le rappelait Isabelle Huppert dans notre dernier numéro. Seyrig et Akerman ont réalisé, à titre posthume, le casse du siècle." (Les Inrockuptibles). Bravo !!!

Jeanne Dealman est une histoire simple (?) qui se passe sur trois jours de la vie d'une femme jeune qui se prostitue à domicile, chaque jour avec un homme différent, pour arrondir ses fins de mois et élever son fils adolescent, enfermée dans une vie répétitive, qui rythme invariablement les heures qui passent... Un jour, tout va de travers, la vie se dérègle. Et bascule vers le drame... Allez voir ce film et mettez-vous définitivement du côté du chef d'œuvre ! Vous verrez !

L'orchestre d'amateurs :

On y va ? Bien sûr, pas question de rater ça, musique italienne, deux chanteurs lyriques, l'itinéraire à plusieurs mains pour arriver à la salle, interrogation des passants du quartier, on finit par se retrouver dans un petit temple protestant qui aime bien la musique, entrée libre, participation aux frais à votre bon cœur... On se repère : ah, tu es venu ! Tiens, on est plusieurs de notre chœur, nous étions entre gens heureux, l'orchestre d'amateurs (une vingtaine de musiciens) non diplômés mais passionnés faisait plaisir à voir. Tous les musiciens avaient la banane, les doigts tremblaient un peu sur les instruments, les yeux rivés, un peu sur le chef et beaucoup sur les partitions, chacun avait le sourire et le trac...

À dire toute la vérité, de la musique j'en ai entendue de la mieux jouée, du chant, j'en ai entendu aussi du mieux chanté, avec de jolies voix, puissantes et enchanteresses, oui, c'est sûr et certain, mais du bonheur comme ça sur la figure de tous ces passionnés de musique, je ne l'ai jamais vu comme ça ! J'étais heureuse d'être là, au milieu d'un travail en commun avec un chef hors du commun, après le concert, j'ai su que les musiciens avaient eu seulement deux répétitions et un raccord de dernière journée pour se mettre ensemble, les chanteurs pareil, le chef (de conservatoire) à la retraite depuis un certain temps, avait réuni ses anciens élèves qui n'avaient pas joué ensemble depuis plusieurs années, pour un ultime concert, il avait écrit pour "chacun" une partition qui tenait compte des possibilités personnelles du musicien... Un chef sur mesure ! Plus d'hésitation...

Les applaudissements nourris après chaque morceau faisaient frissonner l'assistance de plaisir : bravo, bravo ! Le compte y était pour l'affection, la joie, l'illusion peut-être, mais avant tout la générosité ! Quelle chance de se trouver là, l'exploit était à la hauteur, la musique italienne annoncée tenait ses promesses, j'avais même oublié pendant deux bonnes heures, le drame du matin, le vol brutal de ma carte bleue à la billetterie... Et tous les problèmes qui arrivaient en ribambelle : la culpabilité de me trouver si bête, si inattentive, si crédule, si... Et le vol d'argent qu'il fallait "encaisser"... Les démarches tous azimuts à faire pour essayer de me faire rembourser par la banque, enfin bref, les galères du matin furent oubliées comme par enchantement par la chaleur de la rencontre musicale, merci les amis, si vous saviez !

L'amitié, le bonheur du groupe chasse bien des chagrins, des peurs, des colères, l'après-midi fut comme du miel qui coulait dans mes veines, pour me réconforter...

Mes amis, portez-vous bien, moi je fais tout ce que je peux, et ce n'est pas peu, je vous embrasse. À bientôt.