jeudi 6 novembre 2014

Je ne voulais pas tout ça !



Alice aura bientôt 100 ans

J'allais fermer ma porte et je vois Alice, ma presque centenaire de l'année, qui trottine sur le palier. Ma voisine m'émeut toujours : bonjour Alice, comment allez-vous ? Bien, bien, ça va, on va comme on peut, elle répond toujours ça, Alice, quand je lui pose la question, je le sais, alors j'essaye toujours d'aller un peu plus loin, pour en savoir plus.

Danielle, vous avez une minute, j'ai du courrier pour vous ? Bien sûr Alice, du courrier pour moi, quelle chance, la voilà qui m'invite à entrer chez elle, j'en profite... On se fait la bise, je la serre dans mes bras, petite, menue comme un fil de soie blanche...

Alice, nous allons fêter vos cent ans, vous êtes contente ? Pas du tout, je ne voulais pas tout ça, mais ce sont mes enfants qui ont tout manigancé. Ils sont fiers de leur maman, vos enfants, Alice, il veulent une belle fête pour vous... Oui bien sûr, mais tout ça me fatigue...

Elle me regarde fixement : vous savez Danielle, pour moi ce n'est pas si terrible que ça d'avoir cent ans, les yeux, les oreilles, les jambes, tout se déglingue, pour les autres oui, c'est beau d'avoir cent ans, mais pour moi, ça me fatigue...

Oui Alice je sais... Et puis elle me dit aussi qu'elle est allée faire des courses dans la grande surface d'à côté avec son panier à roulettes. Vous y allez toute seule ? Oui c'est facile, je prends l'autobus et hop, j'y suis... Je prends des petites choses, je fais ma liste pour ne rien oublier, je fais doucement, je m'appuie sur mon caddie. J'y pensais cet après midi quand je suis allée faire moi-même des courses dans ce grand magasin, à ces personnes âgées, fragiles, fatiguées, en voyant une dame assise, presque accroupie, dans un coin du rayon crèmerie... Pourquoi ne met-on pas des bancs, des chaises, pourquoi ne pas installer des petits endroits pour se reposer ? Personne n'y pense, il faut remplir toute la surface avec de la marchandises, on ne pense pas aux personnes, on pense uniquement à leur porte-monnaie... Quelle tristesse, quel manque d'humanité.

Je vous ai regardée, Alice, avec des yeux écarquillés : comment faites-vous pour faire ce que fait tout le monde, vos courses, prendre l'autobus, avec votre petite silhouette dodelinante, je n'arrive pas à vous suivre...

Quand vous me parlez, que vous me dites que vous en avez assez de tout ça, que cent ans c'est trop, j'ai envie de pleurer... Vos paroles me percent le cœur. C'est difficile de vivre longtemps avec tous ces embêtements, oui Alice, je vous comprends, mais vos paroles disent autrement que vos yeux, que votre sourire... On se trompe, vous paraissez si heureuse de vivre, mais moi je sais que ce n'est pas tout à fait vrai.

Tout le monde pense que c'est chouette de vivre un siècle, tous vous admirent, souhaitent sans doute secrètement aller aussi loin que vous, mais moi je vous entends dans vos mots véritables, ceux que vous me dites entre quatre yeux, je sais que vous souffrez, que vous en avez assez, vous me le dites à chaque fois... Et chaque fois j'ai de la peine...

Elle me donne l'enveloppe où elle a écrit mon nom, son écriture qui tremble comme un coup de vent m'invite officiellement à la fête...

Alice, reposez-vous maintenant, merci pour l'invitation... Nous irons fêter vos cent ans.

Elle est restée sur le pas de sa porte à me regarder partir, elle fait toujours comme ça, au revoir Danielle revenez me voir... Bien sûr Alice, je reviens très vite...



8 commentaires:

siu a dit…

Ah Danielle, quelle tendresse m'inspire Alice, ta voisine, avec sa fragilité et sa dignité, et quelle grande valeur a la façon si chaleureuse et respectueuse dont tu t'approches d'elle...
Je trouve, en plus, que pas mal de ce que tu nous racontes-là, en tout cas la partie essentielle, se superpose et se confond très bien avec cette chanson extraordinaire de Lynda Lemay, "La centenaire":

https://www.youtube.com/watch?v=LdNstZivKRk

Merci pour ce beau récit, chère Danielle,
je te souhaite une bonne aprème.

ELFI a dit…

touchant!

Danielle a dit…

Merci Siu, j'ai écouté la très belle chanson de Lynda Lemay (que j'aime beaucoup) beaucoup d'émotion et je retrouve bien Alise... C'est vrai.

Bises du soir à toi.

Danielle a dit…

Elfi, merci, tout me touche chez Alice...

Bises à toi.

Marie Claude a dit…

J'ai de la sympathie pour Alice,même si je ne la connais pas,tu as souvent fait des petits billets sur elle.C'est bien qu'elle est encore une certaine indépendance,mais je la comprends ,j'ai aussi une voisine plus jeune (94ans) et qui tient le même raisonnement...
Elle a de la chance de t'avoir comme voisine!
Bisous du matin

Brigitte a dit…

Beaucoup d'émotion à lire ton billet Danielle ...Alice me touche ainsi que tes mots qui l'évoquent si bien .
Je lui souhaite une belle fête pour ses 100 ans,meê si je sais que cela va la fatiguer . Heureusement tu n'es pas loin et prends de ses nouvelles tout en veillant un peu sur elle .
Je t'embrasse et te souhaite un excellent week-end

Danielle a dit…

Chère Brigitte, merci.

Le jour approche pour l'anniversaire, le cadeau collectif sera une belle écharpe en cachemire, je trouve que c'est très bien choisi pour sa couleur et sa douceur...

Passe une très bonne fin de semaine Brigitte, gros bisous du matin à toi.

Danielle a dit…

Marie-Claude, c'est vrai ma voisine encore totalement indépendante n'en demandait pas tant... ta voisine de 94 ans la suit de très près et lui ressemble un peu...

L'anniversaire c'est samedi, j'y reviens très vite.

Merci Marie-Claude et grosses bises du soir.