Vieille femme à l'écharpe verte - Christian Seybold - (avant 1768)
Alice va avoir 104 ans d'ici un mois ! Elle habite sur mon palier, ça fait presque 20 ans qu'elle frappe à ma porte, et moi à la sienne... Au bout d'un long moment de discussion, les yeux dans les yeux, je lui demande : Alice, c'est quoi votre rêve ? Mon rêve, c'est de partir, je n'ai plus rien à faire ici ! Alice dit toujours avec pudeur : "je veux partir", elle ne dit jamais : "je veux mourir"...
Je le sais, Alice, je le sais depuis quelques années, vous me le dites, mais aujourd'hui vos jours se sont densifiés, votre détermination est forte, vous me dites aussi que vous ne quittez pas votre appartement de plein gré, vous n'avez pas pu résister à vos enfants : non, je n'ai pas pu, je n'ai pas osé, je ne voulais pas partir, j'étais bien dans mon appartement, avec toutes mes affaires, mes souvenirs, mes objets, mon amie que je ne reverrai plus, mes chères voisines... Je me retenais de pleurer, car les émotions étaient fortes, fortes à soutenir, fortes pour rien... Puisque forcément, elle devait partir dans le sud, près de son fils... Ils avaient réservé un petit appartement pour elle dans une résidence pour personnes âgées.
Alice relève d'une fracture grave au bassin, elle s'en est remise, elle trottine maintenant avec une canne dans la maison de convalescence, et dans la rue, il lui faut un bras pour équilibrer le château branlant...
Nous étions allées lui rendre visite avec une autre chère voisine, si douce, si calme, si aimante, si attentionnée... Que tout le monde adore dans la tour... Elle n'attendait pas notre visite, et s'est réjouie immédiatement de nous voir.
Notre conversation tournait autour des besoins de sa vie présente, et de nos vies à toutes trois, finalement... Que savions nous vraiment de ces questions essentielles pour nous-mêmes, maintenant que nous en étions à réfléchir sur notre avenir si petit, même si nous étions encore loin de l'âge d'Alice ? Nous nous sommes engagées d'abord dans la nécessité impérieuse de comprendre, nous écoutions Alice, de l'intérieur, nous l'écoutions de tous nos cœurs, pour elle et pour nous-mêmes... Alice, que voulez-vous maintenant ? Même si nous ne trouvions pas exactement les mots qu'il fallait pour en parler, nous voulions faire de ce moment de la visite un moment de vérité, d'affection sincère, chacune de nous avait envie de pleurer... Elle était en colère et l'exprimait... Nous l'écoutions, nous écoutions le mystère des vœux des derniers temps... Nous en prenions de la graine... Une vraie leçon de philosophie dans la maison de retraite...
J'obéis à mes enfants, je ne peux plus rien dire, je ne dis rien, je garde tout là : elle met sa main sur son cœur, je n'ai pas pu choisir ce que je voulais emporter, ils se sont chargé de tout sans moi... J'aurais voulu être là, choisir, regarder une dernière fois, je suis triste...
J'avais posé machinalement mon portable sur la petite table autour de laquelle nous nous tenions, et elle posa un doigt dessus : c'est ça que j'ai demandé ! Mais mes enfants ont dit : mais ça ne va pas te servir, tu n'entends rien. Alice démonta un à un les arguments contre le portable "inutile pour elle", et qui ne lui sera pas accordé : mais si, j'entends très bien la sonnerie, et quand je le colle à mon oreille j'entends très bien, et puis je peux l'avoir avec moi tout le temps... Rattachée au grand monde, à son monde, à ceux qui pensaient à elles, à ceux qui l'appelleraient...
J'avais posé machinalement mon portable sur la petite table autour de laquelle nous nous tenions, et elle posa un doigt dessus : c'est ça que j'ai demandé ! Mais mes enfants ont dit : mais ça ne va pas te servir, tu n'entends rien. Alice démonta un à un les arguments contre le portable "inutile pour elle", et qui ne lui sera pas accordé : mais si, j'entends très bien la sonnerie, et quand je le colle à mon oreille j'entends très bien, et puis je peux l'avoir avec moi tout le temps... Rattachée au grand monde, à son monde, à ceux qui pensaient à elles, à ceux qui l'appelleraient...
La vieille dame à l'écharpe verte - Christian Seybold (avant 1768)
Après le portable, elle revenait sur ses affaires qu'elle laissait derrière elle dans l'appartement, sans les trier, les choisir, les regarder une dernière fois : vous comprenez, j'aurais voulu être là ! Bien sûr, nous comprenions...
Plus tard, après la visite, j'ai aperçu sur le palier sa famille qui vidait les lieux, on l'emportait sans lui demander avis, sans la consulter, elle obéissait, un point c'est tout. Ils triaient, rangeaient, et jetaient... Et bientôt, sur le trottoir, j'ai vu un grand tas de bouts de bois qui avaient été des meubles, des sacs, des tringles, des... Ils avaient leurs mot à dire, Alice n'avait pas que des qualités, les histoires de famille, nous, les voisins, on n'en connaissait rien, j'ai bien senti qu'il y avait des rancœurs, des mots de trop, blessants peut-être, allez savoir comment le siècle d'Alice, ils pouvaient le raconter...
Elle n'avait qu'un rêve : partir au plus vite, je ne demande que ça, que ça ! Déjà, à ses 100 ans, elle avait trouvé superflu les bougies, les gâteaux, les petits discours, les cadeaux, elle n'avait déjà plus de place pour tout ça...
Sur le palier, j'ai essayé de discuter, ils m'avaient invitée à venir choisir un objet qui me faisait plaisir, un souvenir, alors j'ai expliqué que j'avais déjà le beau souvenir : un magnifique coquillage nacre qu'elle m'avait donné un jour, après avoir entendu les compliments que je lui en faisais. Elle était venue sonner à ma porte à pas de souris grise, tenez Danielle, c'est pour vous ! Après l'avoir repoussé, j'avais saisi la nacre de mes deux mains, mais Alice, pourquoi ? Non, je ne peux accepter, et j'acceptais au bout du compte, tant elle insistait... C'était une splendeur qui me déchire le cœur aujourd'hui. Le coquillage ressemble aux cheveux d'Alice, blancs comme la nacre.
Le beau coquillage que m'a donné Alice, un jour, en souvenir d'elle !
Si nous lui achetions le portable avant qu'elle parte ? Nous complotions déjà entre voisines, entre deux étages, oui, faisons ça, nous le ferons...
Elle aurait pu rester encore quelques années, c'est sûr, dans son pigeonnier à côté du mien, elle avait du monde autour d'elle, ses voisines, sa femme de ménage qui se promenait avec elle, jouait aux cartes, bavardait, les repas communaux pouvaient lui être servis sans problème, le dépaysement total, ça pouvait attendre un peu. Après les deux fractures du bassin, elle trottait presque comme un lapin, bien à l'abri sous un bras ami, et puis dans la tour, il y avait l'ascenseur, elle aurait pu attendre un peu avant d'aller voir la Méditerranée...
Je veux partir, c'est tout à fait ça que je souhaite, depuis tellement de temps qu'elle intercède en vain, là-haut !
Rien à faire ma fille, encore un peu de patience, pour l'instant c'est le grand déménagement !
Tout, tout ce que j'entendais auprès d'Alice, tout ce que j'y voyais, je l'avais pris pour moi aussi, je ne pouvais m'empêcher de penser à plus tard, pour moi aussi...
Alice, vous dites souvent que vous n'êtes plus utile à personne, mais si, Alice, quand il reste de l'amour, ça peut durer jusqu'à la fin, la seule utilité qu'on a vraiment pour les autres reste importante si on se sent encore aimé, ne croyez-vous pas ? Quand des cœurs battent encore pour vous, quelque soit votre âge, on reste utile à ceux qui restent, on se prend les mains, on pleure même à chaudes larmes, si l'amour nous est donné jusqu'à notre fin, il me semble que nous pouvons partir heureux, non ? Quand on a dépassé le siècle, comme Alice, que reste-t-il encore à partager sinon l'amour avec ceux qui vous aiment ? J'ai bien senti que mes histoires d'amour la touchaient profondément... Mais je crois que dans sa chaîne d'amour, il y avait sans doute des maillons faibles...
Alice, vous dites souvent que vous n'êtes plus utile à personne, mais si, Alice, quand il reste de l'amour, ça peut durer jusqu'à la fin, la seule utilité qu'on a vraiment pour les autres reste importante si on se sent encore aimé, ne croyez-vous pas ? Quand des cœurs battent encore pour vous, quelque soit votre âge, on reste utile à ceux qui restent, on se prend les mains, on pleure même à chaudes larmes, si l'amour nous est donné jusqu'à notre fin, il me semble que nous pouvons partir heureux, non ? Quand on a dépassé le siècle, comme Alice, que reste-t-il encore à partager sinon l'amour avec ceux qui vous aiment ? J'ai bien senti que mes histoires d'amour la touchaient profondément... Mais je crois que dans sa chaîne d'amour, il y avait sans doute des maillons faibles...
Je vous laisse continuer l'histoire, elles se ressemblent toutes, un peu plus par-ci, un peu moins là... Quand je vous le dis qu'il vaut mieux s’aimer les uns les autres, c'est à la fin, la toute fin qu'on s'en rend vraiment compte, peut-être ? L'amour est vraiment la seule chose utile, indispensable, avant le grand chambardement, non ? Nous verrons...
Mes amis, je ne choisis pas mes histoires, c'est elles qui me choisissent... Celle-ci est triste, grave, mais la suivante sera plus gaie... Promis, juré...
Mes amis, je ne choisis pas mes histoires, c'est elles qui me choisissent... Celle-ci est triste, grave, mais la suivante sera plus gaie... Promis, juré...
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10 commentaires:
pour mon retour de vacances...voilà une histoire triste... c'est très bien la méditerrané ..pour des vacances, même longues..mais pas pour ne pas revenir.. ! je vous embrasse toutes!
Bon retour chère Elfi tu m'as manquée, comme c'est vrai : la Méditerranée c'est bien pour les vacances quand on est pas du coin...
Je t'embrasse très fort Elfi.
Histoire triste, mais histoire vraie. Dure aussi.
Oui Bonheur du jour, implacable véracité de la vie...
Nous retournons bientôt revoir Alice avant son départ définitif...
Passe une très belle journée, bises.
Je guettais ton billet ... Et là que de tristesse pour ton amie Alice . Je pense souvent à elle que je ne connais qu'à travers tes mots . Ne pas avoir son mot à dire ne pas pouvoir choisir ses affaires c'est terrible !!!
Tu nous donneras les dernières nouvelles et si vous lui offrez un portable alors tu pourras encore nous parler d'elle .
je t'embrasse fort du soir
Heureuse de te retrouver en meilleur forme je l'espère!!!
Quelle tristesse pour Alice,très dur ce départ,j'ai vraiment de la peine pour elle.
Une belle idée l'achat du portable,ainsi vous resterez en contact et tu pourras nous donner des nouvelles.
Bises du soir et une bise à Alice quand tu iras la voir avant son départ..
Marie Claude Merci de ton accueil, ça fait plaisir de reprendre mes activités...
Le départ d'Alice m'attriste, le palier de mon étage n'est plus comme avant, elle manque à tous...
Je vous donne des nouvelles très vite. Je t'embrasse bonne journée pleine de belles choses.
Merci Brigitte de m'attendre :-)
Oui, tu a raison, Alice vit un très douloureux moment, un peu prisonnière de ce que décident ses enfants, elle se plie à leurs volontés... Comment pourrait-elle faire autrement ?
Nous allons acheter le portable, mais il faut qu'on se dépêche.
Bien sûr, plein de bises à Alise de tous avant son départ, l'appartement sur mon palier est vide, c'est triste...
Je t'embrasse très fort de fort.
ça rend vraiment triste... je veux dire le fait de savoir que notre Alice n'obtient pas une véritable attention de la part de ceux qui lui sont (ou devraient etre) les plus proches. On voudrait bien la réconforter, la soutenir et surtout l'encourager... et au meme temps lui dire qu'on comprend bien aussi qu'elle soit si... fatiguée de vivre. Bon courage, Alice!
Et moi aussi, chère Danielle, je suis aux prises avec un problème de santé que j'ai découvert pour ainsi dire par hasard; rien de vraiment grave, mais il faudra que je décide si je vais ne rien faire pour le moment, ou bien me soumettre à une thérapie qui n'est pas totalement exempte de risques... Jusqu'ici j'ai collecté à ce sujet deux opinions médicales tout à fait opposées, je pense donc que j'irai entendre encore une autre cloche, comme on dit, et puis on verra...
Mais ce week-end je suis heureuse car mon fils va arriver avec ses amis de bateau pour participer à la "Barcolana", la régate de Trieste qu'est aussi la plus bondée du monde, arrivée à sa 50è édition. La ville et surtout le bord de la mer est en fete depuis plusieurs jours déjà... il ne nous reste qu'à espérer que dimanche il y ait la bonne dose de "bora"!
Ciao ma chère, gros bisous d'une belle aprème ensoleillée!
Oui, chère Siu je vais raconter tous vos soutiens à Alice, maintenant le temps passe vite pour elle, et nous ses voisins nous sommes tristes...
Vas vite demander d'autres avis pour ta santé, je me réjouis que ça ne soit pas grave, mais il faut agir dans le sens qu'il faut.
Ce WE sera magnifique, avec ton fils, ses amis, la fête, profite à fond de tout ça sans "bora"
Belle fête Siu je pense à toi.
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