vendredi 13 avril 2018

Mohamed Bourouissa, deuxième merveille au Musée d'Art Moderne de Paris


Costume de cheval, imaginé par un artiste local 

Ma vraie découverte, c'est lui ! Jeune plasticien franco-algérien de 40 ans, déjà remarqué au Musée d'Art Moderne en 2010, il est l'un des artistes majeurs de sa génération...

Horse Day !

Voilà l'histoire de cette journée du cheval, organisée aux Etats-Unis dans un quartier du nord-ouest de la ville de Philadelphie, par des écuries associatives fréquentées par des cavaliers afro-américains. À cette occasion, Mohamed Bourouissa s'empara de l'histoire du lieu, de l'imagerie du cowboy, de la conquête des espaces, pour réaliser un western contemporain dans la ville. Un film de Martha Camarillo projeté sur deux grands écrans relate les préparatifs et la Journée du cheval orchestrée par Mohamed Bourouissa, le public de l’exposition peut s'asseoir confortablement sur des sièges rembourrés pour le regarder tout à son aise, en boucle.

L'exposition est conçue autour de cette journée : dessins préparatoires pris sur le vif, aquarelles, story-boards du film, costumes de parade des chevaux, impression de photos sur carcasses de voitures traitées comme des sculptures, projections de vidéos sur capots de voiture...

Horse day a créé, le jour du concours (sans prix), une synergie entre les cavaliers, les habitants, les artistes du quartier et des environs. Il y eut également : goûters, et plein d’événements festifs...

Un visuel magnifique a servi de communication pour l’événement daté, du 13 juillet 2014.


L'affiche de l’événement, un fier cavalier avec son cheval habillé somptueusement par un artiste local


Costume de cheval imaginé par un artiste local


Avez-vous déjà été surpris par les présentation d'expositions ? À travers les mots enrubannés, compliqués, tarabiscotés, vous ne retrouviez plus ce que que vous étiez allés voir... Les explications passaient par des filtres, tellement raffinés, tamisés, que les œuvres ne vous disaient plus rien !

Pour le Jour du cheval, rien de tout ça, vous nagiez tout de suite comme un poisson dans l'eau dans la fête populaire... Vous pouviez vous représenter la fête de quartier le plus simplement du monde, il faisait beau, les cavaliers étaient fiers sur leur monture, il y avait de la joie sur tous les visages, le film réalisé par Martha Camarillo nous faisait rentrer dans la danse en nous montrant les préparatifs de la journée. Le club équestre associatif avait été fondé dans les années 1900 par des cavaliers afro-américains, il était aussi le refuge d'animaux sauvés de l'abattoir.

Mohamed Bourouissa choisit cet endroit pour réunir des artistes et cavaliers locaux, créer un événement, provoquer des occasions de partages et de rencontres...

C'est exactement ce que je ressentais en visitant l'expo ! De la joie !

Puis, dans une très grande salle, derrière les écrans de cinéma, la découverte des sculptures (récentes) sur carcasses de voitures, créées par Mohamed Bourouissa, alors-là, j'ai dégainé mon appareil photo...


The Ride - Mohamed Bourrouissa - (1978) - tirages argentiques noir et blanc et couleurs sur plaques de métal carrosserie, peinture, aérosol et vernis - 2017 -




Suite de sculptures de Mohamed Bourouissa - 2017 -


Détail 


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Suite de sculptures de Mohamed Bourouissa - 2017 -


Détail - Mohamed Bourouissa - 2017 -

Une très grande poésie se dégageait de toutes les sculptures. Les portraits, les paysages, les coins de la ville imprimés dans le métal de couleur, formaient un ensemble délicat et merveilleux. L'hommage et l'inspiration qu'avait suscité le" Horse day" sur le travail de Mohames Bourouissa, étaient à couper le souffle. Les sculptures de très grande taille prenaient tous les murs, mes photos ne communiquent sûrement pas l'enthousiasme du moment, en découvrant les oeuvres... Je sortais la semaine précédente de l'exposition superbe de César, et je me disais qu'il y avait une ressemblance : matière, bien sûr, mais une création nouvelle était née...

L'hommage aux habitants du quartier de Philadelphie, et leurs lieux familiers, était réuni dans un travail d'une très très grande sensibilité, d'une originalité certaine. Mohamed Bourouissa avait imaginé un grand album photo sur carcasses de voitures, où tous les genres pouvaient s’enchevêtrer, enjolivant à chaque fois la sculpture, la précisant, lui donnant du caractère émotionnel...


Détail précieux


Mohamed Bourouissa (1978)


Détail


Essai de vue d'ensemble, bien en dessous de ce que je voudrais montrer...


Photo de Mohamed Bourouissa

Et puis je suis revenue devant les écrans et je n'ai pas bougé jusqu'à la fin... Éblouie par une petite vidéo projetée sur capot de voiture, voyez comme c'est beau !




Mohamed Bourouissa - (1978) - 4'14'' - Scènes de la vie ordinaire...

Captée par hasard, cette scène de la vie ordinaire, projetée sur un capot de voiture établit immédiatement un lien  entre deux symboles forts : la voiture et le cheval... De plus, bien sûr, l'oeuvre a une grande valeur esthétique, elle m'a aussitôt touchée...

En quittant le Musée d'Art Moderne, j'ai été surprise d'y trouver deux œuvres de Christian Boltanski. Pourquoi surprise, Danielle ? Parce que j’ignorais qu'elles se trouvaient dans les collections permanentes du musée, au sous-sol, je suis donc descendue à la cave et voilà ce que j'y ai trouvé : un grand moment d'émotion,  comme d'habitude avec cet artiste... La jeune conservatrice avec laquelle je fis un peu de causette m'a dit : j'adore cet artiste, il m'émeut plus que tout, j'aime l'idée de traces, de souvenirs, de présence  humaine qu'il imprègne partout dans ses œuvres, et là, c'est très fort ! Comme je la comprenais...



L'entrée des salles d'exposition des installations de C. Boltanski


Les abonnés du téléphone (2000) - Christian Boltanski - (1942) 


Comment nommer tous les habitants de la terre ? C. Boltanski, avec cette installation, a eu l'idée de réunir 2500 annuaires sur des étagères. Ainsi, la présence de 20 millions de personnes est réduite à un nom. La jeune femme m'a dit qu'il manquait les annuaires de la Pologne ?... Je n'ai pas pu vérifier cette information sur internet. Si vous savez quelque chose qui pourrait élucider ce mystère, revenez nous le dire ici... Merci !

Plus loin, une autre pièce très émouvante aussi, composée d'étagères, et de milliers de vêtements d'enfants :




Réserve du musée des enfants (1989) - Christian Boltanski (1942)

Cette oeuvre reprend également l'idée de "petite mémoire" comme la nomme l'artiste : "Le petit savoir que l'on a sur les gens, sur les choses". Quoi de plus émouvant que l'alignement de tous ces vêtements ayant été portés par des corps d'enfants, absents, disparus, anéantis, assassinés ? Des  traces...

Chers amis qui passez sur mes lignes, la prochaine fois, je vous emmène à la campagne...

mardi 10 avril 2018

Deux merveilles au Musée d'Art Moderne de Paris... Merveille n°1



Deux merveilleux artistes !


Comment ne pas être émerveillée par l'art, quand il vous touche, vous fait vibrer, vous donne à voir autrement, vous inonde de bonheur !

J'avais décidé d'aller revoir Jean Fautrier, un peintre que j'aime depuis longtemps, à l'occasion de la troisième rétrospective organisée par le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris en 50 ans. L'exposition est composée de l'importante donation qu'avait fait l'artiste juste avant sa mort, augmentée des œuvres exposées au Kunstmuseum deWinterthur (Suisse). L'enthousiasme m'a portée, son oeuvre est si belle, si forte, si émouvante, tout est beau chez lui ! Dès le début de la rétrospective, je m'exclamais (intérieurement) devant chaque tableau : à 20 ans il faisait déjà ça, comme c'est fort, puissant ! Des paysages, des natures mortes, vraiment mortes, dans l'ombre,  des personnages sans sourire,  habillés de sombre, cette photo de famille si grimaçante, immobile, quelle découverte, quelle présence... Voilà, c'est ça que je ressentais, une énorme présence, j'avais envie de dévisager chaque sujet, tant étaient intéressants, mystérieux, durs et surprenants à la fois, les visages fermés, les bouches closes des vieilles femmes, qui en disaient long sur la dureté de la vie, la fin peut-être ? Impassibles dans le bleu !


Trois vieilles femmes - (vers 1923) - J. Fautrier (1898-1964)


La promenade du dimanche au Tyrol - (Vers 1921) - J. Fautrier (1898-1964) (emprunté sur internet)

On peut même imaginer que, sans la donation au Musée d'Art Moderne de J. Fautrier peu avant sa mort, l'artiste resterait encore inconnu du grand public. Les "spécialistes" de l'art l'ont inventorié comme : inventeur de l'art informel, c'est fou ce qu'on peut trouver de mots pour qualifier une oeuvre, mots sans doute nécessaires pour mieux la classer, répertorier, lui donner du sens, mais la singularité de J. Fautrier ne s'efface pas facilement, et c'est tant mieux... L'autre joie suprême de l'exposition était le nombre très réduit du public devant les toiles, je les avais ainsi pour moi seule !

Quand je me suis trouvée, au début de l'exposition, devant quelques œuvres de jeunesse, j'ai été saisie, impressionnée, perdue : la Promenade du dimanche, notamment (huile sur toile, ne représentant que des femmes et des enfants). Quand on regarde les costumes, les beaux habits du dimanche, impeccables, les tabliers de satins miroitant sous nos yeux : c'est du grand art, époustouflant ! La beauté des moirés me fait penser à la virtuosité d'Ingres pour peindre les sublimes costumes satinés et soyeux des grandes bourgeoises de son époque. Avec le jeune Jean Fautrier (23 ans), les visages très bruts rendent compte de la vie à la campagne, de l’action du vent, des grands espaces, de la vie au plein air qui leur a mis du rouge aux joues. Les générations représentées sont expressives et bien trop sérieuses, mais la pose, c'est la pose, personne ne bronche, le portrait de famille va mettre du temps pour se montrer plus joyeux, plus naturel, plus complice, fantaisiste même, les gens vont finir par être heureux d'être là. Aujourd'hui, nous cherchons la spontanéité, les sourires, coucou, le petit oiseau va sortir, mais ici, et encore là, la photo de famille ne plaisante pas...

Il y a du tragique dans cette promenade du dimanche, la lumière exceptionnelle de Fautrier n'a pas cherché à enjoliver, il voulait sans doute se rapprocher d'une certaine réalité... Souvenons-nous de cette superbe photo qui m'avait tant impressionnée par sa composition et le sérieux des personnages, à la Maison Rouge, lors de l'exposition de la collection privée de Marin Karmitz  :


Photographie, magnifique portrait de famille (sérieux), dont je n'ai même pas noté le nom de l'auteur


Intergénérationnelle, sérieuse, la photo de famille ne se prêtait pas encore à l'amusement !

J'ai en tête la photo de mariage de mon fils aîné, il y a deux ans, au soleil de mai, sur les marches de la mairie, dans un ordre très dispersé, tout le monde (80 personnes environ) a le sourire, seule une jeune invitée, à l’extrême gauche de la photo, regarde son portable ! La corvée est devenu un plaisir d'être là...

Je peux vous assurer que devant "La promenade du dimanche au Tyrol", il se passe tout de suite quelque chose d'intense... La manière du jeune Fautrier m'avait accrochée, ferrée... Continuons...


Le glacier - (vers 1926 - 46 x 55cm) - Jean Fautrier (1898-1964)


Les fleurs noires ou les chardons noirs - (vers 1926 - 92X73cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Nature morte - (1925- 65 x 81cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Nature morte aux poires - (Vers 1927 - 60 x 73cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Cette période est appelée "période noire". Chardin était dès cette époque une grande source d'inspiration pour Fautrier. Avec ses tableaux, il rencontre ses premiers succès commerciaux, et deux grands marchands d'art (Léopold Zborowski et Paul Guillaume) s'intéressent à ses travaux... Fautrier est un peintre de "l'entre-deux-guerres", ses contemporains sont : Jean Arp, Marcel Duchamp, Max Ernst, Francis Picabia, Kandinsky, Pablo Picasso, Georges Braque...

Jean Fautrier fait cavalier seul... Avec talent !


Nature morte aux poisson (vers 1929 - 81 x 100cm) - Jean Fautrier - (1898-1964)

Quelle beauté, ses natures mortes, je comprends vraiment son admiration pour Chardin, mais je reparlerai de Chardin prochainement, j'adore ce peintre, quand je vais au Louvre, c'est souvent pour lui seul, mon chouchou !

Fautrier saisit avec art les matières, le velouté des poires, le mystère des fleurs dans le noir. Le panier, les oignons, les bouteilles sont posés là seulement pour le plaisir des yeux, ils pèsent leur poids de couleurs, d'ombre et de lumière, la pâte est épaisse, donnant aux formes représentées de la présence, du volume, et du moelleux. L'environnement sombre fait ressortir la douceur des fruits, la fraîcheur des poissons. Les objets si quotidiens, sans histoire, se révèlent sous nos yeux dans leur extrême simplicité, comme chez Chardin, en effet.

Fautrier est aussi un grand illustrateur. En 1928, il se prépare à collaborer avec les éditions Gallimard (sur une proposition d'André Malraux), pour une série lithographique de l'Enfer de Dante... Gallimard finira par annuler l'édition, jugeant les illustrations trop abstraites..

À partir de 1929, il ne gagne plus sa vie avec sa peinture (krach du marché de l'art, crise économique), il doit se recycler et devient hôtelier et moniteur de ski dans les Alpes savoyardes. Il revient à la peinture à la fin des années 30.

En 1942, il reçoit une commande pour réaliser des illustrations pour deux ouvrages de poésie, de Robert Ganzo et Georges Bataille.

J'ai regardé une courte vidéo, un entretien où J Fautrier ne dit pas plus de choses sur sa peinture que ce que vous y voyez : la beauté et l'émotion. Apercevez les formes d'objets usuels qu'il laisse entrevoir dans ses couleurs épaisses et pourtant translucides et si délicates, ses paysages si sensibles, si nuancés, à vous de les voir... J'avais envie de tout photographier, j'allais d'une toile à l'autre, comme une touriste japonaise qui ne veut rien rater, rien laisser, tout me plaisait, je voulais tout emporter... Absurde !


Paysage (1940 - 22,5 x 25 cm) - Jean Fautrier - (1898-1964)


Paysage (1940 - 32,5 x 45 cm) - Jean Fautrier (1898-1964)


Paysage  (arbres - 1941 - 59,5 x 92 cm) ) - Jean Fautrier (1898-1964)


Le quartier d'orange (1943 - 27 x 35 cm) Jean Fautrier (1898-1964)


Et puis, vers la fin de sa vie, le dessin abstrait apparaît, et se caractérise par une simple évocation du sujet, et une présence d'une grand précision, il veut tout peindre...


Son petit cœur (nu) - (1963 - 115 x 150cm) Jean Fautrier (1898-1964)


Sans titre 


 Sans titre (1963 - 49,60 x 64,50) Jean Fautrier - (1898-1964)

J'ai perdu l'urgence des titres, je n'avais plus envie de savoir, il me restais à regarder de tous mes yeux, ça me suffisait, je ramassais une à une les couleurs, les assemblages, les impressions... Sans me soucier des noms, des dates, des lieux, des dimensions... J'avais mis par dessus tout l'admiration !


Jean Fautrier (1898-1964)


Jean Fautrier (1898-1964)


Jean Fautrier - (1898-1964)

C'est ainsi que j'ai fini le parcours, seulement avec les yeux... Inutile d'en dire plus, l'oeuvre était là, elle parlait d'elle-même... Moi, elle m'a saisie, j'ai refait toutes les salles, je suis revenue aux périodes noires avec le même appétit, la même curiosité, le même emballement !! À vous de voir...

Cher amis, prochainement la deuxième merveille du Musée d'Art Moderne, une surprise intense !!! À très vite...

dimanche 1 avril 2018

Le déménagement ... En Avignon...


La performance (1) d'un déjeuner (2011) au jardin

On s'en va ! La décision est tombée nette, ils quittent la grande maison, le jardin, les figuiers, c'est bouclé, signé, vendu, acheté, ils quittent l'extra-muros... C'est là que j'ai eu les larmes aux yeux... Voyons, Danielle, ce n'est pas toi qui déménages, qui quittes le jardin plein de moustiques, des tigres, qui piquent comme des sauvages dès que tu mets le nez dehors !

L'idéal n'existe pas, il n'existera jamais, il faut continuellement s'adapter à la réalité, et c'est ce temps d'adaptation qui s'appelle souvent : le regret, le chagrin, qui peut aller jusqu’à la grosse déprime, si on n'y prend pas garde...

C'est vrai, ce n'est pas moi qui déménage, mais je l'ai connue depuis tant d'années, cette maison, avec le plaisir de la visite, des vacances, du beau temps, du ciel bleu, et du jardin. Chaque fois que j'y pensais, j'emportais un bouquet de laurier, accroché à son bout de ficelle dans ma cuisine : pendant des mois, il me faisait penser à la maison d'Avignon, à eux, mon frère, ma belle-sœur, le chien, le chat, et quelque fois même un merle tombé du nid que ma belle-sœur nourrissait au biberon ! La petite nostalgie, le spleen... Je ne sais pas, mais de la tristesse, sans nul doute... Mais c'est peut-être moi qui la porte à l'intérieur...

Les bons arguments, il y en a des tonnes... Le jardin ? Mais on ne peut plus y aller : la chaleur, les moustiques, et le bas du dos qui crie dès qu'il faut jardiner, ce n'est pas toi, Danielle, qui jardines ! On ne peut plus faire de fêtes dehors le soir à la fraîche, tellement on se gratte les jambes sous la table. La dernière fois, ils avaient mis des photophores sous la table, près des jambes, pour faire du bien : on avait peur de se brûler et on se grattait quand même...

Oui, oui, c'est vrai, maintenant la grattouille, les piqûres gagnent du terrain... C'est au fond de moi que ça se passe !

Oui, mais le matin, on pouvait quand même petit-déjeuner dehors, avant le grand rush des moustiques. Mais c'est vrai, maintenant la terrasse est totalement tordue, à cause des racines du figuier qu'ils avaient planté il y a quelques années, il a pris tellement de hauteur, une telle envergure, qu'il fait à présent valser les grandes dalles de pierre sous la table. Il donnait des figues magnifiques, chaque matin, il suffisait de lever les bras pour déguster ses grosses noires... Ma belle-sœur, grande confiturière, ne pourra plus saisir ses figues, même celles qui poussaient très haut, elle avait tout prévu et allait les chercher avec une grande perche au bout de laquelle il y avait un petit sac en tissu qui les recevait délicatement. Mais elle ira chez ses amis... Danielle, voyons, c'est chouette aussi d'aller cueillir des fruits bien mûrs entres amis, les grands paniers seront de rigueur, ça sera joli comme tout, et les confitures seront aussi bonnes, sinon meilleures, avec l'amitié en plus... Il y a toujours plus de fruits que de pots de confitures à remplir... Tu le sais bien, oui, mais c'est au fond de moi que je sens du vide...


Performance (1) d'un matin (2011) au jardin, étape 1

Je me suis baignée souvent dans le spa qu'ils avaient installé au fond du petit jardin : avec la minuscule échelle, on enjambait le bord, l'eau était toujours à température ambiante, il y avait des bulles qui jaillissaient de partout, on bavardait, c'était un lieu de conciliabules... Je me souviens des serviettes de bain, et des maillots qu'on faisait sécher sur le dos des chaises en métal, l'été...

Le voisinage était silencieux, pas de radio, pas de télé intempestives, il n'y avait pas non plus les grands immeubles d'aujourd'hui qui vous regardent un peu de travers derrière les arbres hauts et dénudés de l'hiver.

C'est comme ça, la nostalgie, on ne peut pas bien l'expliquer, on la ressent comme un vide, un passé victorieux sur l'avenir... Au début... Après, on est dans l'avenir... C'est l'attente qui rend triste...

Il y avait bien quelques petites herbes au fond du jardin, dans un grand bac, toujours un peu sec, inondé de soleil : verveine citronnée, basilic, thym... Oui, d'accord, et la pisse de chats, tu y penses, Danielle ? Non ! La pisse de chats, je n'y pensais même pas, je lavais bien les herbes, c'est tout !..

Moi aussi je fais comme ma belle-sœur, je vais chercher mes souvenirs dans un petit sac d'été... Mais il n'y a que moi qui fais ça, eux, ils sont heureux comme tout de déménager, la décision s'est prise avec enthousiasme, du neuf, de l'avant, du changement, de la déco en perspective... Où va-t-on mettre les œuvres d'art de mon frère, les verreries et ceci et cela, toutes leurs choses accumulées pendant des années ? Il y a des grands placards qui les attendent... Oui, Danielle, comme tout le monde, toujours beaucoup plus à la sortie qu'a l'entrée... Où va-t-on mettre ceci et cela ? Pas de problème, dit mon frère, il dit toujours : pas de problème... Il trouve toujours une solution... Mais moi, où vais-je mettre mes regrets, mes souvenirs, les années passées dans le petit jardin ? Arrête, Danielle... Pour s'amuser, mon frère disait : bon, vous ne savez pas, on va disposer des tabourets à la grille du jardin et de temps en temps, on viendra s'asseoir devant, pour pleurer, en souvenir... Et tout le monde riait... Ils avaient pris la bonne décision...


Performance (1) du matin, étape 2, avec salto avant de la cafetière

Pour les animaux, ça sera moins rigolo. Le chien ? Il faudra le sortir trois fois et plus par jour. Pas de problème, dit mon frère, j'aime bien marcher, c'est bon pour la santé de faire le tour du pâté de maisons en toutes saisons. Bon, le chat ? Aucun problème, il ira gambader sur les toits d'Avignon, le voisin fait ça avec le sien, ça marche très bien. Voilà pour les animaux, c'est réglé au cordeau... Mon frère et ma belle-soeur seront dans la ville à pied d'oeuvre, pas besoin de prendre la voiture pour aller au cinéma, au théâtre, aux expos, prendre un pot, manger une glace, regarder les passants qui passent... Oui c'est vrai, ça sera vraiment bien pour moi aussi, je pourrais à tous moments partir prendre des photos, je suivrais le soleil dans tous les coins, comme le marin sur son bâteau...

(1) Performance : Débarrasser d'un seul coup la table, sur un seul petit plateau, c'était toujours mon frère qui réalisait cette oeuvre d'art !



Avant que le figuier ne soit devenu énorme

J'ai fait le tour de la maison de l'intérieur, je regardais chaque espace d'un œil humide, c'est la dernière fois, dernière fois que je monte l'escalier de la mezzanine, dernière fois que je regarde l'atelier de mon frère : un coin seulement, Danielle, un coin d'artiste, n'exagérons pas, ça s'installe n'importe où... Mon frère travaillait dans n'importe quelle circonstance... Oui, c'est vrai, mais... Assez, Danielle, avec les mais... C'est sûrement de moi que ça vient, ce petit spleen...


Un coin droit de l'atelier (2018)


Le coin gauche de l'atelier en 2009



Le même coin en 2018, y'a pas à dire, ça sent le départ...

Vous vous rendez compte, la prochaine fois que j'irais en Avignon, je serais directement en ville dans un magnifique appartement, avec mezzanine pour moi toute seule, une suite de luxe, sans moustiques... Quelle chance ! Mon frère m'a dit : tu auras la clé, tu pourras faire comme chez toi, un deuxième chez toi...

J'en ai les larmes aux yeux, mais je ne suis pas vraiment sûre que ce soit de la joie, ça doit venir de moi...

Eux, ils sont tellement resplendissants de joie, ça va déteindre sur moi, c'est sûr, il suffit d'attendre les belles couleurs de l'été ou de l'automne...

Mes amis, la prochaine fois, je vous parle des deux magnifiques artistes que j'ai vus au Musée d'Art Moderne de Paris... Ne quittez ni mes lignes ni mes photos ! À très vite...


mardi 27 mars 2018

Le voyage en Avignon... Promenades en ville (courte rétrospective), au musée Calvet (3)


Avignon, 15 juin 2013 - 15h

J'ai retrouvé cette photo prise un jour de juin (2013) dans la ville, un brocanteur avait arrangé son étal avec goût, je l'avais trouvé joli, et je m'en suis souvenu des années plus tard. "Promenades en ville", le sujet se prête bien à un petit retour en arrière, je me suis dis : tiens, voilà l'occasion de ressortir les photos que j'aime, depuis le temps que j'arpente Avignon, j'ai fait un premier tri...


Juin 2012, à l'ombre


Juin 2014, à l'ombre


Juin 2014, à l'ombre du Palais des Papes


La cour tranquille du Petit Palais, 2011


2014, la course...


2013, Les fleurs dans la ville


En 2013, j'avais fait beaucoup de photos, devant le Palais des Papes


Le beau retable des Doni, XVIe siècle, l'Annonciation de l'église Saint-Agricol qui fait mon admiration à chaque fois


2011, camion de déménagement, bourré à bloc !

Bon, allez Danielle, le musée Calvet, tu y arrives ? Oui, bien sûr... Durant toutes ces années en Avignon, je n'ai connu que des joies, que j'aille dans les rues pleines de touristes, ou carrément en hiver, dans la ville déserte. Souvent, je ne pensais pas à prendre des photos, je faisais attention où je mettais les pieds, sur les galets des rues piétonnes belles mais dangereuses, attention aux chevilles ! J'allais le nez au vent, je me perdais, je faisais plusieurs fois le tour du pâté de maisons, par les petites rues trompeuses, pour me retrouver au point de départ... L'été dans le petit jardin de mon frère, quand il n'y avait pas encore tous les moustiques qui attaquent maintenant, nous restions à bavarder à la fraîche, jusqu'à la tombée de la nuit... Nous remettions toutes nos pendules à l'heure, nous remontions plusieurs fois le cours du temps... On mettait des bougies pour éclairer nos yeux, nos voix, c'était bien. Pendant des années, il n'y eut pas les grands immeubles qui se sont construits dernièrement, derrière le petit jardin, l'urbanisation engloutissait un à un les derniers carrés d'herbe au-delà des remparts, la ville s’étendait, plus de voitures, plus de bruit, plus d'âmes...

Bien, j'y viens, le musée Calvet : un peu d'histoire, tirée directement sur le site du musée, qui peut mieux faire ?  L'Hôtel du musée date du 18e siècle, il appartenait  à un conseiller de la ville : Joseph-Ignace de Villeneuve-Martignan, ruiné en en 1754, ensuite il passera de mains en mains. La ville d'Avignon le rachète en 1833, elle y transfère le musée Calvet (existant), à l'étroit dans ses locaux.. 


L'Hôtel aujourd'hui, après des travaux de rénovation,  est resté dans un état très proche de celui dans lequel il était au 18e siècle.

Dès l'entrée, la grande salle remplie de sculptures blanches, me fait penser à la scénographie du musée du Louvre, en plus modeste, c'est splendide ! Par les fenêtres on peut apercevoir le jardin, "les grands arbres du jardin » déjà célébrés par Stendhal, en 1837.




Le grand hall d'entrée dans le Musée

Les quatre grands platanes dénudés, admirables, étirent leurs branches imberbes jusqu'au ciel.











Les grands platanes magnifiques

J'ai été tellement impressionnée par la beauté de ces arbres que j'ai couru partout pour les saisir en entier, j’attendais aussi fébrilement un rayon de soleil, un bout de ciel bleu, difficile de tout réunir, l’exiguïté de la cour gênait mes mouvements, impossible de les prendre de la tête aux pied, mais pas question de quitter le jardin sans les emporter avec moi.

Impossible non plus de visiter ce grand musée en entier le même jour, à moins d'avoir de bonnes jambes, jeunes et bien galbées, et une bonne tête... Mais le projet reste irréaliste, car le musée propose des collections qui englobent la préhistoire, l'antiquité, les dessins et peintures du XVIe au XXe siècle, sans compter les expositions temporaires. Vous voyez, une visite s'impose avec plaisir au musée, à chaque séjour...

Je ne vais pas tout vous raconter, ni illustrer ce que j'ai vu, je vais aller directement au tableau qui a retenu toute mon attention, vous savez, le petit joyau que vous découvrez par chance dans des grandes collections que vous parcourez au pas de promenade, tellement il y en a... Mais ce petit tableau m'a fascinée par sa beauté :






Osias Beert - Anvers, 1580-1624 - Citrons, grenades et branches de citronniers dans une coupe de porcelaine de Chine posée sur un entablement


J'ai pourtant essayé de prendre la photo avec l'appareil photo et puis mon téléphone portable, pour tenter d'éviter le reflet de l'éclairage artificiel, et restituer la réalité chromatique de l'oeuvre... Rien à faire, ça donne seulement une idée de la virtuosité et du bonheur d'avoir rencontré ce petit tableau si beau, plein à craquer de fruits. Il faut que je travaille ma technique focale...



Détails, je n'y ai pas résisté non plus


En photographiant ces détails dans le sens de la hauteur, j'ai pensé tout de suite à l'écran de veille de mon portable... "Un peu d'art en plus", chaque fois que je l'ouvre...

Par la fenêtre du 1er étage, j'ai aperçu l'ancienne porte d'entrée de l'Hôtel, conservée avec toutes ses broderies et ses fleurs en pierre...


Un petit bout de la porte arrière

La prochaine fois, j'ai bien envie de parler de ma visite au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris, qui m'a réservée de très belles surprises, juste avant mon départ en Avignon... Revenez...