Toits bourguignons, vus du petit château XVIIIe
Danielle, que vas-tu dire encore sur le Paradis ? Tout a été peint, chanté, raconté, imaginé,
inventé, réinventé. Le Paradis, on n'en parle plus... C'est de l'histoire ancienne, tout le monde sait
bien maintenant que cet endroit est en nous, plus la peine de chercher, c'est un truc démodé,
maintenant on est passé aux paradis artificiels, là, il y a encore beaucoup de clients... Mais le
Paradis, le vrai, on ne sait même plus ce que c'est...
C'est vrai, moi non plus je ne m'accroche pas au Paradis, les petits bonheurs des jours suffisent à
mon bonheur, cet été, j'ai été gâtée...
Si ça vous dit, je vous parle du Paradis...
Je sortais d'un drôle d'endroit, un centre culturel singulier, dont les activités tournent autour du
design, planté dans un petit village perdu dans la verdure, en pleine Bourgogne. Il propose des
expos, des concerts, des ateliers, des rencontres. Le château XVIIIe, inscrit à l'inventaire des
monuments historiques, fête ses 30 ans de restauration. J'étais bien contente d'être là, un beau
bonheur du jour...
Partout de belles fermettes, des granges anciennes, très bien restaurées, comme des vraies, des
roses trémières en pagaille qui partaient dans tous les sens, penchées, couchées, érigées, des
jardins à l'anglaise qui explosaient de couleurs et de formes, avec de belles pelouses vertes
malgré la chaleur qui durait, des petites clôtures discrètes, accueillantes, bonnes voisines... Qui
semblaient dire : Entrez, je vous en prie...
Mais j'ai vu plus beau encore ! Là, Danielle, tu nous balades, tu fais ton intéressante...
Il suffisait de descendre...
Non, non, le Paradis était plus bas, dans le contrefort du château, il suffisait de descendre
quelques marches, juste à côté de la petite église dont on ne savait pas qui avait la clé, et on
atterrissait directement dedans, le Paradis des Paradis, avec juste un petit Enfer, mais vous
verrez, c'est à pleurer...
À la dernière marche on tombait dans les roses trémières...
À la dernière marche, on tombait tout de suite sur des roses trémières magnifiques qui animaient
un grand mur de pierres, puis on devait pencher un peu la tête pour traverser une sorte de tonnelle
à peine esquissée, pas prétentieuse, toute en nuances, souple et odorante, une tonnelle
désordonnée comme les vrilles d'une vigne, pour aboutir dans un petit jardin semé sur un terrain
sans barrière, on distinguait les plantations impeccables alignées en rangs d'oignons, on poussait
déjà des cris: comme c'est beau ! Il y avait toutes sortes de légumes, avec le vert qui prédominait
largement, on pouvait tout reconnaître sans se tromper : carottes, haricots, tomates, bettes,
poireaux, salades, radis, courgettes... Les fleurs se partageaient le terrain avec les légumes, elles
poussaient de partout, pour les nommer, impossible, je ne suis pas très calée en botanique, il y en
avait tant...
Les roses trémière cachaient l'horizon
Ce jardin incroyable de beauté avait son jardinier, tout au bout. Loin encore devant mes yeux, je le
voyais penché vers la terre avec son beau chapeau de paille, c'était donc lui le poète, le créateur
de Paradis !
J'avais mon appareil photo autour du cou, mais je n'étais pas pressée d'appuyer sur le bouton, pas
le temps, il fallait d'abord regarder avec les yeux, j'allais d'un sillon à l'autre, je suivais la courbe
des roses qui recouvraient le mur du jardin, le soleil baissait, il fallait vite se décider, je n'y arrivais
pas... Je restais médusée... Ça existe, un lieu comme ça ? J'ai fait deux ou trois photos
rapidement, pour tout conserver intact, mais dans ma tête, il y avait aussi les odeurs, les
mouvements, l'étonnement, l'éblouissement, tout ce qu'on ne peut pas montrer sur les photos.
Monsieur c'est la nature qui vous remercie
Attendez que je m'éloigne pour prendre la photo, je vais gêner dans le paysage...
Voyez la modestie : mais comment, monsieur, mais pas du tout, au contraire, je serais très
honorée de vous avoir dans mon viseur, comment faire une photo sans vous qui réalisez tant de
beauté ?
Mais pas du tout, c'est la nature qu'il faut remercier... Mais non, monsieur, c'est vous, vous avez
votre grande part dans ce jardin superbe, prenez la pose, je vous en prie, rien ne pourra se faire
sans vous... Il esquivait sa part de responsabilité dans toute cette beauté, il ne faisait rien que
suivre la nature, l'encourager, l'accompagner, il faisait le jardinier peu intéressé par les
compliments...
Il se tenait là...
Il s'est assis sur une chaise qu'il avait disposée pas loin, et nous avons parlé, avec un grand
plaisir, et nous avons partagé l'art de sa culture.
C'est lui qui nous parla du Paradis en premier, assis sur sa chaise, il déclara : oui, c'est vrai, ici,
c'est mon Paradis, j'y suis depuis toujours, c'est ici que j'aimerais finir, plutôt que là-haut, mais je
ne sais pas si on me l'accordera... Je me souviens de mon retour, en 1960, j'avais frappé à la porte
et elle était descendue, elle était institutrice, nous nous sommes fiancés... Elle est ici, la fiancée ?
Oui, nous sommes mariés depuis 50 ans, elle adore aussi les fleurs, le jardin de notre maison,
c'est elle qui l'a inventé. Elle souffre en ce moment d'un cancer qui a recommencé trois fois, nous
savons ce qui nous attend... Oh ! Comme c'est triste, gardez confiance, gardez confiance... J'ai
perdu aussi ma fille, elle avait 47 ans, d'un cancer, comme sa maman...
Vous comprenez maintenant comment l'Enfer peut succéder au Paradis...
Vous prendrez bien un peu de salade, quelques courgettes ? Il insistait, nous n'osions pas sauter
de la mort aux légumes, nous n'osions même pas dire merci, et puis nous l'avons dit avec les mots
: confiance, courage, elle peut s'en sortir, avec le sourire... Ce partageur tentait de nous consoler
du récit qu'il venait de nous faire, si vous passez par notre maison, là, tout de suite à gauche,
rentrez, regardez le jardin, c'est entièrement son oeuvre...
Son oeuvre ! (toutes les photos sont un peu surexposées, mais pas question de quitter les lieux sans un salut photographique)
Nous ne savions pas bien comment nous y prendre pour lui dire merci et au revoir, nous avons
employé les mots de tous les jours, trop petits, trop simples, trop quotidiens... Trois fois rien,
devant l'immense chagrin...
Dans le jardin de sa maison, ouvert à tous vents : des fleurs, beaucoup de fleurs, des arbres, des
massifs, le silence, dans les étages elle était sûrement là, à se reposer, nous sommes partis sur la
pointe des pieds, le cœur serré...
10 commentaires:
Il y a vraiment aussi bien le Paradis que l'enfer, dans ce que tu racontes ici d'une façon si sincèrement profonde. Et on voudrait etre là avec vous, à jouir de ces jardins merveilleux, à partager votre envie de consoler cet homme si aimable tout comme votre embarras...
Merci, Danielle.
un paradis surement..et ils vont monter aussi au paradis pour voir le jardin du haut!
à quand l'escapade dans ma région? je suis de retour... :)) bises
Oh comme il est beau ce petit paradis ! Merveille des merveilles
Si cela arrive... ils iront aux jardins d'en haut ,forcément ...
Tu racontes la simplicité et tu es toujours captivante . Merci Danielle .
Des bises du soir
Vraiment oui, des jardins merveilleux et doux, Siu oui, c'est exactement ça : comment consoler cet homme si généreux ?
Nous sommes partis avec nos courgettes et salade très émus...
Bises Siu à très vite.
Elfi, ta région n'est pas au programme pour rout de suite, mais je n'oublie pas du tout...
Bon retour à toi et à bientôt.
Bises du soir.
Brigitre, merveille des merveilles, oui c'était cela ! Il faisait beau, bleu comme dans le midi...
Forcément, ils iront dans le jardin du haut, mais j'ai bien senti un regret dans sa voix.
Grosses bises Brigitte.
Oh oui Danielle tu l'as trouvé ce paradis et tu as su si bien nous le montrer avec tes si belles photos!
J'espère de tout coeur que ce nuage qui plane avec la maladie de son épouse,s'estompera,il faut toujours avoir de l'espoir.Ils le méritent tous les deux,déjà touchés par la disparition de leur fille.
Encore un beau billet,émouvant comme tu sais si bien les écrire.
De gros bisous du matin
Merci Marie Claude, j'espère aussi que la malade sera épargnée...
J'ai gardé en tête toute cette beauté, avec le désir d'y revenir...
Difficile de reprendre la vie de la ville, la grande ville...
Bises du soir à toi.
La France est belle ! Tu le sais et tu l'écris bien à chaque billet ! Comme je suis ravie de retrouver ton blog quand tu racontes la beauté, que ton regard découvre sur les chemins ! Ici la Bourgogne et bientôt ...
Bonne soirée ! Bises du pays du canard (yes, il revient !)
Merci Énitram, les routes de France sont bien belles, la Bourgogne reste encore à découvrir...
Mais des Paradis, j'en ai connus dans les petits chemins, les sous-bois, les plaines et les collines...
Tant mieux si le canard revient, il manquait...
Grosses bises du jour Énitram.
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