vendredi 28 octobre 2016

Hommes !!!



Nous nous connaissons depuis plusieurs année, combien ? Je ne sais plus. Comme il habite pas très loin de chez moi, les occasions de nous saluer sont nombreuses.

Quelquefois même, il changeait de trottoir pour venir sur le mien me faire le bonjour du jour : vous allez bien, fait beau, bonne journée, à bientôt, les mots d'usage, petits, comme des perles de rocaille de toutes les couleurs qui caracolaient sur le trottoir...

Je l'avais rencontré par-ci, par-là, il y a très longtemps, à des réunions publiques sur la ville, il connaissait tout le monde et chacun lui disait bonjour. Tiens, je m'étais dit, il fait de la politique, costume cravate, chaussures bien cirées, mais aucun souvenir de ses discours, à part le sourire toujours présent, il avait peut-être la très jeune cinquantaine, peut-être pas, je ne sais plus... Je n'ai jamais réussi à lui donner un âge.

Les jours ont passé, je l'ai retrouvé de temps à autre, un jour je l'ai revu avec un chien, un petit chien qui courait partout autour des jambes de son maître, un petit frisé, à peu près blanc, très joueur, un ami de bonne compagnie...



Quelques mois, quelques années avant le chien, dans un couloir du métro, je l'avais aperçu, plus joufflu, le visage rougeaud, froissé, mal habillé, pas encore de chien en main, juste quelques cartes postales, des dépliants touristiques qu'il proposait aux passants. Quel étonnement, que lui arrivait-il, que faisait-il là à vendre ces cartes et ces tours Eiffel ? Une énigme, que j'avais mise sur le compte de la pauvreté subite, de la grosse tuile de vie, quelle tristesse ! Le pauvre...

Puis, au fil des jours, des mois, des années, je l'avais vu, traînant les pieds après la laisse de son chien blanc, tantôt rieur, mieux habillé, la main tendu, le sourire revenu, à petits pas, il donnait souvent l'impression qu'il était pressé...

J'avais gardé intacte dans ma tête l'énigme du métro et la vente à la sauvette, une seule fois je l'avais recroisé dans le métro dans sa petite entreprise, sur la ligne qui nous ramenait dans notre ville...

Je m'étais dit, il est dans une mauvaise passe, une mouise intensive, comment vivre ainsi de cette micro papeterie souterraine ?

Voilà où je voulais en venir : hier, en pleine journée, j'entends de ma fenêtre entrebâillée un cri qui se répétait à intervalle régulier, un homme hurlait en mettant ses deux mains en porte-voix : Hommes ! Après chaque incantation il faisait un signe de croix, plusieurs signes de croix, il levait la tête devant les immeubles où il y avait beaucoup d'habitants et il relançait son cri : Hommes ! Je me suis dit, cet homme s'adresse au genre humain, il ne leur dit rien d'autre, il les prie, les interpelle, pourquoi ? Pour quelle urgence morale est-il là à interpeller son prochain ? Hommes ! La rue, très calme, était devenue soudainement un chemin de croix. Le petit chien blanc était à ses pieds, assis tranquillement.



J'ai bien regardé, bien scruté et de mon étage élevé, et je l'ai reconnu, l'homme du métro, de la rue d'à côté, mon pays, mon presque voisin, comment est-ce possible, il est malade, il a sombré, j'ai pensé à descendre lui dire quelques paroles, mais il est parti bien avant que je prenne ma décision. De loin maintenant on pouvait entendre : Hommes ! Hommes !... Et imaginer les signes de croix qui allaient avec...

Plusieurs jours après j'ai eu la réponse à toutes mes questions chez une voisine, ma chère voisine chez qui tout le monde se donne rendez-vous pour bavarder, prendre un thé, se faire réconforter, qui accueille avec le sourire tous les voisins qui sonnent à sa porte.

Elle m'a appris ma chère voisine que cet homme, qu'elle connaissait : avait oublié de prendre ses médicaments !! Elle aussi avait eu envie d'aller lui parler, le calmer...

Mais ce prédicateur à ses heures avait réveillé en moi des questions, des doutes, une compassion, était-il à ce point préoccupé par l'état de l'humanité ? Sa maladie, en l'absence de médicaments, réactivait-elle des angoisses existentielles lourdes qui lui gâchaient la vie ? Je ne sais pas... Mais il m'a fait peine !

Bon, au prochain post je reviens à Venise... Patience...

mardi 18 octobre 2016

Les châteaux de paille...


La forteresse


C'est la saison des châteaux ! Dans la campagne indroise, ils sont construits dans les fermes, près des champs, et souvent, les petits chemins y mènent. Avec mon vélo (à la main), je grimpe, je grimpe pour les saisir de plus près, ils brillent ! Quand il y a du vent, les bâches qui les protègent font un bruit de voile de mer...

Les gros pneus qui les amarrent pèsent des tonnes...

Les granges sont pleines, plus de place pour ranger ces édifices, ils restent donc dans les terres, plus près des vaches, la manipulation est plus facile sans doute.

De loin, le matin, quand le soleil est au plus haut, le plastique des bottes de foin enrubannées miroite, j'ai mis du temps à les photographier, des années, alors qu'ils font partie du paysage agricole, comme si à Venise vous évitiez de prendre des images des gondoles, qui constituent la principale attraction de la Sérénissime, absurde ! Et puis dans bien des cas, le passage de ces mythiques embarcations a un charme fou, tout le monde prend le bateau et son gondolier, les plus exigeants glissent la grande barque dans le paysage, ni vu, ni connu, je suis à Venise, regardez comme ça fait beau ! J'ai arrêté de faire ma sucrée, les gondoles, je les prends dans tous les sens...


Le gondolier au ruban rouge


Les gondoles bleues


Les foins enrubannés (ensilage, méthode de conservation des végétaux)


Au début, il y a quelques années, je trouvais affreux tous ces tas enroulés dans du plastique vert, noir, et pourtant, ils font partie du paysage, c'est le signe que des éleveurs existent encore dans les campagne, heureusement !




Les châteaux dans tous leurs états


Les avaleurs de châteaux

La beauté, il suffit de la trouver autrement, pas forcément dans les belles choses, donc maintenant j'inscris ces forteresses végétales au patrimoine de mon appareil photo. Quand la saison du rangement arrive dans les champs, on voit passer les tracteurs plusieurs fois par jour, chargés à bloc, les agriculteurs et éleveurs ramènent à la ferme la paille, le foin qu'il peuvent caser dans les granges, les hangars. Le reste demeure sur place, dans les prairies fraîchement coupées, à l'abri des intempéries, vaille que vaille, sous les bâches et les pneus... Le maïs réduit en bouillie se dissimule aussi sous des bâches épaisses, entre trois murs de parpaing, semi enterré, bien calé sous une marée de pneus noirs et luisants.

Je peux suivre tous ces transbordements dans mes promenades, avec ma monture à pédales, dès que j'aperçois un édifice éphémère, je fonce, doucement quand même... La photo du siècle attendra bien...

Cette année, j'ai regardé autrement ces monuments que je n'avais jamais voulu trop exposer, photographier sans excès...

J''ai revisité l'atelier de mon ami, juste à côté de ma maison, en face de son jardin : sa façon de ranger ses outils, par catégories, avec tant de soin, est admirable ! Tout est beau ici, le matériel ne sert plus depuis longtemps, occasionnellement seulement, il y revient avec joie. J'ai puisé ici toute une vie de travail, de couleur, de fierté, souvent nous en parlons avec nostalgie, quel beau paysage !


Les couleurs


Les tranchants


Les gueules des tenailles


Le coquillage a pris la couleur des pierres à affûter...


Les burettes de tous les temps... Et les délices de Cambrai


Les souvenirs coincés, toujours à vue


Le travail, la nostalgie, les souvenirs... Les questions... Quelques fois même, les regrets...

Mon coin d'Indre cette année n'a pas changé, c'est moi qui l'ai vu autrement, comme une chance, un privilège, chaque coin d'herbe, chaque petit chemin, chaque pied de vigne, chaque vache qui me regarde dans les yeux contribuent à mon plaisir d'être à la campagne, dans la beauté de la nature :




Avant de partir, j'ai fait un grand tour pour dire au revoir aux gens d'ici... À l'année prochaine, si Dieu me prête vie... Moi, la mécréante, la non croyante, je dis aussi cette petite phrase avec plaisir et malice, elle ne correspond à rien de ce que je suis, mais je prononce ces mots comme de la pure poésie... Nous nous comprenons tous... Nous savons bien que cela veut dire : restez en bonne santé, vivez encore longtemps.

Au revoir mes amis, gardez la clé les champs, les arbres, tous les animaux, le silence, les couleurs du ciel, les fleurs sur le dos des pierres, gardez le moral surtout...

Si Dieu me prête vie, je reviendrais...

dimanche 2 octobre 2016

Le Paradis bourguignon...


 Toits bourguignons, vus du petit château XVIIIe

Danielle, que vas-tu dire encore sur le Paradis ? Tout a été peint, chanté, raconté, imaginé, inventé, réinventé. Le Paradis, on n'en parle plus... C'est de l'histoire ancienne, tout le monde sait bien maintenant que cet endroit est en nous, plus la peine de chercher, c'est un truc démodé, maintenant on est passé aux paradis artificiels, là, il y a encore beaucoup de clients... Mais le Paradis, le vrai, on ne sait même plus ce que c'est... 

C'est vrai, moi non plus je ne m'accroche pas au Paradis, les petits bonheurs des jours suffisent à mon bonheur, cet été, j'ai été gâtée... 

Si ça vous dit, je vous parle du Paradis...

 Je sortais d'un drôle d'endroit, un centre culturel singulier, dont les activités tournent autour du design, planté dans un petit village perdu dans la verdure, en pleine Bourgogne. Il propose des expos, des concerts, des ateliers, des rencontres. Le château XVIIIe, inscrit à l'inventaire des monuments historiques, fête ses 30 ans de restauration. J'étais bien contente d'être là, un beau bonheur du jour...

 Partout de belles fermettes, des granges anciennes, très bien restaurées, comme des vraies, des roses trémières en pagaille qui partaient dans tous les sens, penchées, couchées, érigées, des jardins à l'anglaise qui explosaient de couleurs et de formes, avec de belles pelouses vertes malgré la chaleur qui durait, des petites clôtures discrètes, accueillantes, bonnes voisines... Qui semblaient dire : Entrez, je vous en prie... 

Mais j'ai vu plus beau encore ! Là, Danielle, tu nous balades, tu fais ton intéressante... 


Il suffisait de descendre...

Non, non, le Paradis était plus bas, dans le contrefort du château, il suffisait de descendre quelques marches, juste à côté de la petite église dont on ne savait pas qui avait la clé, et on atterrissait directement dedans, le Paradis des Paradis, avec juste un petit Enfer, mais vous verrez, c'est à pleurer... 


À la dernière marche on tombait dans les roses trémières...

À la dernière marche, on tombait tout de suite sur des roses trémières magnifiques qui animaient un grand mur de pierres, puis on devait pencher un peu la tête pour traverser une sorte de tonnelle à peine esquissée, pas prétentieuse, toute en nuances, souple et odorante, une tonnelle désordonnée comme les vrilles d'une vigne, pour aboutir dans un petit jardin semé sur un terrain sans barrière, on distinguait les plantations impeccables alignées en rangs d'oignons, on poussait déjà des cris: comme c'est beau ! Il y avait toutes sortes de légumes, avec le vert qui prédominait largement, on pouvait tout reconnaître sans se tromper : carottes, haricots, tomates, bettes, poireaux, salades, radis, courgettes... Les fleurs se partageaient le terrain avec les légumes, elles poussaient de partout, pour les nommer, impossible, je ne suis pas très calée en botanique, il y en avait tant... 


Les roses trémière cachaient l'horizon

Ce jardin incroyable de beauté avait son jardinier, tout au bout. Loin encore devant mes yeux, je le voyais penché vers la terre avec son beau chapeau de paille, c'était donc lui le poète, le créateur de Paradis ! 

J'avais mon appareil photo autour du cou, mais je n'étais pas pressée d'appuyer sur le bouton, pas le temps, il fallait d'abord regarder avec les yeux, j'allais d'un sillon à l'autre, je suivais la courbe des roses qui recouvraient le mur du jardin, le soleil baissait, il fallait vite se décider, je n'y arrivais pas... Je restais médusée... Ça existe, un lieu comme ça ? J'ai fait deux ou trois photos rapidement, pour tout conserver intact, mais dans ma tête, il y avait aussi les odeurs, les mouvements, l'étonnement, l'éblouissement, tout ce qu'on ne peut pas montrer sur les photos. 


Monsieur c'est la nature qui vous remercie

Attendez que je m'éloigne pour prendre la photo, je vais gêner dans le paysage... 

Voyez la modestie : mais comment, monsieur, mais pas du tout, au contraire, je serais très honorée de vous avoir dans mon viseur, comment faire une photo sans vous qui réalisez tant de beauté ? Mais pas du tout, c'est la nature qu'il faut remercier... Mais non, monsieur, c'est vous, vous avez votre grande part dans ce jardin superbe, prenez la pose, je vous en prie, rien ne pourra se faire sans vous... Il esquivait sa part de responsabilité dans toute cette beauté, il ne faisait rien que suivre la nature, l'encourager, l'accompagner, il faisait le jardinier peu intéressé par les compliments... 


Il se tenait là...

Il s'est assis sur une chaise qu'il avait disposée pas loin, et nous avons parlé, avec un grand plaisir, et nous avons partagé l'art de sa culture. 

C'est lui qui nous parla du Paradis en premier, assis sur sa chaise, il déclara : oui, c'est vrai, ici, c'est mon Paradis, j'y suis depuis toujours, c'est ici que j'aimerais finir, plutôt que là-haut, mais je ne sais pas si on me l'accordera... Je me souviens de mon retour, en 1960, j'avais frappé à la porte et elle était descendue, elle était institutrice, nous nous sommes fiancés... Elle est ici, la fiancée ? Oui, nous sommes mariés depuis 50 ans, elle adore aussi les fleurs, le jardin de notre maison, c'est elle qui l'a inventé. Elle souffre en ce moment d'un cancer qui a recommencé trois fois, nous savons ce qui nous attend... Oh ! Comme c'est triste, gardez confiance, gardez confiance... J'ai perdu aussi ma fille, elle avait 47 ans, d'un cancer, comme sa maman...

Vous comprenez maintenant comment l'Enfer peut succéder au Paradis... 

Vous prendrez bien un peu de salade, quelques courgettes ? Il insistait, nous n'osions pas sauter de la mort aux légumes, nous n'osions même pas dire merci, et puis nous l'avons dit avec les mots : confiance, courage, elle peut s'en sortir, avec le sourire... Ce partageur tentait de nous consoler du récit qu'il venait de nous faire, si vous passez par notre maison, là, tout de suite à gauche, rentrez, regardez le jardin, c'est entièrement son oeuvre... 




Son oeuvre ! (toutes les photos sont un peu surexposées, mais pas question de quitter les lieux sans un salut photographique)

Nous ne savions pas bien comment nous y prendre pour lui dire merci et au revoir, nous avons employé les mots de tous les jours, trop petits, trop simples, trop quotidiens... Trois fois rien, devant l'immense chagrin... 

Dans le jardin de sa maison, ouvert à tous vents : des fleurs, beaucoup de fleurs, des arbres, des massifs, le silence, dans les étages elle était sûrement là, à se reposer, nous sommes partis sur la pointe des pieds, le cœur serré...