dimanche 30 septembre 2012

L'arrivée dans la campagne indroise !



L'arrosage des terres assoiffées...

Depuis plusieurs mois déjà j'y pense...  Les arbres, le silence, les oiseaux, les fruits, les mûres, la confiture, le doux soleil... Mireille, Jean, Roger, Léon, Irène, Louise, François et les autres...

Au téléphone, elle m'avait dit : il n'y a rien du tout, rien de rien, pas de fruits, noix, noisettes, pommes, rien, le figuier de notre jardin ne donne rien non plus, on a du mal à faire venir les tomates, l'herbe est comme de la paille, les gelées du mois de mai ont surpris tous le monde! À la fin du printemps, toute la campagne qui préparait son grand bouquet final de fleurs chatoyantes a gelé sur place, et puis la chaleur du mois d'août a terminé l'ouvrage, cette année, avec le printemps raté et l'automne avancé, tout fait faux bond ! Pour les belles compotes cueillies aux arbres, inutile d'y penser, il faudra tout acheter chez le marchand... La catastrophe, le garde-manger de la nature sera vide !

Elle doit sûrement exagérer, je vais quand même emporter mes pots pour la confiture de figues, pour les mûres ça peut attendre une année, il m'en reste beaucoup, je vais faire comme d'habitude, ramasser les noix, les noisettes, même s'il y en a moins on verra bien, j'en trouverais bien une belle poignée pour décorer mes salades, un petit panier... Si je fais bien attention...

Tout au long de la route, je voyais bien que les arbres n'étaient pas comme toujours, un peu roussis par là, racornis par ici, les branches dégarnies ne prenaient pas autant de place que l'année passée, les peupliers tout effeuillés se laissaient traverser par le vent et le soleil comme un vieil éventail usé dont il ne reste que les bois.


Le pop-corn

Plus je me rapprochais du but et plus je voyais disparaître les couleurs, l'herbe était bien plus verte ailleurs, le gris dominait la palette : la nature rentrait froissée et déjà rousse dans l'automne, les champs de maïs, de la feuille à l'épi, étaient grillés comme du pop-corn.

À la location, plus de doute, le beau tapis vert pré, tondu de près, épais comme une serviette de bain, frais le matin, chaud aux pieds nus le soir, qui m'accueillait depuis toujours avec fierté, ressemble à une meule de foin répandue avec soin pour cacher la  misère ! Le grand figuier centenaire, planté juste à côté du puits, est couvert de fruits gros comme des billes, il faudra bien deux automnes pour les faire grossir, ce n'est pas encore cette année que je vais en faire de la confiture ! Je m'étais dit : je mettrais des amandes grillées ou des noisettes, ça sera délicieux, je peux tout de suite remballer les cinq malheureux pots vides qui ont fait le voyage pour rien.

Seuls quelques géraniums roses tirent leur épingle du jeu, ils sont bien plus beaux que tous les précédents, le romarin darde ses épines odorantes, quelques fleurs bleues le décorent comme un petit arbre de Noël. Les rosiers grimpants sur les portes, aux fenêtres de toutes les maisons, avaient l'air d'un vieil herbier délavé.


La glycine recouvrait le toit, et la voiture qui dormait juste en dessous

La glycine du portail caresse de ses bras bleus une petite voiture blanche qui dort juste en dessous depuis des jours et des jours, d'ici la fin de ce mois ou de l'autre, les lianes lui auront tissé un beau linceul vert. Le propriétaire, monsieur Jean, est parti en maison de retraite... L'année dernière encore il me disait fièrement : je ne vois jamais le médecin, je me porte très bien, combien de fois l'ai-je félicité pour sa belle santé ?... Mais monsieur Jean, comment faites-vous pour être aussi pimpant ? Je mange du pain et du fromage, du chocolat des fois... À la maison de retraite il a certes grossi, c'est ce qu'on raconte de lui, mais pour le reste... Son vélo, son bâton, les raisins de sa petite vigne qu'il goûtait soir et matin, sa maison ancienne sans aucun confort, le jardin de son voisin qu'il soignait encore pour quelques sous... L'année passée !... Cet hiver, on a retrouvé monsieur Jean écroulé dans la neige devant la maison, sans force, aussi léger qu'un duvet de cygne... Il a été bien soigné, réchauffé, consolé, mieux nourri, puis ils l'ont emmené... Il sera mieux là-bas, tout le monde le dit par ici, moi, je ne sais pas ce qu'il en pense...

Monsieur Jean, vous me manquez beaucoup, quand je passe sur le chemin, sans vous, ça n'est plus pareil du tout. Entre sa maison et la mienne il y a un droit de passage, le soir il venait s'y reposer, assis par terre, à l'ombre, à peine descendu de vélo, qu'il pratiquait encore très bien à quatre-vingt-dix ans. Curieuse, j'ai regardé par la fenêtre de sa petite maison, j'ai vu sa chambre sans aucun décor, un petit lit, pas même une chaise ni une image!... Dans sa cuisine, sur la table, la boîte de sel trônait au milieu de la toile cirée déchirée. J'ai eu un coup de tristesse qui a défiguré mon arrivée...


Le raisin, avec le soleil, sans les mots...

Tous les jours je vais grappiller quelques grains de sa belle vigne d'ornement, je les partage avec les abeilles, cette petite rapine me rappelle monsieur Jean... Son raisin est bon, avec un drôle de petit goût divin, je ne peux pas vous en parler, car je ne trouve pas les mots qui vont avec...


1914... La vieille ferme oubliée

J'avais bien vu en arrivant que tous les volets de sa maison étaient fermés, j'ai tout de suite eu une mauvaise pensée : monsieur Jean est mort ! Le savoir en maison de retraite est peut-être une bonne pensée mais pas du tout une bonne nouvelle. Rien ne compense son départ, avec lui, la vie prenait son temps, elle allait le plus loin possible, monsieur Jean avec son pain et son fromage ferait un beau centenaire... Dans la rue de son enfance il n'y avait que des petites fermes : 1900, 1914, 1912... Sur les frontons s'inscrivent les dates de construction : il ne reste rien de vivant, sauf la pierre, la paille dépasse encore des granges, les portes en planches sont fermées, tout a été laissé en plan depuis longtemps

Il m'avait raconté il y a deux petites années qu'il était né dans cette rue, quelques numéros plus loin, il m'avait dit, pas mécontent du tout, qu'il resterait ici jusqu'au bout, maintenant dans la ruelle, il manque un morceau de son histoire...


Le petit arpent de vigne de monsieur Jean

Monsieur Jean ne faisait aucun bruit, il n'avait ni télé ni radio, il était si fin sur sa bicyclette qu'on se demande comment elle faisait pour avancer sous ses souliers, je l'ai toujours vu avec sa casquette bleue, celle qui reste pendue au pied de son petit lit est blanche... C'est donc le seul mystère d'une vie ?

Portez-vous bien monsieur Jean, faites comme vous pourrez... Je vous envoie toutes mes pensées amicales et cette belle botte, rien que pour vous.


Le paysage  d'à coté... De chez monsieur Jean