Il
faisait beau, franchement chaud, j'avais pris mon vélo, et le chapeau de paille
à large bord.
En haut de la côte, je voyais la petite vigne qui donne du vin clairet pour l'année, à distribuer aux enfants, aux amis... Mais la relève n'est pas bien assurée, le vigneron de l'occasion n'est pas tout à fait sûr de la suite, de qui pressera les grains de raisin... Quand il ne sera plus là...
Entre les rangés de sa vigne, il a planté des mirabelliers, des pêchers. Cette année, le mois de septembre est trop beau, trop cuisant, les raisins sont rabougris, mais les mirabelles roses et parfumées tombent au moindre vent, alors je ramasse celles qui sont à terre et je fais de la confiture, de la compote, pas besoin de rajouter du sucre, c'est un délice... J'attends de voir le propriétaire pour renouveler ma demande d'autorisation du glanage, qu'il m'accorde chaque année, mais en attendant, je continue de remplir tous mes pots...
C'est bizarre qu'il ne vienne pas cueillir les fruits qui restent encore au bout de quelques hautes branches... Mais la première récolte, la grande, avait déjà été faite, je glanais le surplus...
Dès les premiers jours, j'ai fait des confitures de mûres. Dans les ronces, sous le soleil, elles sentaient déjà la confiture, ce parfum intense qui se déploie sous l'effet de la chaleur du soleil, ou du gaz de ma cuisinière... Une merveille...
Après la vigne, j'ai filé à l'étang, en vente à ce qu'il paraît, il y a du monde dedans : des hérons en pagaille, presque au milieu de l'étang tellement le niveau de l'eau a baissé avec la sécheresse, des petits canards, une oie solitaire, des cygnes par dizaines, des ragondins en famille, qui détruisent tranquillement les berges de l'étang. Le dernier propriétaire (décédé) les tuait à coups de fusils... Pas encore de cormorans... Qu'il tuait également.
Les grands noyers de la rive qui, l'année dernière, donnaient des grosses noix, sont vides...
Après l'étang, j'ai pris le beau chemin entièrement ombragé, attention au ornières, je tiens solidement mon guidon et souvent, je mets pied à terre par prudence, pas envie du tout de me retrouver par terre, plus assez solide pour me récupérer entière...
Plus
loin encore, un autre petit chemin plus cabossé que je fais tout à pied, pour
arriver au moulin qui ne mouline plus depuis très longtemps, il en a gardé
juste le nom, plus de roue, plus rien qui pourrait passer pour un moulin...
Bonjour madame, bonjour monsieur, le lieu du moulin est habité par un couple de
vieilles personnes qui espèrent encore aller très loin en bonne santé...
Et puis c'est la petite rivière que je croise, sur le petit pont, je regarde l'eau un peu glauque, pleine d'algues, d'herbe et de troncs d'arbres morts, une désolation. Je ne sais pas du tout ce qui se déverse dedans, mais pour la baignade, mieux vaut aller à la piscine...
Je file doux par la petite départementale, après le marchand de fromages de chèvre, je connais quelqu'un dans le coin, une dame d'un certain âge, voilà des années que nous nous disons bonjour, quelques mots sur la météo, et même un peu plus, des sourires, à bientôt... Et l'année dernière, une vraie invitation : un verre d'eau à l'intérieur de sa maison.
Dans un ensemble berrichon magnifique, composé de plusieurs fermes en très bon état, voisines les unes des autres, sans activité, seulement des poules, lapins et canards élevés par Marie. Elle est toujours disponible, aime bien parler, et moi aussi, nous faisons la paire.
Cette fois-ci, Marie m'accueille avec entrain : je ne voulais pas
passer devant chez vous sans vous faire un petit coucou, comment allez-vous ?
Nous voilà parties dans la visite des lieux, elle me raconte son temps, quand
elle avait elle-même des vaches, faisait le beurre, et vendait le lait.
Chaque année, je creuse le sillon entre nous, un petit sillon de quelques instants qui comptent peut-être, l'année dernière nous nous sommes rencontrées juste une fois, sur le trottoir, devant la boulangerie.
Chaque année, je creuse le sillon entre nous, un petit sillon de quelques instants qui comptent peut-être, l'année dernière nous nous sommes rencontrées juste une fois, sur le trottoir, devant la boulangerie.
Elle est née ici, a fait sa vie là, elle sort peu : quelques courses au village avec sa petit voiture, ou une visite chez le médecin, je suis toujours assurée de la trouver près de sa maison. Voulez-vous boire quelque chose ? Si vous voulez, merci, un petit verre d'eau ne serait pas de refus... Nous nous trouvons tout de suite dans la cuisine : ne faites pas attention, je ne suis pas une femme d'intérieur. Moi, l'intérieur, je le trouve très bien, une grande cuisine un peu encombrée, des photos, des souvenirs, des objets en haut des placards, beaucoup d'obus sculptés de la guerre de 14/18. Ne faites pas attention à la poussière, je n'y fais pas attention du tout... Je crois tout de même que pour le dernier verre d'eau, elle m'avait dit aussi qu'elle n'était pas femme d'intérieur...
La
maison du fils unique et de la belle-fille se situe juste à deux mètres de la
sienne, dans le même ensemble, la même cour, elle passe tous les jours devant
et même plusieurs fois par jour. Les poules sont juste devant, les canards
aussi...
Marie me parle d'elle et de sa solitude : jamais elle n'entre dans la
maison de son fils plus de trois ou quatre fois l'an, la mère et le fils
communiquent peu, seulement quand la belle-fille est absente.
Sa petite-fille, unique, vient la voir souvent, lui confie ses angoisses, ses soucis, ses projets, elle a rencontré un jeune homme de son âge, dix-huit/vingt ans, ils sont amoureux, mais les parents n'en veulent pas, ils ne le trouvent pas assez bien pour elle, me dit Marie.
Malgré la désapprobation parentale, la petite-fille continue de le voir. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas contents, je le trouve vraiment bien, moi, ce jeune homme, ils se connaissent depuis qu'ils sont tout petits, je ne comprends pas...
Nous étions là à parler devant notre verre d'eau, à deviser, et j'ai demandé à Marie : Marie, comment faites-vous pour supporter les silences, les évitements, le chagrin, la solitude ?
Alors elle a essayé de m'expliquer avec ses mots si bien choisis, si justes, si bien ressentis : je m'arrange, je reste humble, non, exactement : j'accepte ! C'est ce qui semblait ressembler le plus à ce qu'elle vivait...
Nous sommes restées encore quelques instants dans les mots, et puis j'ai repris mon vélo, mon chapeau de paille, remis mon appareil photo dans la sacoche... Marie, je repasserai vous voir... Il se fait tard maintenant, je vous ai trop retenue, mais non, mais non... À bientôt...