jeudi 22 février 2018

Qu'est-ce que je fais là ?


Quelques étages nous séparent (Sam Szafran) - 1990

Au cours de ma visite amicale, impromptue : tu viens quand tu veux, je suis là, c'est bien, je ne suis pas là tu reviens ! On fait comme d'habitude...

Ce jour-là, la porte s'est ouverte avec son sourire et son invitation invariable : entre, sois la bienvenue!...

Assieds-toi, tu prendras bien quelque chose à boire ? Bien sûr, un bon verre d'eau fera l'affaire, c'était toujours comme ça avec Marie-Louise : l'accueil, l’invitation à boire quelques chose... Quoi de neuf ?

Nous parlons de tout, du passé, du présent et même de l'avenir avec autant de passion. Elle avait une nouvelle coiffure, toute blonde, bien coupée, radieuse, une fois les nouvelles de nos santés passées en revue, nous en venions au reste. As-tu vu mon petit-fils, comme il est mignon ? Elle me tendit son portable, adorable, bien potelé, souriant. J'ai des craintes... Ah bon, pourquoi as-tu des craintes ? Il est déjà bien enveloppé, il mange tout le temps, des chips, des curly, il va devenir aussi gros que sa maman qui pèse 100 kg, aïe ! Mais je ne dis rien, tu vois, je ne dis rien, ça pourrait être mal pris, mais je m'inquiète... Et voilà, c'était lancé. Ils m'ont demandé de partir en vacances avec eux, ils louent une grande maison, ils veulent amener tout le monde avec eux, ils sont très famille, les grands-parents, les chiens, le chat, et en voiture Simone, au bord de la mer...

Mais j'ai dit non, je ne veux pas y aller ! Ah! bon, pourquoi tu as dit non ? Ah ! non, je ne veux pas servir de bonne à tout faire, garder les gamins,  les animaux, faire la cuisine, je ne veux pas, je ne veux pas ! Tu as dit ça comme ça tout de go, sans ronds de jambes ? Oui, j'ai dit que ne voulais pas, je préfère rester chez moi, j'ai dit que j'étais fatiguée.

La fatigue (quand on prend de l'âge) reste un énorme argument, indémodable, toujours raccord, citadelle imprenable, vous ne pouvez  rien contre ça, pas besoin d'aller plus loin, aucun argument ne pourra changer les choses, la fatigue est indépassable ! Vous pouvez être sûr qu'on va vous laisser tranquille, vous pourrez reprendre votre tricot, votre lecture, vous faire des petits gâteaux, aller au cinéma, voir une exposition, prendre le métro... Vous êtes trop fatiguée pour aller là où on veut que vous alliez... Ça vous parle ?





Ah ! Qu'on est bien...

Bravo, je t'admire, être franche à ce point-là, donc tu n'iras pas voilà, bon ! En fait tu sais, je me demande à quoi je sers... Qu'est-ce que tu dis ? Comment ça : je me demande à quoi je sers ? Tu veux dire quoi par là ? J'étais épouvantée, Marie-Louise ma si douce, mon excellente voisine, toujours là pour tout le monde, la nuit, le jour elle se lèverait pour vous... Je me demande à quoi je sers ? Tu vois, quand ils ont des amis, qu'ils sont entre eux, je reste dans mon coin, je ne dis rien, je ne suis pas là en fait, quelque fois même ils me disent : mais t'y connais rien, tu es butée, c'est plus comme ça qu'on fait maintenant... Mais voyons, tu fais comme d'habitude, tu es si discrète, si timide, si réservée, ce n'est pas parce que tu ne dis rien que tu n'es rien, ça fait une grande différence. Oui, c'est vrai, mais pas tout à fait, je ne suis plus dans le coup, ils parlent de choses que je ne connais pas. C'est quoi, les choses que tu ne connais pas ? Le téléphone mobile, l'ordinateur, internet, Amazon, même le lecteur DVD, des trucs dont je me sers peu. Je suis larguée !

Tu vois, quand on ne sait pas bien se servir d'internet, on est rayé de la carte, on n'est plus dans le coup ! La sentence était tombée, elle se sentait déconnectée, mise de côté, elle n'avait plus envie de vivre, elle n'avait pas assez de fils à la patte pour être dans le coup !

Elle me rappelait ma belle centenaire que je surveille comme le lait sur le feu, elle m’avait souvent dit, à brûle-pourpoint, au détour d'une phrase : Danielle, je ne sers plus à rien, je n'ai plus envie de rester là, j'attends que mon temps arrive, ça ne me ferait rien du tout. Je bougonnais, je lui disais : mais enfin, Alice, vous êtes utile à tout le monde, tout le monde vous aime, même sur internet il y a plein de gens qui pensent à vous...

Mais ma si douce voisine qui n'avait carrément pas l'âge du tout d'en avoir assez qui me disait ça, tout de go, sur sa toile cirée au couleurs de Noël, toute neuve et moirée ! La conversation avait pourtant bien commencé, jamais, jamais je n'aurait imaginé qu'elle en avait assez, tout son corps disait comme ses mots : la main sur la bouche, les yeux tristes, le sourire quand même un peu marqué, plus petit, sa mèche de cheveux dorée tombait sur ses yeux... Il fallait que j'aille la chercher sur ce chemin-là, loin, derrière les forêts de peupliers, tous les magnifiques paysages, les oiseaux qui vous mettent du soleil au cœur !... 

J'en aurais pleuré de rage, de douleur, de découragement, de peine, je voulais lui arracher ses mots de la bouche, les déchirer, les piétiner, les effacer, les brûler en place de grève, je voulais qu'elle n'y pense plus, qu'elle ne s'en serve plus, jamais, qu'elle me dise autre chose de plus vivant... Mais non, ils lui étaient était venus naturellement, comme une évidence, ils avaient roulé sur la table, comme des galets, durs, de la pierre, ce jour-là, le résultat des opérations de sa vie était négatif  ! J'en aurais pleuré à gros sanglots...


Comme le temps passe vite, arrêtez !

Nous allons aller au cinéma, la prochaine fois que j'y vais, je t'emmène, mais je savais que le petit désespoir dormait dans un coin, pas très loin, il faudra que j'y fasse bien attention. Le sourire, la bonne humeur n'y feront rien, ils ne diront rien des profondeurs, il faudra gratter, gratter les alluvions, les : comment vas-tu, dis-moi, parle-moi, je suis là pour toi, ne pleurons pas, tu verras, ça va aller, tu va retrouver ta place au soleil... La vie est belle ! Tu ne la vois plus assez claire, essuyons nos lunettes, mettons en marche nos essuie-glaces... Avançons, marchons, chantons si nous pouvons !


Chantons si nous pouvons !

Amis qui passez par-là, ne vous effrayez pas, la vie est sens dessus dessous, aujourd'hui elle est dessous... Pour ma Marie-Louise la si douce... À très vite...

8 commentaires:

Album vénitien a dit…

Danielle, je lis chacun de tes billets toujours avec attention et intérêt car tu as une vie culturelle très animée et c'est très bien. Je ne me manifeste pas toujours parce que je n'ai pas toujours le tonus idéal pour me mettre à écrire.Toutefois, ce billet mérite que je m'y attarde car il m'a bouleversée.Peut être parce que je suis moi même dans une période particulière, je comprends l'état d'esprit de ton amie et je comprends aussi ton inquiétude, toi, qui reste si tournée vers la vie.Grâces au ciel, nos enfants sont très attentifs et sont plutôt à notre service que nous au leur.J'ai aidé quand les bébés se sont pointés. Je suis partie de chez moi, dès jours et des nuits durant, pour prêter main forte mais aujourd'hui, c'est le contraire: nos filles sont là pour nous.Ton amie a un coup de blues, fais en sorte qu'elle retrouve le soleil avec le printemps et l'intérêt pour une vie simple, amicale, affectueuse.Tu seras là pour elle, je le sais.Et comme elle a bien fait de dire NON!

Danielle a dit…

Chère Danielle, je suis très touchée par ton commentaire, je vais lui dire tout ça à ma voisine ne t'inquiète pas, elle a dit NON c'est déjà ça... Oui, je vais lui parler du printemps et de toutes les saisons...

Prends soin de toi Danielle, tes enfants sont présents, c'est une grande joie !

Je t'embrasse fort.

Brigitte a dit…

Marie -Louise ton amie est en dessous ces jours-ci mais je suis certaine, qu'avec tes visites attentionnées, le moral va revenir. Du moins c'est ce que je souhaite, car ton billet m'a rendu triste ...Elle a bien fait de dire au à ces vacances qui l'aurait certainement trop fatiguée.
Je vous souhaite de jolies balades à toutes les deux .
Bises ensoleillées

Danielle a dit…

oui Brigitte, Marie Louise ne va pas fort, mais j'espère moi aussi que son moral va s'améliorer, j'y veillerais :-)))

Réjouis toi, le beau temps va bientôt revenir dans les cœurs.

Bises du matin froid.

Marie Claude a dit…

Comme les habitants de ton immeuble ont de la chance de profiter de toute ton attention.
Un peu de "blues" pour ta voisine,cela arrive parfois...j'en sais quelque chose.
Mais un beau livre,un bon film comme tu dis et l'arrivée des beaux jours et ton amitié seront salutaires,je le souhaite pour elle.
Une bise à Alice si tu la vois.

Bisous de milieu de journée...

Robert M a dit…

La fatigue c'est comme une route qui grimpe, il faut la dépasser et admirer le splendide paysage de la vie.
Mais parfois on râle quand le chemin est trop escarpé... il faut s'aider d'un bon bâton et d'une main pour s'appuyer cela s'appelle l'amitié.
Lundi nouvelle semaine chimio la route cette semaine là a beaucoup d'ornières mais les amis viennent jouer aux cartes et on oublie...

Danielle a dit…

Marie Claude oui, je souhaite que tout ça arrive pour Marie Louise...des belles choses...

Qui de nous ne connait pas le blues ? Nous comprenons bien nos voisins :-))

Oui, Alice va bien, j'ai rencontré hier son médecin (une amie) sur mon palier, elle me dit : Elle va très très bien !

Bises très froides du soir, bon WE à toi. rebises.

Danielle a dit…

Robert, comme vous avez raison d'aimer le beau paysage de la vie, bien sûr l'amitié est un beau cadeau de la vie, profitons d'eux avec amour, comme vous savez le faire.

Lundi, ou, je penserai très fort à vous, une amie de plus sur internet...

Bonsoir Robert passez un bon WE avant l'ornière de la semaine prochaine, mais les amis seront-là pour vous... Que le meilleur gagne !