Poteau de barbier-coiffeur (photo rempruntée sur Internet)
Là, il fallait vraiment que j'y aille, j'avais plusieurs fois déjà tenté la coupe maison devant mon miroir à trois faces, pour ce qui était du devant, ça pouvait encore aller, mais du derrière, c'était la catastrophe... Une amie m'avait donné l'adresse de son coiffeur, juste en bas de chez moi, l'idéal !
Pas de rendez-vous, on vous prend dès que vous entrez, me voilà dans les lieux, bien contente d'y être. On vous fera quoi ? Un shampoing-coupe-séchage, ça ne sera pas trop long ? Très bien, très bien, pas de soucis...
C'est monsieur Antoine qui fera la coupe m'avait dit mon amie, un vieux routier des ciseaux et de la tondeuse. Un client est au bac avec la shampouineuse, nous sommes quatre citoyens dans la boutique, bonjour messieurs-dames, la discussion démarre aussi sec : qu'est-ce qu'on peut faire ? Monsieur Antoine dit qu'il n'y a pas assez d'ordre, on laisse tout faire, l'homme au bac, en main avec la shampouineuse, approuve, tout en me lavant la tête pour la troisième fois, Antoine m'assure que la religion, il fallait la garder pour soi, c'est de l'intime, voyez moi, je n'en parle jamais, vous croyez que je suis quoi, madame ? Mais je ne sais pas, monsieur, vous ne me l'avez pas dit... Voyez, moi, on croit que je suis musulman, eh bien pas du tout, je suis chrétien ! Monsieur Antoine est noir comme du jais, les cheveux blancs, un langage lent et mesuré... Vous voyez, je ne lis pas la bible tous les matins non plus, ben j'étais furieux après un type qui m'avait dit : tu devrais faire la prière avec ta sagesse et ton calme, alors-là j'étais en colère, il voulait que je devienne musulman, mais c'est incroyable ça ! Oui, oui bien sûr je vous comprends, le monsieur du bac qui était maintenant passé à la coupe rembraya sur : il faut repasser un moment par la case Marine Le Pen pour faire du neuf, il m'avait dit assez rapidement qu'il était d'origine indienne et bouddhiste... Parfait, la conversation allait être très instructive : mais voyons monsieur, vous n'y pensez pas, Marine Le Pen est le contraire de la bonne réponse, vous le savez, elle prône le racisme, l'exclusion, la division, elle veut de l'ordre, mais quel ordre ? Pas du tout l'ordre républicain ! Son père et elle, c'est presque du pareil au même, vous voyez ? Ecoutez, madame, les immigrés il faut qu'ils s'adaptent au pays d'accueil, sur ces entrefaites l'épouse du monsieur bouddhiste fait son entrée, alors-là on ne s'entendait plus dans le salon, chacun criait plus fort que l'autre...
La dame : moi je suis d'origine malienne, je suis musulmane, mon mari est bouddhiste, nous avons deux enfants, ils verront la religion quand ils seront grands, pour l'instant je leur dis : tu manges de tout, ils mangent du porc, et basta... Moi, je n'aime pas qu'on m'accueille où je travaille avec un Salam Alekoum, c'est quoi ça, ils ne peuvent pas dire bonjour comme tout le monde... Des salafistes, il y en a partout, croyez-moi...
C'était reparti comme en 14...
La dame : on leur laisse tout faire (les immigrés), il faut arrêter d'en accueillir, voyez, ou alors ils s'intègrent à la République, moi je trouve que je dois tout à la France, elle parlait haut mais restait souriante...
Monsieur Antoine me coupait maintenant les cheveux tout tranquillement : vous comprenez, la religion, on doit la laisser à la maison, il me prenait pour qui, ce gars, moi j'ai bac plus deux, je sais ce que je dis, il ne va pas me faire la leçon... Je me demandais si ma coupe n'allait pas partir en vrille...
Bien sûr, je participais activement à la discussion : moi, je suis athée, voyez, la solution Marine Le Pen n'est pas bonne pour la France, Marine Le Pen ne vous aime pas ! Vous verrez, si elle arrive au pouvoir, elle vous dira que vous n'êtes pas de bons français, du coup la dame s'est calmée, elle m'a regardée, avec mes cheveux blancs, c'est la voix de la sagesse, la sagesse c'était moi... Mais non, je ne suis pas la voix de la sagesse, j'essaye seulement de réfléchir, regardez, l'histoire nous a appris cela, l'extrême-droite a toujours été la pire des solutions... C'est vrai, vous avez raison, mais quand même, il faut un peu plus d'ordre...
La partie était sans doute perdue, mais la shampouineuse paraissait pencher de mon côté...
Ecoutez les amis, il faut que nous parlions ensemble, il faut échanger les idées avec respect, je trouve très bien ce que nous faisons en ce moment ! J'y allais de mon petit couplet apaisant, la coupe était impeccable, bien devant, très bien derrière, pas trop chère, parfait...
Passez une bonne journée messieurs-dames, réfléchissez encore, je profitais lâchement de "ma sagesse" : ne votez pas Le Pen, c'est mauvais pour tout le monde ! En sortant il ne pleuvait pas encore, tous les mots tournaient dans ma tête, je me disais que peut-être, ils allaient tenir compte de mes craintes, j'espérais...
J'avais dit à la cantonade que demain, j'allais chanter avec ma chorale chez un groupe de femmes berbères de la ville, nous allions à leur rencontre, parler, chanter ensemble, rester unis...Tout le monde avait approuvé, tout le monde avait trouvé que c'était bien de ne pas s’ignorer, de se respecter, d'aller plus loin que le communautarisme... Pour finir, ils étaient tous d'accord avec le meilleur et le pire ! Seule la shampouineuse ne semblait pas vouloir choisir Le Pen...
Prochain post : la rencontre avec des femmes berbères...
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