Au détour du chemin
Quand je reviens sur mes lieux berrichons familiers, je cherche à percevoir ce qui a changé, changé dans le ciel, changé chez les gens, changé sur les arbres, changé d'adresse... Et moi, ai-je changé ?
Comme je le faisais à Venise : chaque année, je passais en revue tous les endroits que je connaissais par cœur. Là, un magasin fermé, transformé, sur un bâtiment en réfection depuis des années l’échafaudage est toujours là, une nouvelle augmentation des tarifs du vaporetto. Ah ! Maintenant il faut payer pour visiter cette église, on se bouscule dans les rues, il y a toujours plus de monde, jusqu’où ira-t-on ? Quelquefois même je me posais cette question (qui ailleurs m’aurait fait repartir vite fait) : qu’est-ce que je fais ici ? Trop de monde, trop de monde... J’en ai vu disparaître, des marchands de perles, des petits ateliers, des boulangeries, des librairies, des commerces de proximité liquidés au profit de marchands de glaces, verroterie, pizzas, cafés, restos, McDo...
Dans le Berry aussi je comptais, scrutais, rouspétais, espérais...
Les cyclamens sauvages illuminent tous les jardins, envahissent maintenant le moindre espace dans les rues
Ici aussi, il était question de fermer la dernière boulangerie du bourg, très ancienne, le pain n’a jamais été bon, la preuve, j’emmenais mon pain de la région parisienne via le congélateur pour tout le séjour... Encore cette année, j’avais calculé la quantité qu’il me faudrait à la tranche près. Sur le bourg, beaucoup de gens constataient depuis longtemps que le pain n’était pas bon. Mais tout le monde continuait à acheter son pain "à la vieille boulangerie". Elle fermait, mais pas seulement pour raison de retraite, la boulangère m’a dit : j’ai pas assez de clients !!! Boum ! Tout se conjuguait donc pour la fermeture définitive ! Un bourg sans (bonne) boulangerie, c’est comme qui dirait un ciel bleu sans oiseaux...
Un tremblement de terre, la commune va préempter le commerce pour remettre un boulanger, suite au prochain numéro...
Près du vieux moulin, un petit filet d'eau
Tiens, cette maison est à vendre, telle autre ne va pas tarder, ici aussi les générations se succèdent, rajeunissement des cadres, les anciens font ce qu’ils doivent faire naturellement... Disparaître...
La petite route qui mène à l’étang a été regoudronnée sur sa première partie, donc carrossable pour mon vélo, je peux y retourner sans trop de risque, chouette ! Justement, c’est dans un jardin de plein vent (à mi-course de l’étang) dont le propriétaire est mort, au bout du chemin remis à neuf, que je vais glaner mes pommes que personne ne ramasse. J’ai du dessert pour tout mon séjour, des pommes paradisiaques, dont l’espèce n’est vendue sur aucun marché, des vieux pommiers (grand Alexandre) dont la création remonte au 19e siècle, par ici tout le monde les connaît : elles sont bonnes à tout faire, à la croque, en compote, en tarte, elles se conservent très bien pendant trois mois, j’ai donc tout mon temps. J’en ai mis plein mes sacoches... Raisonnablement...
Pour pousser jusqu’à l’étang, je fais presque tout le chemin à pied, encore trop de cailloux, trop de bosses, trop de pleins et de déliés pour une petite pédaleuse comme moi. Dommage, car ils ont ouvert les vannes et remis à minima l'eau dans mon bel étang, le manque d'eau général sur la commune fait beaucoup parler... Vivement l’année prochaine, j’ai hâte de revoir les hérons et les cormorans.
L'étang en eau en 2019, il ne restait plus qu'à s'asseoir, admirer, écouter !
Sur le chemin de la vigne, j’ai vu des ciels différents, les arbres ont encore grandi, les vaches sont toujours dans le pré. Les grands tours de vélo ne sont plus pour moi, j’ai réduit mes ambitions, je ne fais que des chemins faciles, je découvre des lumières que je n’avais jamais vues les années précédentes. Comme mon séjour est beaucoup plus long, les saisons m’en font voir de toutes les couleurs... La pluie, le vent restent des avantages même si je ne peux pas mettre le nez dehors, j’écris, je lis, je bavarde avec ma voisine. La nature est à portée de vue, présente dans chacune de mes fenêtres. Devant, par la porte-fenêtre : la pelouse, le rosier, derrière : le grand jardin, les vieux arbres, la petite mare et le coin lecture sous le mûrier. Ce matin, quand j’ai ouvert mes volets, j’ai vu l’écureuil passer à grande vitesse... Mon amie l'appelle : la caisse d'épargne ! Cette année j'ai vu beaucoup d'oiseaux, des jaunes, des roses et des gris...
Souvent j’ai l’impression d’être un bonze qui reçoit sa nourriture journalière, quand mon amie frappe à ma porte-fenêtre, les bras pleins de bonnes choses : tarte, quiche, compote, légumes, bouquet de fleurs... Cuisinés de mains de maître en pensant à sa voisine : "Finis donc d’entrer" ! Je reprends avec plaisir l’invitation berrichonne qui signifie à la personne qui se trouve dans l’entrebâillement de votre porte d’entrer complètement pour tailler une petite bavette, même brève, la bonne nouvelle du matin...
À chaque séjour, je creuse mon sillon de l’amitié, j'essaye d'aller un peu plus loin... Pour moi, avec eux...
Cette année, j’en ai rencontré, du monde : Pierre, Paul, Jacques, Marie, Rose, Odette, Claire, Suzanne... Et les autres... Il faut que je tienne le coup pour les retrouver, dans mes chemins, mes tours de vélo, "bonjour mes amis, continuons nos conversations". Gardez-vous en santé, je vous remercie d'avoir été là... Je compte sur vous, sur moi, pour nous retrouver l'an prochain !
Mes amis, le Berry c'est fini, je vous ai livré l'esprit du lieu, je garde pour moi les secrets, les confidences, les espoirs... De tous les gens qui ont répondu à mon : Bonjour, comment allez-vous, comme il fait beau !
Passez de belles fêtes de fin d'années, moi j'ai mis des boules et des rubans à ma porte, portez-vous bien, je vous embrasse...