Un dimanche à la campagne, dans l'Indre (2011)
C'était un dimanche avec ciel bleu qui invitait à sortir de chez soi... Justement j'y étais, dehors, un petit sac à provisions au bout du bras...
Le grand magasin près de chez moi ouvre le dimanche matin, je ne l’utilise que très rarement, pour les oublis de dernière minute, je m'en veux d'y aller, car je vais contre mon courant de pensée... Mais j'y vais quand même...
L'esprit humain est très tortueux, ou surtout trop pressé d'obtenir ce qu'il désire, rien ne peut attendre, nous sommes dans l'ère du " tout de suite"... Et je n'y fais pas exception...
Dans l'autobus, j'avais trouvé une place tout de suite, pour un tout petit trajet. En face de moi s'était assise, dans toute sa splendeur, une dame habillée entièrement en bleu, elle parlait presque toute seule, mais en fait ses paroles, j'ai eu la chance qu'elle me les adresse... Elle ressemblait à un personnage de la période bleue et rose de Picasso, toutes les couleurs s'étaient mélangées... Les habits bleus et le visage rose, le sourire rose, le ton rose... Difficile de lui donner un âge, mais ça faisait pour moi entre cinquante et cinquante-cinq grand maximum...
J'ai mal au pied. Ah bon ! C'est ennuyeux pour vous... La balade commençait par la douleur : j'ai mal dans le pied depuis que je suis toute petite. Ah bon ! Comme si on me traversait mon pied avec un grand couteau électrique, ça pique, ça fait comme un éclair, personne ne trouve ce que j'ai, j'ai mal, même la nuit, ça me lance... Elle avait dit tout ça avec le sourire, et j'ai pu voir ses yeux d'un bleu profond, cerclés de noir... Personne n'a pu trouver la cause de votre mal ? Non, c'est comme ça depuis que je suis toute petite. Personne ne voulait vous croire ? Nous étions vraiment entre quatre yeux : non, personne, tout le monde pensait que je faisais des caprices. Oh ! Comme c'est triste...
Voyez comme il fait beau aujourd'hui, je vais chez ma mère. Ah bon ! Elle habite loin, votre maman ? Dans les beaux quartiers, oui, les beaux quartiers. Elle avait mis un sourire malicieux pour "les beaux quartiers", je n'ai pas demandé l'arrondissement, je n'avais pas envie de savoir où étaient ses beaux quartiers... Mon beau quartier à moi, c'est Arts et Métiers, c'est pas compliqué. Elle avait mal à un pied, prisonnier de l'électricité, s'appuyait sur sa canne même assise, elle débordait largement de son siège et elle allait dans les beaux quartiers...
C'était tous les jours dimanche dans la petite routine dans l'Indre (2001)
(Un petit chemin, bordé de fleurs et d'arbres, un chemin qui ne mène pas loin, qui est petit et qui traverse un champ ou deux, un droit de passage qui ne sert pratiquement à rien, mais qui permet la sortie d'une maison pour s'en aller vers le grand large, s'appelle une petite routine... La petite routine de l'Indre est la 8e merveille de toutes celles que je connais... Elle est verte, fleurie, ombragée, et mène au grand arbre à l'horizon...)
Mais reprenons la balade en bus : au début, quand la dame de la période bleue et rose, au pied électrifié a parlé, je ne pensais pas qu'elle m'adressait la parole, je pensais plutôt qu'elle parlait à la cantonade. C'est à moi que vous vous adressez ? Elle n'a pas dit oui, mais elle a continué à me raconter la belle histoire en me regardant dans les yeux. Elle allait me dire de l'or, écoutez... C'est doux comme du coton perlé...
C'est mon amie ! Ah bon, votre maman est aussi votre amie ? Oui, c'est ma meilleure amie, je l'aime beaucoup. Je comprends, c'est très touchant ce que vous dites. Elle a toujours été là pour moi, toujours, même dans les moments les plus tristes de ma vie, je lui raconte tout, et elle me comprend...
Vous allez la voir tous les dimanches ? Oui, je profite de sa présence, j'en profite pleinement, tous les dimanches, je passe toujours une très bonne journée quand je suis avec elle. La dame en bleu avait un sourire de quartz rose.Tout, tout, tout avait été dit avec douceur, ma maman, c'est aussi mon amie... Je vais la voir le plus souvent possible, je passe toujours un bon moment quand on est ensemble...
Ce qu'elle m'avait dit ne ressemblait à aucun discours entendu depuis des années...
J'avais écouté des viols, des brutalités, des maladies, des deuils, des ruptures, tant de dissonances familiales, si j'avais mis toutes ces confidences dans le plateau de la balance, il se serait écroulé avec fracas du côté des malheurs... Le bonheur, c'est dans les chansons qu'il explose... Qu'il vous fait voir la vie en rose...
Imaginez ce beau dimanche en bleu...
Arrivée dans le grand supermarché du dimanche, j'ai mis trois choses indispensables dans mon filet de pêcheuse et je suis passée en caisse presque à la dérobée...
Mes amis, profitez de tous ceux que vous aimez, dites-leur, faites bouger votre cœur, les paroles, pour le partage ça aide énormément, pour tout ! Pour le bonheur aussi !
À très vite mes passagers clandestins, mes amis de toujours... À bientôt sur mes lignes, pour des petits riens qui en disent long...