J'ai un ami qui est koifeur pour tout le monde, les dames, les hommes et les enfants, il coiffe tout ceux qui viennent lui demander un coup de ciseaux, une couleur, un coup de jeune, un coup de tondeuse. Avec ses instruments, il remet les idées en place.
Chez lui, on ne prend jamais de rendez-vous, on attend un peu, on bavarde, on prend le café, le thé, il y a plein de parfums différents, des mères amènent leurs enfants du plus petit au plus grand, ils attendent gentiment.
Mon koifeur, il est fort, l'autre jour j'étais venue me faire belle, il m'a dit : alors Danielle, t'as coupé tes cheveux toute seule ? Il pensait même que mes cheveux devaient traîner par terre car j'avais mis beaucoup de temps à revenir le voir, son salon de coiffure est loin, il me faut prendre le RER, alors, je finis par lui faire quelques infidélités...
Mais là, j'étais venue en voiture avec une amie, c'était le printemps, j'avais un peu plus de cheveux blancs que d'habitude : Danielle, il va falloir faire une couleur ! Celle qu'il veut bien sûr, de toute façon il n'en fait qu'à sa tête, il ne m'écoute jamais, il fait pour mon mieux.
Sur le catalogue à fleurs, il prend une petite mèche échantillon de faux cheveux entre ses doigts, et il dit sans hésiter : c'est celle-là que je vais te faire, une belle couleur, que je n'avais jamais eue,... Tu crois que ça sera bien, pas trop foncé ? Il me regarde sans dire un mot, pas la peine de discuter... Mon koifeur décide de tout, quand je suis chez lui, c'est lui le Président de sa République !
Je n'ai jamais eu à m'en plaindre, il a toujours fait à son goût et comme dit une autre de mes amies, il sait ce qu'il te faut, il te rend belle un point c'est tout, donc je l'écoute, comment résister à son savoir, sa vision si juste des têtes...Vous voyez comme la partie est inégale, mais finalement je me rends aveuglément à ses décisions, et je suis toujours contente du résultat.
Pour venir, j'avais mis sous mon bras une grande boîte en fer remplie de madeleines au chocolat parfumées à la fleur d'oranger, comme il les aime, je les avais faites la veille, spécialement pour lui... En fait, mon koifeur, je le paye en nature, c'est une bonne nature. Quelque fois il me dit : je suis au régime !... Mais les madeleines font toujours exception, on verra ça après.
Son salon de coiffure, c'est aussi un centre culturel, un centre d'affaires importantes, on réfléchit beaucoup, on se donne de bons conseils, on prend des nouvelles de toute la planète, on conseille les enfants, on console les parents, on parle aussi informatique, gadget, consommation, ça sert à quoi tout ça, un nouvel Ipad d'accord, mais que vas-tu faire de ton petit ordinateur, je vous le demande ! Ici on est en dehors du temps, on vient juste pour se faire du bien, alors on parle et petit à petit, quand on sort, il y a aussi des petits changement à l'intérieur de la tête.
Juste à côté de moi, il y avait une petite voiture d'enfant, avec un bébé rose de quelques mois dedans, une petite fille belle comme le jour, des cheveux noirs comme un jeune corbeau et chaque fois que je me penchais vers elle, elle souriait... Sa maman était à la coupe, elle bavardait allègrement avec le koifeur, je me suis mêlée de ce qui me regardait car j'avais entendu que l'enfant, la si belle enfant, la beauté gracieuse dans le landau, elle venait de l'adopter.
La jeune maman, la quarantaine qui n'en faisait pas plus d'une trentaine, nous a raconté de A à Z comment s'était passée la suite de sa vie après l'appel de l'Assistante sociale, l'annonce lui a été faite par téléphone, j'ai de bonnes nouvelles pour vous, venez très vite, prévenez votre mari.
Alors, vous l'avez vue combien de temps après le coup de fil, la petite fille ? Une semaine, et après, elle nous a fait venir dans la famille d'accueil pour qu'on la visite un peu tous les jours, ah bon ! Et après ? Vous l'avez eue vite ? Il a fallu quinze jours d'acclimatation, on est venu et on est reparti avec... Et là, notre vie a changé.
Magnifique, quelle belle histoire, mais elle sourit tout le temps comme ça, votre enfant ? Toujours, elle ne pleure jamais, tout le temps heureuse et nous aussi. Mon koifeur lui avait fait une superbe coiffure, toute douce, toute raffinée, la maman était ravissante comme un coeur.
Après la maman heureuse, c'est un monsieur qui a pris sa place, j'étais encore sous le temps de la couleur, mais tu ne reconnais pas monsieur ? Ah ! Mais bien sûr, c'est votre fils qui m'a donné un conseil à propos du caramel et du chocolat il y a quelques mois, un fameux pâtissier... Nous étions en pays de reconnaissance... Mais maintenant que je savais faire un caramel et fondre du chocolat, que pouvais-je espérer de plus ? J'écoutais ce qui se passait avec la musique qui traversait les paroles...
Rinçage, coupe, séchage, mon koifeur m'a dit : ça te rajeunit, ce qui n'est pas forcément un compliment, mais le constat d'un bon travail sur le temps... C'est à ce moment précis que vous devenez immédiatement philosophe, forcément, vous êtes obligé de penser vite, très vite : c'est vrai, je ne rajeunis pas, cet artifice va me tenir la tête hors de l'eau pendant un bon petit moment, profitons de l'instant présent, nous verrons bien... Il faisait beau, une espèce de printemps s'installait avec sa douceur, sa lumière, il y avait des fleurs aux arbres, on pouvait sortir en manches courtes, tu pars où en vacances cet été ? La vie battait son plein de projets...
En sortant, j'ai vu une dame assise sur la banquette qui attendait son tour, elle faisait du coloriage avec des pastels... Une commande d'enfants de par ici, fais-moi du coloriage, elle passait les couleurs avec patience...
Malgré le temps qui passe, en sortant de chez mon koifeur je me dis que ça va durer encore un peu, ça change, c'est vraiment bien, ça tiendra bien jusqu'aux vacances, au revoir les amis, merci, ici j'ai gagné du temps, du temps précieux.
Je vous embrasse.
En sortant de chez mon koifeur...