samedi 24 octobre 2015

Alice est de retour...


 Le cadeau d'Alice ? Secret de polichinelle !

Quelques jours avant mon petit séjour à Baden Baden, Alice, ma voisine (101 ans en novembre) devait s'envoler pour la Suisse, chez un de ses petits-fils... Elle était venue frapper à ma porte pour me dire au revoir, avec son sourire de smiley toujours au beau fixe, coiffure impeccable, ondulée naturellement, Blanche-Neige n'est pas plus belle...

Nous discutions du confort du voyage, oui, c'est très bien dans l'avion, on prend soin de moi, je n'ai rien à faire, j'adore quand je ne me m'occupe de rien quand je voyage, on la prend et on la dépose sur son petit tapis volant... Dans l'avion les hôtesses sont près de moi : tout va bien ? Avez-vous besoin de quelque chose ? N'hésitez pas ! C'est vraiment bien, je suis comme une reine... Et en Suisse, ils sont gentils avec vous ? Oui, oui, adorables, je suis bien logée, une chambre et une salle d'eau rien que pour moi... Parfait Alice... Ils m'emmènent promener, c'est très beau, il y a de grands jardins... J'ai même droit à des petits plats : malicieuse, elle apprécie la bonne cuisine...

Ses affaires étaient prêtes depuis deux jours, la valise posée sur son divan lit, on pouvait sonner à sa porte, sur l'heure du rendez-vous elle avait beaucoup  beaucoup d'avance...

Les deux heures d'avion ne la dérangeaient jamais, elle était fraîche comme une rose à l'aller comme au retour. Depuis quelques mois, elle tanguait bien un peu en marchant, elle me faisait peur, je lui prenais le bras même pour naviguer sur le palier : Alice, faites attention, prenez votre temps, n'allez pas tomber. Elle a fait une chute la semaine dernière, et vlan, sur le trottoir, elle m'a raconté s'être relevée toute seule, une petite plaie au bras, rien de bien méchant : c'est sans doute ma canne qui m'a blessée, il a fallu quand même quelques points de suture, mais pas un bleu. Elle cicatrisa en quelques jours, elle me montra fièrement son bras, tout beau !...

Alice, Alice, faites attention de ne pas tomber, ça pourrait être très grave pour vous... Mais Danielle, qu'est-ce que ça peut faire ? Elle savait...


Sous l'aluminium...

Depuis des années, Alice me dit entre deux sourires : je n'ai pas peur de mourir, je n'attends que ça, je suis trop vieille maintenant, je ne sers plus à rien... J'ai beau lui dire que si, elle sert à beaucoup de gens qui l'aiment, elle me laisse dire et sourit avec ses yeux bleus, à ses oreilles pendent deux petits brillants qui scintillent comme ses pupilles.

Alice tangue, elle me fait peur... Une petit chaloupe humaine qu'une petite vague peut emporter...

Nous sommes revenues le même jour de nos grands voyages respectifs, Alice n'a pas tardé à sonner à ma porte : Danielle, c'est moi, Alice ! Bonjour chère voisine, avez-vous fait bon voyage ? Elle avait dans la main, comme à chaque fois, son gros paquet mystérieux tout argenté, mais j'en connaissais le contenu, si souvent offert...

Mais Alice, il ne fallait pas ! Mais si, mais si, vous êtes si gentille, et patati et patata, en un tour de main le paquet avait changé de main. Merci, bisous, allez Alice, je vous raccompagne... Nous avons continué la conversation, assises confortablement chez elle. C'était comment ? Et le temps ? Vous avez fait de belles promenades ? Ils étaient gentils avec vous ? Vous avez bien mangé ? Elle disait oui à tout.

Et puis brusquement elle me demanda des nouvelles de mon ami, elle le savait très malade, elle avait tout saisi de la conversation téléphonique que j'avais eue chez elle, dans un moment d'urgence pour lui... Alice, mon ami est décédé ! Comme c'est triste !

Alors, Alice m'a dit combien son entourage familial lui était utile pour poursuivre le chemin, moi j'ai toujours eu l'impression que seul compte ce capital d'amour pour survivre...

Ensuite seulement, elle me demandé : Danielle, vous pouvez téléphoner pour prendre un rendez-vous chez mon docteur, avec mes oreilles je ne peux pas ?... J'ai pris rendez-vous, bien sûr le médecin viendra à domicile, Alice a un peu mal dans le bas du dos, elle était tombée chez son petit-fils, une plume de cent ans, ça pèse lourd... Combien de temps la houle va-t-elle l'épargner ? Je ne veux pas le savoir, je vais aller la voir plus souvent...


Le bouquet de fleurs en chocolat

Pour les obsèques de mon ami qui chantait dans ma chorale depuis si longtemps, nous avons chanté pour lui et les siens, un beau chant de la liturgie orthodoxe russe qui fait pleurer dès les premières notes, jusqu'aux dernières... Nous avons tenu jusqu'au bout... Au revoir mon ami...

mardi 20 octobre 2015

Les surprises de Baden Baden (Allemagne)


Balade sur la Lichtentaler Allee

On m'avait dit : tu verras, cette ville est totalement le contraire de ce que tu aimes, petite ville de villégiature balnéaire, genre Suisse bon chic, bon genre, assez chère, belles devantures d’antiquaires, de joailliers, de beaux vêtements, fourrures,  une ville cossue, n'y va pas... J'avais fait un tour sur Internet, sur un forum de baroudeurs, j'avais lu un avis qui donnait définitivement envie de sauter la case Baden Baden : n'y allez pas, rien à voir, c'est moche, les alentours sont bien plus intéressants... Bon ! Nous verrons bien...

Je devais rendre visite à quelqu'un de ma connaissance, donc une très bonne raison d'y séjourner quelques jours, il y ferait beau, je jugerai par moi-même !


Sur la Lichtentaler Allee

Dans cette petite station thermale (53000 habitants), le tourisme et les commerces de luxe foisonne, il y a plein de belles choses à voir et de délicieux gâteaux à déguster... La ville est à 60 km de Strasbourg.

Une très jolie rivière nommée l'Oos traverse la ville, le lit de la rivière est entièrement pavé, la balade (Lichtentaler Allee) est longue de quelques kilomètres. Elle est bordée d'élégants hôtels et villas privées. Des petits jardins ponctuent son parcours, les magnifiques arbres ancestraux sont un enchantement, il y a un chêne qui a plus de 200 ans, mais je n'ai pas su le repérer... Certains arbres très vieux sont soutenus par une multitudes de tuteurs.

Cette promenade mondialement connue s'est développée sur 350 ans...


Le pavement de la rivière scintille au soleil

L'automne commençait son travail des couleurs, les jaunes et les rouges arrivaient les premiers sur les rangs...


Les jaunes et les rouges...

Des arbres étonnants, sans étiquette, sans indication d'âge, jalonnaient la promenade, comme celui-ci... Soutenu par en-dessous par une forêts de cannes, il s'étalait de tout son long sur la pelouse, la photo était quasi impossible, pas assez de recul pour l'enfermer dans la boîte, j'ai quand même essayé..


On dirait un énorme nounours fatigué

Et cet autre, plus haut que large, surexposé également à l'image, mais tant pis pour la lumière qui n'était pas dans le bon sens :


Le géant

Le long de cette voie ruisselante, on rencontre le Musée d'art contemporain Frieder Burda, bâtiment clair et spacieux, tout carrelé à la manière de Jean-Pierre Raynaud, utilisé pour des expositions temporaires, le photographe allemand Andreas Gursky était à l'affiche, quelle chance !


Le Musée des Beaux Arts


L'aile du musée et la nature entremêlés



Voilà ce que j'ai vu de son oeuvre photographique exposée au musée d'art contemporain

Andreas Gursky est considéré comme l'un des plus importants artistes contemporains, ses photos globalisent le monde, capturent la vie moderne et la réalité presque entière, ses photos vertigineuses sont des documentaires à elles seules, elles restent des témoins des voyages entrepris dans le monde entier. Cet artiste fait des photographies vertigineuses, où l'on peut apercevoir des foules humaines, des fenêtres, des objets à l'infini, au point de ne plus distinguer une silhouette d'une autre. Une rare émotion m'a saisie de voir ses œuvres dans leur dimension originale, d'une beauté incroyable et surprenante, son oeuvre réfléchit le monde avec grandeur, beauté et critiques...




La corbeille de Chicago (1999)

99 Cent (1999) 

Une épreuve a été achetée par le centre Pompidou en 2000, cette photographie est l'une des plus grande du monde, elle mesure 2m x 3m (ce fut aussi la plus chère du monde en 2007). Andreas Gursky a adopté un angle proche de celui de la caméra de surveillance, chaque prix se termine par  99 Cents. Elle est aussi une dénonciation de la société de consommation. Chaque photo est d'une qualité exceptionnelle, et de très grande taille.


Paris-Montparnasse (1993), 2m x 4m environ

Andreas Gursky photographie un immeuble dans son entiéreté, formant une vue fascinante et abstraite, on peut aller de détail en détail, s'approcher de chaque fenêtre, comme un voyeur.


 Le Rhin (1999) 190 x 360 cm, beau comme un tableau !

D'une incroyable beauté, cette photo ressemble à une peinture abstraite, le vert est beaucoup plus intense sur  le tirage exposé. L'artiste a éliminé tous les détails superflus,  les promeneurs et un bâtiment d'usine, il justifie ses manipulations ainsi : "une construction fictive est requise pour fournir une image précise d'une rivière moderne".

Au centre ville, sur le parcours touristique, impossible de louper l'énorme statue de Bismarck, (13 m de haut) sa forme massive, sombre et impressionnante, reste visible dans l'ombre du soir qui descend :




Statue de Bismarck (1815-1898), sculpteurs Ettlinger Oskar, Alexander Kiefer (1907)

Pour être saisi par grande statue de Bismarck, il suffit de lever la tête, pour apercevoir les petits Stolperteine sur certains trottoirs de la ville, il suffit de baisser la tête et de rester attentifs... Les Stolpersteine (traductions : obstacles, pierres d'achoppement, pierres sur lesquelles on peut trébucher) sont des petits pavés de cuivre gravés, discrets,  presque invisibles aux distraits...




Stolpersteine

Ces pavés rendent hommage aux juifs de la ville, arrêtés, enfuis, déportés et assassinés par les nazis pendant la dernière guerre, ils sont "plantés" sur le trottoir devant le domicile des victimes, les derniers Spolpersteine ont été plantés en 2013, chaque cube rappelle la mémoire d'une personne. Plusieurs milliers de Stolpersteine ont ainsi été encastrés depuis 1993, principalement en Allemagne mais aussi dans d'autres pays européens. Il existait une synagogue dans la ville, elle a été entièrement détruite en 1938 pendant la nuit de cristal.

Merci Wikipédia : Gunter Demnig a recherché les données des personnes qui ont été pourchassées et déportées pendant la période du nazisme. Il a fait ses recherches en fouillant dans des archives, sur la base de données sur le sort des victimes du Mémorial de Yad Vashem de Jérusalem, en coopération avec des musées et écoles, ainsi qu'avec des survivants et familles. Si des données sont disponibles, Gunter Demnig crée alors des Stolpersteine. Il les encastre dans le sol des rues publiques devant les maisons ou immeubles où résidaient les personnes déportées ou arrêtées. Sur chaque plaque est marqué : « ici habitait » (Hier wohnte) avec ensuite le nom, la date de naissance et le destin individuel de chacun.
Ces pierres d'achoppement sont financées par des dons, des collectes et des parrainages obtenus de citoyens, de témoins du passé (Zeitzeugen), de classes d'écoles, de membres d'associations professionnelles et de communes. Il faut 95 euros pour installer une pierre.
Les surprises historiques n'empêchent pas la gourmandise, la pâtisserie/chocolaterie historique de la ville : Köning vous régale de confiserie, gâteaux, chocolats, tous les produits sont frais, faits maisons et sans conservateur, la boutique ne désemplit pas, j'ai eu énormément de mal à choisir le gâteau au fromage dont je raffole, mais finalement mon choix n'a pas été le bon, le gâteau était fade, une petite déception du séjour...



Voyez le choix difficile, les gâteaux pouvaient se couper à la part...

Difficile aussi de trouver un restaurant un peu en dehors du circuit touristique, mais grâce à des recherches fouillées sur Internet j'ai pu en dégoter un extra, cuisine allemande assurée, délicieuse et pas trop chère :


Si d'aventure vous allez à Baden-Baden, vous pouvez aller manger là, c'est bon ! 


La ville vaut le détour, elle est intéressante, et recèle des tas de trésors, il suffit de vouloir les dénicher et les admirer. N'oubliez pas les arbres, ces grands monuments historiques en plein cœur de ville !...

mardi 13 octobre 2015

Carnet de campagne... Et la vie continue (3)



Paysage...


Il y a des années où tout va de travers ! Dans le village où je suis, il y a deux boulangeries, celle du haut et celle du bas, il suffit de traverser la rue en pente qui les sépare.


Elles ont leurs spécialités : celle du bas fait des feuilletés au fromage de chèvre, le feuilleté est bon mais il faut chercher le fromage, celle du haut fait du mauvais feuilleté mais il y a un peu plus de fromage, les petites parts ont le même petit calibre dans les deux boutiques, vous voyez le dilemme ?

Pour les gâteaux, ceux du bas sont meilleurs, mais très petits, ceux du haut ne sont pas meilleurs mais bien plus gros, que faire ? Toutes les deux ont des propriétaires raides comme la justices, rarement le sourire, bonjour, au revoir, ça va comme je te pousse... Au moins on n'est pas obligé de choisir, la soupe à la grimace, c'est de bas en haut...


Celle du bas et celle du haut font l'unanimité sur le pain : il est atroce ! Leurs pains de toutes  sortes ont le goût de papier, voilà des années que les habitants qui refusent de prendre leur voiture pour aller l'acheter ailleurs, loin, plus loin, mangent du carton-pâte. Quelque fois même il y a la queue, je me suis toujours demandée pourquoi ? Ici, dans les boulangeries, rien ne va plus depuis des années, personne ne se rappelle avoir mangé du pain meilleur...

Alors, quand je suis arrivée dans le coin, j'ai acheté mon pain pour le mois, j'avais calculé le nombre de baguettes nécessaires à mon petit-déjeuner, comme une bonne gestionnaire de cantine, j'en pris donc en conséquence environ vingt ou plus, en comptant les invités qui viendraient en cours de séjour, je découpais le tout en petits tronçons et hop ! Au congélo. J'ai trouvé mon pain en grande surface.. Ah bon ! Oui, je vous explique : dans un beau temple de la consommation, à 20km de mon habitation de campagne, le rayon boulangerie est garni par un artisan boulanger qui fait le pain bon comme de la brioche ! Sauvée !




Le pain délicieux de l'artisan boulanger


Pour les bouchers, la situation est beaucoup plus délicate : ils travaillent très bien tous les deux, et se font forcément concurrence, mais je ne sais pas en quoi, je vais toujours chez le même, sauf quand l'un d'eux est en vacances. Moi qui en ville ne mange jamais de charcuterie, dans ma campagne je déguste du boudin aux pommes, de la tête de veau en tranche, du rognon de génisse fabuleux, et même de la hure à s'en lécher les babines. Le tout à prix bas et d'excellente qualité... Je me disais : allez, pour une fois, laisse tomber le cholestérol, et pense à te régaler... J'étais sage ! Dernière minute : maintenant je sais, après avoir goûté le boudin chez les deux, que  celui qui est en vacances n'a rien à craindre, c'est le meilleur (chut !)

Il y a un brocanteur, un seul, chez lui tout est brocante, sa devanture n'est pas fraîche, on n'en offrirait pas un sou tellement elle est sale et maculée de crottes de pigeons, le gars sort sa marchandise tous les matins sur le trottoir, avec le sourire pour allécher le chaland. Sur la porte il y a un bel écriteau tenu par une ficelle où l'on peut lire en grosses lettres, d'un côté ou de l'autre : ouvert ou fermé. .. Je n'y mets jamais les pieds de peur de trouver encore un bel ornement qui encombrera mon appartement... Je ne suis pas une cliente facile...

L'église est petite, très ancienne, la porte est toujours ouverte, invitant chacun à la visite, il faut descendre trois marches, il y a un vitrail qui brille dans le chœur quand le soleil est très haut, il fait très sombre, trop sombre pour moi, ça me fait peur, je n'ai jamais su pourquoi, sans doute une frayeur d'enfance ? Le clocher est en pierre, il domine tout le village, c'est un repère assuré pour les balades environnantes...



Le clocher en pierre

Derrière l'église il y a une petite "routine", un petit chemin vert superbe bordé de jardins, dont celui du curé reconverti depuis longtemps en jardin de laïc. Sur une bonne partie du sentier, à droite, courent les restes d'un muret en pierres sèches, et tout au fond, on entend le glouglou de la rivière qui traverse le village... C'est un endroit hors du temps, silence, verdure et cocoricos des basse-cours...


Les murets en pierre sèche du petit chemin



Les murets en pierre sèche du petit chemin

Maintenant que je suis presque du coin, je salue les gens qui passent : comment allez-vous, votre santé ? Fait beau, ça va se maintenir ? Bonne journée, à bientôt ! À part la météo il y a encore beaucoup beaucoup à faire pour partager le destin de chacun...

mercredi 7 octobre 2015

Carnet de campagne indroise... Et la vie continue...(2)



Et le soir au fond des prairies, l'alignement des vaches


Après le décompte des morts, je vous épargne les malades, pas grand chose de changé par ici, tant mieux, c'est précisément ce que je cherche : les champs qui passent d'une culture à l'autre, les vaches qui changent de crèche, à la rigueur je peux le supporter...

J'ai commencé mon tour de piste par les sentiers : les pommiers étaient pleins à craquer, les mirabelles ? Il n'en restait plus une, la vigne était en grande forme, les grappes joufflues à souhait allaient faire "la piquette" du coin, disait une voisine ! Heureusement, la saison avait pris de l'avance cette année pour les noix, dès mon arrivée, pas le temps d'attendre, je les cueillais sur les branches, à l'intérieur leur brou à peine éclaté, à la fin de ma cueillette j'avais les doigts marrons, j'étais pressée de les goûter, La cervelle qui logeait dans la noix était toute fraîche, j'enlevais facilement et avec plaisir leur peau si fine pour obtenir un petit crâne en marbre blanc délicieux...


La piquette


Les noix et les dernières mûres m'attendaient : joyaux des chemins !

J'avais rapidement repéré mon pommier préféré, toujours délaissé, dans une petite parcelle à tous vents, en bordure de la route. Les reines des reinettes, toutes à terre, pourrissaient tranquillement à l'ombre attendant ma venue avant leur fin définitive... Une chance pour les compotes et les tartes que j'ai pu faire.


Mon pommier préféré assis sur ses cannes, à la lumière du soir


 La petite tarte aux pommes

Les mûres vivaient également leurs derniers moments, les mouches, les abeilles se les disputaient, les toiles d'araignées finissaient de les ensevelir, pas un instant à perdre, j'avais une commande, il m'en fallait un bon kilo d'urgence avant extinction complète des feux, j'ai pu en faire quatre pots, sauvée !





Les confitures de figues

Les mirabelles, les reines-claudes de par ici étaient déjà toutes stockées dans les pots, les congélos, la stérilisation, inutile de chercher, j'en ai donc trouvées dans un grand magasin, commande exprès, pas question de revenir bredouille, j'avais prévu la vanille en poudre, les pots, la louche et l'entonnoir, acheté de belles étiquettes, un sans faute ! Une belle panoplie des couleurs de l'automne...

Plus les jours passaient et plus mon stock de noix grossissait, cette année elles étaient comme des balles de ping pong, la chaleur sans doute leur a fait avoir la grosse tête... À la fin du séjour je ne me baissais même plus pour les ramasser, trop c'est trop, elles jonchaient les routes, je faisais juste attention à ne pas mettre ma roue sur leurs carapaces. J'avais mauvaise conscience, je résistais, non et non, plus une,  j'en avais largement assez pour faire une jolie distribution parisienne. Au cours de mes balades, j'avais trouvé un bel endroit pour m'asseoir, le marche-pied d'une citerne  d'eau,me servait de siège, en plein champ, citrouilles à gauche, vaches à droite, loin de tout, je sortais alors la belle pierre plate dissimulée dans un creux d'herbe et je cassais quelques noix pour une dégustation immédiate... Je portais alors mon regard au loin, 180° de beauté absolue...



Le stock de noix du mois


Le banc improvisé pour regarder 180 ° de beauté

Avec les ciels des jours qui se suivent et ne se ressemblent pas, j'ai toujours eu envie de sortir mon appareil photo, quelques fois je le sortais mais je n'étais jamais satisfaite, il y avait trop à faire avec les nuages, alors j'ai dit stop ! Pense avec les yeux, retiens les mouvements rapides, les changements lents, les pleins et les déliés, garde l'éblouissement de chaque minute, ça suffira à ton bonheur... J'ai réussi à regarder l'horizon sans faire un geste... C'est difficile, avec cette envie de vouloir tout garder, sauvegarder le moindre brin d'herbe, finalement j'ai emmagasiné le silence, les paysages, simplement en bougeant les yeux, émerveillée...

Juste un petit geste :


 Pour capter l'équilibre des bambous


Pour la perspective


Pour la paille ensoleillée

Pour retenir les couleurs il faudrait être peintre, très spécialisé : le ciel, les arbres, les vaches, les prairies, les ornières, les chemins verts, les vignes, les jardins, les fleurs, les ruisseaux, les étangs, les maisons, les murs de pierres sèches avalés par les ronces, le clocher d'église coupant comme une épine... Il faudrait beaucoup de peintres et des meilleurs... Encore et encore...


Pour la lumière du soir dans les blettes


Pour le petit tas d'herbes à brûler

Pour retenir les odeurs il faudrait des nez de parfumeurs, mais qui oserait inventer la fragrance des étables, du purin, des ensilages, du foin, de l'herbe coupée, de la terre, des reines des reinettes, pour la mûre il y a eu des essais éblouissants, les odeurs du soir qui vous arrivent encore tout chauds de la journée passée... Le figuier...Des odeurs du troisième type, inconnues, fortes et fugitives...


 Pour la nature vivante


 Pour le désordre et la lumière


Pour la belle ligne de linge

Alors je me suis mise à la photographie, j'essaye, je voudrais montrer exactement ce que je vois sans rajouture, sans rature, sans correction, c'est très difficile de rendre compte de ce qui me passe devant les yeux et qui me touche... Très difficile ! De toute façon, la réalité physique du monde ne peut se réduire aux format des cartes postales, des tableaux, du cinéma  et de la vidéo... Il faut être là !

jeudi 1 octobre 2015

Carnet de campagne indroise... Premiers jours !



La campagne

Avant de partir, il y eu la mort brutale de Michelaise (inventeuse du blog "Bons sens et déraison"), et puis quelques jours après, celle de Françoise, malade depuis de longs mois (créatrice du blog "Autour du puits") : le choc de leurs décès, la tristesse de leur absence, la pensée des familles dans le chagrin, m'ont longtemps poursuivie..
.
Je ne connaissais "en vrai" ni l'une ni l'autre, mais à travers leurs mots et leurs images, j'avais appris à les connaître et je les appréciais. Au cours des années, des échanges, des partages d'idées avaient été rendus possibles, attachants, sympathiques, drôles, nous devenions peu à peu des familières. Ainsi, la virtualité de chacune d'elle prenait corps.

Je pensais en arrivant ici, en campagne berrichonne, que la vie et la mort se distribuaient exactement de la même façon qu'en ville, la beauté des paysages n'y changeait absolument rien, hélas !


La vie du monde, si chaotique en ce moment, ne donnait aucune preuve d'apaisement, rien n'allait plus, les guerres, la pauvreté, le réchauffement climatique produisaient leurs effets désastreux : des milliers de réfugiés persécutés, malheureux, fuyaient leur pays.


J'avais beau essayer de me boucher les oreilles, fuir les informations, tout ignorer, je savais néanmoins que mes pensées allaient toujours du côté de la solidarité, un point c'est tout !Je me disais qu'il faudrait redonner du sens au monde, du bon sens, remettre au cœur de toutes les actions la responsabilité et l'humanité... Moi, je ne voyais pas d'autre issue...



Mes vaches

C'est ainsi, la tête bouillonnante, que je suis arrivée dans les belles prairies de l'Indre, je retrouvais avec soulagement les troupeaux de vaches qui pâturaient dans les prés avec application, les grands arbres centenaires qui s'agitaient au moindre vent. Les étangs poissonneux bordés du fin grillage des ajoncs dessinaient encore et encore des ronds dans l'eau, les hérons blancs, roux, gris, glissaient avec un bruit léger, léger, au dessus de tout...

Retrouvés avec joie des tas de bois, coupés en petites bûches, figés dans l'herbe depuis des lustres juste un peu plus moussus chaque année, de vieilles bottes de foin écroulées dans des prairies en friche, oubliées, délaissées, faisant grise mine.... Les maisons à vendre ici et là depuis beaucoup plus un an, fermées à double tour, gardaient leurs secrets...

Et puis les gens : Bonjour Marie, bonjour Georges, comment allez-vous ? Au fil des années les conversations s'enrichissaient des maux de l'âge... Invariablement revenaient les réponses : ça va comme ça peut, j'entends moins bien, j'ai refait mes dents, mes mains déformées ne peuvent plus tricoter, mais on garde bon pied bon œil... Pourvu qu'on ait la santé...

Madame Louise, 83 ans, est tombée de vélo l'année dernière, côtes enfoncées, poumon perforé, quinze jours d'hôpital. Et maintenant, Louise, comment faite-vous pour vous déplacer puisque vous ne conduisez plus votre voiture ? J'ai repris mon vélo, je l'aime bien mon petit vélo... Bravo Louise !



Les peupliers

Comment est-ce possible, madame Christiane, pétulante en septembre dernier, entre ses canards, ses oies et ses confitures, toujours porte ouverte, sourire aux lèvres, pleine d'humour... À 87 ans, elle n'avait pas fait un an de plus, elle a mis un mois à nous quitter, raconte son frère... Puis, juste devant sa maison j'ai rencontré son fils qui me raconte : avant de partir, elle m'a dit, qu'est-ce que tu veux, j'suis foutue, j'suis foutue, j'frai pu de vélo... Il avait les larmes aux yeux. Je suis triste, moi aussi qui aimais tant la voir auprès de son jardin, les bras croisés sur la poitrine, attendant le passant pour la causette... Ça suffit, je ne veux plus rien entendre, cessez de me parler des morts, je dois les ajouter les uns après les autres dans mon histoire, j'en ai assez, je n'en peux plus, plus... Mais les histoires ne se sont pas arrêtées, j'en connu d'autres par ici...

Mon ami Gérard ne bougeait pas, lui, bien plus jeune, ouf ! Il est éleveur dans une grosse ferme juste derrière chez moi, ce qui comptait pour lui, c'était le rendement... Gérard, avez-vous entendu parler de la culture du maïs sans eau, avec des semences anciennes, bien travaillées ? J'ai vu un documentaire là-dessus... Ah, bon ! Mais pour moi ça n'irait pas, il me faut du rendement. Vous avez acheté du matériel neuf cette année ? Non, j'avais déjà la broyeuse l'année dernière, autant pour moi qui ne l'avais pas remarquée, elle ressemblait pourtant à une voiture de pompier, pas vue, pas prise... Gérard, vous avez de plus en plus de vaches, il y en a partout... Vous croyez ?  J'sais plus, dit-il avec le sourire de celui qui sait parfaitement où il en est... Cette année, il a bricolé un engin qui rapproche la nourriture au plus près de la mangeoire extérieure des vaches dans la stabulation, elles n'ont plus qu'à passer la tête à travers les grilles, et la gamelle est toujours prête... Foin, ensilage de maïs et granulés... Un engin qui coûte mille euros, moi, j'y ai réfléchi et je l'ai construit, il est parfait !


La petite loge


Pour la santé, tout va bien, me dit Gérard, juste un petit rhumatisme à la cheville, souvenir d'un coup maladroit, rien du tout, du tout... Ça va me poursuivre un petit moment, dit-il avec un grand sourire, mais mieux vaut en rire... Et il riait, le bras appuyé sur la grande pelle qui lui servait à repousser le purin dans la stabulation...


Le propriétaire de mon bel étang, mort aussi, dans l'hiver, trois mois de temps après lui avoir serré la main l'année dernière, j'avais bien vu qu'il était mal en point lors de mon dernier séjour, mais de là à imaginer une fin si rapide... J'avais vu du premier coup d'œil que l'étang n'était pas aussi bien tenu que l'an passé, les abords en désordre, pas coupés de près... Il est à vendre...

Assez, assez, assez, tous ces morts qui me traversent...
Je parle des morts, de ceux que je connaissais de leur vivant, car je ne suis "trop jeune" par ici pour faire l'inventaire des nouveaux arrivants, des naissances, des maisons secondaires... Des gens qui s'installent avec bonheur dans de nouvelles vies, où on ne pleure pas encore...


La citrouille

En pleine balade, je m'aperçois que mon appareil photo n'a plus de batterie et bien sûr, un tas de beaux coins me passent devant les yeux, le vent me met la tête à l'envers, ma coiffure va dans tous les sens, le ciel est gris d'un côté, bleu de l'autre, lequel va gagner, rien de sûr encore, j'ai emporté mon imperméable de touriste, bleu strident comme des gants de vaisselle en caoutchouc, je l'avais acheté à Venise un jour de tornade blanche... Dans ma campagne berrichonne, sur mon vélo, impossible de me louper, aucun risque d'accident aujourd'hui avec mon bleu fluo !



Nature morte ?