Le petit feu de feuilles
Dès que je sentais la bonne odeur de feu de camp, je me dépêchais d'aller voir les volutes de fumée qui tournoyaient dans la brise, légères, le petit nuage blanc du feu venait s'ajouter aux moutons du ciel... Le paysage était parfait, beau de bas en haut ! Cette année, il n'y avait presque rien à brûler, le bois mort des arbres était coupé et réservé pour l'hiver, puisque le gaz allait manquer, l'année dernière il n'y avait pas de guerre en Ukraine... Le petit feu était allumé par mon ami quand toutes les conditions étaient réunies : le vent devait être petit, porté à droite, le mieux, sous une petite pluie fine, le matin, temps gris souhaité... Il y avait toujours quelques barriques d'eau à portée, pour éteindre une flammèche, on ne sait jamais...
Maintenant, depuis des années, mon ami savait, il m'appelait l'inspecteur des travaux finis... Il me laissait tranquille, ne criait jamais : "Danielllle", viens voir ceci ou cela ! Je fouinais, j'allais où bon me semblait, jamais dans le même sens : jardin, hangar, petits chemins autour de la maison, haies à tailler, salades à planter... Il s'étonnait toujours des photos que je faisais avec tout ça. Un jour que j'étais à l'œuvre, ma tablette à la main, dans son domaine de bricolage, il me dit, voyant pour la première fois les couleurs avant les formes : c'est bien ça, il faudrait que je me remette à la photo, j'en faisais quand j'étais jeune. Mais oui, bonne idée, allez, au boulot ! Tu devrais emprunter la tablette de ta femme et hop ! T'y remettre. Il avait des yeux de lynx et une grande sensibilité... Mais je crois bien qu'il faudra encore quelque années pour le convaincre tout à fait... Attendons... Pas trop longtemps mon ami...
Dans tous les coins, je pouvais rencontrer ses "petites natures mortes", rangées avec simplicité, à la Chardin, il ne me restait plus qu'à prendre la photo... Je trouvais un charme fou à stocker dans ma tablette les objets qu'il avait disposés avec art, sans calcul, comme ça venait. Mais je pensais souvent que tout devait compter, intuitivement, dans son rangement par séries, ses empilements méthodiques. Les couleurs, je ne sais pas, sa précision d'horloger me plaisait, tout s'accordait parfaitement, je fixais à ma sauce ses "tableaux de genres"... Je cherchais des rencontres inattendues d'objets, des épousailles bien assorties, et quand on cherche, on trouve...
Le rouge, le vert, et le bleu... Le coin des brouettes
Je découvrais des assemblages que je cadrais hardiment, avec gourmandise, mon ami faisait de la "prose d'objets" sans le savoir, un peu comme monsieur Jourdain du Bourgeois Gentilhomme faisait de la prose avec ses mots... Je ne dérangeais jamais rien, tout devait rester dans son jus, sous peine de désaccord esthétique... Prêt à l'emploi ! Au coup d'œil ! Au ravissement...
Les yeux bleus
De mon coté, je regardais mon environnement personnel avec surprise, curiosité, et quelquefois je tombais pile sur une figure, une couleur inattendue, un effet... Je me remettais en chasse, tranquillement et souvent je ne "voyais" rien à me mettre sous la dent. Il faut être là au bon moment, voir le bon (?) reflet, le bon (?) angle... Et avoir envie de partager...
Le coin des réserves d'eau
J'ai tout de suite trouvé magnifique, dynamique, l'arrangement des réserves d'eau, les arrosoirs alignés comme des oiseaux, becs en avant, ne manquaient plus que les pattes, les couleurs vives pétaient le feu, tout était raccord, l'harmonie régnait au jardin, la sécheresse n'avait qu'à bien se tenir... Le bataillon des bassines attendait les arrosages en rangs serrés.
Mon ami me réservait toujours de belles surprises, sans jamais y penser, il était comme ça, doué pour l'alignement, le rangement, l'empilement par espèces, son cerveau devait lui donner les ordres qu'il fallait pour que "ça fasse beau" ! Après les réserves d'eau, je suis passée aux réserves de bois. À vue de nez, je voyais bien, vu l'amoncellement des rondins qui tapissaient les murs, qu'ils n'auraient pas froid cette année, gaz ou pas gaz. Il y en avait partout, du sol au plafond, tous coupés d'une longueur égale, mon ami n'avait pas lésiné à la tâche : rangement parfait, beauté innée... Il s'était surpassé : belles bûches, petits bois, cageots défoncés, paniers percés, grosses pommes de pin qui parfument, rien de trop, ni trop peu, il y avait encore de la place et l'automne était en cours, mes amis pourraient passer l'hiver au coin du feu, avec une belle vue sur l'insert familial, et se laisser aller à la douceur des soirs d'hiver...
Les belles réserves de bois
En faisant mes tours de vélo, j'avais vu avec bonheur les livraisons de bois déversées aux portes des propriétaires, magnifiques ! Tout le monde y pensait, les Russes ne veulent pas nous donner du gaz, ah ! Ben tu vas voir, on va se débrouiller autrement. Moi qui passais par là, j'ai envié ces tas de bois qui embaumaient, en pensant à mes radiateurs collectifs...
Livraisons de bois...
Dernière minute, papotage de rue : rentrée à la ville
Il fallait bien que je fasse le plein en rentrant de la campagne, ce matin j'ai eu ce courage, j'ai chargé mon caddie jusqu'à la gueule, les deux roulettes n'en pouvaient plus : l'eau, le beurre, les légumes, les bricoles... Au bout des bras, le gauche, puis le droit, ça finissait par peser lourd. Je prends presque toujours une petite rue qui me mène tout droit chez moi, je tirais ma charrue, un homme qui passait par là, un émigré de la rue d'à côté, empilé dans un foyer d'urgence depuis maintenant des années, me proposa : je peux vous aider madame, la côte est dure. Il faisait deux fois ma taille, une force proportionnée à sa hauteur, j'acceptais spontanément avec un sourire en élastique jusqu'aux oreilles : bien volontiers monsieur, je ne m'étais jamais rendu compte que la petite route était une côte, mais lui, oui ! Il faut s'entraider, madame, il faut aider les personnes âgées, c'est normal, paf ! C'était pour moi, je me voyais tout à coup mieux que dans un miroir, la petite dame qui tirait son fardeau avec peine : merci monsieur, c'est vraiment gentil, nous sommes tous des humains. La gentillesse paye toujours de retour, me dit-il ! Tout de suite, il avait attaqué en philosophe, et m'apportait son l'aide avec distinction, tact, et courtoisie, d'un doigt il faisait rouler ma charrette : laissez-moi vous aider jusqu'au bout de la rue, madame. Nous sommes immédiatement devenus des amis sur 200m : merci mille fois, monsieur, passez une bonne journée, à bientôt... En lui faisant un dernier signe de la main, je dis un peu fort, car il s'éloignait déjà : je n'oublierai pas, à bientôt. Il sourit ! Un petit bonheur du jour ! Une grande émotion...
Mes amis, je travaille déjà au chapitre 5, je ne sais pas du tout de quoi il sera fait, du Berry sans doute... Prenez soin de vous, restez prudents... Je vous embrasse...
13 commentaires:
Tout est très beau, c'est vrai... car ce n'est pas seulement beau mais ce sont des choses utiles pour le travail, pour la vie... et la survie ; ce n'est pas comme n'importe quelle oeuvre d'art, mème superbe mais fin en soi : je trouve qu'il y a une valeur plus grande qui se cache mais aussi se révèle dans tout ça, dans ces "petites natures mortes", ces objets disposés sans calcul, comme ça venait, et pourtant avec art, un art inné évidemment ou tout s'accorde parfaitement mème sans le savoir.
Il y a, tu l'as bien observé, des compositions qui respirent le dynamisme alors que d'autres inspirent le calme... un calme qui est au mème temps très pacifique et très vif.
On dirait une espèce de petit/grand monde qui sent la nature où règne une harmonie involontaire en quelque sorte encore plus précieuse de celle qu'on cherche souvent délibérément sans la trouver.
Lui seul, ton ami, connait le secret pour ses oeuvres... sans le connaitre!
Et elle n'est pas moins belle, l'histoire de l'aide que tu as reçu de la part de ce gentleman qui t'a donné un coup de main pour transporter tes courses : heureusement qu'il existe des personnes comme ça... je leur souhaite de rester en bonne santé le plus longtemps possible !
Encore une fois merci, chère Danielle, et bon week-end !
Oui, chère Siu tout est beau, pour moi peut-être ? C'est un peu un mystère aussi, les petites natures mortes ont un effet esthétique certain, la prose de mon ami s'accorde parfaitemen, tu as raison !
Il me surprend toujours... Il fait beau sans le savoir, je sais que l'accumulation même non calculée nous transporte dans une autre dimension... C'est pourquoi, chaque année, je trouve/cherche toujours "ses petites natures mortes" qui me plaisent tant ! C'est seulement en les voyants sur mes appareils, cette distance lui fait dire : Ah oui ! c'est beau ! j'avais pas vu comme ça ! Il aime beaucoup la musique aussi ...
Une harmonie involontaire, c'est ça, il a conscience que chaque objet à une valeur intrinsèque : tout peut servir, donc naturellement, il accumule mais en rangeant avec soin...
"La belle histoire de l'aide" était très émouvante et fraternelle... Oui, souhaitons lui la santé...
Merci Siu, passe un bon dimanche demain et tous les autres jours. Je t'embrasse fort.
Ton ami est prévoyant en eau, bois et en toutes autres choses qui peuvent toujours servir,on ne sait jamais...
Malgré l'accumulation tout est bien rangé,chaque chose à sa place,oui de belles" natures mortes".
Emouvant il y a encore des personnes serviables,cela m'émeut à chaque fois car celà devient rare,plutôt du chacun pour soi,aucune empathie.
Bon dimanche Danielle avec des bisous frisquets!
P.S petit coucou à Siu et des bisous!
Bonjour Danielle,
Ta campagne berrichonne me rappelle ma campagne lorraine.
Les tas de bois , les jardins, les réserves d'eau
Il y avait à chaque bout de jardin ou une chaise pour la pause ou
2 parpaings avec une planche en guise de siège
Sur les fenêtres de la dépendance, il y avait cageots de noix ou de pommes et bouquets
d'oignons séchant à l'air.
Quelle est belle notre campagne !
Bon dimanche et à très bientôt
Anne-Marie
Oui Marie Claude, pile dans le mille, mon ami est très prévoyant, il voit loin... :-))
Il ne jette rien ! Mais il range tout, par espèce, matière... ce qui donne à ses ar"rangements" un charme fou !
Je suis tout à fait d'accord avec toi, l'empathie rend tout plus humain ! Émouvant !
Il fait frisquet, mais chaleureux les bisous.
Ah ! Chère Anne-Marie, les campagnes se ressemblent un peu, toujours belles à regarder, jusque dans les réserves, les sièges bricolés, et les bouquets d'oignons,... Les détails comptent double à nos cœurs !
À très bientôt chère Anne-Marie, bises de maintenant.
Bonjour Anne-Marie,
Merci pour ce bel article avec ces magnifiques photos
Bonne fin d'après-midi, bises & à bientôt !
Merci Floralie de votre passage si encourageant...
À très bientôt de vous lire ici !
Bonjour Danielle;
je publie ici;n'ayant pas trouver d'autre endroit où vous laisser un message.
j'ai découvert votre blog en faisant une recherche sur l'église de Charonne et enchantée par heureuse découverte,j'ai "feuilleté".
et j'y ai découvert un article sur le peintre Sam Szafran;j'ai entendu Francois Cluzet en parler hier dans une émission sur Finter.
et bien il y a jusqu'au 16 janv une exposition au musée de l'orangerie.Mais peut être le savez vous
Amicalement
Christiane
Merci mille fois Christiane ! Pas du tout, vous m'apprenez l'existence de cette belle exposition, je vais y courir...
J'adore ce peintre !!! Vous aussi visiblement... Bravo !
À bientôt de se retrouver entre mes lignes et les photos. Bien amicalement à vous.
Christiane, je vois que vous vous êtes abonnée à mon blog, grand merci, mais... Il y a un mais, je ne suis pas certaine que mes abonnés reçoivent automatiquement mes publications, c'est un bug du Blogger que je n'ai jamais pu "réparer" vous me direz si vous recevez mes publications, merci d'avance !
Bonne soirée.
bonsoir Danielle,
oui,dès que j'ai découvert votre blog je me suis abonnée,pour le moment je n'ai pas reçu de publication
bonne soirée
Christiane
Merci Christiane, je vais lancer bientôt une nouvelle publication, nous verrons si vous en serez informée automatiquement.
Merci de votre présence.
Passez une bonne soirée, bien amicalement.
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