La campagne
Avant de partir, il y eu la mort brutale de Michelaise (inventeuse du blog "Bons sens et déraison"), et puis quelques jours après, celle de Françoise, malade depuis de longs mois (créatrice du blog "Autour du puits") : le choc de leurs décès, la tristesse de leur absence, la pensée des familles dans le chagrin, m'ont longtemps poursuivie..
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Je ne connaissais "en vrai" ni l'une ni l'autre, mais à travers leurs mots et leurs images, j'avais appris à les connaître et je les appréciais. Au cours des années, des échanges, des partages d'idées avaient été rendus possibles, attachants, sympathiques, drôles, nous devenions peu à peu des familières. Ainsi, la virtualité de chacune d'elle prenait corps.
Je pensais en arrivant ici, en campagne berrichonne, que la vie et la mort se distribuaient exactement de la même façon qu'en ville, la beauté des paysages n'y changeait absolument rien, hélas !
La vie du monde, si chaotique en ce moment, ne donnait aucune preuve d'apaisement, rien n'allait plus, les guerres, la pauvreté, le réchauffement climatique produisaient leurs effets désastreux : des milliers de réfugiés persécutés, malheureux, fuyaient leur pays.
J'avais beau essayer de me boucher les oreilles, fuir les informations, tout ignorer, je savais néanmoins que mes pensées allaient toujours du côté de la solidarité, un point c'est tout !Je me disais qu'il faudrait redonner du sens au monde, du bon sens, remettre au cœur de toutes les actions la responsabilité et l'humanité... Moi, je ne voyais pas d'autre issue...
Mes vaches
C'est ainsi, la tête bouillonnante, que je suis arrivée dans les belles prairies de l'Indre, je retrouvais avec soulagement les troupeaux de vaches qui pâturaient dans les prés avec application, les grands arbres centenaires qui s'agitaient au moindre vent. Les étangs poissonneux bordés du fin grillage des ajoncs dessinaient encore et encore des ronds dans l'eau, les hérons blancs, roux, gris, glissaient avec un bruit léger, léger, au dessus de tout...
Retrouvés avec joie des tas de bois, coupés en petites bûches, figés dans l'herbe depuis des lustres juste un peu plus moussus chaque année, de vieilles bottes de foin écroulées dans des prairies en friche, oubliées, délaissées, faisant grise mine.... Les maisons à vendre ici et là depuis beaucoup plus un an, fermées à double tour, gardaient leurs secrets...
Et puis les gens : Bonjour Marie, bonjour Georges, comment allez-vous ? Au fil des années les conversations s'enrichissaient des maux de l'âge... Invariablement revenaient les réponses : ça va comme ça peut, j'entends moins bien, j'ai refait mes dents, mes mains déformées ne peuvent plus tricoter, mais on garde bon pied bon œil... Pourvu qu'on ait la santé...
Madame Louise, 83 ans, est tombée de vélo l'année dernière, côtes enfoncées, poumon perforé, quinze jours d'hôpital. Et maintenant, Louise, comment faite-vous pour vous déplacer puisque vous ne conduisez plus votre voiture ? J'ai repris mon vélo, je l'aime bien mon petit vélo... Bravo Louise !
Les peupliers
Comment est-ce possible, madame Christiane, pétulante en septembre dernier, entre ses canards, ses oies et ses confitures, toujours porte ouverte, sourire aux lèvres, pleine d'humour... À 87 ans, elle n'avait pas fait un an de plus, elle a mis un mois à nous quitter, raconte son frère... Puis, juste devant sa maison j'ai rencontré son fils qui me raconte : avant de partir, elle m'a dit, qu'est-ce que tu veux, j'suis foutue, j'suis foutue, j'frai pu de vélo... Il avait les larmes aux yeux. Je suis triste, moi aussi qui aimais tant la voir auprès de son jardin, les bras croisés sur la poitrine, attendant le passant pour la causette... Ça suffit, je ne veux plus rien entendre, cessez de me parler des morts, je dois les ajouter les uns après les autres dans mon histoire, j'en ai assez, je n'en peux plus, plus... Mais les histoires ne se sont pas arrêtées, j'en connu d'autres par ici...
Mon ami Gérard ne bougeait pas, lui, bien plus jeune, ouf ! Il est éleveur dans une grosse ferme juste derrière chez moi, ce qui comptait pour lui, c'était le rendement... Gérard, avez-vous entendu parler de la culture du maïs sans eau, avec des semences anciennes, bien travaillées ? J'ai vu un documentaire là-dessus... Ah, bon ! Mais pour moi ça n'irait pas, il me faut du rendement. Vous avez acheté du matériel neuf cette année ? Non, j'avais déjà la broyeuse l'année dernière, autant pour moi qui ne l'avais pas remarquée, elle ressemblait pourtant à une voiture de pompier, pas vue, pas prise... Gérard, vous avez de plus en plus de vaches, il y en a partout... Vous croyez ? J'sais plus, dit-il avec le sourire de celui qui sait parfaitement où il en est... Cette année, il a bricolé un engin qui rapproche la nourriture au plus près de la mangeoire extérieure des vaches dans la stabulation, elles n'ont plus qu'à passer la tête à travers les grilles, et la gamelle est toujours prête... Foin, ensilage de maïs et granulés... Un engin qui coûte mille euros, moi, j'y ai réfléchi et je l'ai construit, il est parfait !
La petite loge
Pour la santé, tout va bien, me dit Gérard, juste un petit rhumatisme à la cheville, souvenir d'un coup maladroit, rien du tout, du tout... Ça va me poursuivre un petit moment, dit-il avec un grand sourire, mais mieux vaut en rire... Et il riait, le bras appuyé sur la grande pelle qui lui servait à repousser le purin dans la stabulation...
Le propriétaire de mon bel étang, mort aussi, dans l'hiver, trois mois de temps après lui avoir serré la main l'année dernière, j'avais bien vu qu'il était mal en point lors de mon dernier séjour, mais de là à imaginer une fin si rapide... J'avais vu du premier coup d'œil que l'étang n'était pas aussi bien tenu que l'an passé, les abords en désordre, pas coupés de près... Il est à vendre...
Assez, assez, assez, tous ces morts qui me traversent...
Je parle des morts, de ceux que je connaissais de leur vivant, car je ne suis "trop jeune" par ici pour faire l'inventaire des nouveaux arrivants, des naissances, des maisons secondaires... Des gens qui s'installent avec bonheur dans de nouvelles vies, où on ne pleure pas encore...
La citrouille
En pleine balade, je m'aperçois que mon appareil photo n'a plus de batterie et bien sûr, un tas de beaux coins me passent devant les yeux, le vent me met la tête à l'envers, ma coiffure va dans tous les sens, le ciel est gris d'un côté, bleu de l'autre, lequel va gagner, rien de sûr encore, j'ai emporté mon imperméable de touriste, bleu strident comme des gants de vaisselle en caoutchouc, je l'avais acheté à Venise un jour de tornade blanche... Dans ma campagne berrichonne, sur mon vélo, impossible de me louper, aucun risque d'accident aujourd'hui avec mon bleu fluo !
Nature morte ?
14 commentaires:
un retour sur ton blog en toute tristesse... je ne connaissez pas michelaise , mais autour du puits , si.. entre mes copines qui meurent ...très jeunes encore...et les voisins et voisines ..on remarque notre âge qui avance.. tes pensées, toujours en harmonie et gentillesse .. me touchent aussi! bises
Ah je me doutais bien que tu étais dans l'Indre ... le cœur gros toujours ... Pas facile tous ces départs vers un ailleurs !
J'espère lire un prochain billet plus optimiste ,couleur citrouille ce sera chouette .
Je t'embrasse fort du soir
Oui Elfi, j'avais ces mauvaises nouvelles en moi en arrivant dans l'Indre, ce sont ajoutées les nouvelles locales...
J'ai passé un très bon séjour, un temps radieux, de belles rencontres, le silence, la nature et la beauté...
Bises à toi
Brigitte ne t'inquiète pas, le mois indrois a été superbe !
La tristesse oui je l'ai rencontrée aussi ici, mais les moments émouvants avec les gens ont été aussi très réconfortants...
Je ne me lasse pas des chemins creux, de champs, des prés, des vignes et du vélo...
Je t'embrasse fort du soir.
Merci Danielle pour tes photos et ton récit depuis l'Indre, toujours si agréable à lire et si touchant.
Oui, cet été 2015 s'est révélé maudit, je ne vais quand meme pas te raconter combien de décès m'ont attristée moi aussi. Mais le plus dur c'est pour moi le dernier, celui de notre Michelaise. Je pense si souvent à elle et avec un sens de vide absolument impossible à combler... au meme temps j'ai parfois l'impression qu'elle est encore parmi nous, comme si je n'étais pas capable de réellement prendre conscience qu'elle n'est plus là, peut-etre est-ce à cause de sa verve inépuisable, de son intelligence et sa sensibilité tellement hors du commun qu'elles sont et restent plus fortes que tout...?... je ne sais pas, ne comprends plus rien, mais l'idée que nous ne nous verrons plus m'est insupportable, et pourtant je ne peux me souvenir d'elle qu'avec son grand sourire et surtout son rire, si fort et contagieux...
Gros bisous et bonne journée, malgré tout, chère Danielle, et encore merci.
Bien sûr Siu je comprends ton immense chagrin !
Pense à son rire pour te réconforter, un peu...
À toi aussi une bonne journée, malgré son absence.
Je t'embrasse fort.
Et oui ma Belle en bleu, nous, notre médecin de campagne est parti en vacances en Corse, il n'en pas plus revenu ou du moins du haut de ses 1'90 m et de ses 60 ans, il ne se cognera plus à mes lustres bas pour venir me porter secours. Du coup le cabinet est définitivement fermé...cela veut dire quoi définitivement?
La vie, le coeur qui bat, le poumon qui se remplit d'air, toute cette belle mécanique peut s'échapper à jamais, d'un seul mouvement d'une main invisible.
Cela me donne le goût d'être encore plus gourmande de cette marche en avant. Pour les instants qu'il nous reste soyons courageux. Bien haut la tête, le nez en l'air, n'oublions pas nos amies vers là-haut, gardons leurs belles images et leurs superbes histoires dans nos coeurs. Elles nous ont nourries; Et puis il y a nos jeunes, ce n'est pas en bicyclette qu'ils avancent, peut-être en moto -le fils-, en tricycle -le Valou- ils ont les épaules larges,courent un peu trop vite, l'idée d'un ailleurs ne les effleurent pas encore.
Allez ma mie, contes nous de belles images, dessines nous de jolies histoires.
Bises d'en bas, le Sud!
Cela devenait long, ce temps sans te lire, sans tes jolies histoires "humaines".Je comprends que tu sois restée, un peu l'élan coupé, le coeur en berne.Mais comme le dit Mamina, il nous faut aller de l'avant et surtout, profiter de chaque instant qui passe, tu imagines, si cet instant devait être le dernier.Alors, il faut le manger jusqu'à la dernière miette.La vie sait aussi nous faire de beaux cadeaux et c'est en quelque sorte rendre un hommage à celles et ceux qui ont quitté la route que d'apprécier ces cadeaux du fond du coeur. je t'embrasse, Danielle.Et je signe : Danielle.LOL!
Merci chere Mamina pour ta belle enveloppe que je viens de recevoir en rentrant du Berry, je te réponds très vite là dessus...
Oui tu as raison vivons pendant qu' il en est pleinement temps...
Contons, dessinons et profitons de tout.
Je t'embrasse très fort.
Merci Danielle, oui comme si cet instant devait être le dernier...
Vîvons fort...
Pleinde bisous à toi...
Comme je suis heureuse de pouvoir te lire à nouveau!
Je pense souvent à Michelaise et à Françoise,je relis parfois certaines archives de leurs blogs et il me semble qu'elles sont encore présentes...
Contente de voir au travers de tes commentaires que tu as passé un bon mois malgré tout,dans ce département que tu aimes tant!
J'espère bientôt pouvoir te suivre dans de nouvelles balades parsemées de tes anecdotes que tu sais si bien raconter.
De gros bisous du soir
Merci Marie Claude de ta fidélité sur mes lignes...
Moi aussi je pense souvent à elles deux : Michelaise et Françoise...
Je reviens très vite avec des petits posts sur l'Indre :-))
Je t'embrasse fort.
De la tristesse et de l'émotion dans ce billet... Pourquoi a-t-on tant de mal à faire le deuil de nos amies virtuelles enfin Françoise était devenue pour moi une amie en chair et en os, nous nous étions rencontrées plusieurs fois ici et à Paris qu'elle aimait tant me faire découvrir... Michelaise et Françoise étaient en quelque sorte mes marraines de blog, fidèles dès l'ouverture de celui-ci... Difficile de les oublier, même impossible...
Ta campagne berrichonne rejoint la mienne qui est souvent un baume pour moi, même si sur certains chemins que Françoise avait empruntés avec moi, je me souviens...
Bonne semaine à toi ! A bientôt
Bises émues
Chère Enitram, oui, impossible de se détacher du souvenir de Michelaise et Françoise...
Souvenons-nous d'elles et de leur enthousiasme pour la vie !
Bonne semaine à toi Enitram, je t'embrasse fort.
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