Le petit tas de bois
Il tapait tant et plus sur le billot pour briser les bûches ! Et que je tape et que je te retape, rien à faire celle là ne se fendait pas, pas du tout : Danielle, s'il te plait, tu peux aller me chercher le coin ? Il ne voulait pas lâcher la hache... Il est juste là ! Je l'avais aperçu près de son vélo qu'il prenait tout le temps pour faire les allers et retours entre le garage à bricoler et sa maison, il y a encore quelques années, il faisait tout à pied... Fièrement, je lui tendis la pièce en fer. Bon, ça va aller tout seul maintenant ! Mais la bûche ne voulait rien savoir, elle ne s'ouvrait pas, punaise, à part apporter le coin, je ne pouvais rien de plus pour lui, il fallait de la force... Donnez l'ami, je vais essayer ! A dit un homme de sa connaissance qui passait par là, plus grand, plus jeune, pas forcément beaucoup plus fort, mais surtout plus jeune, plus robuste. Il affichait un sourire amical, respectueux, ils se connaissaient depuis longtemps et bien sûr, l'un avait toujours été plus jeune que l'autre... Jamais ils ne s'étaient mesurés sur le champ...
En un coup sec, paf ! La bûche fut cassée en deux, bravo !
Le coin
Je regardais toute l'action depuis le début, mon ami qui frappait, frappait sans rien obtenir, le bois était pourtant sec comme du foin séché au soleil, rien à faire, je me disais, tiens il n'y arrive pas, il n'y arrive plus comme avant... Tout au long du séjour, j'avais remarqué que les outils de jardinage restaient dans le chemin plus souvent, plus longtemps que d'habitude, ils n'étaient plus rangés séance tenante après l'effort, ça arrivait qu'ils passent la nuit à la belle étoile... Demain, il fera jour ? J'avais déjà mon idée là-dessus... Pourquoi demain ?
L'attente...
Le temps s'allongeait entre la fin de l'action et le rangement, je me disais : il se presse moins, il accepte d'attendre le lendemain, il laisse un peut traîner, il prend son temps... Les autres années, je courais dans tous les sens pour prendre rapidement la photo, tellement il allait vite, même si rien ne le pressait pour tout faire en un temps record. Mais maintenant, je pouvais revenir à tout moment, avec tous mes appareils, j'avais mes chances de retrouver dans le jardin les cailloux du Petit Poucet. Un soir, j'ai ramassé sa veste de travail qui avait glissé de la petite table du jardin. Ma petite idée se confirmait, me faisait de la peine ! Les chutes du Niagara coulaient en moi...

Je connaissais le pourquoi du comment, je connaissais tous les secrets de ces moments d'attente... Vous l'avez, je pense, sûrement deviné vous aussi ? Depuis le temps que je venais dans le Berry, les années passaient pour lui comme pour moi... Pour lui, tout se faisait au grand jour, à découvert : tondre, couper la glycine, les haies, le bois, ramasser les feuilles, faire le jardin, surveiller la petite vigne... Nous vieillissions ensemble, moi je faisais tranquillement les promenades, les photos, je lisais des livres, faisais un peu de vélo, bavardais aux pauses, près des haies, au potager, au poulailler, je le suivais à la trace, je taillais la bavette, j'étais beaucoup moins fatiguée que lui, je pouvais donner facilement le change... Rien ne me pesait, pas d'urgence, rien à faire. Ranger, préserver, arroser, soigner, planter, ramasser, entretenir la propriété... Tout le plus dur était pour lui ! Nous étions exactement du même millésime... Presque du même jour !
Il faut penser à tout
Alors, en regardant la scène de la bûche qui ne voulait pas se fendre sous ses coups, les larmes me sont montées aux yeux, invisibles car tout le monde me tournait le dos. J'ai vu mon ami qui finalement avait laissé faire le plus jeune, le plus costaud, se tenir tout interdit, pensif, devant le fait accompli, il mit la bûche sur la pile déjà haute, dans la brouette : merci, vraiment merci ! Le jeune, le costaud, voulait l'aider encore au transport de ce petit bûcher, bien lourd... Laissez, laissez, je vais le faire, je vais terminer ! Il fit glisser sur l'herbe la petites voiture à roulettes, qui penchait d'un côté, puis de l'autre, imperceptiblement... Les roues ne faisaient aucun bruit, pas le moindre grincement, parfaitement huilées, il alla ainsi jusqu'à la remise à bois, beaucoup plus loin, et disparut tout à fait avec son pesant fardeau, la silhouette penchée, il avait de cette année, mal au dos, il mettait souvent la main à l'endroit qui lui faisait mal ! Quelques fois je lui disais : D, fais attention, ne monte pas à la grande échelle quand il n'y a personne avec toi, attention à la tronçonneuse pour les haies, mon ami, je t'en prie, sois prudent,... Il me regardait droit dans les yeux, pas méchamment, pas de reproche, avec le sourire, il avait compris la vulnérabilité qui s'installait en lui, nous la comprenions tous les deux, nous avions chacun nos points faibles : le dos, les genoux, la fatigue... Lui qui savait faire des milliards de choses, en un rien de temps, maintenant, il lui faudra apprendre la lenteur, respecter la sécurité, calculer ses efforts avant de se lancer... Comme moi sur mon vélo, je scrutais la route, plate, lisse comme une piste de danse, je ne montais jamais la moindre petite côte en danseuse ! Je descendais de ma monture quand les pierres des chemins étaient trop nombreuses...
Cette journée, je ne suis pas prête de l'oublier, le renoncement sonnait comme un mot nouveau, il faudra mieux penser avant d'agir, compter avec les possibilités du corps. Je ne me souviens pas du tout si ce jour-là, j'ai pris mon vélo pour la promenade quotidienne...
L'attente...
Bien sûr, j'avais le cœur serré de le voir réfléchir avant d'agir, ne pas prendre trop de risques comme avant, mon ami avait toujours tant de choses à faire, je crois que le jardin lui allait très bien au teint, il adorait planter, semer, récolter. Regarde Danielle, tu vois, cet engin, il tond la pelouse aussi vite que son ombre, mais il aspire aussi ! Il avait découvert que sa tondeuse électrique pouvait à la fois couper l'herbe et aspirer les feuilles mortes, une action et deux fonctions, réduisant l'effort au minimum. Formidable, tu as eu une idée de génie ! Oui, c'est parfait pour moi, plus besoin de prendre le râteau, de me baisser, pour mon dos c'est mieux. Il me fit une démonstration immédiatement, digne d'une foire à Jardiland, ça marchait comme sur des roulettes. Il m'avait rassurée, sans le savoir, il va trouver des combines pour se préserver, j'étais contente d'imaginer toutes les trouvailles qu'il inventera au fur et à mesure de ses besoins pour éliminer les accidents, mêmes minimes. Dès le lendemain, il se mit sur l'invention d'un enrouleur de tuyau à partir d'une petite poussette d'enfant ancienne, elle avait quatre roues, bien plus qu'il ne lui en fallait... Bravo l'ami, tu es trop fort ! J'avais suivi de bout en bout cette belle création d'automne... Avec admiration !
L'invention (à gauche)
Les surprises, les serrages de cœur, c'est tous les jours qu'on les sent, il faut se débrouiller avec, il arrive un moment où les jours se suivent et se ressemblent un peu !
Mes amis, un peu de mélancolie ne fait de mal à personne. À très bientôt pour le post n° 6 en direct du Berry... Portez vous bien, soyez prudents, je vous embrasse.