
Photo de ma carte postale...
Je me souviens des premières années à Venise, je confondais tout, surtout les églises et leur situation dans la ville, et les œuvres qu’il y avait dedans.
J’avais pourtant des livres qui m’aidaient à organiser ma pensée, mais rien n’y faisait, j'avais tout en vrac dans ma tête. J’avais acheté une quantité de cartes postales, directement dans les églises, elles ne sont pas chères du tout. Je constituais ainsi ma petite collection, que je gardais constamment sous les yeux, et comme pour mémoriser les tables de multiplications, je répétais mes auteurs pour les savoir par cœur, il fallait marier ensemble, sans se tromper, l’église et les œuvres qui allaient ensemble. Je n'y suis pas encore tout à fait...
Vous me direz, à quoi ça sert de tout retenir, puisque je vais revenir, et puis il y a les livres, les guides, les amis, les blogs, les envies du moment, et le Pass Chorus ?
La réponse est simple, quel bonheur de posséder sur le bout des doigts les lieux, les images, les odeurs, les couleurs et les numéros des vaporettos qui vont avec, rien que pour le plaisir de les retrouver d’un seul coup d’œil.
Un peu comme dans une maison de campagne, si vous avez la chance d’en avoir une, rappelez-vous quelle joie vous avez de la retrouver chaque année, même les toiles d’araignées vous sont familières. Vous allez d’une pièce à l’autre en mangeant votre espace des yeux, celui que vous avez si bien décoré, avec les meubles familiaux et ceux des brocanteurs. Le portrait de votre aïeul supposé, les noix, les noisettes oubliées, de la saison dernière, laissées là, dans une coupe… Les fleurs, les arbres du jardin, prêts à vous faire pleurer, tellement c’est beau ! Vous êtes chez vous !
Vous voyez ?
Moi je fais ça à Venise, disons que chez elle, je suis dans ma maison de campagne, j'en fais le tour avec un œil neuf et attentif, à chaque visite… Je contrôle même la taille des poissons dans les ri… Je passe tout ce que je peux au peigne fin, je suis un peu chez moi.
Au bout d’une semaine, je vois bien que je n’arriverai pas à tout passer en revue, j’abandonne certains musées, ça sera pour l’année prochaine… La biennale d’architecture aussi, il faudra patienter… Je fais la liste des incontournables, et je me laisse vivre.
Tout ça pour vous dire qu’à force de réviser les beautés de la ville, je fais toujours des découvertes qui me donnent du bonheur pour toute la journée.
C’est comme ça que j’ai regardé pour la première fois le tableau de Giovanni Antonio de' Sacchis, dit le
Pordenone, dans cette petite église, que certains mettent du temps à trouver tellement elle est bien dissimulée, tout près du pont Rialto, la chiesa San Giovanni Elemosinario. L’église est un peu sombre et remplie de tableaux.
J'y avais pourtant à plusieurs reprises écouté des concerts, donc demeurée assise des heures, sans rien remarquer d’anormal, sauf le charme, la confidentialité et la beauté de l’édifice.
Cette année,en faisant le tour du propriétaire, je suis tombée en arrêt devant une œuvre de
Pordenone, je n’en finissais pas de l’admirer, comment a-t-elle pu m’échapper ?
Sainte Catherine, Saint Sébastien, Saint Roch, et un ange, étaient représentés dans un grand tableau au dessus d’un autel à la droite du chœur.
Je ne sais pas si vous avez remarqué cette œuvre ?
Mais moi j’ai eu un coup de cœur, qui dure encore aujourd’hui.
Je me suis précipitée sur mes livres, Internet, et j’ai trouvé le minimum vital… Il est classé dans la catégorie des peintres maniéristes, est né en 1484 près d’un petit village du Frioul d’où son surnom, est mort à Ferrare à 55 ans, mauvais caractère, très ombrageux, la légende parle d'empoisonnement au sujet de sa mort...
Revenons à ce tableau singulier, Saint Sébastien à gauche, percé d’aucune flèche, les poignets attachés avec une corde, prend la pose d’un danseur, souple, robuste, fin et gracieux, la lumière dorée enveloppe tout son corps. La courbe de ses bras épouse parfaitement la forme de la toile, il occupe toute la partie gauche du tableau, son regard nous invite à suivre les deux autres saints et l’ange, formant un espace circulaire, parfait, le genou gauche de Saint Roch fait écho au bras droit de Saint Sébastien, la boucle est bouclée.
Le tiers du tableau, en bas, nous montre « le jeu de jambes » en pleine lumière, de tous les personnages masculins (y compris l'ange), en force et en douceur. Les tissus mouvants et sinueux, les couleurs vibrantes des vêtements de la sainte, la roue sur laquelle elle s'appuie achèvent de faire tourner et d’équilibrer le tableau.
Les couleurs un peu sombres gagneraient à être restaurées, éclaircies. La base chromatique binaire de l'ensemble, vert et rouge, met en valeur les carnations et les mouvements des saints. Une splendeur !
Je suis restée comme aimantée par la grâce, la beauté et l’habileté de cette œuvre.
Je l’ai mise dans ma maison de campagne, et l’année prochaine, je lui rends visite immédiatement.
Si vous passez par Venise, allez l'admirer, et surtout si vous en apprenez plus à son sujet, prévenez moi…