Un vieux monsieur s’approche alors du banc sur lequel j’étais assise, souriant : "vous voyez là, c’est la place du 11 novembre 1918"... "Oui, oui", j’avais des difficultés à le comprendre car il parlait avec une bouche complètement édentée, les mots passaient tout aplatis entre ses lèvres… Il avait entre les mains un hebdomadaire en couleur, genre Paris Match numéro spécial, sur lequel le Maréchal Pétain faisait la une, dans un costume tout neuf… Je m'étais dit instantanément, qui peut bien faire sa une avec le portrait de Pétain, c'est dingue ça ? Il me montra fièrement la couverture du magazine. En y regardant de plus près, j'ai vu que l'étui en plastique transparent dans laquelle était insérée la revue devaient bien dater de la guerre, mais laquelle ? Il continua à parler entre ses lèvres, ne cherchant aucune réponse, aucune écoute, il guettait un oeil attentif, sitôt que mon regard se tourna vers lui, il attaqua : "c’est lui qui a gagné la guerre, la première guerre mondiale, c’est le Maréchal"... Ah bon ! Nadia et son copain avaient précipitamment évacué les lieux et pris place sur le banc d’à côté sous les arbres, en riant, ils avaient vu tout de suite que le monsieur n’était pas net, moi, il m’a fallu un moment pour comprendre…
Le voilà reparti de plus belle : "le Maréchal a dit aux jeunes qu’il fallait faire deux bonnes actions par jour, c’est bien non ?" Je lui ai dit que je n’aimais pas du tout son Maréchal, mais j’ai bien vu qu’il n’était pas là pour me faire la conversation, ce que je disais n'avait aucune importance, il n'écoutait même pas, il était avec le Maréchal, tout simplement, en fait ils étaient entre eux, le Maréchal et lui, ils se promenaient ensemble bras dessus bras dessous, comme deux vieux potes. Mais rien, personne ne pouvait arrêter le cours de son histoire, il ne parlait qu'à lui-même : "il était vraiment bien le Maréchal, il a gagné la guerre, regardez !"
L'autobus est arrivé, sauvée !
Chacun se précipita pour avoir une place, le vieux monsieur a eu la sienne à l'ancienneté, mais j’ai trouvé qu'il ne l’avait pas méritée… Comme les mauvaise idées ont la vie longue... Longue... Longue.
Je saisis des bribes de conversation, c’est la vie de tous les jours qui bavarde, et la vie de tous les jours, justement elle m’intéresse beaucoup, vous savez bien, elle a des petits côtés de la mienne. Derrière moi j’entends deux messieurs qui parlent de leur santé, l’un avait été opéré d’un cancer du poumon et se portait bien, l’autre avait refusé de se faire opérer, j'ai refusé, voilà, oui, j'ai refusé l'opération, je suis un traitement de radiothérapie, vous savez avec la radiothérapie ils font des merveilles... Tout simplement, il avait dit : j'ai refusé l'opération……
J’ai dressé l’oreille, un homme qui refuse de se faire opérer d'un cancer, comment c'est possible ? Comment avoir la capacité de prendre une telle décision, comment avait-il fait pour choisir, allez hop, j’ai refusé ?
Je ferais quoi, moi ? Moi qui ai plutôt tendance à faire confiance aux médecins… Je trouvais cet homme absolument admirable, téméraire, audacieux, courageux, j’ai décidé de ne pas me faire opérer, voilà, et je suis encore là, voyez… Moi, j’entendais qu’il était là et bien là, je n’ai pas vu son visage, je n’ai pas voulu le dévisager en descendant à ma station, vous pensez, un homme qui avait décidé de ne pas se faire opérer pour soigner une maladie grave… Il allait peut-être mourir la semaine prochaine… Et toutes les questions de la vie et de la mort défilaient dans ma tête, comment je ferais, moi ?
Tous les hôpitaux de Paris se valaient, ceux que les deux hommes nommaient, le professeur untel est vraiment bien, très bien en effet… Le non opéré prenait des nouvelles de son collègue opéré, assis en face de lui… Il lui a dit, je suis heureux pour vous si tout va bien, vraiment heureux..
Encore un dialogue de sourds, pas de dialogue du tout, des monologues qui faisaient la navette d’une tête à l’autre, chacun cherchait seulement à conforter son point de vue, mais même un dialogue de sourds ça fait du bruit dans les cerveaux, dans le mien aussi. Le tintamarre a cessé quand l’un des deux, celui qui s’était fait opérer, est descendu à sa station.
Les pacotilles de Venise...
Alors, j’ai retrouvé un peu de santé, j’ai tout oublié des maladies que je pourrais avoir, je me suis concentrée sur mes prochains achats : un sac pour aller à Venise, rappelez vous (mon post du 24 février 2011), un sac pratique, pour tout mettre et partir tranquille à l’aventure, mais reste-t-il encore de l'aventure à Venise ?... Tout est répertorié, illustré, raconté, photographié, l'histoire des grands hommes, des petits, tout, tout, tout a été dit, les jardins secrets, secrets de polichinelle, les Venises insolites, je vous assure, un truc de fou... Vous y croyez encore ? Moi, je vais chercher...
J’ai refais surface avec joie, j’avais un tout petit projet, les vacances à Venise approchent, on ne peut pas plaisanter avec ça, il me faut un sac totalement adapté, voilà des années que je cherche, j’ai trouvé l’idée… Un grand sac en bandoulière, léger, spacieux, confortable, oui c’est ça, cherchons… Le temps presse !
Avant de descendre moi-même, j'entends une dame qui parlait déjà depuis un bon moment dans son portable, clore avec peine sa conversation par : shabbat-shalom, nous étions vendredi, elle avait la voix claire, gaie, elle avait la voix qui tournait aussi vite qu'un moulin à poivre : shabbat-shalom, plusieurs fois elle répéta cet au revoir de fête, de fin de la semaine, une voix de rendez-vous...
Les jets d'eau de la place de l'Hôtel de ville crachait des rivières, le ciel était bleu, il faisait chaud, j'étais totalement confiante, "La vie devant soi", je ne sais pas pourquoi ?
La rivière et l'aventure...
9 commentaires:
Que la vie devient passionnante quand tu nous la racontes Danielle. Ton regard, ni méchant ni démago, est parfait !! Tu nous fais sourire, trembler un peu et surtout comprendre nos petits travers, en nous racontant ton quotidien, avec une telle verve ! Bravo pour ce billet qui en dit si long sur un quotidien ordinaire mais si extraordinaire quand tu nous le racontes.
Moi ce qui me plait c'est cette manière de raconter, d'être à la fois dans l'histoire, mais en dehors, juste dire ce qui est, sans jugement.
Ces personnages croisées sont très romanesques alors qu'il sont réels!
Mais quelle différence entre la réalité et la fiction?
Bravo pour ce billet unique.
Merci Michelaise, je suis très très touchée par ton petit commentaire, si sincère et si encourageant pour moi.
Le sirop de la rue c'est vrai me nourrit profondément, avec émotion...
Passe un bon mardi, bises du jour.
Miss, je suis contente que tu puisses voir dans mes histoires, comme la vie des autres me traverse, j'apprends aussi beaucoup, les émotions sont toujours présentes, et se mêlent à mes propres réflexions, la seule fiction que se fabrique à partir du réel, c'est ma façon de voir, d'entendre et de dire...
Merci de ton passage. A tout bientôt
Un seul parcours en bus et nous voilà à imaginer, grâce à toi, des personnages incroyablement vrais, tellemnt près de nous tous et qui nous permettent de réfléchir à nos vies, que nous avons choisies ou pas...
A bientôt
Chère Enitram, oui dans l'autobus, dans la rue, dans les lieux publics, la vie des gens s'exprime à petites touches, si précises qu'il m'ait aisé de réfléchir, les ricochets qu'elle fait cette chienne de vie, éclabousse la mienne, la nôtre...
Merci d'être passée.
Passe une bonne journée.
Bien *torché* chère Danielle.
Comme si on participait à la conversation. En te lisant on participe.
mon nouveau site de colliers. Enfin je peux vous montrer ce que je fais.
www.colliers-beatrice.ch
Peut-être un coup de coeur en vue !
Tu devrais être douée pour les scénarios de cinéma. On s'y croirais !
Béatrice, merci de ton passage, je suis allée voir tes colliers ils sont très beaux, bravo !
A tout bientôt.
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