Portrait (Diane Arbus)
J'avais décidé ce matin-là d'aller voir l'exposition de la photographe américaine Diane Arbus au Musée du Jeu de Paume, je n'avais pas voulu prendre mon parapluie, malgré un ciel gris intense, je prenais des risques calculés, je n'avais pas du tout envie de rebrousser chemin pour aller le chercher, j'étais déjà loin, on verra bien... Il faut savoir prendre des risques dans la vie.
J'ai pris le métro, un long trajet avec juste un seul changement, j'avais donc le temps de lire, si je n'avais pas pris la précaution du parapluie, j'avais mis dans mon petit sac en paille cambodgienne le très beau roman de Metin Arditi "Le Turquetto". J'avais le nez dans ma lecture et me disais : dans quelques pages je l'aurais fini, dommage, quel beau style, quelle belle histoire, quel grand humaniste, Arditi a imaginé un élève du Titien, né juif dans la Constantinople musulmane du XVIe siècle : Elie Soriano, qui ne pense qu'à dessiner, peindre, le crayon prolonge ses doigts, le dessin lui coule à travers le bras, mais sa religion lui interdit les représentations. À la mort de son père il s'enfuit à Venise, il y devient célèbre, peint des milliers de tableaux, côtoie les plus grands peintres... Arditi nous parle aussi de l'amour, de l'amitié, et des relations entre les trois grandes religions monothéistes. Magnifique livre !
Absorbée par mon Turquetto, j'entends quand même une voix très forte qui explose dans un téléphone portable, je lui tournais le dos, j'entendais donc sans voir. La voix était celle d'une femme mûre, elle vociférait : comment est-ce possible, ce crétin, il a encore oublié les clés, tu te rends compte, il commence à m'énerver, je n'en peux plus, oui, je suis à République, j'arrive dans pas longtemps, quoi ? Mais oui je te dis, il perd la tête, tous les jours il oublie quelque chose, j'en ai marre, oui, je te dis République, et toi tu vas bien ? Tout le monde était pendu à ses paroles, les sourires se dessinaient sur les lèvres, la pièce était bonne, tout le monde en profitait.
Je me suis dit, je descends à la prochaine, elle est encore là, je veux voir sa tête...
Je fus surprise de voir une belle femme, assez jeune encore, de grands cheveux très longs, bouclés lui descendaient sur les reins...Elle aborda le quai dans la plus grande sérénité, elle avait fini sa conversation et marchait gaillardement vers sa destinée... Je l'avais imaginée plus âgée, grosse et moche... Je ne sais pas du tout pourquoi, sa voix m'avait envoyé ce portrait-là !!
Je pris la correspondance pour Concorde... Je voyais bien des traces de pluie sur le quai, je n'avais pas de parapluie... Mais je ne pouvais pas non plus me dire, zut ! J'ai oublié mon parapluie, je prenais l'affaire de façon très posée, calme, bon, attendons un peu à l'abri...
La place de la Concorde était brillante de pluie, de loin, sous les arbres qui longent le Musée du Jeu de Paume, je vois une file d'attente longue de plusieurs centaines de mètres sous les parapluies. En quelques minutes, me voilà trempée...
Curling
Je regarde cet horizon, je mesure, je prends les cotes, je dois changer mes plans et vite, je renonce, trop de monde, trop de pluie, je reprends le métro et je file au cinéma, voir Curling, film canadien (Denis Côté) dont je ne connaissais pas du tout le réalisateur, qui en est pourtant à son cinquième long métrage, bonne surprise, film étrange, très lent, un duo mystérieux entre un père et sa fille dans la neige, le silence et quelques cadavres... Les horreurs. Un sacré travail sur les regards, les mots retenus, les solitudes... L'étrangeté des situations ne nous sera pas dévoilée, au spectateur de se débrouiller avec ce qu'il voit, d'inventer, d'imaginer... Je le recommande !!
J'ai repensé à cette voix qui ne correspondait pas du tout à l'idée que je me faisais de son corps émetteur, finalement c'est presque à chaque fois la même chose, à part reconnaître à coup (presque) sûr la voix d'un homme ou celle d'une femme, le corps ne suit pas, il faut à chaque fois tout reconstruire... C'est toujours une surprise.
4 commentaires:
Pour ma lecture du soir,je vais me procurer dès que possible
Le Turquetto de Metin Arditi.
Amitiés.
Françoise.
Françoise, vous verrez, c'est un très beau roman, il vous transportera à Venise...
Gros bisous du jour à très bientôt.
Ah Danielle, dès que j'y pense et que l'occasion se présente, je m'offre aussi le Turquetto, ce que tu en dis m'attire vraiment.
Quant au réalisateur dont tu parles, pourquoi pas si l'occasion se présente ??
J'ai ri à ton aventure métropolitaine, à ta réaction devant ces files si parisiennes qui s'allongent devant tous les musées... encore que j'ai réussi à trouver quelques endroits calmes, toute fière !! voyons samedi il pleuvait tant que cela ? Nous étions au Louvre, donc je ne m'en suis pas rendu compte
Oui, oui, il pleuvait très fort, je ruisselait place de la Concorde... Turquetto te plaira, j'en suis sûre...
C'est vrai que les files d'attente s'allongent sur Paris, cette semaine je retente Diane Arbus :-)))
Grosses bises du soir.
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