samedi 22 avril 2017

Gonflée au bloc !



Le petit pansement

Madame, c'est là, vous entrez par ici, le bâtiment principal, c'est là ! Et d'un large geste confraternel, l'inconnu qui sortait de la clinique cachée derrière deux palissades et trois échafaudages, m'indiqua l'entrée...

Son  sourire rassurant tombait à pic ! Il faisait beau, mais je m'en moquais un peu, tout allait bien.

Bien en avance, j'avais largement le temps de faire trois fois le tour du pâté de maisons. Mais non, absolument pas, l'heure c'est l'heure, même en avance... Le hall d'accueil était déjà rempli de monde, du tiers monde, du petit monde des quartiers avoisinants, dont je faisais partie...

Bonjour madame, je crois qu'il faut que je monte directement au premier étage... Oui, montrez-moi vos papiers, oui, oui, au premier étage directement... L'aventure commençait sereinement, juste trois marches à monter....

Les infirmière s'activaient dans le petit bureau d'accueil du premier étage, toutes sourires, fraîches et pimpantes, elles ne perdaient pas le fil des objectifs d'accueil : pianotaient sur l'ordinateur, préparaient les papiers en potinant sur leur soirée, leurs amies, les faits du matin. Bonjour madame, c'est qui votre médecin ? Ça commençait tambour battant...

Tension au bras, température dans l'oreille, bien, voilà votre petit bracelet, vous pouvez vérifier s'il vous plait, parfait ! Vous venez pour quoi ? Décontractée, souriante, reposante, elle écoutait ma réponse : vous ne savez pas pourquoi je viens ? Si madame, je le sais, mais justement, on veut entendre ce que vous avez à dire pour voir si ça coïncide avec notre fiche... Ingénieux, quelle présence, quel professionnalisme, ils ne risquent donc pas de se tromper de patient ! Me voilà totalement rassérénée.

Vous avez fait vos toilettes au Betadine ? Parfait. Vous êtes à jeun ? Oui, oui bien sûr, j'ai juste bu un thé vers 8h ! Et là, un blanc immaculé ! Elle ouvrit grands ses yeux, vous avez bu un thé ? Elle a bu un thé la dame, dit-t-elle à la cantonade... Les collègue : un thé!

Ah ! Ça va pas être possible, madame ! Zut je me suis trompée, c'est grave un thé ? Bougez pas, je téléphone à l'anesthésiste : elle a bu un thé vers 8h ! Et là, je me voyais faire demi-tour, reprendre mon agenda, recaler un rendez-vous plus tard, rembobiner le film à l'envers... Quelle idiote je fais, me tromper à ce point, c'est stupide, si je pouvais passer quand même... Bon ça va, elle a dit oui, on vous prend, vous passerez à la fin de la liste du chirurgien. Parfait, je préfère, et en voiture Simone... J'étais presque contente d’être ici, voyez comme les choses sont faites, moi qui traquais depuis la veille, sans rien montrer naturellement, j'étais ravie !

Mon petit bouton louche au coin du nez, il fallait l’enlever : il est moitié-moitié, madame, m'avait dit le chirurgien, donc un peu bon, un peu mauvais, il faut le retirer, c'était pour ça que j'étais là et contente d'y être, surtout en ayant bu un thé à 8h ! En prenant mon thé du matin, je me trouvais très à l'aise, heureusement que je peux boire un thé, ça fait du bien le matin, même sans tartine c'est câlin, ça réconforte, j'avais trouvé tous les mots qui allaient avec le plaisir du thé quand on doit rester à jeun... Raté, archi raté  !

L'attente dans la chambre était plutôt reposante, charlotte sur la tête, sur-chaussures sur pieds nus, enfin bref, toute la panoplie nécessaire pour le bloc opératoire. C'est fou ce que l'on peut penser dans cette attente, petites pensées insignifiantes, confiantes, ou film catastrophe, toutes font le même trajet dans le cerveau, le plus mauvais de toute façon, c'est comme ça, on n'y peut presque rien... Allo, allo, oui, tout va bien, j'attends tranquille, ne vous inquiétez pas, bisous bisous, la petite musique des affections contre les petites misères fait bon poids... Toute la famille était au rendez-vous...

Et puis j'ai eu de la compagnie, une petite dame en noir, prostrée, accablée, bossue d'angoisse, qui s'est mise rapidement sur son brancard, sans un mot, avec tous les beaux habits du bloc, j'étais prête pour les bavardages, mais ils n'ont pas pu avoir lieu...

Mes maux à moi étaient légers : je vais avoir un gros pansement ou un petit, voyez, ça devrait se surmonter rapidement...

Après, petite balade sur le brancard, bonjour par ci, bonjour par là, ça va madame, tout le personnel roulant étaient accueillant. Descendue en ascenseur, tournée, virée jusqu'à la petite salle d'attente du bloc, juste face à la télé qui marche sans interruption, ça tombait bien pour moi qui regarde volontiers les informations, par contre, la dame devant  moi en avait plus qu'assez d'entendre parler... Mais la télé était là pour toujours pour parler, parler, parler...

Voici l'anesthésiste, souriante, rapide, elle vérifie mon bracelet, me redemande mon nom, ma date de naissance, pas d'erreur, c'est bien moi, c'est là, et je repointe le bout de mon nez pour lui montrer mon bobo méchant, elle me raconte tout le processus, la petite sieste, l'endormissement et tout en me mettant l'aiguille dans le bras, elle me raconte aussi sa péridurale du temps ou elle accouchait de son premier enfant, comme je voyais bien qu'elle voulait boucher les trous, je l'ai laissée aller jusqu'au deuxième enfant...

Après, si vous êtes déjà passé par là, vous savez bien qu'on ne se souvient de rien, mais quel plaisir de se réveiller à la toute fin, dans ce champ d'or ! Un champ d'or ? Oui, dans cette salle de réveil, où tous les opérés qui ont froid ont été délicatement recouverts d'une couverture de survie, dorée comme le dôme des Invalides... C'est beau !

Revenue à la chambre, la petite sieste d'après, comme vous la savourez, il fait beau, vous allez manger, on va venir vous chercher, la vie, la vraie, va reprendre d'une heure à l'autre, le petit pansement est vraiment petit, ça ira bien pour la sortie...

Avant la sortie, il y a eu la collation, et c'est là que les bavardages commencèrent, j'y retrouvais ma petite dame de compagnie silencieuse qui maintenant parlait  : j'ai un peu mal au ventre. C'est rien madame, vous allez voir, ça va se passer très vite, nous étions deux autres personnes à la rassurer, comme si on avait les diplômes de la faculté qu'il fallait pour nous permettre de prendre ses affaires en mains, la voilà qui souriait, le mal diminuait, elle allait pouvoir manger sa délicieuse compote allégée en sucre... Chacun expliqua le pourquoi de sa présence en deux mots, le personnel est vraiment gentil, vraiment humain, rien à dire, à redire, allez, bonne continuation, au revoir monsieur, mesdames, passez une bonne fin de journée, portez- vous mieux......

À la sortie j'étais gonflée à bloc, bien chouchoutée, bien transportée, allo, allo, oui, tout va bien, j'ai juste un petit pansement sur le coin du nez, je n'ai pas mal du tout, bisous, bisous, je te rappelle ce soir...

jeudi 20 avril 2017

Les merveilles de Laon (2)


Notre-Dame de Laon dans le froid, le vent, la pluie et la grisaille du jour de ma visite

Sur la façade aux trois portails, juste en dessous des trois arcs, j'ai photographié ces figures de pierre, si expressives, et je me disais en les admirant : souffrance, tristesse, angoisse, frayeur...









Les tristes faces gardiennes du Temple... Le talent des artistes n'a pas de limite, le réel dépasse la fiction

Je ne suis pas assez calée en symboles religieux chrétiens pour en comprendre les significations exactes... Comme j'ai la flemme de faire des recherches sur Internet, je me laisse donc guider simplement par mes impressions, peut-être même semblables à celles que devaient ressentir les gens qui passaient par là au Moyen-Âge... Comment faire pour résister aux tentations interdites pour accéder au Paradis ? Si j'en crois les anges et les flammes des Jugements Derniers : peints de mille façons, sur fond de mosaïque d'or, sculptés splendidement et inlassablement sur beaucoup de frontons des cathédrale...Par quels détours faut-il passer pour tutoyer les anges ?

Je garde bien sûr en tête le Jugement Dernier de Torcello à Venise, dans la grandiose basilique Santa Maria Assunta (construite au 7e siècle), composé en mosaïque ( XIIe), qui se lit comme une bande dessinée sur un fond d'or : un véritable trésor artistique que je ne me lasse jamais de voir et revoir, chaque fois que je reviens à Venise, le trajet sur l'eau pour l'atteindre est déjà une oeuvre d'art... Je reste toujours un long moment à détailler chaque figure, à y mettre du sens, mon bon sens, petite païenne devant l’Éternel, souvent sans prendre une photo qui s'avère toujours bien en-deçà de l'original... Je me souviens aussi de ce monumental Jugement Dernier de la cathédrale d'Albi, une oeuvre éblouissante ! Inscrit au Patrimoine Mondial, donc il y a du monde, il faut venir le matin à l'ouverture des portes... Du Paradis...




Le Jugement Dernier de la basilique Santa Maria Assunta de Torcello, extraordinaire ! (Image empruntée sur Internet)





Le grandiose Jugement Dernier de la cathédrale d'Albi

À deux pas de la cathédrale de Laon, dans l'ancienne commanderie, il y a cette petite merveille : une chapelle (XIIe, restauration aux 19e et 20e), dernier vestige de la présence templière, le mur clocher domine l'ensemble et quatre pierres tombales se trouvent encore à l'intérieur. Il y a un musée (fermé) qui recèle un tableau des frères Le Nain natifs de Laon. Plantée au milieu de nulle part, au bout d'une pelouse, une autre surprise de la promenade...




 Le chœur

Dans le vent, la pluie, le froid, les grandes tours de l'Abbatiale Saint-Martin font leur apparition, énigmatique, énorme, splendide. Construite par une congrégation de chanoines Prémontrés au XIIe siècle, achevée au XIIIe, l'emplacement de l'abbaye accueille aujourd'hui l'hôpital de Laon. L'église est devenue paroissiale.


Elle a fière allure, j'en visite les abords puisqu'elle est fermée. En 1944, un bombardement a détruit tous les bâtiments entourant la cour de la "Communauté", les ailes ouest et nord mettant ainsi au jour les pignons médiévaux du cellier et du réfectoire. La médiathèque est installée dans le cloître, on y accède par un escalier suspendu monumental en pierre, avec une rambarde du XVIIIe de toute beauté.





La dédicace à Saint-Martin qui partage son manteau avec un pauvre


Saint-Laurent, martyr chrétien sur son grill : voyez comme la sarabande de souffleurs de braises est joyeuse !

Le cloître


Voici que je découvre en poussant la porte de la médiathèque, ce sublime escalier suspendu et sa rambarde de fer forgé


Je m'avance pas à pas, personne dans les lieux, je l'ai entièrement à moi ! Impossible de l'avoir d'un seul tenant dans mon appareil photo, il n'y a pas assez de recul, je le prends bout par bout :


La belle spirale


Jusqu'en haut...

En sortant, tout au fond, dans la cour de la communauté, un beau reste d'un bâtiment du XVIIe, le logis de l'abbé.


Dans la grisaille du moment...

Prochain post : Gonflée au bloc !

vendredi 7 avril 2017

Les bœufs de la cathédrale de Laon... (1)


Notre-Dame de Laon (crédit photo : David Iliff )


Un boeuf sur la tour de Laon

Laon ! De ma dernière visite, je me souvenais très bien des grands bœufs qui dépassaient des deux tours de la cathédrale Notre-Dame, il y en a 16, 8 sur chaque tour, grandeur nature. Leurs têtes cornues avancent largement dans le vide, bien visibles de tous côtés, si bien qu'on peut les apercevoir de loin. Plus on s'approche, et plus le mystère s’épaissit... Le guide papier de la ville nous dit qu'il y a 16 boeufs ! Pourtant Jean-Mary Thomas, Picard réputé (un peu historien amateur) qui a raconté la légende des boeufs à France 3 Hauts-de-France en décembre 2015,  parle de huit bœufs, Wikipedia n'en donne pas le nombre... Je ne sais plus quoi penser... Je confirme : il y en a 16, c'est sûr, je viens d'aller regarder le site de la BNF, un guide descriptif de E. Lemaitre (1895) le confirme ! Ouf !

Pour l'histoire de ces bœufs, j'ai dû rechercher la vérité, certaines sources disent : 1) Que ces bœufs font référence à  la légende selon laquelle le bœuf chargé de monter au sommet de "L'acropole" de Laon les matériaux nécessaires à la construction de la cathédrale, épuisé par cette montée, aurait été remplacé par un bœuf miraculeusement apparu. Il est vrai que le cheptel des tours s'adapte très bien à la légende, E. Lemaitre écrit : c'est en récompense de ce service qu'on aurait donc placé des statues de bœufs sur les clochers de la cathédrale. La source des monuments historiques précise pourtant que cette légende serait apparue après l'achèvement des tours.  2) Ailleurs, des sources plus documentées nous disent que c'est en hommage à cette collaboration animale que des bœufs sont représentés dans les tours de LaonRéférence ? Hommage ? Récompense ? On touche au but ? Il a fallu être très très motivé et argenté pour grimper ces colosses tout là-haut...

Ma version à moi pourrait être celle-ci : il y avait un sculpteur sur pierre qui adorait les animaux, et comme il a (peut-être) été payé plus cher que les autres pour réaliser les bœufsavec l'argent gagné en plus il a pu ainsi faire plaisir à toute la famille.... 3) Ou bien : les gars (les tailleurs de pierre),  notre évêque qui adore les bêtes est très content de notre travail, du coup, il nous laisse carte blanche pour la déco des deux tours du devant ! 4) Comme il restait beaucoup d'argent dans les caisses de l’évêque, il eut cette idée remarquable et originale... Et si ces œuvres rendaient hommage au bœuf de la crèche ? Vous avez peut-être une autre version de la légende ? Ne manquez pas de nous en instruire dans les commentaires, merci d'avance, les amis.




Voyez le joli bestiaire, il veille... Regardez la beauté de la tour avec sa couronne posée délicatement tout en haut...

Sur la belle place, juste devant la cathédrale, nous discutions entre touristes, deux dames disaient : oui, oui, ce sont des bœufs, il y en a seize en tout... J'ai bien essayé de les compter, mais comme il faisait froid et qu'il fallait lever très haut la tête, j'ai renoncé à la vérification in situ...

Je n'ai pas résisté à la beauté de cette aquarelle qui orne un ouvrage de madame Iliana Kasarska, Docteure en histoire de l'art, spécialiste des portails gothiques, l'artiste peintre a vu huit bœufs.


Aquarelle de Boeswillwald, 1843, extraite de Iliana Kasarska, op. cit., p. 16, M.H. 4010


Comme cette tour est touchante avec toutes ces bêtes qui regardent les passants, la cathédrale de Laon ne ressemble à aucune autre, il faut absolument aller la regarder de près, vous irez de merveille en merveille...

La construction de l'édifice actuel débuta en 1155 et continua jusqu'en 1235. Elle fut une des premières cathédrales de style gothique bâtie en France, elle est antérieure à Notre-Dame de Paris.

L'intérieur est saisissant de beauté, la grande nef  de 110 m de long est illuminée en plein jour par une lumière douce et rosée. C'est le matin, il n'y a personne encore, la cathédrale est à moi, de chaque côté de la nef  il y a 28 chapelles fermées par des clôtures  (XVIe siècle) en pierre sculptée, les fines colonnettes des entrées, forment une sorte de  moucharabieh , une vraie splendeur !

Une magnifique grille (XVIIIe) en fer forgé doré et peint, d'une finesse incroyable, laisse aisément entrevoir le chœur au travers de sa dentelle.. 


La nef : 110 m de long 30 m de large, hauteur : 42 m sous la lanterne, un bâtiment impressionnant


Les clôtures des 28 chapelles (XVI/XVIIe siècle) finement ciselées dans la pierre


La grille du chœur en fer forgé (XVIIIe siècle)

Dans un petit coin, à l'arrière du chœur, dans le déambulatoire, presque à l'abri des regards, un haut relief du Christ en croix  (XIVe), beau et touchant de simplicité, d'humanité, baigne dans le bleu d'un reste de peinture murale. Hélas ! On peut facilement passer à côté sans le repérer...


Un calvaire (haut-relief XIVe)

La visite d'une cathédrale demande énormément de temps, on ne retient jamais tout de cet ensemble foisonnant, ce qui crée immanquablement le désir, la nécessité d'y revenir souvent, et c'est tant mieux, à chaque visite les œuvres délaissées s’accumulent dans notre esprit, comment des sédiments... Souvent, j'achète des cartes postales, pour mieux m'en souvenir, et je n'y reviens jamais... Il faudrait que je vous parle encore de la façade, des tours, des vitraux très restaurés, de l'icone sur bois du Christ (XIIIe), et du trésor de la cathédrale que je n'ai pas pu voir.

En 1790, l'évêché de Laon est supprimé et Laon est rattaché à Soissons. La cathédrale devient une simple église de paroissiens.

Le centre ville est désert, 80% des commerces sont à vendre, quelques restaurants bien sympathiques attendent les touristes de l'été, la ville endormie vit de sa cathédrale, sa perle, son joyau !



Un cœur de ville qui vit au ralentit !


Amis, à  la prochaine, peut-être Laon, encore, ou Amiens... Je vous espère au rendez-vous.