Pour lui, pour elle
Elle m'avait téléphoné au nom d'une amitié très ancienne, nous avions travaillé dans le même secteur social, et avions gardé des contacts une fois l'âge de la retraite arrivé, pour elle d'abord, et pour moi ensuite.
Souvent je la rencontrais, allant faire ses courses, c'est donc souvent dans la rue que nous remettions nos compteurs à jour : la santé, ça va ? Ta famille ? Le moral ? Nous égrenions notre petit chapelet de : oui, ça va, oui, ça va, oui, ça va, les détails venaient naturellement d'un mot à l'autre, c'était une passionnée de l'optimisme, elle décrivait toujours les histoires les plus dures avec des mots taillés comme des diamants, elle sertissait chaque pierre comme une orfèvre, on ne pouvait pas bouger une de ses phrases sans déconstruire le sens de sa pensée. Quand elle disait : j'ai mal, j'avais tout de suite envie de pleurer, car rien ne pouvait adoucir cette souffrance... Quand elle disait : je suis inquiète, je lui répondais : confiance, garde le cap... Ses yeux, ses paroles disaient : oui, je vais essayer, son sourire dessinait l'espoir.
Un jour, elle m'avait dit : je suis inquiète pour Artur (son mari), il ne va pas pas bien, il a maigri, n'a pas le moral, mais ça va passer, nous irons à la mer, il adore la mer, dès qu'il fera beau nous irons, il fera bon.
De jour en jour Artur n'allait pas mieux, le poids toujours bas, le moral, toujours le moral en berne,
Elle m'avait téléphoné : Danielle, Artur est mort, comme on est amies je voulais te prévenir du jour de l'enterrement...
Quelle nouvelle, quelle mauvaise nouvelle, je l'ai appelée tout de suite : il n'a pas trop souffert, mais comment c'est possible une chose pareille, ils l'ont opéré, mais ça n'a pas suffi, je ne sais pas si je vais pouvoir venir pour la cérémonie, ne t'inquiète pas, fais comme tu peux. Elle m'a longuement parlé d'Artur, des derniers jours, des tous derniers jours.
J'ai eu beaucoup de chagrin, je le connaissais bien, c'était un artisan de haute volée, il faisait des miroirs avec les vernis qu'il mettait sur les meubles anciens, il réparait avec amour le moindre bout de bois que vous auriez mis à la poubelle... C'était un homme de l'art du bois, l'ébénisterie, c'était son violon d'Ingres de tous les jours, son vrai métier de toute une vie. Il y a sûrement du travail qui l'attend encore dans l'atelier.
Pour lui
Je n'ai pas pu aller à l'enterrement, mais à l'heure dite, j'ai pensé à lui, mon esprit a bien fait son travail, j'étais auprès d'elle, dans son chagrin, ses pleurs, comment rester optimiste maintenant, comment allait-elle faire pour continuer sans lui ? Elle aurait sans doute des secrets à me révéler, des recettes précieuses à me donner pour la consolation...
Dimanche, c'est jour de marché, je vais sûrement la rencontrer... Non, je cours chez elle, sonne à la grille de son joli jardin, son fils me dit : elle est partie chercher le pain, je rebrousse chemin, je cours tout le long, personne ici, personne là, ah ! La voilà, la tête penchée vers le sol, les yeux fixes, les pensées ailleurs, je vais pouvoir l'embrasser, la serrer dans mes bras. Nous parlons un long moment : tu vois, le médecin n'a pas fait ce qu'il fallait, il est vieux, trop vieux, il ne sait plus soigner comme il faut, c'était pourtant notre médecin de famille, il nous aimait comme des amis, pas comme des malades, il n'a pas fait attention à tout, c'est notre nouveau médecin qui nous l'a dit... C'est pour ça qu'Artur est mort, bien plus tôt qu'il n'aurait dû.
Je suis restée sans voix devant cette vérité, et les jours suivants sont passés avec cette pensée.
Dimanche suivant, nous nous retrouvons au hasard des courses, vous imaginez si nous faisions nos courses sur Internet ? Je n'ose même pas y penser tellement la vie deviendrait plate... Elle avec son caddie, moi avec mon panier d'osier, nous avons monopolisé le trottoir juste à l'entrée du café où nous ne mettons jamais les pieds, nos soupirs, nos joies, nos pleurs se font à l'air libre, sous le ciel de Paris, enfin presque, juste un périphérique à traverser, je ne me souviens pas d'un seul jour de pluie pour nos parloirs de payses, le beau temps est toujours avec nous...
Comment vas-tu ? Tu sais, j'ai trouvé ça pour me consoler : qu'il n'a pas souffert, que s'est allé très vite... L'autre jour je l'ai rencontré, le médecin, je lui ai tout dit... Tu lui as tout dit ? Oui, je lui ai dit qu'il n'avait pas fait ce qu'il fallait, qu'il ne s'était pas occupé des artères, de la thyroïde, du cholestérol, de tout ce qui l'a fait mourir, qu'il devrait passer la main maintenant, qu'il était trop vieux, pourtant il disait qu'il était notre ami, il s'est mis à pleurer sur le trottoir, pleurer oui, j'ai dû le consoler, il m'a prise dans ses bras et il a pleuré encore, sur quoi, sur qui ?
Un vieux docteur pleurant sur le trottoir, comme un enfant qui se fait gronder par sa maman, elle lui avait lancé des mots pointus comme des flèches, mais elle pardonnait, rien à faire maintenant, elle avait trouvé de quoi se consoler, elle repartait avec son avenir coupé en deux, elle connaissait la vérité, il n'a pas trop souffert, il est parti vite... Prends le temps qu'il faut, la tristesse c'est normal, avec ton homme tu as vécu tant d'années, sur tout les tons, la tristesse c'est naturel à la fin, on ne sait pas du tout si elle passera... Elle m'a souri...
Pour elle, pour lui
13 commentaires:
Un superbe billet, comme toujours Danielle. Tout y est :
le quotidien, l'amitié, l'attention aux autres, le vieux médecin qui n'est plus à la hauteur, il faut tellement de disponibilité d'esprit, de présence, d'allant pour exercer ce métier...
le couple et la douleur de la séparation
la nécessité de faire son deuil
l'importance du fait que la vérité soit DITE
l'amour du beau travail, j'adore "l'ébénisterie, c'était son violon d'Ingres de tous les jours, son vrai métier de toute une vie
et même les courses sur internet !
Un beau moment passé en ta compagnie Danielle
J'ai lu aussi le jour ses soeurs, avec beaucoup de plaisir chaque fois, moi qui ai toujours rêvé du bonheur d'avoir une soeur !!!
Est-ce bien certain qu'il n'a pas fait ce qu'il fallait ??? ...
Parfois dans le chagrin et la douleur nous cherchons un fautif,et l'on se raccroche à ce que l'on peut. C'était son heure à ce Monsieur amoureux du bois,je pense .
Un billet qui contient tellement de choses , Danielle et si finement observées .
J'en suis toute émue
Bises du jour
Michelaise, merci pour toute ton émotion à mes mots, merci...
Je comprends ton envie, ton rêve de soeur, ça fait chaud au coeur... mais ça ne se passe pas toujours comme ça, tu le sais...
je t'embrasse fort aujourd'hui.
Brigitte, il semble bien qu'il était vraiment trop vieux pour être dans le coup de ce qu'il fallait faire maintenant...
Pour ce monsieur la pendule de sa fin avançait un peu, il me semble...
Merci Brigitte d'être là...
Bises fortes.
Un vieux médecin devenu un ami au fil des années et qui comme un ami n'a pas vu venir..
Un vieux médecin qui ne sentait pas le poids des années et qui s'est laissé absorber par la vie...
Il n'a pas fait ce qu'il fallait..et son ami ébéniste a oublié de se mettre à l'écoute de lui même.
Ce n'est décidément pas facile , la Vie!Et plus le temps passe, plus la ligne d'horizon se rapproche, plus c'est difficile de rester serein...plus il faut se préparer...
Un beau billet, Danielle, comme à chaque fois si proche des autres
La journée des soeurs...c'est beau d 'affection et d'estime...et bien qu'ayant une soeur, je n'aurai pas eu la chance de vivre pareils moments..mais...j'ai des amies ..:-))
Bises de sous mon tilleul...
Les amies Danielle, ça peut marcher comme des soeurs :-)))
C'est vrai Danielle, la vie c'est pas facile toujours !!!...
Mais toi, sous ton tilleul, profite bien de son ombre, de sa beauté, et merci d'être passée, j'y suis très sensible...
Bises du soir.
Un très beau billet
Mais de quel droit ce jeune arrogant se permet-il de porter un jugement?
d'assassiner ainsi son confrère?
Son jour viendra lui aussi ,peut-être même bien avant d'être âgé, il ne fera pas tout ce qu'il fallait!
Bonne journée
Merci François d'être passée :-))
En fait le 2e médecin est un homme qui ne débute pas, c'est un médecin confirmé depuis très longtemps, son diagnostique, je pense n'avait pas pour but d'assassiner son confrère, il a lui-même une énorme clientèle et n'est pas à un patient près, il a fait faire les examens en urgence, mais il était trop tard...
C'est comme ça que j'ai reçu l'histoire !
Passe une bonne journée, bises à toi.
Déontologiquement cela me choque
La journée sera bonne étant vénitienne ....
Bonne journée à toi aussi
Oui, je comprends, tu sais les deux médecins se connaissent depuis longtemps...Passe un magnifique séjour à Venise... profite de tout !
Grosses bises pour toi.
A l'insu de mon plein gré j'ai supprimé mon commentaire. Toujours difficile de se quitter quand on a parcouru un long chemin ensemble en amour ou en amitié. Les produits très toxiques que cet artiste a côtoyés sont très certainement responsables, plus encore qu'un diagnostique inapproprié. Trouver des explications peut aider face aux injustices qui jalonnent nos vies. Certes les courses via le net ne favorisent pas les rencontres mais pour notre pain quotidien ( cela me rappelle de très, très lointains souvenirs ), la voiture est aussi en cause.
Allez un petit rayon de soleil, je vais en profiter pour aller aux Lices, si cela vous rappelle quelque chose.
Bonne journée.
C'est vrai Bretonnes, je n'y avais pas pensé à la toxicité des produits, le dernier médecin lui avait dit en plus qu'il avait fumé la cigarette des autres (dans ses ateliers) il était un fumeur passif.
Pour les courses, oui tu as encore raison, la voiture ne favorise pas les conversations :-)))
Les Lices, je ne connais pas vu que je suis Bretonne de naissance seulement... Et Parisienne sur tout le reste du parcours.
Bonne journée Bretonne et bises du pays.
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