Le petit pansement
Madame, c'est là, vous entrez par ici, le bâtiment principal, c'est là ! Et d'un large geste confraternel, l'inconnu qui sortait de la clinique cachée derrière deux palissades et trois échafaudages, m'indiqua l'entrée...
Son sourire rassurant tombait à pic ! Il faisait beau, mais je m'en moquais un peu, tout allait bien.
Bien en avance, j'avais largement le temps de faire trois fois le tour du pâté de maisons. Mais non, absolument pas, l'heure c'est l'heure, même en avance... Le hall d'accueil était déjà rempli de monde, du tiers monde, du petit monde des quartiers avoisinants, dont je faisais partie...
Bonjour madame, je crois qu'il faut que je monte directement au premier étage... Oui, montrez-moi vos papiers, oui, oui, au premier étage directement... L'aventure commençait sereinement, juste trois marches à monter....
Les infirmière s'activaient dans le petit bureau d'accueil du premier étage, toutes sourires, fraîches et pimpantes, elles ne perdaient pas le fil des objectifs d'accueil : pianotaient sur l'ordinateur, préparaient les papiers en potinant sur leur soirée, leurs amies, les faits du matin. Bonjour madame, c'est qui votre médecin ? Ça commençait tambour battant...
Tension au bras, température dans l'oreille, bien, voilà votre petit bracelet, vous pouvez vérifier s'il vous plait, parfait ! Vous venez pour quoi ? Décontractée, souriante, reposante, elle écoutait ma réponse : vous ne savez pas pourquoi je viens ? Si madame, je le sais, mais justement, on veut entendre ce que vous avez à dire pour voir si ça coïncide avec notre fiche... Ingénieux, quelle présence, quel professionnalisme, ils ne risquent donc pas de se tromper de patient ! Me voilà totalement rassérénée.
Vous avez fait vos toilettes au Betadine ? Parfait. Vous êtes à jeun ? Oui, oui bien sûr, j'ai juste bu un thé vers 8h ! Et là, un blanc immaculé ! Elle ouvrit grands ses yeux, vous avez bu un thé ? Elle a bu un thé la dame, dit-t-elle à la cantonade... Les collègue : un thé!
Ah ! Ça va pas être possible, madame ! Zut je me suis trompée, c'est grave un thé ? Bougez pas, je téléphone à l'anesthésiste : elle a bu un thé vers 8h ! Et là, je me voyais faire demi-tour, reprendre mon agenda, recaler un rendez-vous plus tard, rembobiner le film à l'envers... Quelle idiote je fais, me tromper à ce point, c'est stupide, si je pouvais passer quand même... Bon ça va, elle a dit oui, on vous prend, vous passerez à la fin de la liste du chirurgien. Parfait, je préfère, et en voiture Simone... J'étais presque contente d’être ici, voyez comme les choses sont faites, moi qui traquais depuis la veille, sans rien montrer naturellement, j'étais ravie !
Mon petit bouton louche au coin du nez, il fallait l’enlever : il est moitié-moitié, madame, m'avait dit le chirurgien, donc un peu bon, un peu mauvais, il faut le retirer, c'était pour ça que j'étais là et contente d'y être, surtout en ayant bu un thé à 8h ! En prenant mon thé du matin, je me trouvais très à l'aise, heureusement que je peux boire un thé, ça fait du bien le matin, même sans tartine c'est câlin, ça réconforte, j'avais trouvé tous les mots qui allaient avec le plaisir du thé quand on doit rester à jeun... Raté, archi raté !
L'attente dans la chambre était plutôt reposante, charlotte sur la tête, sur-chaussures sur pieds nus, enfin bref, toute la panoplie nécessaire pour le bloc opératoire. C'est fou ce que l'on peut penser dans cette attente, petites pensées insignifiantes, confiantes, ou film catastrophe, toutes font le même trajet dans le cerveau, le plus mauvais de toute façon, c'est comme ça, on n'y peut presque rien... Allo, allo, oui, tout va bien, j'attends tranquille, ne vous inquiétez pas, bisous bisous, la petite musique des affections contre les petites misères fait bon poids... Toute la famille était au rendez-vous...
Et puis j'ai eu de la compagnie, une petite dame en noir, prostrée, accablée, bossue d'angoisse, qui s'est mise rapidement sur son brancard, sans un mot, avec tous les beaux habits du bloc, j'étais prête pour les bavardages, mais ils n'ont pas pu avoir lieu...
Mes maux à moi étaient légers : je vais avoir un gros pansement ou un petit, voyez, ça devrait se surmonter rapidement...
Après, petite balade sur le brancard, bonjour par ci, bonjour par là, ça va madame, tout le personnel roulant étaient accueillant. Descendue en ascenseur, tournée, virée jusqu'à la petite salle d'attente du bloc, juste face à la télé qui marche sans interruption, ça tombait bien pour moi qui regarde volontiers les informations, par contre, la dame devant moi en avait plus qu'assez d'entendre parler... Mais la télé était là pour toujours pour parler, parler, parler...
Voici l'anesthésiste, souriante, rapide, elle vérifie mon bracelet, me redemande mon nom, ma date de naissance, pas d'erreur, c'est bien moi, c'est là, et je repointe le bout de mon nez pour lui montrer mon bobo méchant, elle me raconte tout le processus, la petite sieste, l'endormissement et tout en me mettant l'aiguille dans le bras, elle me raconte aussi sa péridurale du temps ou elle accouchait de son premier enfant, comme je voyais bien qu'elle voulait boucher les trous, je l'ai laissée aller jusqu'au deuxième enfant...
Après, si vous êtes déjà passé par là, vous savez bien qu'on ne se souvient de rien, mais quel plaisir de se réveiller à la toute fin, dans ce champ d'or ! Un champ d'or ? Oui, dans cette salle de réveil, où tous les opérés qui ont froid ont été délicatement recouverts d'une couverture de survie, dorée comme le dôme des Invalides... C'est beau !
Revenue à la chambre, la petite sieste d'après, comme vous la savourez, il fait beau, vous allez manger, on va venir vous chercher, la vie, la vraie, va reprendre d'une heure à l'autre, le petit pansement est vraiment petit, ça ira bien pour la sortie...
Avant la sortie, il y a eu la collation, et c'est là que les bavardages commencèrent, j'y retrouvais ma petite dame de compagnie silencieuse qui maintenant parlait : j'ai un peu mal au ventre. C'est rien madame, vous allez voir, ça va se passer très vite, nous étions deux autres personnes à la rassurer, comme si on avait les diplômes de la faculté qu'il fallait pour nous permettre de prendre ses affaires en mains, la voilà qui souriait, le mal diminuait, elle allait pouvoir manger sa délicieuse compote allégée en sucre... Chacun expliqua le pourquoi de sa présence en deux mots, le personnel est vraiment gentil, vraiment humain, rien à dire, à redire, allez, bonne continuation, au revoir monsieur, mesdames, passez une bonne fin de journée, portez- vous mieux......
À la sortie j'étais gonflée à bloc, bien chouchoutée, bien transportée, allo, allo, oui, tout va bien, j'ai juste un petit pansement sur le coin du nez, je n'ai pas mal du tout, bisous, bisous, je te rappelle ce soir...