vendredi 30 décembre 2016

Natures mortes ressuscitées...


Henri Fantin-Latour (1836-1904)

Après avoir vu récemment la grande exposition du peintre Américain Cy Twombly au centre Beaubourg, j'ai beaucoup réfléchi : malgré tous mes efforts, je ne suis pas arrivée à l'apprécier à sa juste valeur, ce grand peintre ne me touche pas, je n'ai pas réussi à m’intéresser à lui ! Pourtant, il est mondialement connu, aimé, adulé par les critiques, le public, mais avec lui je reste en plan, je m'ennuie ! Pourtant, je ne suis pas butée, et malgré plusieurs tentatives, notamment chez le galeriste Yvon Lambert, ça ne passe pas, il me laisse de marbre... Je le laisse donc à ses admirateurs. Moi qui suis avec passion les artistes contemporains, avec Twombly, rien à faire...

Si on allait voir Fantin-Latour, ça te dit ? Me dit mon gendre préféré... Oui, avec plaisir, allons-y en nocturne, il y a moins de monde. L'affaire fut "fête", j'adore Fantin-Latour, j'adore les fleurs, j'adore ses natures dites mortes...

Nous étions peu nombreux dans l’exposition, un plaisir immense d'avoir toutes ces œuvres pour nous seuls, un enchantement classique qui ne me laisse pas de glace. Je ne me gâche pas mon plaisir, les fleurs, les fruits, les vases transparents comme je les aime font mon bonheur, les photos sont permises, que demande le peuple ? Je mitraille...

Henri Fantin-Latour avait fait de ses natures mortes son fonds de commerce, elles se vendaient comme des petits pains. Souvent présentées comme une "pure besogne alimentaire", elles lui offrent de profondes satisfactions. Ce pan de son oeuvre est pléthorique, on dénombre aujourd'hui plus de 500 toiles dans la maison familiale de Buré, dans l'Orne.

"Le travail artistique, c'est tout, je veux faire des chefs-d'oeuvre, il n'y a rien d'autre"


"La peinture est mon seul plaisir, mon seul but"

Beaucoup des tableaux exposés actuellement au Musée du Luxembourg sont visibles au Musée d'Orsay, donc pas d'inquiétude si vous n'êtes pas à Paris...


détail








Les jardins de Fantin-Latour : "Voilà une idée qui me préoccupe beaucoup, faire croire à aucun effet artistique". En somme, avec Fantin-Latour, la nature souveraine se retrouve ici dans son expression naturelle : la nature est si belle, il suffit, quand on le peut, de la regarder pour avoir envie de l'avoir toujours avec soi. Un tableau, une photo, une fenêtre ouverte sur le jardin du voisin, je me souviens de tous les chemin de mes vacances à la campagne, chaque année je me dis : quelle chance de me trouver là ! Pourvu que je retrouve cette nature intacte tant que j'y viendrais !


De ma fenêtre, le panier de pinces à linge en Indre...


Dans les cours parisiennes

Mes amis fidèles et ceux de passage, soyez heureux auprès des personnes que vous aimez, pour fêter joyeusement la nouvelle année 2017 !!

vendredi 16 décembre 2016

Alice et sa tablette !


ALICE, 102 ans

Vous voyez : Alice ne fait pas du tout son âge, j'ai pu la prendre en photo grâce à sa tablette numérique offerte par sa famille pour son anniversaire...

Bien sûr, elle ne sait pas encore parfaitement s'en servir, mais elle avance très vite dans l'apprentissage, plusieurs fois dans la semaine je vais lui rendre visite, et nous en profitons pour envoyer des petits messages audio à ses enfants et petits-enfants... C'est très pratique, elle dit une phrase très simple qui est enregistrée immédiatement sur sa tablette, on peut réécouter la phrase et recommencer avant d'envoyer... Alice est très design dans les nouvelles : je vous fais des gros bisous ! Je l'encourage à en dire un peu plus, du genre : je vais bien, ou : tout se passe bien pour moi, à bientôt.

Nous avons envoyé cette photo à toute la famille, Alice à côté de sa belle orchidée, je n'ai pas voulu la faire poser davantage pour ne pas l'ennuyer...

J'ai dit à Alice que j'allais "la mettre sur internet", tout le monde vous attend, Alice, faites un beau sourire, elle était un peu crispée, mais c'est une photo d'essai, nous ferons mieux la prochaine fois.

La prochaine fois, c'était hier, je suis allée la voir pour relever le courrier et lui faire faire de nouveaux messages audio avec des bonnes nouvelles, mais Alice n'avait pas varié : coucou, je vous fais des bisous, je vais bien...

Alice est très précise, elle va à l'essentiel.

Au moment de fermer la tablette, elle savait mieux que moi ce qu'il fallait faire : mais Danielle, il faut appuyer là ! Elle avait raison la belle, j'imaginais comment elle avait dû carburer dans sa jeunesse, elle avait dû aller à 200 à l'heure, pour tout.

Au moment de la quitter je lui demandais ce qu'elle avait mangé : j'ai bien mangé Danielle, des pommes de terre, de la viande, j'en ai pris deux fois, et deux mandarines. Maintenant elle allait se coucher (elle se couche très tôt), elle me raconta avant que je parte qu'elle était allée deux fois dans la journée à Auchan, le matin avec son gendre, comme tous les mardis : je voulais acheter un pantalon mais mon gendre était pressé, je n'ai rien dit, mais je suis revenue dans l'après-midi, j'ai pris l'autobus bien sûr... Elle m'avait cloué le bec ! Mais Alice, vous avez essayé le pantalon ? Non, j'avais emporté mon centimètre en ruban, j'ai mesuré ma taille et hop, j'ai pris du 40, c'est parfait pour moi... Je n'en revenais pas, deux fois dans la journée aller/retour dans cette grande surface, prendre l'autobus, l'escalator, choisir, passer en caisse où il y a toujours du monde, Alice est incroyable ! Elle ne va dire à personne qu'elle est allée deux fois faire des courses, c'est notre secret...

Chère Alice portez-vous bien, n'allez pas tomber, bonne nuit, je vous embrasse.

dimanche 11 décembre 2016

Les souvenirs de trottoir...




Il faisait extrêmement beau, ce qui est très mauvais pour la pollution qui stagne, mais bon, il faisait extrêmement beau, c'était décidé, j'irai faire un tour aux Puces : la grande vadrouille, le rince-méninges, la chasse à l'insolite, il faisait beau, j'avais le temps, l'envie...

Mais c'était sans compter sur les rencontres de trottoir et justement, des rencontres, j'en ai faites. Jamais nous ne nous étions parlé autant, pourquoi, comment, nul ne le sait... : bonjour, il fait beau, oui, je vais au cimetière, ah ! Vous allez voir votre mari ? Oui, mais je vais voir aussi mon fils. J'avais le souvenir que cette dame avait un fils, mais deux ? Ah ! Vous avez deux fils... Oui, mais l'aîné est mort il y a très longtemps...

Je suis restée en attente trente secondes en me demandant par quoi je pourrais poursuivre notre conversation, mais c'est elle qui me précéda...

J'ai deux fils, mais le grand est mort il y a 20 ans, il avait attrapé le sida dans les années 80 et a survécu jusqu'en 2000, si vous saviez comme il a souffert, il n'y avait pas les trithérapies à l'époque, il était homosexuel...

La vie de son garçon se déroulait à nos pieds, jamais elle ne m'avait parlé de tout ça, son mari était mort après son fils, il était cardiaque avec transplantation, ça a bien marché des années...

Mais vous savez, un jour mon fils est descendu de sa chambre... Un matin, il avait dix-sept, dix-huit ans, il m'a dit maman il faut que je te dise quelques chose : je suis homo !

Toute ma famille l'a accepté sans problème, mon mari le premier, on n'a jamais fait de différence. Un jour, il a eu l'idée de se faire contrôler dans un institut médical  parisien, il avait été contaminé ! C'était un bon garçon, et doué avec ça, excellent pâtissier, il travaillait bien, aimait son métier.

Je l'écoutais, écoutais, écoutais, pourquoi ça se passait ce matin, avant que j'aille aux Puces, je ne sais toujours pas, je me disais : que vais-je lui dire pour la réconforter ? Mais elle n'avait pas besoin de réconfort, elle était forte à présent, elle parlait tranquillement et allait au cimetière leur faire un petit coucou. Bientôt on pourra faire une belote, dit-elle en souriant... Elle avait digéré ses morts, ne pleurait peut-être plus, mais elle pouvait en parler...

Elle eut une belle phrase pour terminer notre conciliabule : vous savez, dans les familles, il y a toujours des malheurs dont on ne parle pas souvent, mon fils et mon mari, ce furent de grands malheurs.

Juste un peu avant le début de notre conversation, nous avions entendu la voix de cet homme qui criait : "homme" (voir mon post du 28/10) et faisait aussitôt son signe de croix, il répétait inlassablement le cri et les gestes partout dans la ville, sur son balcon. Il était revenu de l'hôpital, elle le connaissait, il est gentil, il a dû encore oublier de prendre ses médicaments, mais je plains ses voisins... Je savais aussi de quoi elle parlait, sans méchanceté...

Elle partit gaiement au cimetière, elle avait sûrement fixé le rendez-vous, elle s'en réjouissait...

Après cette dame, je rencontrais encore du monde, des : bonjour, bonsoir, comment allez-vous... J'en répétais plusieurs, des courts, des longs, si bien que l'heure des Puces étaient passée, bien passée, je suis allée faire des courses et je suis rentrée à la maison, je n'avais pas trouvé le temps long, j'irai un autre jour, voilà tout...

Moi qui espérais l'insolite, j'avais reçu cette histoire avec beaucoup d'émotion...

dimanche 4 décembre 2016

Venise... Sans but précis... (3)


S. Andrea della  Zirada, 14e/16e siècles (un peu de travers), isolée du reste du monde


Superbe sculpture de Dieu le Père (?)

C'est à chaque fois pareil, quand je prends le vaporetto, je ne sais jamais où m'installer pour ne pas avoir de soleil, j'ai beau calculer l'axe, l'heure, réfléchir sur le bon bord, ça ne marche jamais, je n'arrive pas à rester à l'ombre, je ne suis pas une bonne navigatrice, aucun sens de l'orientation.

Du côté de cette belle église fermée et déconsacrée de S.Andrea (ouverte seulement pendant la Biennale d'art contemporain en 2015) à surveiller de près pour la Biennale 2017, dans ce petit coin de Venise à l'abri du monde, en plein soleil, sur le canal de S Chiara, il y a un arrêt du vaporetto, le terminus,  qui nous mène directement à S. Francesco de la Vigna, il y a toujours des places assises, à droite comme à gauche. La réflexion est intense : où me poser pour avoir moins chaud ? Suivant l'heure de ma promenade, forcément, le soleil tourne...


S. Francesca de la Vigna, coin perdu


Le cloître


Mais voilà, suivant l'heure de la journée, la position du soleil, il est utile de savoir de quel côté vous devez vous asseoir pour avoir le moins de soleil possible, c'est mon but à chaque fois, car la vue est toujours aussi belle de droite comme de gauche.

Je ne sais jamais où je dois me mettre, je ne retiens rien d'un jour à l'autre, je ne phosphore pas, rien à faire, allez, je me mets là !

Et puis j'oublie tout, je me laisse porter par le paysage unique qui se déroule sous mes yeux, nous voilà déjà dans le canal de Cannaregio. Au cours des premiers passages j'essaye de repérer les changements, tiens, ce balcon n'est plus aussi fleuri, là, une boutique nouvelle, un restaurant alléchant, il faudra que je revienne à pied explorer par-là...

Mais le soleil me cueille immanquablement, je me suis trompée de côté, je suis inondée de soleil, je reste calme pour ne pas faire empirer le phénomène d'ébullition, et je me perds dans mes pensées, j'active les mouvements de mon éventail, je baisse un peu plus mon chapeau de paille, comme c'est beau !

Souvent pour le plaisir, je descends avant l'arrêt projeté, je change mon but de promenade, je me retrouve sur cette place noyée dans le soleil près de l'église S. Alvise... Sur ce campo la connexion marche très bien, je prends des nouvelles d'ailleurs, assise sur un banc rouge, j'admire le petit monde de la place. J'apprécie les bords de mon chapeau de paille qui me protègent un peu...


Eglise S. Alvise dans ses roses du soir

J'ai cherché le petit square du quartier, un vrai lieu d'autochtones, à l'ombre des arbres qui rafraîchissent un peu l'atmosphère, ici j'ai toujours l'impression d'être une intruse, mais je suis au frais. J'entends les petites conversations de tous les jours : t'as pris ton maillot, (il y a la piscine municipale), je suis pressée, il fera beau demain... Comme partout, sauf qu'à Venise il fait le plus souvent forcément beau le lendemain...

Je reprends ma promenade, avec une halte prolongée sur chaque pont traversé, je sors mon appareil photo... À droite comme à gauche les reflets, les scintillements, les clairs-obscurs ne manquent pas, pourtant j'avais déjà fait cette photo, déjà fait cette photo, déjà fait......


Reflets


Scintillements


Partout des enluminures


Aux couleurs

En fait je vais sans but bien précis, à la couleur, à la douceur, au point de vue, à la tombée du soleil quand tout brille...

Ce jour-là, pas de murmures, pas de cris, pas de monde, une belle promenade bien chaude, bien bleue et rose...

mardi 15 novembre 2016

Venise, j'y reviens...Toujours ! (2)


 L'Adoration des Mages - Federico Zuccari (1564) 

Cette année, comme toutes les autres, je suis allée revoir l'église de San Francesco della Vigna. Chaque année, comme toutes les autres, j'ai découvert des beautés nouvelles, dissimulées dans un coin plus sombre, laissées de côté en passant trop vite, des beautés que je n'avais jamais vues jusqu'à ce jour, je ne sais pas vraiment pourquoi.  Il me faut des années et des années pour faire le tour d'une église, il y a tellement tellement à voir dans ces lieux : un marbre sculpté, un tableau, un vase de fleurs bien disposées sur l'autel, un rai de lumière qui s'incruste au sol, un lustre qui clignote, un détail cent fois ignoré et qui un jour me saute aux yeux. Les églises de Venise sont des sources inépuisables de rencontres esthétiques.

Quand je suis arrivée à San Francesco della Vigna, lieu pourtant familier, j'y suis entrée avec un regard neuf, pas facile quand vous y venez depuis des lustres. Tout de suite à gauche de l'entrée principale, après avoir franchi la belle et blanche façade de pierre d'Istrie d'Andrea Palladio (1562), la petite chapelle Grimani me parut toute nouvelle. Comment était-ce possible de ne l'avoir pas mieux remarquée ? Deux fresques de Federico Zuccari, l'une d'elle (l'Adoration des Mages) est peinte à l'huile sur du marbre, restaurée il y a quelques années,  certains corps et visages restaient cependant un peu effacés, éclairée par un projecteur pour quelques centimes d'euros, elle me faisait toujours grande impression. La douceur des couleurs, un peu passées, me fit penser à de l'aquarelle : transparente, légère, lumineuse, douce, une vraie beauté que j'avais laissée dans l'ombre. J'y suis revenue plusieurs fois au cours de mon séjour, je me suis contorsionnée dans tous les sens avec ma tablette pour la saisir aussi bien que je la voyais, mais je n'y suis pas du tout parvenue... À chaque visite, j'ai admiré la puissance de cette composition qui, grâce à ses formes et ses couleurs, invite ses admirateurs à grimper jusqu'au ciel, immensément bleu, repris en écho au premier plan de l'oeuvre par la robe de la Vierge et le manteau du mage noir. Tout en haut brille l'Esprit Saint... Au loin passe un cavalier, sans doute une allégorie ? Deux anges accompagnent l’événement avec grâce, la vieille architecture vacille, s'écroule, la légende chrétienne laisse espérer aux croyants des jours exceptionnellement nouveaux et heureux. Les artistes talentueux n'ont pas leur pareil pour inventer des réalités légendaires... Comment y résister ? Moi qui n'ai aucune croyance religieuse, je reste en admiration devant les richesses chromatiques qui animent les matières et les corps, l'harmonie parfaite entre les couleurs qui peuvent même se heurter en chantant, comment échapper à ce monde de douceur et de beauté, tout paraît si simple, si essentiel, si éternel... Magnifique ! Sur l'autel, deux vases en cuivre rutilant achevaient le prodige devant mes yeux. Ces moments précieux passés au pied de belles œuvres "oubliées" (par moi) m'enchantèrent.


La Résurrection de Lazare - Federico Zuccari (1561)


L'autre fresque, la Résurrection de Lazare, dans la même chapelle, sur le mur opposé, du même artiste, de la même période (17e), attira aussi mon regard. Une vraie fresque faite à la peinture à l'eau sur un mur en pierre, d'une telle fraîcheur ! Mais elle était placée trop haut, il fallut que je me mette sur la pointe des pieds, pour me rehausser d'un rien, totalement insuffisant pour prendre une belle photo, pas de recul... Lazare ressuscité, encore un mystère pour moi, mais la même pâte, la même fluidité, la même aquarelle, la même admiration !

Je n'ai pas voulu quitter l'église sans glisser une petite pièce dorée pour actionner le projecteur sur la Vierge à l'Enfant de Giovanni Bellini.


La Vierge à l'Enfant Giovanni Bellini (1507), ma vilaine photo


Empruntée sur Wikipedia

Sur ma photo les couleurs sont plus conformes à l'original, sur la photo de Wikipedia on a une meilleure approche du sujet, plus de détails, combien ai-je de photos de ce tableau ? Je ne sais plus, mais beaucoup, c'est comme un réflexe, et si cette fois-ci, je faisais mieux que les dernières fois ? Non, à chaque passage je déclenche...

Comme l'on fait lors de visites à des proches que l'on connait par cœur, on prend son temps, on savoure les retrouvailles, tout est simple avec eux, il suffit de s'embrasser et de se regarder dans les yeux, sourire... À San Franscesca della Vigna, c'est exactement pareil, je prends mon temps pour les retrouvailles, avec le sublime tableau sur bois d'Antonio da Negroponte. Sa Madone et l'Enfant Jésus, qui trône sur un petit autel du bras droit du transept, est toujours plongé dans le noir, il faut vraiment savoir qu'ici se trouve une merveille, il faut vraiment mettre une pièce pour éclairer le tableau, il faut vraiment le regarder longuement, s'en pénétrer pour le garder à jamais et prendre des photos, la hauteur est bonne, on peut y aller, plus on revient à Venise et plus l'envie d'en conserver chaque détail me tenaille... J'ai toujours l'impression d'oublier quelque chose, et c'est vrai, le décor est tellement riche, les codes, les symboles chrétiens y sont si foisonnants... Restauré il y a quelques années, ce trésor est revenu à sa place pour mon plus grand bonheur...





La Madone sur le trône, admirant l'Enfant Jésus - Antonio da Negroponte (1470)

On peut même dire que c'est à cause de Negroponte que j'ai oublié les Federico Zuccari ! Puisqu'il faut un coupable pour me justifier, voilà, oeuvre d'art contre oeuvre d'art, je n'y vais pas de main morte... 

Lors de mes visites, j'ai toujours remarqué la présence du même moine franciscain qui circule dans les allées, un mot aimable à chaque visiteur, un sourire, l'explication que vous cherchez, une indication concernant son église, l'accueil est fraternel...

San Francesco de la Vigna ne ressemble à aucun lieu de Venise, il reste dans le quartier un peu de vie ordinaire, des commerces de proximité, des bistrots populaires, mais pour combien de temps encore ? Combien de temps les habitants pourront-ils résister aux sirènes de l'immobilier, et de Airbnb ?

En attendant, j'en profite...

jeudi 10 novembre 2016

Venise, j'y reviens... Toujours !



Un de mes coins préférés

Cet été, après Venise, j'ai traîné mes guêtres en Bourgogne, en Indre, en Haute-Marne, en Avignon, je ne savais plus où donner de la tête pour vous parler des belles choses que j'ai vues...

Pour finir, je suis revenue dans ma ville : j'y ai rencontré beaucoup de gens, vu quelques beaux films, quelques expositions aussi, fait quelques posts, je ne peux pas vous parler de tout, mais tout m'a intéressée...

Mais aujourd'hui je parle de Venise, exclusivement !

Les rencontres : à Venise c'est comme ça, je rencontre des tas de gens, sur les bancs, sur toutes les places où je peux m'asseoir. Quand j'ai rencontré Jack et Sophie, sur le grand Campo Santa Margherita, c'était sur un banc rouge, ils étaient tellement fatigués qu'ils n'arrivaient plus à se parler (j'ai gardé les vrais prénoms car ils sont trop beaux, ils n'y verront rien de choquant, j'en suis sûre). Ah, non ! Moi je n'en peux plus, j'ai envie de dormir, tu te rends compte, ça fait cinq heures que l'on tourne en rond, on n'a pas vu grand chose finalement. Jack scrutait la carte, essayait de se repérer, il envisageait de sortir du Campo en faisant encore un grand détour, qu'il pensait rapide, bien sûr... Au bout d'un moment, je me suis permise de leur dire : vous n'êtes pas loin d'un arrêt de vaporetto, juste cinq minute à pied, vous prenez à droite, puis à gauche après le pont, vous longez le côté droit de l'église et vous y êtes ! Ils n'y croyaient pas tout à fait, mais ils avaient tort, quand je les ai vus prendre la bonne direction, j'ai répondu à leur grands signes d'adieu par des grands signes de bonne route !


Avec Sophie et Jack, nous avons parlé de Venise, et aussi de leurs beaux voyages à travers le monde entier, passionnant ! Et nous sommes toujours revenus à Venise : voyons, que voulez-vous voir absolument ? Ceci, cela, Sophie voulait des musées, Jack se ralliait à tout, n'oubliez pas le Palais des Doges, c'est absolument indispensable et magnifique, le Musée de la Marine, indispensable et magnifique, le musée Mocenigo, indispensable et magnifique, le palais Fortuny, indispensable et magnifique, et la Ca' Rezzonico, perdez-vous, mais cela, vous savez le faire, c'est indispensable et magnifique, nous avons bien ri du catalogue... Ils avaient heureusement encore plein de jours à s'émerveiller... Sophie et Jack, je pense encore à vous avec émotion... Baci !



Le beau musée Mocenigo et sa merveilleuse ambiance


Mocenigo, ambiance masque et verrerie


Ma fresque préférée chez Mocenigo, de G. Tiepolo à Rezzonico



Le Palais des Doges dont je ne me lasse jamais


Ombre et lumière au Palais des Doges

J'ai rencontré Aloïs, ce très jeune homme, sur le campo du ghetto, je mangeais avec plaisir une belle glace bacio-pistache, un régal, j'avais trouvé un petit rebord d'escalier à l'ombre pour déguster, après avoir pris des tas de photos... Avec Aloïs, qui renonça même à fumer une cigarette pour ne pas me déranger, nous avons eu une belle conversation sur le genre humain : la communication, l'entraide, l'aide, et puis un peu de Venise, il était là pour quelques heures, il prenait le train le soir même, mais il avait de bonnes jambes, il allait encore en voir de belles choses, sa journée n'était pas terminée... Merci Aloïs pour votre conversation si stimulante, si spontanée, si attentive, baci  Aloïs !

Cette année à l'occasion des 500 ans du ghetto, une troupe américaine, Colombari, répétait une pièce de Shakespeare Le Marchand de Venise, cette pièce était donnée pour la première fois (pour six représentations) depuis sa création théâtrale au 17e siècle. Le Marchand de Venise reste pourtant une pièce controversée : antisémite ou pas ? That is the question ! Finalement, je ne suis pas allée voir la représentation, car mon anglais est si mince...


Répétition au ghetto de Venise

Pour la première fois aussi, je remarquais les "Stolpersteine" que je n'avais jamais vus en 15 ans de visite ! Ces petits pavés de cuivre mis par les proches des victimes, ou par des associations constituées, devant les domiciles où des personnes juives avaient été "embarquées" pour la déportation...


La répétition




Les clous, "Mémoire" de cuivre 


Il y avait sur le campo du Ghetto Nuovo une ambiance agréable, j'entendais les acteurs qui répétaient avec enthousiasme, il y avait peu de public pour les entendre, mais il y avait un air shakespearien, le drame se tramait en coulisse, il faisait beau, doux, j'avais tout mon temps...

Ça change, ça bouge dans le quartier, des boutiques nouvelles, des artisans s'installent, c'est plus beau, plus intéressant. La grande synagogue d'été avait ouvert sa grande fenêtre, et je pouvait voir l'intérieur de ce vaisseau superbe que je n'ai jamais visité.... Une très belle journée.

En revenant sur le Grand Canal, j'admirais sur ma gauche le beau Campiello del Remer, quelquefois désert, souvent bruyant, en soirée, quand le monde touristique s’agglutine un verre à la main.



Ce soir-là il n'y avait personne, que ces deux jeunes femmes penchées sur les dernières nouvelles... Un verre aux pieds.

Arrivée à ma station, un beau spectacle m'attendait, le Grand Canal était tout rose, cela ne dura que quelques minutes :






Sur le Grand Canal, le rose est mis...

Je reviens à Venise dans mon prochain post, à bientôt les visiteurs...

vendredi 28 octobre 2016

Hommes !!!



Nous nous connaissons depuis plusieurs année, combien ? Je ne sais plus. Comme il habite pas très loin de chez moi, les occasions de nous saluer sont nombreuses.

Quelquefois même, il changeait de trottoir pour venir sur le mien me faire le bonjour du jour : vous allez bien, fait beau, bonne journée, à bientôt, les mots d'usage, petits, comme des perles de rocaille de toutes les couleurs qui caracolaient sur le trottoir...

Je l'avais rencontré par-ci, par-là, il y a très longtemps, à des réunions publiques sur la ville, il connaissait tout le monde et chacun lui disait bonjour. Tiens, je m'étais dit, il fait de la politique, costume cravate, chaussures bien cirées, mais aucun souvenir de ses discours, à part le sourire toujours présent, il avait peut-être la très jeune cinquantaine, peut-être pas, je ne sais plus... Je n'ai jamais réussi à lui donner un âge.

Les jours ont passé, je l'ai retrouvé de temps à autre, un jour je l'ai revu avec un chien, un petit chien qui courait partout autour des jambes de son maître, un petit frisé, à peu près blanc, très joueur, un ami de bonne compagnie...



Quelques mois, quelques années avant le chien, dans un couloir du métro, je l'avais aperçu, plus joufflu, le visage rougeaud, froissé, mal habillé, pas encore de chien en main, juste quelques cartes postales, des dépliants touristiques qu'il proposait aux passants. Quel étonnement, que lui arrivait-il, que faisait-il là à vendre ces cartes et ces tours Eiffel ? Une énigme, que j'avais mise sur le compte de la pauvreté subite, de la grosse tuile de vie, quelle tristesse ! Le pauvre...

Puis, au fil des jours, des mois, des années, je l'avais vu, traînant les pieds après la laisse de son chien blanc, tantôt rieur, mieux habillé, la main tendu, le sourire revenu, à petits pas, il donnait souvent l'impression qu'il était pressé...

J'avais gardé intacte dans ma tête l'énigme du métro et la vente à la sauvette, une seule fois je l'avais recroisé dans le métro dans sa petite entreprise, sur la ligne qui nous ramenait dans notre ville...

Je m'étais dit, il est dans une mauvaise passe, une mouise intensive, comment vivre ainsi de cette micro papeterie souterraine ?

Voilà où je voulais en venir : hier, en pleine journée, j'entends de ma fenêtre entrebâillée un cri qui se répétait à intervalle régulier, un homme hurlait en mettant ses deux mains en porte-voix : Hommes ! Après chaque incantation il faisait un signe de croix, plusieurs signes de croix, il levait la tête devant les immeubles où il y avait beaucoup d'habitants et il relançait son cri : Hommes ! Je me suis dit, cet homme s'adresse au genre humain, il ne leur dit rien d'autre, il les prie, les interpelle, pourquoi ? Pour quelle urgence morale est-il là à interpeller son prochain ? Hommes ! La rue, très calme, était devenue soudainement un chemin de croix. Le petit chien blanc était à ses pieds, assis tranquillement.



J'ai bien regardé, bien scruté et de mon étage élevé, et je l'ai reconnu, l'homme du métro, de la rue d'à côté, mon pays, mon presque voisin, comment est-ce possible, il est malade, il a sombré, j'ai pensé à descendre lui dire quelques paroles, mais il est parti bien avant que je prenne ma décision. De loin maintenant on pouvait entendre : Hommes ! Hommes !... Et imaginer les signes de croix qui allaient avec...

Plusieurs jours après j'ai eu la réponse à toutes mes questions chez une voisine, ma chère voisine chez qui tout le monde se donne rendez-vous pour bavarder, prendre un thé, se faire réconforter, qui accueille avec le sourire tous les voisins qui sonnent à sa porte.

Elle m'a appris ma chère voisine que cet homme, qu'elle connaissait : avait oublié de prendre ses médicaments !! Elle aussi avait eu envie d'aller lui parler, le calmer...

Mais ce prédicateur à ses heures avait réveillé en moi des questions, des doutes, une compassion, était-il à ce point préoccupé par l'état de l'humanité ? Sa maladie, en l'absence de médicaments, réactivait-elle des angoisses existentielles lourdes qui lui gâchaient la vie ? Je ne sais pas... Mais il m'a fait peine !

Bon, au prochain post je reviens à Venise... Patience...