jeudi 4 février 2021

Votre masque... Les plaintes et le très bon jour !

 

Les masques du bus

Le masque du bus :

Il faut être très observatrice : dès que je mets le pied dans le bus, le métro, le tram, mon scanner visuel se met  automatiquement en marche, je vise la place loin de tout, mais dans les transports en commun (que j'évite le plus possible), aucun siège n'est loin de tout... Les places en solo sont les moins pires, près de la fenêtre, juste assise face à un voyageur. Ma voyageuse arrive, le masque dans le cou, elle pose à terre ses nombreux paquets, pose sa canne dans un coin, elle revient de loin... À mi-chemin entre une mendiante et une déboussolée lambda, très modeste. Je regarde le masque désactivé qui pend, encore accroché à une oreille, il lui reste beaucoup à faire pour qu'il soit opérationnel. Elle le remet sur le nez et voilà la bouche découverte, elle le tire sur la bouche et hop ! Voilà son nez qui réapparaît à l'air libre. J'entre en action avec une voix tranquille, malgré mon énervement : madame, pour vous protéger, il faut mettre votre masque sur le nez et sur la bouche, dépliez-le comme ça, et je lui montre comment il faut faire en dépliant d'avantage le mien. Bien, c'est bien mieux, pincez votre nez maintenant pour qu'il se place bien sans tomber, et elle refait exactement mes gestes. Ah, c'est mieux ! Merci madame, mais la buée sur mes lunettes me gêne, oui, c'est bien embêtant, là je ne pouvais rien améliorer, car je ne sais pas si tout le monde en est gêné, mais je crois bien, la buée sur les lunettes fait partie du package anti-virus !

La voilà bien installée, souriante, elle se frotte les mains qu'elle glisse ensuite en les croisant dans chacune de ses manches  pour se réchauffer, il fait froid, vraiment froid et voilà qu'elle sort une de ses mains et la met sur la mienne, voyez comme elle est froide, j'en ris encore intérieurement, bon, pas de panique, je mettrais un coup de gel en sortant, je ne vais pas en mourir... La brave dame était loin de tout ça, pas masquée ou mal, elle avait vite fait de toucher son prochain au risque de la contamination. Chaque jour qui fait notre vie, nous devons nous enfermer dans notre globe de mariée, il y a bien de quoi nous décourager, tous les jours, nous ajustons notre scaphandrier, nos gants, notre regard... Attention, ne me touchez pas, contamination possible, écartez-vous de mon chemin, je suis dangereux, et vous ? Les litanies des jours que nous vivons, personne n'en veut, on n'en peut plus, essayons de sourire dans notre masque, nos yeux vont se plisser, tant mieux...


Le grand peintre américain E. Hopper a beaucoup peint la mélancolie, l'isolement, la solitude, la distanciation...

Les plaintes :

De tous côtés je les entends, des voix, des mots sur des musiques différentes : Ah ! Je n'arrive pas à m'y faire, mourir subitement, encore jeune, ça me touche plus que ça ne devrait, cette mort me concerne, pas seulement parce  que je connaissais cette femme depuis très longtemps, copine de loisirs créatifs dans une association, voyages, rencontres, amitié, et voilà que j'apprends son décès totalement inattendu... Je suis touchée, oppressée, mon cœur bat plus vite, je n'arrive pas à respirer... 

Pendant les quelques jours qui suivirent la mort soudaine de la copine de mon amie, j'ai entendu ses peurs, qu'elle savait si bien nommer, ses craintes, ses obsessions subites résonnaient en écho avec sa propre mortalité... Oui, nous allons tous y passer, c'est la règle, la loi du genre humain, mais aujourd'hui tu as encore beaucoup de temps pour vivre, tu vas voir, ça va passer, remets-toi à tes arts, tes œuvres, les beautés que tu sais créer, elles vont t'aider. Plusieurs jours plus tard, son cœur s'était remis à battre normalement, elle se sentait mieux, sa mortalité s'éloignait de son horizon, lui venait la nécessité de vivre chaque jour avec envie, moins mortelle aujourd'hui qu'hier, elle avait repris du service dans sa vie... Tu sais,  il y a peu, j'ai entendu dans un très beau film japonais cette phrase zen : "chaque jour est un bon jour". Elle m'a beaucoup frappée, car dans un jour vraiment méchant, on peut toujours trouver de la joie à se sentir vivant, et la nature aussi peu nous aider à changer notre regard pour ne pas désespérer !

Je gardais ma petite phrase au chaud et je la resservais, neuve, à chaque fois : je suis triste, mon voisin, qui habite juste en dessous de chez moi, est entre la vie et la mort, il a attrapé la Covid, zut ! Tu le connaissais bien ? Oui, bien sûr, c'est un homme gentil comme tout, aimable, toujours prêt à rendre service, sa fille m'a appris son hospitalisation, je n'en reviens pas. Depuis peu, encore fragile, elle se remettait d'une dépression qui la tenaillait, et avec son voisin malade, elle replongeait dans la tristesse ! "Chaque jour est un bon jour"... Chaque jour qui passait, elle y pensait, pourvu qu'il s'en tire, mais il ne faudrait pas que le voisin aille plus mal... Les bons jours dans les mauvais jours étaient les visites de son fils, de ses petits-enfants, qui venaient un par un la voir avec précautions... Tiens bon, il va guérir, ton voisin... J'attends qu'elle me donne de ses nouvelles !


 Ce peintre génial, E. Hopper, nous montre des gens perdus, petits, dans les couleurs les lumières... Et leurs pensées...

Je n'y arrive pas, j'ai encore la langue qui brûle, mon odorat n'est pas encore revenu complètement, j'ai le nez qui coule. Voilà un an que j'ai attrapé le virus et il continue encore à me narguer, masque, gel, isolement, j'en ai marre, vivement la vaccination, je prends le métro avec précaution, je reste debout appuyée à rien, je regarde mes voisins d'un œil mauvais quand ils ont le masque sous le nez... À ma voisine aussi, je répète ma petite phrase magique : "Chaque jour est un bon jour", elle rit, nous rions de notre mauvaise humeur, chère voisine restons heureuses de pouvoir nous parler, nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais gardons le moral... "Le bon jour" se glisse partout...

Le très bon jour :

Mamie, je l'ai raté, j'ai tout foiré, je tremblotais comme une feuille morte, plus de réflexes, en plus le gars n'était pas sympa, pourtant j'étais prête, j'ai fait un week-end voiture pour rien, un stage ultra cher, mais je me sentais bien,  on va voir ce qu'on va voir... Nous avions tous passé du temps à lui remonter le moral au treuil, mais personne ne l'avait pourtant vue désespérée. Le chœur familial : t'inquiète pas, tu le repasseras une autre fois, on va t'aider, tu avais le trac, c'est normal, faut pas baisser les bras, ton permis, tu l'auras, reste confiante... Tout y est passé, tous les arguments étaient bons, bien choisis, chacun tournait la roue dans le sens de la remontée de son petit moral... Deux jours après, au téléphone, JE L'AI, YOUPI ! Nous dansions toutes les deux au téléphone, chantions même, poussions des cris de victoire, félicitation, bravo, tu vois, tes planètes vont dans le bon sens... Mamie, je suis heureuse, j'ai mon permis de conduire !! Hourra !!

Le très bon jour se poursuivit quand elle vint me voir, pour boire le thé à sa belle santé, sa joie, sa victoire, tu vois ma chérie, tu as manqué de confiance en toi, tu as pensé d'emblée : défaite ! Alors qu'elle l'avait eu haut la main. Tout l'après-midi, masquées peut-être, mais en joie à chaque seconde, nos bavardages n'en finissaient pas... Pour fêter ça, ma chérie, je t'offre une bague, tu sais, de mes bagues en argent, t'as plus qu'à en choisir une, celle qui te plaît le plus, ça sera la bague du permis !

Juste avant le couvre-feu, elle est repartie fringante, la bague au doigt... Ma (grande) petite-fille, j'en profite à fond, moi qui ai déjà fait un bon bout de chemin, il n'y a pas de temps à perdre, nous n'en perdons pas une miette... Elle est repartie sur son vélo tout neuf, en quelques coups de pédales elle y serait avant l'heure, pour fêter ça entre copains... Quel bon jour !

Mes amis, n'oubliez pas les bons jours dans les mauvais jours, nous avons le choix en ce moment, gardons le moral, surtout attendons les vaccins, ils sont en route... Je vais prendre rendez-vous... Je vous embrasse !

6 commentaires:

Gine a dit…

La vie avec ses hauts et ses bas... Beaucoup de bas, ces temps, mais il faut savoir cueillir et reconnaître chaque moment de bonheur pour tenir dans les temps du malheur...
Joli texte, merci!

Marie Claude a dit…

J'aime ton expression "enfermée dans nos globes de mariée"..même avec le vaccin j'ai entendu que nous devrions continuer à porter le masque.
Voir malgré tout le "bon" dans un "mauvais jour"...
Bravo à ta petite fille, toujours utile le permis.
Admirer avec plaisir ces toiles de Hopper. Il y a quelque temps j'ai vu un documentaire à "passage des arts" sur la 5,sur le couple, intéressant!
Grosses bises du matin

Danielle a dit…

Merci Gine, c'est vrai, nous vivons beaucoup de bas, cueillons, cueillons les petits bonheurs... Pour tenir tous ensemble.

Continue d'avoir l'œil aux aguets... pour tes photos magnifiques...

Bises du jour avec petit soleil.



Danielle a dit…

Marie Claude merci pour ton choix des mots, merci, tous les jours pensons aux petits "bons", il nous faut aiguiser nos regards, nos actions, adaptons-nous le plus possible...

Je suis ravie pour les images sublimes d'Hopper qui te plaisent...

Passe une bonne journée devant le WE, moi j'ai mon tout bon d'aujourd'hui : la visite de mon fils aînée !

Gros bisous du matin, à très vite.

siu a dit…

Tu es capable de toujours trouver quelque chose de significatif à vivre et à nous raconter, de fait qu'encore une fois j'ai lu ton récit avec le plus grand plaisir.
Je ne peux malheureusement pas dire la mème chose pour ce qui concerne la relation d'Edward Hopper, peintre que d'ailleurs tout comme toi j'ai toujours adoré, hélas, avec sa femme. J'ai lu récemment des choses très désagréables à ce sujet, j'imagine que ça concernait aussi le documentaire auquel fait allusion Marie Claude (dans Le Monde il y a un article qui porte le titre assez éloquent de "Edward et Jo Hopper: un si violent silence").
L'homme et l'artiste... l'artiste et l'homme... le fait que les plus grandes artistes sont parfois des hommes répugnants: un vaste programme qui concerne pas mal de vedettes, et dans tous les domaines; j'y ai souvent réfléchi et pourtant ça reste pour moi une espèce d'impossible quadrature du cercle.

Je te souhaite un très beau week-end, chère Danielle... ça commence fort avec ton fils! :-))

Gros bisous!!

Danielle a dit…

Comme tu as raison de parler des violence du peintre Hopper, violences que j'avais complètement oubliées, je ne sais même pas si je les ai connues un jour !!! Grrrr ! Merci de le rappeler chère Siu...

Merci aussi pour ton plaisir de me lire :-)))))

Biens sûr je suis comme toi, l'impossible quadrature du cercle, et je pense à Louis Ferdinand Céline... que j'adore comme écrivain... Mais qui est aussi un homme répugnant... Ne l'oublions pas...

Je t'embrasse très fort.