Tous les matins, je vais prendre mon petit café, ou mon thé, dans un bistrot dont la terrasse ouvre ses tables sur le grand campo Santa Margherita, tout près de chez moi. Les tables rondes, nappées, sont belles, bien abritées du soleil sous un bel auvent vert, qui mâtine le teint et donne bonne mine à tout le monde.
Dans ce café viennent, de bonne heure, les habitants du coin, des femmes, des hommes d'un certain âge... Les hommes lisent leur journal ou discutent avec ceux qui passent, les femmes prennent des nouvelles de leurs petits-enfants avec le téléphone portable qui se trouve dans la poche de leur gilet ou de leur robe d'été... Pronto amore, è la nonna...
Rien ne les bouscule, le temps passe à petites goulées. avec le café le patron peut apporter de délicieux sablés, des croissants farcis à la marmelade de fruits, l'odeur est sucrée, vanillée, la Venise du matin sent le gâteau frais et le café chaud.
Moi je prends un café allongé, déjà c'est mal vu, mais je sors aussi mon mini ordinateur, car je peux avoir la connexion sur le campo, celle mise à disposition des citoyens vénitiens gratuitement par la Municipalité (mon logeur et ami m'a prêté son code d'accès :))
Les dames qui téléphonent à leurs petits-enfants, qui sortent leur chien, ou qui vont faire leurs courses, me regardent du coin de l'oeil...
Mais tout va bien, nous nous entendons bien, nous ne nous disons rien, puisque je ne parle pas italien... Mais mon sourire, et le leur, en disent long...
Quand je passe la commande de mon" allongé", le patron ne sourit jamais, pas un mot. Je me suis dit, tiens, pourquoi est-il triste comme ça ? Il fait la tête ? Il n'aime pas que je profite de sa terrasse pour me connecter ? Il voudrait bien que je prenne un sablé ? Il trouve que je gâche un café en mettant de l'eau dedans ? Il n'aime peut-être pas les touristes ? Il voudrait peut-être être ailleurs ?
Et puis, tous les matins où je suis venue sont restés identiques, avec ce monsieur qui ne disait rien. Mais je me suis aperçue qu'il faisait de même avec tout le monde, il prend la commande, revient avec, et repasse relever les compteurs, jamais un mot, jamais un sourire... Pourtant sa terrasse est toujours pleine, jamais de musique (heureusement) comme souvent ailleurs sur le campo, l'après-midi, la clientèle rajeunit. Mais notre homme garde son sérieux.
Il sert toujours avec son grand tablier blanc sur le ventre, bien peigné, mais pas de sourire, pas de parole, il est tout seul dans la boutique, forcément, pas le temps de parler.
Souvent, je viens chercher ma commande au comptoir, je lui rappelle que je suis là, dehors, à attendre, mais il s'en moque complètement, il continue à faire de la vapeur avec sa machine à café, il fait trembler le lait, avec un petit geste bien ajusté, pour le faire mousser quand il vient recouvrir le café.
Le soir, quand je me suis attardée avec mon café ou mon thé et mon petit ordinateur... Et que l'heure de la fermeture approche, il enlève les tables une par une, empile les chaises deux par deux... Toujours sérieux, l'heure c'est l'heure, 19h30, c'est pas 19h32. Voyez, je commence à ranger, préparez la monnaie, pliez bagage, je ferme.
Maintenant me voilà rassurée, toutes les questions que je me posais sont caduques, j'ai bien regardé, bien observé, bien analysé, il fait la porte de prison avec tout le monde, mais alors pourquoi sa terrasse est-elle toujours pleine ?
Il est le moins cher du campo, bien à l'écart des terrasses qui se mettent à chanter très fort, dès le matin, avec une clientèle plus jeune.
Le café est bon, les viennoiseries sont délicieuses, le service est bien fait, rapide, efficace, mais le patron est une vraie porte de prison... Dommage !
Vous vous doutez bien que je n'ai pas passé tous mes matins chez lui, je suis allée voir ailleurs, pas très loin, j'ai découvert une petite terrasse, tout près de la Barca, cette belle barque "marchande" pleine de fruits et légumes, amarrée sur l'eau à demeure, un grand auvent en plastique vert protège la marchandise du soleil, ce magasin flottant fait le bonheur des passants et des appareils photos... Ce sont des frères jumeaux qui tiennent le négoce, c'est ce que j'en ai déduit, tellement ils se ressemblent...Voyez le bateau jardin... Il est en bonne place dans tous les guides...
Sur la Barca, les montagnes de tomates, courgettes et melons, attendent le client, je commande mon café americano, j'ai le sourire du garçon... Et sa petite phrase de bienvenue, rituelle et nécessaire : Arrivo subito !
Je me détends, je sors mon mini ordinateur, me branche sur Skipe pour avoir des nouvelles de la famille et des amis.
Je regarde défiler les touristes par deux, en groupe, en troupeaux, en file indienne, il fait beau, je fais des plans sur la comète... Je complote avec ma carte, mon guide et mes envies pour partir à la découverte... Les odeurs de vanille, de sucre, et de café flottent sur le Campo...
8 commentaires:
Toujours amusant de pénétrer dans tes histoires...Mr Porte de Prison parle-t-il un peu, au moins bonjour et merci ? Je suis d'accord avec toi plus sympa du côté du Campo S'Barnaba, là ça discute et c'est couleur locale !
Si tu aimes le thé, il y a un petit salon dans la Calle Lunga qui part du campo à ta droite...
Quant à tes jolies photos, sympa la corte sconta detta Arcana, as-tu vu le Beau Corto Maltese ?
Bonne soirée
Danielle
Danielle, ce monsieur ne disait pas souvent bonjour, mon petit café était entre les deux campi...
La corté Danielle est celle qui s'appelle Corté Botera... Elle est magnifiquement restaurée et donc toujours fermées à la visite...
Bonsoir Danielle et merci pour le salon de thé...
Malgré ta "porte de prison" j'aime ta Venise du matin qui sent bon le café chaud et le gâteau sucré!
Il campo San Margharita est dans le Dorsoduro? Ce n'est pas trop loin des Frari?
San Barbara, je me souviens bien de cette "barca" !
Bonne soirée Danielle
Merci Enitram d'aimer mes matins à Venise, oui ce campo est bien dans le Dorsoduro, très près des Frari à moins de 10mn, en vrai !
J'ai vu qu'il y avait la même Barca du côté de la Via Garibaldi juste avant d'arriver à S. Pietro...
A bientôt Enitram.
Ce n'est pas la soupe à la grimace mais le café à la grimace!
Quoique non manifestement il ne fait même pas de grimace
Pourquoi avons-nous besoin d'un brin de gentillesse?
Car c'est bien cela nous en avons besoin.
Mais pourquoi ferait-il un effort puisque de toute façon il y a du monde sur sa terrasse,si c'est sa nature d'être ainsi ,qu'il lui manque le gêne du sourire?....
Encore une fois tu me charmes avec tes histoires .
Je la vois bien ta barque,je ne peux m'empêcher de la prendre en photo chaque fois
Exactement : le café à la grimace !
Moi non plus je ne peux m'empêcher de la faire la photo !
Moi, tu me charmes avec tes visites.
Bonne journée Françoise, à bientôt de te lire.
C'est ma terrasse préférée à Venise !
M.17
Chouette, votre terrasse préférée, c'est vrai qu'ils sont adorables ici... Sourires et odeur de vanille... Juste en face le Pâtissier :-))
A bientôt de vous lire.
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