lundi 23 janvier 2012
Les maux des jours, les mots dits...
Depuis des semaines, je garde en moi les rencontres, les mots saisis ça et là sur mes chemins, les vilains mots, ceux des plaintes, des tristesses, les mots de tous ces jours qui ne vont pas...
L'autre jour, en passant devant l'arrêt du bus, juste devant le centre de santé, je vois un homme, noir, avec un chapeau, qui se tenait appuyé à l'abribus, droit comme un "i", majestueux, mince comme un fil de soie, une cigarette à la main, songeur, un peu perdu. Quand je suis passée devant lui, il a dit à voix douce : j'ai tellement de choses terribles dans ma tête qu'il faut que je fume... Une longue volute de fumée sortait de sa bouche... Il avait l'air d'être dans un théâtre, sa belle silhouette était immobile, il jouait une pièce, un morceau de sa vie, là, sur le trottoir, il souffrait, et paisiblement il disait deux ou trois mots de plainte, de douleur... J'ai continué mon chemin, lui le sien, sans bouger.
J'ai gardé en tête sa tristesse plusieurs jours après, encore aujourd'hui j'y pense, il avait l'air de jouer du Shakespeare : être ou ne pas être, il lui manquait les planches de salut...
Ma chère voisine de 97 ans est venue frapper à ma porte pour me souhaiter ses voeux, alors que c'est le contraire qui aurait dû se passer, c'est moi qui n'aurait pas dû tarder tant pour aller l'embrasser... Elle tient bon, je suis contente...
Chaque fois que je la rencontre, je lui demande : comment ça va, Alice ? Et elle me répond toujours, en penchant légèrement de côté sa tête blonde-blanche avec le sourire et l'éclat de ses beaux yeux bleus : ça va Danielle, autant que faire se peut... Elle fait ce qu'elle peut pour aller bien Alice, elle me l'a dit déjà, depuis longtemps elle attend que le temps passe pour elle. Je l'aime, ma voisine...
La semaine dernière, comme je sortais d'un cinéma un peu tard le soir, je fus surprise de voir du monde sur le quai du métro, dans des sacs de couchage, pas à l'abri du tout du monde, à l'abri de rien, sous le regard de tous, je trouvais que ça faisait beaucoup, deux corps sur un quai, deux corps sur l'autre. La semaine dernière, tous les voyageurs ont dû descendre du wagon à cause de l'odeur pestilentielle qui y régnait... Un homme assis tranquillement sur un siège, sans rien, pas un sac, pas une couverture, il sentait atrocement mauvais, il devait être dans cet état depuis très longtemps, sans soin, sans hygiène... C'est seulement l'argent qui n'a pas d'odeur...
Moi, j'ai continué mon petit bonhomme de chemin... En changeant de wagon comme tout le monde.
Je l'ai gardé en tête... Son visage, son allure, son absence, il ne semblait pas voir les voyageurs qui descendaient bien plus tôt que prévu...
Bonne année, tous mes voeux, comment vas-tu ? Beaucoup mieux, on débutait une conversation d'avenir, oui, je vais beaucoup mieux depuis que j'ai décidé de supprimer les deux somnifères que je prenais depuis des années... C'est vrai, tu a fait ça d'autorité, bravo ! Oui, depuis je vais beaucoup mieux, pas possible ? Mais comment as-tu décidé ça ? Comme ça, j'allais mal et puis comme mon médecin ne changeait rien, rien de rien sur mon ordonnance, alors j'ai décidé de prendre les choses en mains, de faire quelque chose pour moi, voilà, et puis quand je lui ai dit, docteur, j'ai supprimé mes somnifères ! Alors elle m'a dit : vous avez vraiment bien fait...
Mais c'est absurde ça, tu lui as demandé combien elle te devait, te voilà docteur maintenant, nous avons ri de ces jeux de rôles inversés... C'est une amie très chère qui me faisait la joie d'aller mieux, d'aucuns auraient dit : grâce à Dieu, elle va mieux, moi je dis non, c'est grâce à elle...
Maintenant je ne dors pas mieux, mais je m'en fiche, je dors le jour, comme je veux, une petit sieste et hop ! Je ne compte plus les heures de la nuit, je vais beaucoup mieux.
Elle aussi a de jolis yeux bleus, une élégance légendaire, elle marie les couleurs comme un peintre ou comme un grand couturier, avec tout, elle fait de l'harmonieux... Elle fait aussi des gâteaux délicieux... Mais tu sais, mon cardiologue est un homme dur, jamais le mot qu'il faut pour te remonter le moral, tout est coupant dans ses paroles, t'es une malade, pas autre chose, t'as juste un coeur, des artères peut-être, pas de tête, pas de jambes, rien qu'un coeur... Il a pas de coeur ! Mais pourquoi tu ne changes pas d'adresse ? Mon médecin me l'a déconseillé, il n'est pas bon pour les paroles et les remontants, mais c'est un bon cardiologue, ne changez rien maintenant, alors je reste, à mon corps défendant.
Mon amie parle d'or, avec des mots si bien choisis, tu te demandes toujours où elle les prend, ils sont toujours dans un ordre impeccable, si bien adaptés, si justes, le bel ordre plein d'harmonie comme les couleurs... Ma belle horlogère, tic, tac, tic...
Je suis contente aussi pour elle, quelle belle année ça va être, je touche du bois.
Entre deux stations, c'est fou ce que les mots sont précis, le bus se balance et nous avec... : "Chez nous, on n'a pas la télé"... Ah bon ! On ne s'était pas vues depuis longtemps, mais on était reparti comme en 14, tu ne regardes pas les infos alors ? Non, mais tu vas lire la presse sur Internet ? Non, j'ai pas envie,... J'avais trouvé mon alter ego, moi aussi j'évite les infos de peur de me trouer la tête, de me faire happer par la grisaille, je ne regarde plus les infos, ils ont toujours tout faux... Je ne garde pas la tête dans le sable, je vais sur Internet, mais comme il n'y a pas le son, ça va mieux... Je garde les idées claires, je me dis, ça ira mieux demain...
Demain c'est bientôt ?
Les jours se déroulent avec les maux de tous les jours, les joies aussi, le ciel bleu entre deux nuages, le printemps sera là bientôt, encore un peu de patience, restons encore un peu les pieds dans l'eau... Le coeur sur la main...
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10 commentaires:
Un très bel article qui apporte du réconfort alors la main sur le coeur je vous dis à demain ?
Merci Robert, à demain !
Bises du matin.
Des voeux tellement humains, tellement indulgents et tendres ! bravo Danielle pour ce moment simple partagé avec toi !!
Merci chère Michelaise, à demain...
Bises du soir, fortes.
Beau texte mais empreint de tristesse, aujourd'hui c'était le jour le plus maussade de l'année……Alors !!!!!!!
Cet hiver n'est pas froid, je n'ose imaginer la rudesse du quotidien pour certains lorsque les températures sont négatives.
97 ans, qu'un dieu, peu importe lequel, me préserve d'aller jusqu'a cet âge même en "bonne santé", la solitude me fait peur. " Mes amis sont tous au cimetière" me dit souvent mon père qui a 94 ans.
Tu as de ces bonheurs d'expression, Danielle! "Mince comme un fil de soie";"il lui manquait ses planches de salut"... J'apprécie vraiment! Tu m'as fait sourire alors que je suis en pleine inquiétude, car on vient de me proposer d'échanger ma grande maison un peu vieille contre un bel appartement tout neuf.
Le hic, c'est qu'on détruira la vieille maison pour construire en lieu et place de nouveaux condos. Cinquante ans de travail, d'aménagement du jardin, de plantation d'arbres...On ne dit pas adieu comme cela...Et pourtant, je suis souvent fatiguée, tu le sais, de tout porter à bout de bras.
Alors, merci pour ton texte qui m'a fait sourire en transposant les soucis des autres en si belles formules!
Bretonne si tu avais vu aujourd'hui, ma voisine de 97 ans toute frêle dans son grand manteau noir, courir se faire faire une prise de sang... En souriant.
Je l'ai embrassée serrée...
Bien sûr la solitude fait peur, mais il y a tant de choses Bretonne qui peuvent te faire peur même plus jeune.
Ces gens du métro, si déshérités, ne font pas attention au degré, même à 20° ils sont seuls...
Le printemps sera vite là, nous verrons du vert et du rose, la vie sera plus gaie...
Attends un peu...
Grosses bises du soir.
Marie-Josée comme je suis heureuse de tes sourires à me lire, merci !
Bien sûr, ta maison, avec le jardin et 50 ans de travail dessus, c'est lourd à porter en souvenirs... En questions, en regrets... En adieux...
Mais l'appartement, beau et grand sera bien aussi, tu seras à l'aise, doucement tu repartiras à l'assaut d'une vie meilleure avec moins de soucis... Moins de travail, c'est un bel avenir pour toi je trouve...
Chère Marie-Josée, merci de ta présence.
Je t'embrasse fort, rends soin de toi.
Je te lis parfois et ne laisse pas de trace; mais là je ne pouvais pas ne pas me manifester car tes mots sensibles et justes m'ont particulièrement touchées
A bientôt
Heureuse de ton passage Brigitte, de t'avoir touchée...
A très bientôt.
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