dimanche 2 octobre 2016

Le Paradis bourguignon...


 Toits bourguignons, vus du petit château XVIIIe

Danielle, que vas-tu dire encore sur le Paradis ? Tout a été peint, chanté, raconté, imaginé, inventé, réinventé. Le Paradis, on n'en parle plus... C'est de l'histoire ancienne, tout le monde sait bien maintenant que cet endroit est en nous, plus la peine de chercher, c'est un truc démodé, maintenant on est passé aux paradis artificiels, là, il y a encore beaucoup de clients... Mais le Paradis, le vrai, on ne sait même plus ce que c'est... 

C'est vrai, moi non plus je ne m'accroche pas au Paradis, les petits bonheurs des jours suffisent à mon bonheur, cet été, j'ai été gâtée... 

Si ça vous dit, je vous parle du Paradis...

 Je sortais d'un drôle d'endroit, un centre culturel singulier, dont les activités tournent autour du design, planté dans un petit village perdu dans la verdure, en pleine Bourgogne. Il propose des expos, des concerts, des ateliers, des rencontres. Le château XVIIIe, inscrit à l'inventaire des monuments historiques, fête ses 30 ans de restauration. J'étais bien contente d'être là, un beau bonheur du jour...

 Partout de belles fermettes, des granges anciennes, très bien restaurées, comme des vraies, des roses trémières en pagaille qui partaient dans tous les sens, penchées, couchées, érigées, des jardins à l'anglaise qui explosaient de couleurs et de formes, avec de belles pelouses vertes malgré la chaleur qui durait, des petites clôtures discrètes, accueillantes, bonnes voisines... Qui semblaient dire : Entrez, je vous en prie... 

Mais j'ai vu plus beau encore ! Là, Danielle, tu nous balades, tu fais ton intéressante... 


Il suffisait de descendre...

Non, non, le Paradis était plus bas, dans le contrefort du château, il suffisait de descendre quelques marches, juste à côté de la petite église dont on ne savait pas qui avait la clé, et on atterrissait directement dedans, le Paradis des Paradis, avec juste un petit Enfer, mais vous verrez, c'est à pleurer... 


À la dernière marche on tombait dans les roses trémières...

À la dernière marche, on tombait tout de suite sur des roses trémières magnifiques qui animaient un grand mur de pierres, puis on devait pencher un peu la tête pour traverser une sorte de tonnelle à peine esquissée, pas prétentieuse, toute en nuances, souple et odorante, une tonnelle désordonnée comme les vrilles d'une vigne, pour aboutir dans un petit jardin semé sur un terrain sans barrière, on distinguait les plantations impeccables alignées en rangs d'oignons, on poussait déjà des cris: comme c'est beau ! Il y avait toutes sortes de légumes, avec le vert qui prédominait largement, on pouvait tout reconnaître sans se tromper : carottes, haricots, tomates, bettes, poireaux, salades, radis, courgettes... Les fleurs se partageaient le terrain avec les légumes, elles poussaient de partout, pour les nommer, impossible, je ne suis pas très calée en botanique, il y en avait tant... 


Les roses trémière cachaient l'horizon

Ce jardin incroyable de beauté avait son jardinier, tout au bout. Loin encore devant mes yeux, je le voyais penché vers la terre avec son beau chapeau de paille, c'était donc lui le poète, le créateur de Paradis ! 

J'avais mon appareil photo autour du cou, mais je n'étais pas pressée d'appuyer sur le bouton, pas le temps, il fallait d'abord regarder avec les yeux, j'allais d'un sillon à l'autre, je suivais la courbe des roses qui recouvraient le mur du jardin, le soleil baissait, il fallait vite se décider, je n'y arrivais pas... Je restais médusée... Ça existe, un lieu comme ça ? J'ai fait deux ou trois photos rapidement, pour tout conserver intact, mais dans ma tête, il y avait aussi les odeurs, les mouvements, l'étonnement, l'éblouissement, tout ce qu'on ne peut pas montrer sur les photos. 


Monsieur c'est la nature qui vous remercie

Attendez que je m'éloigne pour prendre la photo, je vais gêner dans le paysage... 

Voyez la modestie : mais comment, monsieur, mais pas du tout, au contraire, je serais très honorée de vous avoir dans mon viseur, comment faire une photo sans vous qui réalisez tant de beauté ? Mais pas du tout, c'est la nature qu'il faut remercier... Mais non, monsieur, c'est vous, vous avez votre grande part dans ce jardin superbe, prenez la pose, je vous en prie, rien ne pourra se faire sans vous... Il esquivait sa part de responsabilité dans toute cette beauté, il ne faisait rien que suivre la nature, l'encourager, l'accompagner, il faisait le jardinier peu intéressé par les compliments... 


Il se tenait là...

Il s'est assis sur une chaise qu'il avait disposée pas loin, et nous avons parlé, avec un grand plaisir, et nous avons partagé l'art de sa culture. 

C'est lui qui nous parla du Paradis en premier, assis sur sa chaise, il déclara : oui, c'est vrai, ici, c'est mon Paradis, j'y suis depuis toujours, c'est ici que j'aimerais finir, plutôt que là-haut, mais je ne sais pas si on me l'accordera... Je me souviens de mon retour, en 1960, j'avais frappé à la porte et elle était descendue, elle était institutrice, nous nous sommes fiancés... Elle est ici, la fiancée ? Oui, nous sommes mariés depuis 50 ans, elle adore aussi les fleurs, le jardin de notre maison, c'est elle qui l'a inventé. Elle souffre en ce moment d'un cancer qui a recommencé trois fois, nous savons ce qui nous attend... Oh ! Comme c'est triste, gardez confiance, gardez confiance... J'ai perdu aussi ma fille, elle avait 47 ans, d'un cancer, comme sa maman...

Vous comprenez maintenant comment l'Enfer peut succéder au Paradis... 

Vous prendrez bien un peu de salade, quelques courgettes ? Il insistait, nous n'osions pas sauter de la mort aux légumes, nous n'osions même pas dire merci, et puis nous l'avons dit avec les mots : confiance, courage, elle peut s'en sortir, avec le sourire... Ce partageur tentait de nous consoler du récit qu'il venait de nous faire, si vous passez par notre maison, là, tout de suite à gauche, rentrez, regardez le jardin, c'est entièrement son oeuvre... 




Son oeuvre ! (toutes les photos sont un peu surexposées, mais pas question de quitter les lieux sans un salut photographique)

Nous ne savions pas bien comment nous y prendre pour lui dire merci et au revoir, nous avons employé les mots de tous les jours, trop petits, trop simples, trop quotidiens... Trois fois rien, devant l'immense chagrin... 

Dans le jardin de sa maison, ouvert à tous vents : des fleurs, beaucoup de fleurs, des arbres, des massifs, le silence, dans les étages elle était sûrement là, à se reposer, nous sommes partis sur la pointe des pieds, le cœur serré...

10 commentaires:

siu a dit…

Il y a vraiment aussi bien le Paradis que l'enfer, dans ce que tu racontes ici d'une façon si sincèrement profonde. Et on voudrait etre là avec vous, à jouir de ces jardins merveilleux, à partager votre envie de consoler cet homme si aimable tout comme votre embarras...
Merci, Danielle.

ELFI a dit…

un paradis surement..et ils vont monter aussi au paradis pour voir le jardin du haut!
à quand l'escapade dans ma région? je suis de retour... :)) bises

Brigitte a dit…

Oh comme il est beau ce petit paradis ! Merveille des merveilles
Si cela arrive... ils iront aux jardins d'en haut ,forcément ...
Tu racontes la simplicité et tu es toujours captivante . Merci Danielle .
Des bises du soir

Danielle a dit…

Vraiment oui, des jardins merveilleux et doux, Siu oui, c'est exactement ça : comment consoler cet homme si généreux ?

Nous sommes partis avec nos courgettes et salade très émus...

Bises Siu à très vite.

Danielle a dit…

Elfi, ta région n'est pas au programme pour rout de suite, mais je n'oublie pas du tout...

Bon retour à toi et à bientôt.

Bises du soir.

Danielle a dit…

Brigitre, merveille des merveilles, oui c'était cela ! Il faisait beau, bleu comme dans le midi...

Forcément, ils iront dans le jardin du haut, mais j'ai bien senti un regret dans sa voix.

Grosses bises Brigitte.

Marie Claude a dit…

Oh oui Danielle tu l'as trouvé ce paradis et tu as su si bien nous le montrer avec tes si belles photos!
J'espère de tout coeur que ce nuage qui plane avec la maladie de son épouse,s'estompera,il faut toujours avoir de l'espoir.Ils le méritent tous les deux,déjà touchés par la disparition de leur fille.
Encore un beau billet,émouvant comme tu sais si bien les écrire.
De gros bisous du matin

Danielle a dit…

Merci Marie Claude, j'espère aussi que la malade sera épargnée...

J'ai gardé en tête toute cette beauté, avec le désir d'y revenir...

Difficile de reprendre la vie de la ville, la grande ville...

Bises du soir à toi.

Enitram a dit…

La France est belle ! Tu le sais et tu l'écris bien à chaque billet ! Comme je suis ravie de retrouver ton blog quand tu racontes la beauté, que ton regard découvre sur les chemins ! Ici la Bourgogne et bientôt ...
Bonne soirée ! Bises du pays du canard (yes, il revient !)

Danielle a dit…

Merci Énitram, les routes de France sont bien belles, la Bourgogne reste encore à découvrir...

Mais des Paradis, j'en ai connus dans les petits chemins, les sous-bois, les plaines et les collines...

Tant mieux si le canard revient, il manquait...

Grosses bises du jour Énitram.