mercredi 30 mai 2012

Les tout petits mystères de Paris... 3e épisode

À la rencontre d'Eugène Atget... Photographe du Vieux Paris



Eugène Atget au Musée Carnavalet



Le Musée Carnavalet propose en ce moment une belle exposition de photos du grand photographe Eugène Atget (1857-1927), le plus célèbre des photographes du vieux Paris, des rues et des intérieurs, des petits métiers et des devantures.

On n'a jamais rien su de lui pendant des années... Au sortir de l'adolescence, il s'embarque comme garçon de service sur un grand paquebot à destination de l'Uruguay, ce fut son seul et unique grand voyage. Voulant devenir comédien, il est admis au Conservatoire, dont il est exclu ensuite, ses obligations militaire l'empêchant de s'y consacrer pleinement. À vingt-neuf ans il rencontre Valentine Delafosse-Compagnon, comédienne, ils ne se quitteront plus jusqu'à sa mort. Ils vivent pendant quelques années de tournées dans les petits théâtres de province, mais en 1889 Atget est remercié, c'est l'échec total ! Il essaye la peinture sans succès...

En 1890, pour gagner sa vie, il décide de devenir photographe, en autodidacte, il a trente-trois ans. Il se met à photographier systématiquement Paris. C'est l'époque de la création d'une Commission du Vieux Paris, et l'on commence à s'intéresser au patrimoine de la Capitale. C'est aussi une chance pour Atget, il se met à photographier d'une part, la vie urbaine : les métiers, marchés, scènes de rues, moeurs du Vieux Paris qu'il appellera Paris pittoresque, et d'autre part des vues topographiques et des détails architecturaux, dont il fera une série appelée Le Vieux Paris.


Après 1900, il se met à une autre série, L'Art dans le Vieux Paris : balcons, grilles, heurtoirs, enseignes...

En 1898 Atget commence à vendre ses photos au Musée Carnavalet, aux bibliothèques publiques parisiennes, à la Bibliothèque Historique de Paris. Il vend aussi ses photographies aux artistes peintres, à la direction des Beaux-Arts.

En 1920, il écrit au ministère de la culture de l'époque la lettre suivante :

"Monsieur,


J'ai recueilli pendant plus de vingt ans, par mon travail et mon initiative personnelle, dans toutes les vieilles rues du Vieux Paris, des clichés photographiques (...) sur la belle architecture civile du XVIe au XIXe s (...)


Cette énorme collection, artistique et documentaire est aujourd'hui terminée. Je puis dire que je possède tout le Vieux Paris.


Marchant vers l'âge, c'est-à-dire vers 70 ans, n'ayant après moi ni héritier ni successeur, je suis inquiet et tourmenté sur l'avenir de cette belle collection de clichés qui peut tomber dans des mains n'en connaissant pas la valeur et, finalement, disparaître, sans profit pour personne. Je serais heureux, Monsieur le Directeur s'il vous est possible de vous intéresser à cette collection."

Vers la fin de sa vie, Atget rencontre Man Ray, son voisin, qui habite la même rue. Son assistante, Bérénice Abbott, jeune Américaine venue à Paris pour étudier la sculpture, devient l'élève de Man Ray et ira régulièrement voir Atget pour lui acheter des photos. Elle est peut-être la première à prendre conscience de l'importance de son oeuvre.

La compagne d'Atget meurt en 1926.

Un an plus tard, à la mort d'Atget, Bérénice Abbott rachète près de 2000 négatifs, des albums de référence, des milliers de tirages et son répertoire d'adresses, elle vendra cet ensemble au 1968 au Museum of Modern Art de New-York.

Ainsi, il seront achetés par les archives photographique et les différentes médiathèques, bibliothèques, musées français, 4600 clichés, et environ 23000 tirages, dont 9000 pour le seul Musée Carnavalet.

L'exposition actuelle à Carnavalet expose cent-quatre-vingt clichés, et un album constitué par Man Ray. Une mine d'or !

J'adore Atget depuis presque toujours, en 1994 j'avais déjà entrepris d'aller sur ses pas, simplement voir ce qu'il restait des vieilles maisons qu'il avait photographiées, et j'avais noté toutes mes observations sur un livre édité par la Bibliothèque Nationale... J'avais laissé tout ça de côté, et aujourd'hui, après la visite à Carnavalet, je me suis décidée à repartir sur les pas d'Eugène, avec mon appareil photo numérique, je privilégie des quartiers que je connais bien et que j'aime : le Marais, les Halles, le Palais Royal, et quelques autres lieux, en essayant de respecter les cadrages d'Atget, je vais donc pouvoir présenter dans mon blog des photos de certains coins de Paris... 100 ans après lui... Une manière mieux qu'une autre de lui rendre hommage... Je l'espère !

J'ai toujours considéré Atget comme un parfait documentariste et, pour avoir tenté de refaire ses cadrages, je peux dire qu'il savait donner à ses clichés des profondeurs, des perspectives magnifiques, ses photos se reconnaissent entre toutes... "On ne peut pas considérer les documents sans penser aux impératifs de son commerce", il eut aussi comme clients les peintres : Derain, Foujita, Vlaminck, Utrillo, Kisling, Dunoyer de Segonzac.

Je pense qu'Atget a quelquefois sacrifié la qualité à la quantité, mais il fallait bien vivre... Aujourd'hui le temps confère à ses photos un autre regard, on dit de lui qu'il figure parmi les plus grands photographes français, qu'il a influencé de grands photographes internationaux, américains : Diane Arbus, Walker Evans, allemands : Albert Rengers-Patzsh. En France : Brassaï, Henri-Bresson et Robert Doisneau l'ont reconnu comme un maître.

Bien sûr, j'ai pensé au talentueux et subtil  travail de Raymond Depardon qui parcourt seul, en camping-car, entre 2004 et 2010, soixante-cinq département français pour photographier, en couleur, le territoire français. Il fait un inventaire raisonné, il veut : « observer les traces de la présence de l’homme qui par son intervention au fur et à mesure de l’histoire a modifié le territoire. » Il travaille avec deux chambres grand format, comme Eugène Atget... Il expose à la BNF en 2011 des photos de grands, très grands formats, magnifiques et émouvantes. Comme dans les rues du Vieux Paris d'Atget, les paysages urbains français de Depardon sont inhabités... Depardon nous dit de son travail : "j'ai essayé de dégager une unité, celle de notre histoire quotidienne commune".

Le travail d'Atget est tout autre, si l'émotion est beaucoup moins présente que chez Depardon, son systématisme, son état des lieux sont riches, précieux et quelque fois poétiques. Il nous permet de restituer une époque révolue, de capitaliser des connaissances sur Paris, le mystère de sa vie et de son oeuvre étonne encore...


Eugène Atget a ignoré la qualité de son oeuvre, il faudra attendre la fin des années 1960 pour le découvrir : analyser sa démarche, son mode opératoire et son système de classification. Sa clientèle a été étudiée et sa production répertoriée... Il est de plus en plus représenté comme le père de la photographie documentaire moderne.

Comme quoi, nul n'est prophète en son pays... Que très tardivement...

Sur les pas d'Atget, plus d'un siècle après lui :






 E. Atget, rue de Normandie, 1901




La même vue en 2012

J'ai eu du mal à repérer cette vue,  j'ai dû regarder attentivement les toitures, heureusement la rue est petite.. L’immeuble est en cours de restauration.



E. Atget, la fontaine Boucherat, 1899 


La fontaine Boucherat (17e s.), 133,  rue de Turenne, maintenant un haut lieu de gourmandises puisque monsieur Jacques Genin, pâtissier, chocolatier de renom y exerce son art... Mon post sur le sujet


E. Atget, 67 rue de Turenne en 1913, la maison aux piliers...


Aujourd'hui, restaurée avec application


Détail, sans doute un reste de l'ancienne boucherie

Là aussi, je suis passée des dizaines de fois sans apercevoir ces colonnes, ces têtes de boeufs et les crochets de boucher en place depuis plus de 120 ans.


E. Atget, détail du heurtoir d'une porte, 1901, au 60 rue de Turenne


Le même sans son décor de dentelle aujourd'hui disparu

À ce petit jeu de piste, j'ai découvert des trésors cachés, en poussant les portes de quelques vieilles demeures j'ai trouvé des dentelles de fer forgé remontant des escaliers de pierre des 17e et 18e siècles...


Mes trouvailles personnelles : sublime rampe de fer forgé et escalier de pierre, rue de Turenne


Détail de cette boule de bronze



Dans la demeure de Monseigneur Joseph Maurice, Comte de Montmorency, 17e s, cette sompteuse rampe de fer



Vue plus large sur le 1er étage


 Magnifique escalier en double volée rue de Turenne

Voilà mon projet des jours et des mois prochains :  aller sur les pas d'Atget, découvrir des paysages inconnus de Paris, et ajouter des images qu'il n'aurait peut-être pas faites...

Mystères, beautés, fascinations, rareté, étrangetés... Que je vous réserve...

Prochainement ici, le 4e épisode des tout petits mystères de Paris...

10 commentaires:

Marie Claude a dit…

J'attends avec impatience vos prochains posts qui seront je suis sûre très interessants et instructifs.Je parcoure regulièrement votre blog en silence ,mais j'apprécie beaucoup tous "vos petits récits.Continuez ainsi!

Danielle a dit…

merci Marie-Claude de votre message encourageant, merci beaucoup, j'en suis très touchée...

Amicalement du soir.

Michelaise a dit…

Mais c'est tout simplement génial Danielle
Tes clichés en parallèle sont impressionnants et ton projet vraiment passionnant ! Nous allons te suivre avec délectation !

Bretonne a dit…

Génial, c'est passionnant, je n'avais jamais entendu parler de ce MONSIEUR, j'ai beaucoup de choses à apprendre. Merci.

Danielle a dit…

Michelaise, merci de ton attention, j'ai beaucoup de travail avec ce projet, mais aussi beaucoup d'enthousiasme...

Merci de me suivre.

Buses tardives du soir.

Danielle a dit…

Brigitte, tu sais Atget est surtout connu des parisiens et des New-Yorkais :-)))

Je suis contente si tu peux le connaître par mes petits mystères...

Bises du soir

Brigitte a dit…

J'aime tes "avant et maintenant "en photo .
Je ne connaissais pas ce photographe et suis ravie de te suivre dans ce "voyage"
Les montées d'escalier sont vraiment superbes
Belle journée et bises du jour

Danielle a dit…

Brigitte, alors, bon voyage avec moi, je suis contente de tes passages...

Je vais continuer sur ma lancée, il me faudra du temps :-)))

Bises du jour ensoleillé.

Amélie a dit…

sublimes photos encore une fois ! il y a des gens qui ont un don c'est certain et vous en faites partie !! encore merci !!

Danielle a dit…

Amélie, merci merci pour vos compliments, j'en suis toute touchée...

A tout bientôt, bientôt.