dimanche 17 novembre 2019

Parlons-nous !


La belle rétrospective OZU en 2019

Ce n'est pas du tout de la rétrospective OZU de mon cinéma de quartier (vu/revu neuf films sur dix) dont je vais vous parler, il y aurait des milliers de mots à dire : entre nous, j'en suis une inconditionnelle, une fan, une groupie, je l'aime sur tous ses plans ! Son oeuvre résiste merveilleusement au temps. Tant que les histoires de famille rencontreront des cinéastes de très grand talent, nous risquons d'en être touchés, profondément...  Avec OZU, qui est un cinéaste de très grand talent, je n'ai plus aucun esprit critique, quand je vais voir un de ses films, je dis : je vais voir un OZU, plus besoin du titre, de l'année de la sortie, de la longueur du film, peu importe, je vais voir un OZU point final. J'ai vu presque tous ses films, et heureusement, il me reste encore des trésors à découvrir, les rétrospectives sont faites pour ça... 

Donc, après la séance OZU, j'ai fait la rencontre d'une dame qui avait assisté comme moi à la projection de Printemps précoce, 144 mn, et qui courait comme moi pour attraper "notre" bus à la sortie de la séance... Nous étions rapidement tombées d'accord sur quelques petites longueurs du film, oui, c'est vrai, OZU aurait pu faire plus court, sans rien retirer à son chef-d'oeuvre, oui, vous avez raison, un peu long... Je n'en revenais pas, quelle audace, j'avais fait moi aussi cette petite critique sans broncher : un peu long ! Je progresse, peut-être, en sagesse ?

Nous avons très rapidement abandonné le terrain d'OZU, vous allez voir comment. Un peu long le film, je n'en pouvais plus, oui, peut-être un peu, mais... Vous avez vu le beau film Yuli (réalisé par Icíar Bollaín) ? Oui, je l'avais vu, agréable à regarder, le danseur était magnifique (Carlos Acosta) mais je n'arrivais pas à la hauteur de son enthousiasme, j'avais préféré, et de loin, Billy Eliott de Stephen Daldry... Mais là n'était pas le sujet, le sujet, c'était : Elle, avec toute sa belle histoire d'amour avec la danse... Les histoires entendues au vol ne commencent pas par le début, elles démarrent n'importe comment et moi, je les prends dans les mailles de mon filet à papillons... Une à l'endroit, une à l'envers, une à...



L'affiche

Nous voilà parties sur la danse, sa passion : je danse depuis 30 ans. Ah bon ! Notre conversation  continua de plus belle en montant dans l'autobus qui venait d'arriver, pas de temps mort. Assises l'une en face de l'autre, elle a continué à me raconter, sans se faire prier : vous en avez donc fait votre métier ? Pas du tout, je dansais pour mon plaisir, en "amateur", quel bonheur, j'ai toujours adoré ça. C'est quoi, alors, votre métier ? Je suis professeur d'allemand. Ah oui, ce n'est pas tout à fait pareil. L'allemand aussi a été ma passion, vous voyez je suis née pendant la guerre et mes parents n'ont cessé de me dire pendant toute mon enfance : il ne faut plus qu'il y ait de guerre, il ne faut plus. C'est pour ça que j'ai choisi la langue allemande au bout de deux ans de cours, pour faire la paix, réunir nos deux pays. C'est bien, ça, madame, vous avez été visionnaire ! Professeur d'allemand pour le pardon, la paix, c'est beau... Elle avait juste quelques stations à faire pour arriver chez elle, je le savais car ce n'était pas la première fois (ni la dernière), que nous nous rencontrions. Oui, j'adore la danse, un jour voyez-vous, au cours d'un spectacle avec ce grand chorégraphe israélien appelé Gaga (Ohad Naharin, 67 ans), vous connaissez ?... Oui, oui, j'ai vu un documentaire sur lui, totalement magnifique, oui, il est formidable. Et bien figurez-vous que j'étais à l'Opéra Garnier pour une de ses représentations l'année dernière, et à la fin il a fait monter quelques spectateurs sur la scène. En effet, incroyable ! Et alors ? Et bien j'ai dansé, avec bonheur, la consigne était de fermer les yeux et, quand la musique s'est arrêtée,  j'ai ouvert les yeux, j'ai vu que j'étais toute seule sur la scène de l'Opéra, ça été pour moi une énorme émotion, il m'avait laissée jusqu'au bout de la musique danser toute seule. Je comprends, incroyable, très impressionnant, quelle joie pour vous ! Elle en était encore toute émue en me racontant son exploit, si fort, si dense... Cette dame avait plus de 75 ans... Elle avait été opérée trois fois de la hanche, elle en gardait une canne, et marchait d'un bon pas... Avait-elle dansé avec sa canne, ou au bras d'un cavalier, guidée par Gaga peut-être ?


Photo magnifique empruntée sur internet (© Presse)

Et puis sa vie a continué à défiler dans l'autobus.

Elle avait perdu ses parents très jeune, et son frère, qui avait 20 ans de plus, est devenu son tuteur,  elle avait refusé d'aller avec son oncle qui était méchant. Elle a pratiqué la danse très tôt, et l'amour de la danse s'était installé en elle pour toujours, elle aimait le cinéma et la danse. Vous n'allez jamais au cinéma ensemble avec votre mari ? Non, pas souvent, mais je me souviens du premier spectacle que mon mari m'avait emmenée voir quand nous étions plus jeunes, c'était un ballet à l'Opéra de Paris... Je l'avais toujours vue seule aux séances de cinéma, mon mari préfère les musées, il est très gentil, mon mari, très gentil, c'est un scientifique... Elle me dit aussi, de la joie dans la voix : j'ai deux petits-enfants merveilleux, les enfants de mon fils, j'avais une fille qui est morte à 30 ans... Dans un si petit parcours de bus, ça n'était pas facile de s'installer dans sa vie, mais j'avais bien vu qu'elle voulait tout me dire avant de descendre, moi je ne voulais pas non plus que sa station arrive trop vite, des moments comme ça n'arrivent pas souvent, moi aussi j'espérais que le bus resterait plus longtemps aux feux rouges... La vie, la passion, l'amour, la mort, en trois tours de roues, en descendant elle me dit : j'espère que je vais vous revoir... Moi aussi je l'espère, passez une bonne soirée...

Bien sûr que nous allons nous revoir, sûr qu'on va courir après l'autobus, bien sûr que nous nous reparlerons, je vous attends... À bientôt madame, et merci !

Une amie m'a dit l'autre jour au téléphone que sa grand-mère lui avait répondu, un jour où elle se plaignait : si tu vas vendre tous tes malheurs au marché, c'est sûr que tu reviendras avec !

Je vais encore parcourir mon Petit Monde, le Grand Monde de la Terre va trop mal pour moi, je suis mieux avec les suites de jours qui font mon quotidien, sous mes yeux, sous mes pas, à mon oreille... Mes amis, ne quittez pas mon fil, je reviens...

6 commentaires:

siu a dit…

Moi aussi je suis sure que vous vous reverrez..!
Merci pour ton récit, chère Danielle.

Gros bisous sous la pluie.

Marie Claude a dit…

Oh Danielle cette dame ne pouvait pas avoir une meilleure oreille attentive que la tienne...
Parfois cela fait du bien de s'épancher un peu!!
Bientôt de prochaines "retrouvailles"...
Bisous de fin d'après midi bien maussade ici.

Danielle a dit…

Oui, Siu nous sommes appelées à nous revoir et à reprendre le récit là où elle l'a laissé, où plus loin...peut-être...

Je t'embrasse du soir.

Danielle a dit…

Marie Claude, ce soir-là je crois qu'elle était encore dans la danse, elle était tellement enthousiaste !

Moi j'étais aux anges...

à bientôt, je t'embrasse.

Brigitte a dit…

Oh mais quelle rencontre ! Moi aussi je suis certaine que vous allez vous revoir... La vie est tellement pleine de surprises !
Et ce film "Yuli" je l'ai vu et beaucoup aimé . J'avais adoré Billy Eliot dont j'ai la musique en CD . J'aime moi aussi énormément la danse surtout contemporaine .
J'ai du voir un film de Ozu mais pour aller au ciné ou passent ce genre de films ,ces temps-ci c'est galère pour cause de travaux pour le tram … Avec mon amie nous allons plus près mais parfois cela ne nous conviens pas . Récemment j'ai vu: Hors normes,un film formidable .
Je t'embrasse avec le soleil qui se pointe

Danielle a dit…

Brigitte, j'ai vu moi aussi Hors-Normes qui m'a énormément plu, un scénario étincelant et des gens superbes... Bravo aux acteurs de 1er plan...

Brigitte merci de rester sur mes lignes.

Je t'embrasse, passe une très bonne journée.