Jean-Michel Alberola (1995)
Moi qui rêvais d'écrire sur rien, juste avec des mots, sans sujet, sans idée précise, pas de hiérarchie, pas de début, pas de fin... Comme un collier de perles, toutes les mêmes perles, sans fermoir, tu l'enfiles par le cou, et tu comptes avec les doigts chaque perle, sans repère, comme un chapelet, juste pour passer le temps...
Le moment est arrivé. Mais pourquoi tu ne veux rien dire avec tes mots ? J'ai trop de mal, mal à la tête, au coeur, aux neurones, quand je parle de la centrale nucléaire du Japon, j'ai mal partout, quand je parle des sinistrés du Japon, j'ai mal encore, quand je parle de la guerre en Libye, je souffre aussi, quand je vois le monde aujourd'hui, mes douleurs me reprennent... De partout.
Donc tu ne veux pas parler à cause des souffrances ? Oui, je veux aller bien avec le printemps, être en phase avec des projets de paysages non pollués, un monde qui sent la rose au lieu du carbone, une Terre verte et bleue comme une orange... Pas une orange toute ridée.
Tu n'as plus d'idées sur lesquelles tu pourrais parler ? Non, j'ai seulement envie de parler de rien, c'est plus facile, ça me fait moins peur, c'est tranquille, j'ai pas de bobo, pas de pansement, parler de rien ça ne s'use pas, ça ne fait pas de mal à personne.
Tu t'installes là, tranquille, sur ton balcon, dans ton jardin, dans les champs, au bord de la mer... Tu commences à raconter ton histoire à l'envers, tu ne lèves pas le nez vers le ciel, même si le ciel est bleu, ça ne veut pas dire grand chose, tu respires l'air du printemps, mais comment faire ? Je ne sais plus quoi dire pour éviter les idées.
Tu vois, rien ne vient de bien construit, tout va de travers, il y a du rose et du blanc au dessus de nos têtes, du vert et des couleurs dans les bois, les montagnes et les plaines, mais tout se mélange dans les mots, rien n'a une queue, rien n'a une tête... Je ne trouve plus mes mots, c'est trop difficile de construire, tout s'écroule tout le temps, il faut recommencer à réfléchir, je n'ai plus de courage, je suis fatiguée, je veux écrire sur rien, ça repose.
Mais voyons, reprends-toi, on ne va pas mourir tout de suite, les vacances approchent, à part au Japon on va pouvoir aller partout, bon, peut-être pas en Libye, à Haïti, en Afrique ça bouge aussi, mais il reste encore beaucoup d'endroits pour bronzer, se laver les pieds dans les rivières, prendre un bon bain dans les vagues émeraude, tu exagères tout.
Tiens, je vais écrire sur les couleurs, je ne vais pas parler du blanc, ça fait trop penser aux nuages radioactifs, je vais sauter cette couleur-là, je vais vous parler du rouge, ah non ! Ça fait penser au sang, au malheur, au deuil... Bon alors le vert, ça va le vert ? Oui, ça reste une bonne couleur bien que... En Amazonie, ils vont bien être obligés de la rayer de leur vocabulaire, on abat tout ce qui lui ressemble... Oui, c'est vrai, je vais raconter en bleu, surtout pas, c'est la couleur de l'eau, du ciel, avec eux on n'est sûr de rien... Il vaut mieux attendre quelques décennies pour en parler...
D'accord, le jaune ça va ? Parfait, rien à dire.
Alors quand tout est parfait, tu n'as plus rien à dire ? Si, justement, avec tous les espoirs qu'il y a dedans, les mots reviennent comme des torrents, je me dépêche de ne plus rien dire, avec l'espoir, ça va se bousculer au portillon, encore des histoires, des trois fois rien, plein de mots, beaucoup trop peut-être, alors pour les trois fois rien, il y a des milliers de mots qui viennent et pour les catastrophes, plus rien ?
Oui, plus rien, plus d'après, puisqu'on ne sera plus là pour en parler, vaut mieux se taire tout de suite, attendre...
Je vais guetter à ma fenêtre une toute petite chose, pleine d'espoir, pour vous en parler... Je trouverais bien des couleurs dont on n'a jamais parlé, ou je vais diluer les anciennes... Avec l'espoir tout est possible.
Attendez un peu que je mette mes lunettes... Mes jumelles...
11 commentaires:
quoi de plus difficile que d'écrire "sur quelque chose"... bravo pour ton article qui dit bien notre désarroi il est tellement difficile de ne pas céder au compassionnel et pourtant de rester réactif ! Allons pour le jaune, très à la une des blogs en ce moment, via jonquilles et narcisses. SOurire ensoleillé dans un océan d'inquiétudes
Ecrire sur RIEN
Penser à RIEN, c'est justement IMPOSSIBLE.
Et Rien c'est Nier.
Bravo pour cette performance Danielle qui nous fait bien réfléchir.
Michelaise, oui, allons pour le jaune...
Merci de ta visite ensoleillée dans l'inquiétude...
Bises du soir
Merci Misse d'être passée, et de réfléchir avec nous...
Bises à bientôt.
C'est ce que j'appellerai une belle plume qui fait bien réfléchir.
"La parole n'a pas été donnée à l'homme:il l'a prise"
Aragon
Il y a "non, rien de rien, nonje ne regrette rien", il pourrait y avoir aussi le "tout ou rien";
Existe-il "le rien ou tout"? Ce n'est pas rien, mais en un rien de temps on peut faire de tout, rencontrer des moins que rien,et n'y être pour rien, rien de moins, rien de plus, aller, trois fois rien, rien de plus, rien de moins, et si rien de ne va plus, en un rien de temps,on peut rencontrer...
L'ESPOIR!
Françoise, merci, c'est trop gentil, et avec Aragon prenons la parole...:-)))
Mais en ce moment je reste un peu sans voix à cause de la gravité du monde...
Mais j'ai encore des mots de réserve...
A tout bientôt.
Martine fait des gammes sur tout et rien...:-)) pour finir sur l'espoir, merci à toi, c'est un beau mot pour la fin...
A tout bientôt de te voir ici. !
"Rien c'est n'importe quoi mais ce n'est pas rien pour autant."
[Alain Robbe-Grillet)
"Tu n'as rien à dire mais tu veux que cela se sache!"
Jacques Dutronc
Bonne soirée Danielle
Enitram tu as bien compris qu'écrire sur rien est ambitieux face au trop plein du monde !!!
Passe une belle journée... un rien radioactive,hélas !!
Bises du jour.
putain zete pas un peu con avec vos metaphores! "rien" on c que c rien alors fermez la! signe:inconnu
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