Boussin
Yves, Pastel (2007)
Mon frère est un artiste, tout
l'inspire, il travaille avec : la peinture à l'huile, l'aquarelle, l'acrylique
et le pastel, il adore dessiner avec de l'encre de Chine, du fusain, des
crayons noirs et de toutes les couleurs, il a aussi utilisé des craies. Je me
souviens encore des paysages fantastiques qu'il imaginait pour mes yeux
d'enfant, le collage lui plaît beaucoup, la sculpture, les constructions, les
emboîtages... Et puis la corde, la ficelle, les liens de toutes sortes sont
très présents dans son travail, les objets le fascinent, dès qu'il peut
inventer une forme avec une matière, il s’envole... Et moi je trouve que c'est
toujours très beau... Il n'est pas toujours utile de tout traduire en paroles,
les formes, les couleurs disent ce qu'elles valent, ce qu'elles veulent, au
spectateur de les rencontrer, de les interpréter, et d'en être touché...
Mon frère, depuis qu'il est tout petit, est un homme de l'art...
Une page d'un
de ses carnets de voyage... Encre et aquarelle
Il fait toujours des carnets de voyages, il crayonne, il note, il
observe, quand il va dans les musées il ne prend jamais de photos, il dessine,
il écrit les couleurs, comme le faisait Canaletto. Plus tard, quand il rentre
chez lui, il revisite ses dessins et replace les couleurs exactement à
l’endroit où il les avait vues...
Il adore les arts de son temps, mais en fait il fait feu de tout
bois, il me dit toujours : il n'y a pas de hiérarchie dans l'art,
quand une oeuvre est belle et profonde, elle résiste au temps qui la traverse,
peu importe sa signification ou sa provenance, son charme opère... Moi je pense
exactement la même chose que mon artiste de frère.
Jacob de Gheyn
le jeune (1565-1629)
Depuis quelques temps, il travaille sur des natures mortes,
extrêmement mortes même si ce sont des moulages en plastique, ils sont si
proches de la réalité qu'on pourrait les croire trouvés au cours de travaux
archéologiques : ces facs-similis sont criants de vérité, on dirait des vrais. En Occident, la première réalisation d'une Vanité est attribuée à Jacob de Gheyn le jeune, né à Anvers en 1565, mort en 1629. Les Vanités expriment de
façon dramatique la brièveté de la vie, sa fragilité, sa vacuité, le
temps qui passe si vite nous rapproche tous de ce portrait final. La Vanité aide le
pauvre péquin à relativiser les actes de sa vie, la richesse et la
puissance seront de courte durée, les mauvaises actions ne payeront pas
longtemps, sur la beauté, inutile de compter, elle dépérit avec vous, bientôt
vous aurez les yeux vides, et les dents que vous avez acérées, vous
manqueront bientôt... La Vanité est une nature morte qui en dit long aux
vivants.
Mon frère, donc, s'est approprié ces trois beaux faux crânes qui
sont devenus authentiques sous ses doigts. Ces carcasses modernes, tellement réelles,
l'ont toutefois intimidé et rendu audacieux, il a tout de suite voulu
ré-attribuer à ces pauvres humains le lustre, le pouvoir, la gloire, la
couleur, l'ornement dont ils avaient été sans doute privés au cours de leur
vie... C'était son idée, il m'a dit avec fierté, je fais exactement comme si
ces personnes avaient existé : j'ai voulu rendre hommage à des créatures
inconnues en leur donnant une véritable existence artistique. Il m'a
dit aussi que cette redistribution l'avait apaisé, il m'a parlé de l'émotion
supplémentaire qu'il avait éprouvé en travaillant sur ces ombres de la mort, ces
objets sans nom, qui pour finir, nous ressemblent…
En somme, il a eu l'impression de redistribuer les cartes,
de faire un petit geste d'amour pour l'humanité... Ça lui fait sans nul doute
du bien !
Boussin Yves, La Vanité rouge
Je le laisse parler au lieu de dire des sottises, rien n'est
plus simple que de laisser parler l'artiste qui sait bien mieux que vous ce
qu'il fabrique : le rouge symbolise le sang de la vie, la couronne de bronze
doré symbolise un pouvoir, les petits triangles de part et d'autre du crâne et
les étoiles (qu'on ne voit pas assez nettement) font partie de l'univers
symbolique de la Franc-Maçonnerie (qu'il connait bien), les fleurs
envahissantes qui sortent des orbites redonnent de la vie au delà de la mort.
La sculpture est posée sur un pied de chandelier en bronze, cette élévation
sculptée lui donne de la majesté. Il avait imaginé que ce crâne était
celui d'une femme, trouvé dans un petit cimetière au cours de fouilles antiques...
Boussin Yves, La Vanité blanche
Pour donner encore plus de
véracité à cette tête de mort, il a écrit à l’encre de Chine le nom de chaque
os, comme l’auraient fait quelques carabins sur un modèle « vivant ».
Mon frère ne met aucun
frein à son imagination pour impressionner, troubler, détourner la réalité, au
profit de sa création. Ce crâne totalement architecturé est sans doute une
cathédrale, une chapelle, un lieu de foi, hommage à un homme de prières, un
moine ? Enterré peut-être dans un très ancien monastère. Les deux roses
qui ferment les orbites sont pure fantaisie, l'artiste n'y voit que couleur et
beauté, la couronne rouge sang attribue de façon imaginaire un statut hors du
commun au personnage... Sur les côtés deux silhouettes, d'un homme et d'une
femme, des parents, des humains importants du vivant du saint homme ?
Boussin Yves, La Vanité bleue
Dernière oeuvre de cette série de Vanités, la couronne dorée est
immense, le pouvoir qu'elle suggère n'est pas forcément correllé avec un
pouvoir conféré par l'argent, elle dote le personnage de force,
d'autorité, de prestige, de savoir. Les personnages qui forment une ronde sur
les épines de la couronne figurent tous les aspects de la personnalité du
vivant qui n'est plus... Les petites ficelles blanches sont les liens qui
relient la pensée à la mort, qui structurent un être humain avec lui-même et
avec les autres, mon frère les appelle : des liens réparateurs. Deux fleurs
adoucissent ce paysage mortel, peut-être la naissance d'un jardin d'Eden ?
Mon frère dit également de ses Vanités, et je lui laisse
volontiers ses mots de la fin : ces oeuvres ne sont pas
faites pour désespérer les humains, elles essayent de remettre en valeur, en
lumière, en couleurs, des vies depuis longtemps achevées. Je souhaite
rendre un bel hommage à mes congénères, j'ai inventé pour eux des vies qu'ils
n'ont pas eues, j'ai tissé des liens avec leurs âmes. Notre façon de les regarder
n'est jamais neutre, elles nous parlent aujourd'hui de nous.
10 commentaires:
Pourquoi ai je pensé à Niki de Saint Phalle?
Il est vrai que cela secoue surtout en période où des êtres proches disparaissent.
Cependant cela met en exergue la Vie terrestre si précieuse!
Belle fin de semaine. On salue l'artiste et ses impressions sensibles.
Martine de Sclos
vous êtes une famille d'artistes !! vous avez le sens du beau, le sens esthétique prononcé. BRAVO à vous deux !!
Oui, Martine, surtout pour le crâne bleu et or, moi aussi j'y ai pensé...
Je sais aussi que pour toi cette période n'a pas été douce, et les vanité nous font osciller entre ce que tu dis, la vie terrestre précieuse dont il faut profiter, et la mort, la plus lointaine possible...
Je t'embrasse fort Martien.
Amélie, pour mon frère, tu as raison, c'est un artiste, un créateur, moi je sais juste admirer :-)))
Bises du jour à toi.
Pourquoi la phrase : ' vanité des vanités : tout est vanité ' me revient elle en regardant les oeuvres de votre frère ?
je ne peux m'empêcher de les rapprocher de l'ironie avec laquelle je considère l'époque actuelle où le monde qui nous gouverne , politique ou financier fait semblant de croire qu'il ne finira pas , comme tout le monde et que l'égalité s'imposera alors : riches et puissants ...
oui , il faut profiter de la vie , la vraie , celle de la richesse de l'amour et du partage et je suis sûre que beaucoup partage ma vision de la vie !
Voilà pourquoi ces vanités me parlent : pleines de poésie , comme votre regard , différent , Danielle , sur les petites choses qui font que la vie est là et c'est un bonheur que vous faîtes partager avec talent tous les deux!
Enfin , le soleil est de retour dans la cité des violettes et je vous envois leur doux parfum ...
Oui, oui Estelle, profitons de la vie, la vraie, la richesse de l'amour du partage, bien sûr, mais pour autant peut-on ignorer les aspects matériels de la vie qui peuvent contribuer à nous faire sauter les étapes du don et de l'attention aux autres...
Cependant, je me pose la question, il y a tant d'empêchements d'inégalités... Mais j'ai choisi comme vous Estelle, cette vraie vie...Mon frère aussi, chacun comme nous le pouvons, à notre manière.
Merci d'être passée pour les mots, le soleil et les violettes que j'adore.
Bises du jour.
Cela fait plusieurs fois que je passe et repasse sans savoir quoi dire ...J'aime l'idée de ce que représente la Vanité mais je n'apprécie pas trop ce que je vois. Par contre j'apprécie beaucoup ce que dis ton frère de ses oeuvres .
Et je suis bien d'accord qu'il faut profiter de la vie et de tous les petits bonheurs qu'elle nous offre et que tu sais si bien nous conter .
Bisous du soir
Chère Brigitte, ne force pas ton regard sur les choses qui te font mal, mais tu as raison de voir dans les petites choses de la vie nos grandes joie de tous les jours...
Vas, la prochaine fois je raconte notre journée avec ma soeur...
Merci Brigitte, d'être fidèle à mes petites choses.
Bises du soir.
Le thème de la Vanité est, pour qui pratique l'art avec un tant soit peu de profondeur, un thème riche et sans doute source d'une véritable inspiration. On ne peut que le traiter avec engagement. Ce qu'a fait ton frère avec cette série de trois vanités dont, puis-je le dire, la rouge est celle qui me parle le plus ! Bravo pour l'article qui transmet le message de l'artiste et nous le rend plus accessible.
Chère Michelaise si le rouge te parle, moi aussi il m'a fait parler...
Mon frère a saisi le double sens de ses vanités : la vie et la mort peuvent faire bon ménage avec l'expression artistique qui nous simplifie/embellit la vie.
Grosses bises Michelaise.
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