mardi 10 avril 2018

Deux merveilles au Musée d'Art Moderne de Paris... Merveille n°1



Deux merveilleux artistes !


Comment ne pas être émerveillée par l'art, quand il vous touche, vous fait vibrer, vous donne à voir autrement, vous inonde de bonheur !

J'avais décidé d'aller revoir Jean Fautrier, un peintre que j'aime depuis longtemps, à l'occasion de la troisième rétrospective organisée par le Musée d'Art Moderne de la ville de Paris en 50 ans. L'exposition est composée de l'importante donation qu'avait fait l'artiste juste avant sa mort, augmentée des œuvres exposées au Kunstmuseum deWinterthur (Suisse). L'enthousiasme m'a portée, son oeuvre est si belle, si forte, si émouvante, tout est beau chez lui ! Dès le début de la rétrospective, je m'exclamais (intérieurement) devant chaque tableau : à 20 ans il faisait déjà ça, comme c'est fort, puissant ! Des paysages, des natures mortes, vraiment mortes, dans l'ombre,  des personnages sans sourire,  habillés de sombre, cette photo de famille si grimaçante, immobile, quelle découverte, quelle présence... Voilà, c'est ça que je ressentais, une énorme présence, j'avais envie de dévisager chaque sujet, tant étaient intéressants, mystérieux, durs et surprenants à la fois, les visages fermés, les bouches closes des vieilles femmes, qui en disaient long sur la dureté de la vie, la fin peut-être ? Impassibles dans le bleu !


Trois vieilles femmes - (vers 1923) - J. Fautrier (1898-1964)


La promenade du dimanche au Tyrol - (Vers 1921) - J. Fautrier (1898-1964) (emprunté sur internet)

On peut même imaginer que, sans la donation au Musée d'Art Moderne de J. Fautrier peu avant sa mort, l'artiste resterait encore inconnu du grand public. Les "spécialistes" de l'art l'ont inventorié comme : inventeur de l'art informel, c'est fou ce qu'on peut trouver de mots pour qualifier une oeuvre, mots sans doute nécessaires pour mieux la classer, répertorier, lui donner du sens, mais la singularité de J. Fautrier ne s'efface pas facilement, et c'est tant mieux... L'autre joie suprême de l'exposition était le nombre très réduit du public devant les toiles, je les avais ainsi pour moi seule !

Quand je me suis trouvée, au début de l'exposition, devant quelques œuvres de jeunesse, j'ai été saisie, impressionnée, perdue : la Promenade du dimanche, notamment (huile sur toile, ne représentant que des femmes et des enfants). Quand on regarde les costumes, les beaux habits du dimanche, impeccables, les tabliers de satins miroitant sous nos yeux : c'est du grand art, époustouflant ! La beauté des moirés me fait penser à la virtuosité d'Ingres pour peindre les sublimes costumes satinés et soyeux des grandes bourgeoises de son époque. Avec le jeune Jean Fautrier (23 ans), les visages très bruts rendent compte de la vie à la campagne, de l’action du vent, des grands espaces, de la vie au plein air qui leur a mis du rouge aux joues. Les générations représentées sont expressives et bien trop sérieuses, mais la pose, c'est la pose, personne ne bronche, le portrait de famille va mettre du temps pour se montrer plus joyeux, plus naturel, plus complice, fantaisiste même, les gens vont finir par être heureux d'être là. Aujourd'hui, nous cherchons la spontanéité, les sourires, coucou, le petit oiseau va sortir, mais ici, et encore là, la photo de famille ne plaisante pas...

Il y a du tragique dans cette promenade du dimanche, la lumière exceptionnelle de Fautrier n'a pas cherché à enjoliver, il voulait sans doute se rapprocher d'une certaine réalité... Souvenons-nous de cette superbe photo qui m'avait tant impressionnée par sa composition et le sérieux des personnages, à la Maison Rouge, lors de l'exposition de la collection privée de Marin Karmitz  :


Photographie, magnifique portrait de famille (sérieux), dont je n'ai même pas noté le nom de l'auteur


Intergénérationnelle, sérieuse, la photo de famille ne se prêtait pas encore à l'amusement !

J'ai en tête la photo de mariage de mon fils aîné, il y a deux ans, au soleil de mai, sur les marches de la mairie, dans un ordre très dispersé, tout le monde (80 personnes environ) a le sourire, seule une jeune invitée, à l’extrême gauche de la photo, regarde son portable ! La corvée est devenu un plaisir d'être là...

Je peux vous assurer que devant "La promenade du dimanche au Tyrol", il se passe tout de suite quelque chose d'intense... La manière du jeune Fautrier m'avait accrochée, ferrée... Continuons...


Le glacier - (vers 1926 - 46 x 55cm) - Jean Fautrier (1898-1964)


Les fleurs noires ou les chardons noirs - (vers 1926 - 92X73cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Nature morte - (1925- 65 x 81cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Nature morte aux poires - (Vers 1927 - 60 x 73cm) - J. Fautrier (1898-1964)


Cette période est appelée "période noire". Chardin était dès cette époque une grande source d'inspiration pour Fautrier. Avec ses tableaux, il rencontre ses premiers succès commerciaux, et deux grands marchands d'art (Léopold Zborowski et Paul Guillaume) s'intéressent à ses travaux... Fautrier est un peintre de "l'entre-deux-guerres", ses contemporains sont : Jean Arp, Marcel Duchamp, Max Ernst, Francis Picabia, Kandinsky, Pablo Picasso, Georges Braque...

Jean Fautrier fait cavalier seul... Avec talent !


Nature morte aux poisson (vers 1929 - 81 x 100cm) - Jean Fautrier - (1898-1964)

Quelle beauté, ses natures mortes, je comprends vraiment son admiration pour Chardin, mais je reparlerai de Chardin prochainement, j'adore ce peintre, quand je vais au Louvre, c'est souvent pour lui seul, mon chouchou !

Fautrier saisit avec art les matières, le velouté des poires, le mystère des fleurs dans le noir. Le panier, les oignons, les bouteilles sont posés là seulement pour le plaisir des yeux, ils pèsent leur poids de couleurs, d'ombre et de lumière, la pâte est épaisse, donnant aux formes représentées de la présence, du volume, et du moelleux. L'environnement sombre fait ressortir la douceur des fruits, la fraîcheur des poissons. Les objets si quotidiens, sans histoire, se révèlent sous nos yeux dans leur extrême simplicité, comme chez Chardin, en effet.

Fautrier est aussi un grand illustrateur. En 1928, il se prépare à collaborer avec les éditions Gallimard (sur une proposition d'André Malraux), pour une série lithographique de l'Enfer de Dante... Gallimard finira par annuler l'édition, jugeant les illustrations trop abstraites..

À partir de 1929, il ne gagne plus sa vie avec sa peinture (krach du marché de l'art, crise économique), il doit se recycler et devient hôtelier et moniteur de ski dans les Alpes savoyardes. Il revient à la peinture à la fin des années 30.

En 1942, il reçoit une commande pour réaliser des illustrations pour deux ouvrages de poésie, de Robert Ganzo et Georges Bataille.

J'ai regardé une courte vidéo, un entretien où J Fautrier ne dit pas plus de choses sur sa peinture que ce que vous y voyez : la beauté et l'émotion. Apercevez les formes d'objets usuels qu'il laisse entrevoir dans ses couleurs épaisses et pourtant translucides et si délicates, ses paysages si sensibles, si nuancés, à vous de les voir... J'avais envie de tout photographier, j'allais d'une toile à l'autre, comme une touriste japonaise qui ne veut rien rater, rien laisser, tout me plaisait, je voulais tout emporter... Absurde !


Paysage (1940 - 22,5 x 25 cm) - Jean Fautrier - (1898-1964)


Paysage (1940 - 32,5 x 45 cm) - Jean Fautrier (1898-1964)


Paysage  (arbres - 1941 - 59,5 x 92 cm) ) - Jean Fautrier (1898-1964)


Le quartier d'orange (1943 - 27 x 35 cm) Jean Fautrier (1898-1964)


Et puis, vers la fin de sa vie, le dessin abstrait apparaît, et se caractérise par une simple évocation du sujet, et une présence d'une grand précision, il veut tout peindre...


Son petit cœur (nu) - (1963 - 115 x 150cm) Jean Fautrier (1898-1964)


Sans titre 


 Sans titre (1963 - 49,60 x 64,50) Jean Fautrier - (1898-1964)

J'ai perdu l'urgence des titres, je n'avais plus envie de savoir, il me restais à regarder de tous mes yeux, ça me suffisait, je ramassais une à une les couleurs, les assemblages, les impressions... Sans me soucier des noms, des dates, des lieux, des dimensions... J'avais mis par dessus tout l'admiration !


Jean Fautrier (1898-1964)


Jean Fautrier (1898-1964)


Jean Fautrier - (1898-1964)

C'est ainsi que j'ai fini le parcours, seulement avec les yeux... Inutile d'en dire plus, l'oeuvre était là, elle parlait d'elle-même... Moi, elle m'a saisie, j'ai refait toutes les salles, je suis revenue aux périodes noires avec le même appétit, la même curiosité, le même emballement !! À vous de voir...

Cher amis, prochainement la deuxième merveille du Musée d'Art Moderne, une surprise intense !!! À très vite...

4 commentaires:

siu a dit…

Quel peintre superbe, extraordinaire dans son intensité si originale... j'avoue que "Le trois vieilles femmes" surtout m'a capturée et presque bouleversée; alors que ton récit, chère Danielle, comme toujours et plus que toujours si passionné, profond et merveilleusement (daniellement ;-)) vivant met en commun et fait partager ton expérience d'une façon incroyable!
Vivement "la deuxième merveille du Musée d'Art Moderne"... je l'attends avec impatience.
Merci!
Gros bisous du matin.

Danielle a dit…

Ah ! Comme je suis contente que J. Fautrier "t'emballe" chère Siu, et tous tes mots gentils, Merci !!!!!

Moi, c'est vrai, j'ai dansé devant chaque tableau si beau :-)

La prochaine merveille devrait te plaire aussi, mais attendons la fin :-))

Passe un bon mercredi et tous les jours suivants de la semaine...

Je t'embrasse fort.

Brigitte a dit…

Oh Quelle peinture ... Les trois vieilles femmes est exceptionnel, mais que dire du glacier ou encore des fleurs noires c'est magique . je t'imagine parcourant l'expo et suspendue aux tableaux! Plus rien ne compte juste regarder, admirer ,contempler...

Merci de cette découverte .
Et j'ai hâte de lire ton prochain billet.
Bises du matin ensoleillées

Danielle a dit…

Merci Brigitte de ton passage écrit :-) Je suis contente que toute cette oeuvre te plaise...

Oui, oui exactement j'étais suspendue aux tableaux !

Passe une très bonne journée un peu grise par ici...

Je t'embrasse très fort.