samedi 27 juillet 2024

Mort et enterré depuis longtemps, je découvre : Jürg Kreienbühl et ses paysages périurbains (1953-1978)

 


Jürg Kreienbühl  (1932-2007) - Banlieue parisienne - 1966 -Huile sur isorel

Dans ce paysage, les réserves de gaz ressemblent à des grands pots de confiture, le ciel par dessus tout ça dessine d'immenses paysages insolites, les nuages poussés par le vent s'avancent comme des bataillons de coton... L'horizontal du premier plan, où brille l'eau de la rivière, met en valeur les verticales énergiques du second plan. Le peintre s'est bagarré avec le paysage et nous le livre en marche, dans toute sa splendeur et son effervescence.

Découverte au détour de mon chemin, dans une galerie du Marais, cette peinture m'a subjuguée, non seulement le talent incroyable de l'artiste est palpable au premier coup d'œil mais de surcroît, le choix de ses sujets est impressionnant  : la banlieue parisienne en construction dans les années 50/70. Et quelques plantes vertes, des fleurs... Tout est somptueux à mes yeux !

Ce peintre est une véritable découverte pour moi, mort il y a une petite vingtaine d'années, à 75 ans. Il avait la double nationalité suisse/française, en 1951 il abandonne sa formation scientifique pour faire de l'art, et entre à l'école des Beaux-Arts, il a 19 ans ! Pas question encore de vivre de son art, il fait donc, en parallèle, peintre en bâtiment. En 1962 (30 ans), il arrive à Argenteuil, puis Cormeilles-en-Parisis... Revient dans la région parisienne et peint les bidonvilles...

Ce sont ses peintures des bidonvilles et des constructions neuves des années 50/70 qu'exposait la galerie parisienne que j'avais dénichée. Heureuse de la découverte, tout me plaisait, les sujets alliés à  la beauté de la palette, ce peintre faisait feu de tout bois : cimetières, décharges à ordures, bidonvilles, cadavres d'animaux... Enfin bref, il avait l'œil sur tout, et rendait merveilleusement beau et émouvant ce qui pouvait apparaitre à tous comme moche et sale. Je l'ai aimé du premier coup d'œil ! Sa peinture était à l'évidence d'une grande audace, au bout de ses pinceaux il tenait une baguette magique. Ah, c'était comme ça les bidonvilles, d'immenses cloaques, des habitations insalubres ou très vétustes ! 

1970, c'est exactement l'âge de la tour que j'habite encore actuellement en banlieue Est, construite sur des jardins et des maisons délabrées... Qu'on regrette presque aujourd'hui, surtout les jardins ! Tellement le périurbain est devenu difficile à vivre maintenant, trop de bruits, trop de béton, trop de gens, trop de voitures, les arbres et la nature, on y pensera trop tard !!! Nouvelle vie, nouvelles pratiques...


Bidonvilles et logements neufs dans les années 60 - Huile sur toile - Jürg Kreienbühl 


Les constructions nouvelles en banlieue - 1959 - huile sur toile - Jürg Kreienbühl 

Ici, au premier plan, les gravats sont comme une mer du Nord, les vagues blanches se battent avec les  petites baraques jaunes et bleues, je ne sais pas si la tristesse l'emporte sur l'élégance chromatique de l'ensemble, l'artiste m'émerveille... Il n'y pas de mauvais sujet, il y va de son art pour nous montrer le monde, et c'est l'émotion qui vous gagne !


Le cimetière de Neuilly (1981) et la décharge publique, au loin les tours Aillaud (aussi appelées : Nuages, constructions labellisées patrimoine du XXe siècle) de Nanterre (tours en pleine rénovation actuellement dans la rue Pablo Picasso) - Jürg Kreienbühl 

Jamais je n'avais vu ces tableaux extraordinaires, les couleurs de la décharge publique frappent dès le premier plan et se transforment en palette de peintre ! Jürg réussit l'impensable, créer l'harmonie avec les déchets, les tours "ennuagées", trop hautes ? Nées des jardins et des terrains vagues, début de nouvelles vies derrière les morts... Les verticales et les horizontales s'unissent avec la puissance de l'artiste. Il nous surprend avec ce paysage en construction, c'est beau, très beau !


La Défense -1966 - acrylique - Jürg Kreienbühl 

Encore une toile qui fait mon bonheur, celle de l'artiste sûrement, il aimait à circuler en vélo dans ces banlieues en construction, si honnies aujourd'hui. Comme il a eu raison de poser son chevalet au bord de l'eau, il bouscule notre regard jusqu'au grand couvercle en verre de la Défense, les réserves de gaz encore très présentes, les petites maisons ouvrières, beaucoup de travailleurs immigrés les ont construites, comme dans mon quartier... Pourtant, ces belles œuvres sont restées lettre morte, elles n'ont pas eu l'heur de plaire à ses contemporains.

"Quelle a été la postérité de l'artiste ? De son vivant, aucun critique d’art français majeur n’a écrit sur lui, aucun marchand français ne l’a exposé, aucun collectionneur français ne lui a acheté d’œuvres. Il y a très peu de toiles qui sont entrées dans les musées". Quelle tristesse, il y a des injustices, des regards méprisants jamais réparés, il a laissé une œuvre considérable derrière lui... Je suis heureuse de l'avoir rencontré au hasard des visites de galeries... Une grande  chance !!

Quelle présence, quel regard fort, tendre, talentueux, il parait qu'il avait établi son atelier dans un vieux bus déglingué de Bezons...


Nature morte avec cuvette et draperie au crochet -1954 - Jürg Kreienbühl  
 Cette œuvre extraordinaire a été (enfin) achetée par le centre Beaubourg en 2021 !!! Je ne l'ai pas encore vue je vais m'y précipiter avant la fermeture pour travaux du musée (photo empruntée sur Internet)


Déchets cimetière de Neuilly - 1978 - Jürg Kreienbühl (photos empruntée sur internet)

Monsieur Jürg Kreienbühl, je vous aime, presque vingt ans après votre mort, je vous aperçois et je vous regrette, vous êtes un grand poète et un peintre hors du commun, de la catégorie des grands ! Revenez ! Il est temps de vous fêter ! Je vous salue avec admiration !


les hortensias - 1953 Huile sur toile -  Jürg Kreienbühl - (1932-2007)

Mes amis, excusez les mauvaises nouvelles en ce moment, je voyages parmi les artistes morts trop tôt, ou connus trop tard !!!

À bientôt, portez-vous bien, le mieux possible, ainsi va la vie, je vous embrasse...

lundi 22 juillet 2024

Bill Viola est mort, hommage à ce grand artiste américain !


        Jacopo Pontorno ((1528-1529)                                   "La Visitation" vidéo (1995) - Bill Viola   


 "La Visitation" (vidéo - 13 mn - 1995) - Bill Viola (1951-2024)

Bill Viola vient de mourir à 73 ans de la maladie d'Alzheimer !! Comment est-ce possible ? Bill Viola, ce merveilleux vidéaste américain que personne ne surpasse, indépassable, une perte considérable dans le monde de l'art. J'en pleurerais, j'en pleure, tellement son œuvre a rempli mon cœur, mon esprit, touché ma sensibilité, la beauté, la profondeur de ce qu'il a développé dans ses vidéos est immense ! Qui n'a pas vu une de ses œuvres ne se doute même pas de quoi je peux parler... Comme si vous ne saviez pas que la Joconde existe, et encore... La Joconde n'est pas le tableau que je préfère de Léonard.

J'avais découvert peu de temps après sa création une vidéo  exceptionnelle : "La Visitation", qui touchait au sublime ! Projetée sur très grand écran mural, installée dans l'église Saint-Eustache, dans le quartier des Halles de Paris, je ne suis pas prête d'oublier l'empreinte qu'elle laissa en moi : stupéfaction, éblouissement, émotion et beauté...  Vous pouviez admirer "La Visitation" tout le temps que vous vouliez, puisque la projection, qui se faisait en continu, durait 13mn à chaque passage. 

L'œuvre consistait à reproduire/créer la rencontre de la Vierge Marie et de sa cousine Elisabeth, plus âgée, toutes deux enceintes respectivement de Jésus et de Saint Jean-Baptiste (inspirée du tableau de Jacopo Pontormo, 1528-1529, peintre de la Renaissance). Pendant tout le défilement de la rencontre, on percevait un léger bruissement de paroles incompréhensibles. À vous d'imaginer ce que ces deux femmes pouvaient se dire !! J'avais fait venir toute ma famille pour voir la Merveille dans l'église Saint-Eustache... Il n'y avait pas foule... J'y suis retournée tous les jours que dura l'exposition. J'en ressortais à chaque fois admirative, émue et chanceuse d'avoir cette œuvre à ma portée.

D'exposition en exposition, j'ai suivi Bill Viola partout où je pouvais, et bien sûr, lors de la très grande rétrospective sur écrans géants au Grand Palais (2014) : belle, à tomber raide, je courais d'une vidéo à l'autre avec enthousiasme, ébahissement. J'ai cherché à voir ses œuvres à la bibliothèque de Pompidou, ses vidéos, visibles sur un petit écran d'ordinateur, faisaient vivre encore et encore de grandes émotions..  Partout on disait de lui qu'il était le père de la vidéo naissante :

"Il exploitait la vie comme matière première, et voyait la mort comme une simple transition. Considéré comme l’un des pionniers de l'art vidéo, l’Américain Bill Viola a été retrouvé inanimé ce vendredi 12 juillet, chez lui, à Long Beach, Californie, des suites de la maladie d’Alzheimer, dont il était victime depuis 2012. Il avait 73 ans, et c’est évidemment une perte considérable pour le monde de l’art qui pleure la disparition de l’un des grands noms de la scène avant-gardiste, très tôt intéressée par l’idée de nouer un lien fécond avec les technologies numériques, Bill Viola lui-même disait être « être né avec la vidéo »." (Fisheye immersive)

Bien sûr je n'ai pas retrouvé la vidéo de "La Visitation", mais j'espère que vous en aurez une (très petite) idée avec mes arrêts sur images et mes explications... La vidéo, au ralenti, aussi légère qu'un battement d'ailes de papillon, lente comme un escargot, changeait imperceptiblement le déroulement de la scène regardée, chaque poussière de temps chamboulait tout sous nos yeux, les images bougeaient dans un espace et une vision inconnus. "La Visitation" pleine de douceur, tendresse et beauté, se vivait in situ, je ressentais l'émotion de cette rencontre, je ne m'en suis jamais lassée, ni remise, comme un enfant qui voudrait qu'on lui raconte encore et encore la même histoire à l'infini, tellement c'est beau et émotionnant ! Le décor minutieux, travaillé sans doute comme une dentelle, nous donnait à voir l'invisible : le passage du temps, visible à l'œil nu, qui transformait tout sur son passage, sans fin, pour se renouveler sans cesse, au gré de notre patience et notre plaisir... Ce prodige me laissait toujours sans voix. le cœur battant ! Impossible d'oublier la place de Bill Viola dans mon histoire de l'Art !

Comment imaginer que Bill Viola ait pu être touché par cette maladie des absences, des effacements... Il n'est plus là pour nous éblouir de ses images, si lentes, si réflexives, si somptueuses, ce grand maitre va tellement manquer à la vie de l'Art...





Quelques suites d'images, prises au cours du déroulement d'une vidéo de Bill Viola, à la rétrospective du Grand Palais en 2014. Une beauté époustouflante !


Bill Viola (1951-12 juillet 2024)

Bill Viola n' a pu créer aucune œuvre depuis la grande rétrospective du Grand Palais en 2014 ! Au revoir !

Mes amis, portez-vous bien, le mieux possible ! Je vous embrasse... À bientôt !

samedi 13 juillet 2024

Les impatients, et des couleurs vers la place d'Aligre..

 La cour/jardin de l'hôpital Tenon

Une belle journée ensoleillée, un rendez-vous inattendu, des rencontres originales et chaleureuses ! J'allais à cette journée "pulmonaire" (proposée par mon médecin) pour creuser la question de mes poumons, "mes poumons, vous dis-je"...

Dans les poumons, c'est fou ce qu'il se passe comme trucs indispensables pour leur permettre d'assurer leur vocation respiratoire, il faut voir de plus près avec les rayons X, supposer, examiner, comparer : analyses, examens, courses à pied dans les couloirs pour mesurer l'essoufflement, etc... Au bout d'un moment : arrêt buffet, pause, le casse-croûte s'impose, ou plus légèrement, la petite collation proposée par l'hôpital... On se sentait comme des coqs en pâte, du thé ? Du café ? Un petit biscuit ? On s'était retrouvé un petit groupe "en examens pulmonaires", assis tranquillement dans cette salle des familles pour manger un petit quelque chose !

La salle à manger

Les impatients :

Nous avions commencé notre attente à ne rien dire, chacun absorbé dans ses pensées, et puis j'ai  fini par parler avec ma voisine, d'un rien, d'un merci, comment allez-vous, discussion d'ascenseur... Elle mangeait un sérieux sandwich maison, elle accompagnait sa maman... Et bien sûr, de fil en aiguille, elle m'a raconté ce qu'elle faisait pour oublier toutes les douleurs que lui donnaient sa maladie, une énorme maladie neurologique qui lui barrait la route de sa vie... "Je fais de la broderie avec des petites perles collées", passionnée, elle me montra aussitôt toutes les photos accumulées dans son téléphone, magnifique, félicitations, c'est superbe ! Nous voilà à parler copieusement de toutes ses activités créatives faites avec enthousiasme, qui lui faisaient passer l'idée même de douleur : je pense à rien, je suis bien, toutes mes douleurs disparaissent... Elle me raconta qu'elle achetait tout son matériel sur internet, je lui posais toutes les questions qui me venaient pour en savoir plus... Elle racontait très bien tous ses moment de bonheur ! Sa maman, qui mangeait également un gros sandwich copieux, dit à la cantonade : moi je fais du crochet, j'adore ! Elle était sous radiothérapie pour un nodule au poumon, un peu comme tout le monde ici. Je voyais à vue d'œil que la fille était très fière de sa mère ! Elles s'accompagnaient...

Bravo, et que faites-vous au crochet ? Des napperons, des petits vêtements... Mais maintenant j'ai un peu plus de mal car je suis fatiguée... Ça va revenir, ne vous inquiétez pas, ne vous arrêtez pas, ça fait du bien...

Le beau jardin de l'hôpital composé par un seul jardinier

Nous en avions définitivement fini avec nos nodules respectifs, à nous les activités créatives ! Et vous monsieur, c'est quoi vos activités ? Moi, j'élève des chardonnerets... Ébahissement général : ah bon, racontez-nous ! Et le voilà qui devient intarissable sur l'élevage de ces oiseaux rares et chantants (commerce interdit ou très règlementé), il tire  immédiatement (à notre demande) l'album photo de son appareil photo, des vidéos en pagaille, tous les impatients se penchaient dessus à tour de rôle, quel beau moment. Ce monsieur avait commencé son récit avec l'histoire de son métier, plombier : ça fait 40 an que je fais ce métier, ça me plait encore, mais je suis à la retraite forcée, j'ai mal partout ! Aux chants des oiseaux notre conversation avait un charme fou...  Je découvrais tout un monde enchanté ! La dame la plus silencieuse s'est levée, moi je fais du chant dans une chorale (j'ai senti le point commun)... Ah oui ? C'est quoi votre répertoire, votre voix ? Des beaux chants qui viennent de partout, je suis alto depuis toujours, très beau alto, vous êtes nombreux ? Oui, une trentaine, la chance ! Moins d'hommes que de femmes, beaucoup moins d'hommes, c'est partout comme ça, je chante depuis trente ans (comme moi) sur tous les tons, dans toutes les langues, c'est formidable, ça m'aide drôlement à vivre, pour rien au monde je ne quitterais ma chorale. Je pensais : t'as bien raison, madame ! Cette dame avait plusieurs tours de main dans son sac, elle cousait pour ses petits-enfants de magnifiques vêtements de toutes sortes, du pyjama aux petites robes et pantalons, des merveilles, photos à l'appui, elle était douée pour tout ! Bravo !

Le petit square juste devant l'hôpital Tenon

Plus personne ne parlait de ses nodules, douleurs, points noirs, respirations courtes, on était partis sur autre chose de bien plus beau, l'aide à vivre le réel, en gardant la passion, le sourire et l'avenir ! Les exploits des impatients se racontaient à la pelle...

Et vous monsieur, c'est quoi vos activités créatives ? Il n'avait encore rien dit, dormait d'un seul œil, la tête penchée sur le dossier du fauteuil, les oreilles bien ouvertes, il semblait très fatigué, car il répondit tout de suite : moi je ne fais rien de mes dix doigts, je fais du sport. Ah bravo, c'est beau ! Quoi comme sport ? Du vélo, de la course à pied... Superbe, fit la foule ! Ici personne n'était scotché à son wifi, on se parlait avec enthousiasme, on s'encourageait, se félicitait, il y avait comme un élan participatif du petit collectif des impatients, une autre dame arriva, et vous madame c'est quoi le secret de votre bonne humeur, pas une manuelle, mais elle en connaissait un rayon sur les chardonnerets, nous avions trouvé notre conférencière !!

La personne suivante, s'il vous plait ! Madame X, vous pouvez me suivre... Et chacun de nous allait à son tour remplir sa journée d'examens pulmonaires... La petite salle d'activistes créatifs se vidait peu à peu avec le sourire !

La journée terminée, il m'a suffit de repasser par le jardin d'en face pour retrouver ma liberté, mon temps libre, les examens seront examinés plus tard... Pour l'instant, je peux aller me promener... C'est le quartier d'Aligre (Paris 12e) que j'avais choisi sans hésiter, pour revoir toutes les couleurs, la poésie de la ville de Paris.

Vers la Place d'Aligre (Paris 12e) :


Le petit magasin toujours fleuri

Le gros arbre de la place du marché d'Aligre

Le petit passage de la Main d'Or, repeint à neuf ! Rue du Faubourg Saint-Antoine



Dans le petit square Trousseau, les très beaux restes du graff d'après Botticelli : réalisation "Les murs ont des oreilles" (2024, derrière le placard à balais, et le local poubelle... L'ancienne loge du jardin...


Au début... En juin 2022


Près du kiosque à musique, ce petit garçon perdu qui attend qu'on le retrouve...

Voilà pour la reprise de mon blog mes amis, mes pas m'ont portée dans des tas d'endroits, l'âme en peine ou le cœur joyeux, au gré des jours qui passent dans le calme ou la colère !

Gardons l'espoir de jours meilleurs... À la prochaine, avant mon grand retour dans l'Indre, mon vélo m'attend, mes amis, les discussions vont aller bon train, ça va tanguer...