J’ai regardé avec passion un documentaire sur la vie cachée des œuvres, on y décortiquait le magnifique portrait de Baldassare Castiglione, peint par Raphaël entre 1514 et 1515, qui est au Musée du Louvre.
Un aréopage de spécialistes en peintures anciennes observait de très près la peinture à la loupe, sous toutes ses coutures, à l’œil nu, avec des lunettes à laser et autres instruments très sophistiqués qui permettent de percer un peu la genèse de la création. Néanmoins, je fus amusée, surprise, interrogative et un peu désabusée par ce que je voyais et ce que j’entendais, et je n’apprenais rien d'intéressant.
L’histoire d’un tableau est toujours une richesse pour l’esprit, elle nous emmène, c’est vrai, vers d’autres niveaux de compréhension. La curiosité, le désir d’être au plus près d’une œuvre est un régal : tenter d’expliquer sa fabrication, suivre le pinceau de l’artiste, la scruter dans tous les sens, sous toutes ses formes et ses couleurs, trouver les intentions cachées, interpréter les codes, les symboles, nous approcher ainsi de son mystère... Quelle que soit l’œuvre, que nous l’aimions un peu, beaucoup, passionnément et quelques fois même pas du tout, l’observation, la connaissance et l’intuition que nous en avons, même d'un chef-d’œuvre, est certes indispensable, mais rien ne peut remplacer le regard pour faire naitre l’émotion, le grand frisson… Je me souviens avec ravissement de l’émotion que j’avais eue devant le Saint Sébastien et autres Saints de Pordenone à Venise : tout d’un coup au détour d’une petite église (San Giovanni Elemosinaro), dans la pénombre j’avais aperçu ce corps de danseur courbé, imposé par la forme du tableau, qui m’avait éblouie... Depuis des années j’étais passée par là sans le voir, et puis un jour je l’avais vu danser devant mes yeux, rien de m’y avait préparée, ce fut une rencontre exceptionnelle (mon post du 8/11/2011).
Un regard peut suffire pour tomber amoureux… Sans discours, sans mise en scène, en toute simplicité, regarder ce qui se passe, observer ce qui est peint, comparer, suivre, s’approcher au plus près de la matière, prendre son temps... Rien ne vaut ce tête à tête, et l’enthousiasme que peut apporter un rendez-vous muet avec une œuvre. C’est peut-être à cause de cela que je préfère le plus souvent aller seule faire ces visites, je mets ma sensibilité à l'épreuve de mon observation plutôt que de mon savoir, qui est limité.
Je me souviens aussi de cette joie énorme et inattendue que j’ai eue à contempler un tableau de Sébastien Stoskopff au Musée de l’Oeuvre Notre Dame à Strasbourg, j'ai le souvenir plus précis du tableau que de la cathédrale qui est pourtant magnifique. Ce tableau : « Corbeille de verres » (1644), j’ai tourné autour comme une mouche, j’ai pénétré le cristal, admiré la légèreté, la transparence, la virtuosité bien sûr, mais plus encore la composition et l’élégance, j’ai vu à travers la corbeille d’osier la fragilité des matières… J’ai vécu un moment inoubliable, une grande émotion. En fait, je découvrais ce peintre, dont je n'avais jamais entendu parler.
Mais revenons à notre documentaire... Je comprenais bien que tous ces gens férus d'histoire de l’art, rassemblés autour du portrait, cherchaient à élucider une énigme, très importante à leurs yeux : le portrait de Baldassare Castiglione, peint en référence à la Joconde (même posture, même regard, même pose des mains), avait-il les mains posées sur une rambarde ou non ? Cette question me sembla justement tout à coup tellement dérisoire, que je n'ai pu prendre au sérieux tout le reste.
Tous ces gens savants, assis sur deux rangs de chaises, ratiocinaient avec gravité sur cette question : y avait-t-il appui sur rambarde ou non ? Il y avait quelque chose de désuet, d'incongru même dans la question... Puis une personne est venue faire la démonstration qu'en fait il n'y avait pas d'appui, preuve en main, si je puis dire, voilà l'histoire : le trait noir laissé autour du portrait était formé par la toile, naturellement vieillie, bien repliée sur le châssis au moment de la finition du travail d'entoilage, il ne cachait rien, pas le moindre indice d'appui, les mains étaient bien légèrement croisées sur elles-mêmes, tous les amateurs d'art très éclairés en furent immédiatement bien soulagés... Ouf !
Je plaisante un peu bien sûr en disant cela, je sais bien que l'étude du détail est importante, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, moi qui aime tant faire des histoires avec des riens, mais je restais quand même bien frustrée, car on ne parlait pas du tableau, seulement des mains croisées sur quelque chose... Rien de sa partie visible, du beau regard bleu et doux de cet homme, ami du peintre, de ses vêtements de velours et de fourrure, de son turban, de la résille du turban, de sa chemise blanche qui dépasse un peu, de la grandeur réelle du personnage peint de trois-quarts, du bout de chaise sur la droite sur laquelle il est assis, de l'ombre portée, de sa physionomie... Rien de tout ce que Raphaël s'échina à restituer de façon grandiose, pour la plus grande joie de son ami, avec un admirable talent.
Je me disais, c'est comme regarder un paysage avec des jumelles, on ne voit rien de l'ensemble qui vous enchante. Pendant longtemps à Venise, je me suis trimballée avec l'histoire des Saints sous le bras, dès fois que je raterais quelque chose, je voulais tout connaître, tout savoir, et puis j'ai bien senti que ça ne m'aidait pas à mieux regarder... Maintenant je peux y aller les mains libres, je passe mon temps à m'extasier, comme si je voyais pour la première fois... Je découvre à chaque fois un paysage nouveau.
Je me souviens aussi du désir que j'avais il y a longtemps de connaître le nom de tous les arbres, de les nommer du bout des yeux à partir de leurs troncs, de leurs feuilles retournées je voulais être savante en botanique, horticulture, agriculture... Maintenant, à l'automne, dans ma campagne indroise, sur mon vélo, à pieds, je ne cherche plus avec frénésie le nom des choses, je suis émue de tout : la beauté environnante, les chemins verts, le bruit des peupliers qui se balancent, le calme de l'étang où viennent se planter comme des clous les hérons... Mes yeux balayent l'horizon à 360° comme le vent...
Cette frustration m'a décidée à prévoir très vite une prochaine visite au Musée du Louvre...
Tous ces gens savants, assis sur deux rangs de chaises, ratiocinaient avec gravité sur cette question : y avait-t-il appui sur rambarde ou non ? Il y avait quelque chose de désuet, d'incongru même dans la question... Puis une personne est venue faire la démonstration qu'en fait il n'y avait pas d'appui, preuve en main, si je puis dire, voilà l'histoire : le trait noir laissé autour du portrait était formé par la toile, naturellement vieillie, bien repliée sur le châssis au moment de la finition du travail d'entoilage, il ne cachait rien, pas le moindre indice d'appui, les mains étaient bien légèrement croisées sur elles-mêmes, tous les amateurs d'art très éclairés en furent immédiatement bien soulagés... Ouf !
Je plaisante un peu bien sûr en disant cela, je sais bien que l'étude du détail est importante, c'est l'hôpital qui se fout de la charité, moi qui aime tant faire des histoires avec des riens, mais je restais quand même bien frustrée, car on ne parlait pas du tableau, seulement des mains croisées sur quelque chose... Rien de sa partie visible, du beau regard bleu et doux de cet homme, ami du peintre, de ses vêtements de velours et de fourrure, de son turban, de la résille du turban, de sa chemise blanche qui dépasse un peu, de la grandeur réelle du personnage peint de trois-quarts, du bout de chaise sur la droite sur laquelle il est assis, de l'ombre portée, de sa physionomie... Rien de tout ce que Raphaël s'échina à restituer de façon grandiose, pour la plus grande joie de son ami, avec un admirable talent.
Je me disais, c'est comme regarder un paysage avec des jumelles, on ne voit rien de l'ensemble qui vous enchante. Pendant longtemps à Venise, je me suis trimballée avec l'histoire des Saints sous le bras, dès fois que je raterais quelque chose, je voulais tout connaître, tout savoir, et puis j'ai bien senti que ça ne m'aidait pas à mieux regarder... Maintenant je peux y aller les mains libres, je passe mon temps à m'extasier, comme si je voyais pour la première fois... Je découvre à chaque fois un paysage nouveau.
Je me souviens aussi du désir que j'avais il y a longtemps de connaître le nom de tous les arbres, de les nommer du bout des yeux à partir de leurs troncs, de leurs feuilles retournées je voulais être savante en botanique, horticulture, agriculture... Maintenant, à l'automne, dans ma campagne indroise, sur mon vélo, à pieds, je ne cherche plus avec frénésie le nom des choses, je suis émue de tout : la beauté environnante, les chemins verts, le bruit des peupliers qui se balancent, le calme de l'étang où viennent se planter comme des clous les hérons... Mes yeux balayent l'horizon à 360° comme le vent...
Cette frustration m'a décidée à prévoir très vite une prochaine visite au Musée du Louvre...
Ma campagne indroise
16 commentaires:
Qu'importe le nom des choses du moment qu'on sait les admirer et les aimer.
Tu sais, Danielle, je n'ai jamais vu en toi la moindre once de fanatisme, ce qui est une très belle qualité.
Je t'inciterai donc, comme je le fais, à pratiquer «l'alternance» si je puis dire...
Hier, ayant une récidive de douleur, je suis allée au Musée sans appareil photo avec mon simple petit carnet et ma plume.
J'ai sélectionnée deux salles de Feininger et le document sur le Bauhaus que j'ai regardé paisiblement, sachant que je reviendrais de toute manière.
Puis, je suis allée dans MA salle de peintures canadiennes, je me suis posée sur le banc -il fallait ménager les chevilles- et j'ai regardé tout doucement, pour la plaisir.
Cela ne veut pas dire que je ne serai pas reprise de frénésie de recherche la semaine prochaine! mais, savoir alterner, c'est bien...
Bonne soirée!
Bien sûr Robert vous avez raison...
Alors je continue à faire comme je fais, un coup je m'approche, un coup je m'éloigne, mais surtout je prends du plaisir à regarder.
Bon dimanche à vous.
Marie-Josée, voilà, tu as trouvé le mot juste "alternance" je garde !
Pour ménager tes chevilles et les récidives de douleurs, rien ne vaut les petits arrangements que tu as choisis pour faire tes petites visites au Musée...
Moi je choisi très souvent le Musée pour calmer mes douleurs de la vie...
je t'embrasse fort, prends soin de toi, à tout bientôt
Lors de votre prochain séjour à Venise,une petite visite à l'Eglise de San Rocco s'impose...
Un tableau de Pordenone s'y trouve : St Martin et St Christophe (côté gauche de l'entrée principale).
Amitiés.
Françoise.
Parfait Françoise, je vais y retourner :-)))
Merci de me le rappeler :-)))
Bises du soir.
Plaisir des yeux c'est déjà beaucoup et le reste peut suivre...
Belle semaine!
Danielle
Votre billet me fait bien plaisir, d'abord, dès que je vais au Louvre je ne manque JAMAIS de saluer Il Corteggiano, car, outre un ami c'est bien ce que Raphaël a essayé de rendre, ce qu'était à la cour d' Urbino un Courtisan et si vous lisez le livre de Baldassare, vous verrez qu'eux aussi ratiociner pour des peccadilles; c'est peut-être cette joute intellectuelle que les historiens de l'art veulent pratiquer dans la (les) lecture(s) d'un tableau.
Cela dit je suis fort d'accord avec vous sur le verbiage qu'entoure les interprétations toujours au détriment de la sensation.
Moi qui ai fait des études d'histoire de l'art, je vois bien de quoi il s'agit et comme vous je privilégie le ressenti avant tout autre chose.
J'ai loupé cette émission que j'avais pourtant repérée mais si les spécialistes pensent vulgariser de la sorte ils ont tout faut!
Belle journée.
Miss.
oups!
ils ont tout FAUX!
Merci Miss pour votre contribution, vous avez raison il faut bien aller dans les coins :-))) pour avancer dans les connaissances... Mais tout de même, ne laissons pas le jargon impressionner tout à fait nos émotions... Ayons confiance en nous !
Prochainement je me mets à Chardin que j'adore...
Passez une très belle journée ensoleillée.
Bises du matin.
Longtemps aussi je me suis trimballée avec l'histoire des saints, les différentes zodiaques et tout un tas de documents pour comprendre. Maintenant je sais regarder, mais j'ai appris grâce à cette première étape. Pour autant, tu as raison, les historiens de l'art sont parfois (souvent) de doux maniaques qui ne voient pas l'essentiel. Et qui nous dégoutent au lieu de nous aider.
Comme dit Marie Josée, il faut regarder tout doucement, pour le plaisir !!
Sais-tu que la barbe de notre Alter provient de sa passion pour ce portrait ???!!! il n'a pas les yeux bleus du modèle mais rêve d'être, comme lui "un honnête homme" !
Oui Michelaise, ta première étape a été de comprendre, la mienne de regarder... Mais finalement nous sommes quand même au même endroit !!
Quelle histoire Alter, et quel beau rêve celui de l’honnête homme, je vous souhaite vraiment d'y arriver :-)))vraiment...
Bises à vous deux du soir.
je dirai bien comme Robert que l'important c'est de savoir regarder, admirer ,aimer .
En ce qui concerne la peinture je tranche vite :j'aime ou pas !!!Par contre je ne suis pas une grande connaisseuse ...
La carte postale du tableau est d'un réalisme saisissant .
Bonne fin de semaine Danielle
Bises amicales
Merci Brigitte d'être passée, comme j'adore ce tableau et que je n'étais pas certaine d'en réussir la photo, j'ai opté pour la carte postale, garantie à 100% :-))))
Bonne fin de semaine à toi aussi Brigitte, bises du jour.
Quelle chance d'être émue par tout et rien, en fait je sais que c'est le fruit d'un long travail.
Oui, Bretonne, c'est le fruit d'un long travail... Chut ! Faut pas le dire !!
Bises du jour.
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