Alison Lapper pregnant... Sculpture gonflable de Marc Quin
La première fois que j'ai aperçu cette très grande sculpture violette, trônant majestueusement juste à côté de l'église S. Giorgio, étincelante de blancheur, je me suis demandée de quoi il s'agissait. Je ne savais rien de cette oeuvre, rien de l'artiste, rien de rien, la surprise était totale, mon imagination s'est tout de suite mise en marche... J'ai inventé...
Tiens, c'est quoi ce truc énorme, entre le bleu et le violet ? En regardant les bras qu'elle n'avait plus, j'ai pensé aussitôt à la Vénus de Milo, je l'ai trouvée bien grossie, très très en chair, je me suis dit : Ah ! Ces artistes, ils nous réservent bien des surprises ! J'avais remarqué aussi que les jambes et les pieds étaient un peu déformés, la tête un peu masculine, le regard droit et hautain, de temps en temps le corps entier dodelinait avec le vent, j'ai réalisé alors que c'était une statue gonflable. Le soir, elle se dégonflait tout à fait et disparaissait à l'intérieur du socle, le mystère était total pour moi...
Bon, j'irais la voir de près plus tard, mais quand même, c'est bizarre ce corps lourd, pas terminé, instable, si pesant et si léger à la fois. Quelques jours après j'ai aperçu son gros ventre : enceinte ? Un corps de femme, une tête d'homme, je n'ai plus cherché midi à quatorze heures, cette oeuvre déclinerait-elle un aspect de la beauté antique ? J'ai cessé de me poser des questions, j'ai attendu, tenté à chaque passage de la photographier...
Le jour de la visite à S Giorgio est arrivé : tout le monde descend ! Il y avait une masse d'artistes contemporains à voir dans l'église et ailleurs sur l'île, sitôt débarquée je suis allée voir la sculpture géante, et j'ai lu le carton explicatif accroché sur le socle : j'ai découvert alors le pot-aux-roses.
J'avais tout faux, pas du tout Vénus de Milo, pas du tout masculine, pas du tout antique... Sur le socle de la dame violette, il était dit qu'elle représentait Alison Lapper "pregnant" (enceinte), et qu'elle avait fait l'ouverture des Jeux Paralympiques de Londres. Je ne savais rien non plus sur cette femme, et c'est seulement en rentrant chez moi que j'ai feuilleté le grand livre d'Internet, avec beaucoup d'émotion, voici pourquoi :
Alison Lapper est une artiste peintre qui utilise la photographie, l'imagerie numérique et la peinture pour créer ses œuvres, elle est connue et reconnue en Angleterre, elle a 48 ans. Alison est née handicapée, sans bras, avec des jambes tronquées, elle a totalement abandonné ses membres artificiels qui l'avaient accompagnée pendant quelques années, elle vit aujourd'hui en autonomie parfaite, ou aidée, comme au moment (2000) de la naissance de son fils, Parys, qui est né tout à fait normal.
L'enfant, parfait, de marbre blanc... De Marc Quin
En 2007, elle pose pour l'artiste Marc Quin qui réalise la sculpture : Alison Lapper pregnant, en marbre blanc de Carrare. Cette sculpture fut exposée à Trafalgar Square de 2005 à 2007. Une réplique géante de la sculpture fut sélectionnée pour l' inauguration de la cérémonie d'ouverture des Jeux Paralympiques en 2012 à Londres.
Voilà à peu près ce qu'il fallait savoir pour tout comprendre et réfléchir autrement, avant de partir dans mes élucubrations olympiques vénitiennes. J'ai même pensé, par manque d'information, que cette femme était elle-même une athlète, cette splendide sculpture de Marc Quin restait pour moi un symbole très fort pour tous les humains, un corps différent, magnifié, et la possibilité d'un bel art de vivre autrement.
Vous le voyez, ma Vénus de Milo, entrevue sur le bassin de Saint-Marc, était donc très loin de tous les clichés antiques, structure légère et imposante, elle a éveillé mon attention, et aujourd'hui, mon respect et mon admiration la saluent... Bravo et merci aux artistes qui nous aident à mieux voir et peut-être à mieux comprendre le monde...
Alison Lapper pregnant... De Marc Quin
Chaque fois que je croisais cette grande femme violette, toujours dans l'ignorance de ce qu'elle était vraiment, je ne pouvais m'empêcher de penser à un bel exemple de courage, et de force, et de vie...
Ainsi, sur le vaporetto, quand la mère de famille a crié à ses deux enfants et à leur père : regardez la grosse dame violette ! Je n'ai pas ri, il m'en avait fallu du temps pour admirer cette humaine géante, aux couleurs azurées, qui se balançait doucement au gré du vent, c'est bien plus tard que les mots vinrent me faire connaître son histoire... J'avais plaisanté, tout comme eux, c'est bizarre ce truc-là, une grosse dame sans bras, énorme, un gros ventre, les cheveux très courts... Et son regard qui perçait l'horizon... Vraiment curieuse, cette oeuvre...
Ils étaient gais, enchantés, les deux enfants (une douzaine d'années chacun) s'amusaient de tout, encourageaient le père pour la moindre photo : vas-y papa, attention, ça bouge drôlement, tiens bien l'appareil, là, là regarde, c'est super beau ! Papa faisait un panoramique, tout le monde supervisait... Le père montrait sa copie à chaque prise de vue : ça vous plait ? Parfait !
La mère continuait sa revue de paquetage : regardez, le bateau là-bas est très original, et quand nous sommes passés sur le rivage de la Salute, elle trouva qu'ils auraient pu nettoyer la grande porte. Elle voyait la plus belle avenue du monde pour la première fois, avait un avis sur tout avec gourmandise. Je n'avais pas envie de les quitter, grâce à elle je découvrais les petits détails qui m'avaient échappés, avec cette fraîcheur du premier regard, mais je suis descendue quand même là où je devais descendre, les laissant à leurs merveilles : papa, prend ça, oui, oui attendez, là, c'est vraiment bien, mais ça bouge un peu, attendons l'arrêt du bateau... Les beaux visiteurs, curieux de tout...
10 commentaires:
un hymne au courage et au talent...
dans les journaux allemands..j'ai lu l'angoisse des femmes qui ont pris la thaliomide ..
Une belle histoire ,comme tu sais si bien les voir et les raconter .Merci pour ce billet qui me fait découvrir cette artiste avec un petit bout de sa vie et son courage .
La sculpture de l'enfant est très belle ,parfaite comme l'enfant .
A très vite pour ton prochain billet !!!
Je t'embrasse
Elfi, oui j'y ai pensé aussi mais en fait Alison dit que sa mère n'avait rien pris...
Une grande histoire pour cette femme... Qui se poursuit.
À tout bientôt.
Brigitte, moi aussi j'ai été touchée par cette histoire et quand j'ai vu le bébé en marbre blanc de Marc Quin c'était magnifique...
Merci Brigitte, bises du soir...
étrange au premier regard, merci pour cet article, très intéressant!
Merci Eimelle de me suivre...
Amicalement.
Je suis touchée par ton histoire, tu as su si bien la raconter.
Je me suis posée plein de questions lorsque j'ai vu cette statue et une amie me l'a racontée à Venise.
Nous avions décidément la même transmission de pensée hier, puisque je clôturais mon expédition à la Giudecca par une série de photos prises depuis le vaporetto.
J'ai mis un lien vers ton billet.
Bises
Danielle
Danielle merci 1000 fois pour ton petit mot, tes photos sont si belles je vais courir les voir...
Grosses bises du jour pour tous les autres jours.
Quel bel âge que celui de l'émerveillement, 12 ans c'est encore magique !! dire que dans 4 ou 5 ans, ils vont nous faire du bofisme, les parents seront tout désorientés, et se demanderont ce qui est arrivé à leurs gentils petits garçons.... mais le pire n'est jamais sûr n'est-ce pas !
Quant à la dame violette, qui me semble assez monstrueuse, il me manque dans doute le vent dans ce cœur d'artichaut pour en saisir le sens !!
Michelaise, merci pour ton humour familial...:-)))
Pour la dame violette, elle n'est pas monstrueuse, sa dimension lui donne une énorme visibilité, et c'est tant mieux, des questions, des moqueries, des étonnements, mais au bout du compte le vent vient vite au coeur du spectateur... Marc Quin est un grand créateur...
Bises fortes à toi...
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