samedi 12 novembre 2022

Les bûches, la force de l'âge... Voyage en Berry... (5)

 

Le petit tas de bois

Il tapait tant et plus sur le billot pour briser les bûches ! Et que je tape et que je te retape, rien à faire celle là ne se fendait pas, pas du tout : Danielle, s'il te plait, tu peux aller me chercher le coin ? Il ne voulait pas lâcher la hache... Il est juste là ! Je l'avais aperçu près de son vélo qu'il prenait tout le temps pour faire les allers et retours entre le garage à bricoler et sa maison, il y a encore quelques années, il faisait tout à pied... Fièrement, je lui tendis la pièce en fer. Bon, ça va aller tout seul maintenant ! Mais la bûche ne voulait rien savoir, elle ne s'ouvrait pas, punaise, à part apporter le coin, je ne pouvais rien de plus pour lui, il fallait de la force... Donnez l'ami, je vais essayer ! A dit un homme de sa connaissance qui passait par là, plus grand, plus jeune, pas forcément beaucoup plus fort, mais surtout plus jeune, plus robuste. Il affichait un sourire amical, respectueux, ils se connaissaient depuis longtemps et bien sûr, l'un avait toujours été plus jeune que l'autre... Jamais ils ne s'étaient mesurés sur le champ...

En un coup sec, paf ! La bûche fut cassée en deux, bravo ! 

Le coin

Je regardais toute l'action depuis le début, mon ami qui frappait, frappait sans rien obtenir, le bois était pourtant sec comme du foin séché au soleil, rien à faire, je me disais, tiens il n'y arrive pas, il n'y arrive plus comme avant... Tout au long du séjour, j'avais remarqué que les outils de jardinage restaient dans le chemin plus souvent, plus longtemps que d'habitude, ils n'étaient plus rangés séance tenante après l'effort, ça arrivait qu'ils passent la nuit à la belle étoile... Demain, il fera jour ? J'avais déjà mon idée là-dessus... Pourquoi demain ?


L'attente...

Le temps s'allongeait entre la fin de l'action et le rangement, je me disais : il se presse moins, il accepte d'attendre le lendemain, il laisse un peut traîner, il prend son temps... Les autres années, je courais dans tous les sens pour prendre rapidement la photo, tellement il allait vite, même si rien ne le pressait pour tout faire en un temps record. Mais maintenant, je pouvais revenir à tout moment, avec tous mes appareils, j'avais mes chances de retrouver dans le jardin les cailloux du Petit Poucet. Un soir, j'ai ramassé sa veste de travail qui avait glissé de la petite table du jardin. Ma petite idée se confirmait, me faisait de la peine ! Les chutes du Niagara coulaient en moi...



L'attente

Je connaissais le pourquoi du comment, je connaissais tous les secrets de ces moments d'attente... Vous l'avez, je pense, sûrement deviné vous aussi ? Depuis le temps que je venais dans le Berry, les années passaient pour lui comme pour moi... Pour lui, tout se faisait au grand jour, à découvert : tondre, couper la glycine, les haies, le bois, ramasser les feuilles, faire le jardin, surveiller la petite vigne... Nous vieillissions ensemble, moi je faisais tranquillement les promenades, les photos, je lisais des livres, faisais un peu de vélo, bavardais aux pauses, près des haies, au potager, au poulailler, je le suivais à la trace, je taillais la bavette, j'étais beaucoup moins fatiguée que lui, je pouvais donner facilement le change... Rien ne me pesait, pas d'urgence, rien à faire. Ranger, préserver, arroser, soigner, planter, ramasser, entretenir la propriété... Tout le plus dur était pour lui ! Nous étions exactement du même millésime... Presque du même jour !


Il faut penser à tout

Alors, en regardant la scène de la bûche qui ne voulait pas se fendre sous ses coups, les larmes me sont montées aux yeux, invisibles car tout le monde me tournait le dos. J'ai vu mon ami qui finalement avait laissé faire le plus jeune, le plus costaud, se tenir tout interdit, pensif, devant le fait accompli, il mit la bûche sur la pile déjà haute, dans la brouette : merci, vraiment merci ! Le jeune, le costaud, voulait l'aider encore au transport de ce petit bûcher, bien lourd... Laissez, laissez, je vais le faire, je vais terminer ! Il fit glisser sur l'herbe la petites voiture à roulettes, qui penchait d'un côté, puis de l'autre, imperceptiblement... Les roues ne faisaient aucun bruit, pas le  moindre grincement, parfaitement huilées, il alla ainsi jusqu'à la remise à bois, beaucoup plus loin, et disparut tout à fait avec son pesant fardeau, la silhouette penchée, il avait de cette année, mal au dos, il mettait souvent la main à l'endroit qui lui faisait mal ! Quelques fois je lui disais : D, fais attention, ne monte pas à la grande échelle quand il n'y a personne avec toi, attention à la tronçonneuse pour les haies, mon ami, je t'en prie, sois prudent,... Il me regardait droit dans les yeux, pas méchamment, pas de reproche, avec le sourire, il avait compris la vulnérabilité qui s'installait en lui, nous la comprenions tous les deux, nous avions chacun nos points faibles : le dos, les genoux, la fatigue... Lui qui savait faire des milliards de choses, en un rien de temps, maintenant, il lui faudra apprendre la lenteur, respecter la sécurité, calculer ses efforts avant de se lancer... Comme moi sur mon vélo, je scrutais la route, plate, lisse comme une piste de danse, je ne montais jamais la moindre petite côte en danseuse ! Je descendais de ma monture quand les pierres des chemins étaient trop nombreuses...

Cette journée, je ne suis pas prête de l'oublier, le renoncement sonnait comme un mot nouveau, il faudra mieux penser avant d'agir, compter avec les possibilités du corps. Je ne me souviens pas du tout si ce jour-là, j'ai pris mon vélo pour la promenade quotidienne...


L'attente...

Bien sûr, j'avais le cœur serré de le voir réfléchir avant d'agir, ne pas prendre trop de risques comme avant, mon ami avait toujours tant de choses à faire, je crois que le jardin lui allait très bien au teint, il adorait planter, semer, récolter. Regarde Danielle, tu vois, cet engin, il tond la pelouse aussi vite que son ombre, mais il aspire aussi ! Il avait découvert que sa tondeuse électrique pouvait à la fois couper l'herbe et aspirer les feuilles mortes, une action et deux fonctions, réduisant l'effort au minimum. Formidable, tu as eu une idée de génie ! Oui, c'est parfait pour moi, plus besoin de prendre le râteau, de me baisser, pour mon dos c'est mieux. Il me fit une démonstration immédiatement, digne d'une foire à Jardiland, ça marchait comme sur des roulettes. Il m'avait rassurée, sans le savoir, il va trouver des combines pour se préserver, j'étais contente d'imaginer toutes les trouvailles qu'il inventera au fur et à mesure de ses besoins pour éliminer les accidents, mêmes minimes. Dès le lendemain, il se mit sur l'invention d'un enrouleur de tuyau à partir d'une petite poussette d'enfant ancienne, elle avait quatre roues, bien plus qu'il ne lui en fallait... Bravo l'ami, tu es trop fort ! J'avais suivi de bout en bout cette belle création d'automne... Avec admiration !


L'invention (à gauche)

Les surprises, les serrages de cœur, c'est tous les jours qu'on les sent, il faut se débrouiller avec, il arrive un moment où les jours se suivent et se ressemblent un peu !

Mes amis, un peu de mélancolie ne fait de mal à personne. À très bientôt  pour le post  n° 6 en direct du Berry... Portez vous bien, soyez prudents, je vous embrasse.

8 commentaires:

siu a dit…

Ah que je suis émue, tellement il est prenant ce récit, au mème temps si réaliste et si profond.
Si j'étais jeune probablement, inévitablement je l'aurais lu avec un certain détachement. Mais comme je suis vieille...
Je sais bien qu'est-ce que ça veut dire, de ne plus ètre capable de... de ne plus ètre comme avant... de ne plus, de ne plus...
Et pour ce qui me concerne il s'agit évidemment de corvées bien plus légères et faciles que de couper des buches ! Pour marcher c'est mon genou qui crée des obstacles, me laver le dos c'est un calvaire à cause d'une de mes épaules, alors que mon sens de l'équilibre de plus en plus précaire rend la simple action d'enfiler une chaussette une espèce d'aventure... et j'en passe. Et puis le tas de choses ce que j'oublie pas plus qu'un instant après les avoir pensées !

Mais pour ton ami, comme souvent dans la vie, heureusement qu'il y a quelqu'un de providentiel qui vient aider, en plus quelqu'un comme cet homme : plus jeune et plus robuste, oui, mais qui en plus a une attitude amicale et surtout respectueuse, ce qui est tout aussi et mème plus important je crois...

Et puis il y avait toi, qui sagement cachais tes larmes mais dont ton ami chaque jour percevait sans aucun doute la présence, la solidarité et l'affection...

Je suis particulièrement triste car une dame qui était avec nous au cours de l'Alliance jusqu'au dernier mois de juin nous a quittées... hier son enterrement. Elle s'appelait Elda et était assez agée mais autant gentille, attentive, réservée et élégante.

C'est banal, je sais, mais profitons de chaque instant que la vie nous offre.

Passe un bon dimanche, ma chère Danielle.

Marie Claude a dit…

Très émouvant ce billet , tu sais si bien trouver les mots pour écrire ce que nous ressentons tous, en prenant de l'âge,difficile parfois (souvent) de l'accepter... les ans en sont la cause!!
J'ai aussi apprécié la discrétion de cet homme pour apporter son aide à ton ami.

Essayons d'êtres prudentes,très prudentes afin d'éviter le pire et d'éviter de causer des tracas à nos proches...

Beau dimanche Danielle,avec des bisous du matin ensoleillés!!




Danielle a dit…

Merci chère Siu, ton émotion m'a gagnée, c'est vrai, quand mon ami se trouvait en difficulté en ma présence, il suffisait qu'il me regarde, il savait que je le comprenais, je ne disais rien, mais notre sourire en disait long sur les impasses, les dissimulations, les bravades... "De ne plus, de ne plus..."La coupe de la bûche m'a fait pleurer...

Chère Siu, genoux, épaules, vertèbres, cerveaux... toutes ces aventures nous parlent à voix basses, essayons de faire la sourde oreille !!!

Elda vous a quittés, gentille, attentive, réservée, élégante... Un chagrin de novembre, des souvenirs sans fin...

Oui, oui Siu, profitons de chaque instant, ouvrons nos yeux et nos oreilles, faisons tout ce que nous pouvons...

Je t'embrasse très fort du dimanche d'aujourd'hui.



Danielle a dit…

Merci aussi Marie Claude, l'émotion, c'est exactement ce que je cherche à décrire, transmettre, avec un peu de certitude...

Les ans en sont les causes...

Protégeons-nous, ça reste difficile, quand tout devient cruel autour de nous, dans le monde...

Passe un bon dimanche, je t'embrasse fort de fort.

Les Idées Heureuses a dit…

Que n'avons nous eu conscience de ces états lors de nos jeunesse indisciplinées...insouciantes à tant de maux qui nous ralentissent,maintenant, ces encore "petites" douleurs qu'il nous faut supporter à chaque instant, cette machine qui se grippe un peu plus chaque jour. Qu'ils étaient doux ces moments d'aventures où le corps ne nous entravait en rien, nous ne l'écoutions que lorsque quelque courbature nous rappelait à lui, ou lors de quelques rhumes sans gravité.
Nous devons le reconnaitre, le temps de l'usure est bien là, tachons de profiter encore un peu de nos mobilités. Tant que la tête marche encore à vive allure!!!!Bises Danielle.

Danielle a dit…

Chère Martine quelle joie de te revoir ici, oui, tu as raison, réparons ce qui est réparable et vivons comme nous sommes, avec nos corps vulnérables mais encore autonomes, nageons dans le bonheur de dire bonjour à nos voisins en descendant l'escalier, ou dans l'ascenseur... Soyons dans le monde cruel et merveilleux !

Restons confiants, comme Siu "profitons de chaque instant que la vie nous offre... avec générosité et clairvoyance...

Je t'embrasse fort du soir, à bientôt.

cinnabar a dit…

Bonsoir Danielle
Je n’ai pas été informée de votre nouvelle publication
Comme vous l’aviez évoquée dans votre réponse,je suis allée sur votre site.

C’est toujours difficile de prendre conscience de notre âge et de tout ce qu’avec la tête on arrive à faire mais le corps ne suis pas!
Cela m’est encore arrivé il n’y a pas longtemps.un ami fêtait son anniversaire et avait organisé des jeux;l’un consistait à faire un petit parcours à cloche pied.ma tête a dit facile....après 2 sauts j’étais par terre��

Aujourd’hui j’ai découvert dans une galerie en face de lElysee quelques tableaux de Sam Szafran
https://www.galeriedil.fr/2022/06/15/hommage-a-sam-szafran-1934-2019/
C’est la première fois que je voyais son travail.j’aime beaucoup les escaliers.
Au plaisir de vous lire.
Christiane

Danielle a dit…

Merci Christiane de revenir par ici, en effet le blog fonctionne mal, les abonnés doivent être vraiment motivés pour avoir des nouvelles du blog !! Souvent j'ai songé à aller voir ailleurs que blogger, et je ne l'ai pas fait, personne n'a pu me venir en aide, donc mes abonnés ne savent pas que je continue à publier !!

Oui, Christiane quelquefois ont marche à cloche pied en vrai...

Je suis enthousiaste à l'idée d'aller à l'orangerie voir et revoir Sam Szafran, je vais aller sur votre lien, j'avais vu sa dernière expo chez son galériste, un peu avant sa mort (8 mois avant), sa peinture avait changé, tellement belle encore et encore, une merveille, tout me touche dans son oeuvre !

Son galeriste Claude Bernard vient de mourir également, aujourd'hui, il avait 93 ans ! J'avais connu Sam Szafran chez lui !

À très bientôt chère Christiane, merci !