samedi 7 juin 2014

"Quand tu rentreras, on parlera seul à seul"...


L'abricotier en fleurs en bas de mon immeuble, printemps 2014...

Elle montait les escaliers du métro, doucement, le portable à l'oreille, c'est pour ça que je le l'ai entendue dire, comme un secret : quand tu rentreras, on parlera seul à seul... Oui, oui... Elle m'a dépassée et sa petite phrase m'est restée instantanément dans la tête.

Vous même, un jour, avez vous prononcé cette petite phrase à votre meilleur ami. Nous pourrons parler entre quatre yeux...Attends-moi, je te dirai tout, très sincèrement, prenons le temps, tu sauras tout ce que je ressens, tout ce qui me gêne, ce que je crains, c'est important pour moi de te dire ces choses-là, il ne faut pas les traiter à la légère, accorde-moi une oreille attentive... Et, sans doute, il a fait comme vous le souhaitiez, vous n'avez pas vu les heures qui passaient... 

Mais la petite phrase est aussi venue d'ailleurs, d'une autre bouche, à votre adresse : peux-tu m'accorder cinq minutes, seul à seul, j'ai besoin de te dire quelque chose qui me brûle, qui me tenaille, qui m'assaille, qui pèse trop lourd pour moi... Alors, vous avez dit : oui bien sûr, arrive vite, nous parlerons, je t'attends.


Combien de fois ai-je servi le thé et les petits gâteau pour amarrer le bateau qui tanguait doucement, il en faut des douceurs, du sucre et du miel, pour que les naufrages, les idées noires, les baisses de régimes, ne nous crèvent pas le cœur... Quelques fois même je ne pouvais plus boire, plus manger, seulement regarder et écouter la personne qui me parlait, mon amie, ma sœur, mon enfant je t'entends, parle, parle, pleure aussi longtemps que tu voudras, j'ai des mouchoirs en réserve pour toi, des tas de mouchoirs qui sécheront tes larmes...

Les petits secrets qui font mal, inspirent le respect, quand les vannes sont ouvertes, l'eau coule en cascades sur la table, sur les mains qui se touchent, vous vous rappelez sûrement avec émotion des yeux qui brillaient en face de vous, puis les pleurs, et la grande marée qui vous a chavirés tous les deux ?


L'abricotier ébouriffé du printemps 2014

Je me souviens d'un jour mémorable, il y a nombreuses années, où j'avais écouté sans discontinuer pendant deux grandes heures un homme brisé, perdu, avec un chagrin immense, causé par la perte d'un être cher, jeune. Il n'avait pas fait un mort comme il faut, une mort en douce, pas respectable, coupable, un paria, il ne fallait rien dire, ne pas trop pleurer, ne pas geindre comme pour les autres morts, pas possible de se tordre les doigts de douleurs, il avait mérité ce qui lui arrivait, il n'avait qu'à pas y toucher, pas se piquer, il n'avait rien fait pour s'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, il l'avait bien cherché, personne ne se demandait de quoi il était mort, si jeune... Mais celui qui se livrait devant moi, faible, coupable par ricochet, par endossement, portait la croix de l'autre, son parent, son proche, très proche qui était parti, tranquille maintenant... Je n'ai pas eu à dire grand chose, ses paroles tombaient une à une avec amour amer, reproches, regrets, sauvagerie et douceur se mêlaient d'un bout à l'autre des mots qu'il employait... Il n'avait plus rien d'autre à faire que de respecter, pardonner ce départ trop prématuré, respecter aussi la démarche d'une vie risquée, d'un destin tordu d'avance, foutu, contaminé. Je lui avait simplement dit : ton frère était un homme bien, il a massacré son avenir, il a choisi le mauvais chemin, le difficile, il n'a pas pu faire autrement, tu as essayé en vain de l'aider, tu n'as rien pu non plus, tu as grandement raison de l'aimer et de l’honorer... Nous n'en avons plus jamais parlé, mais j'ai vu plus tard qu'il s'était consolé plus facilement avec des mots d'amour qu'avec ceux de la haine.

C'est pourquoi quand j'ai entendu la dame qui parlait dans son téléphone de ce rendez-vous seul à seul, j'ai aussitôt repensé à ces paroles de désespoir qu'on m'avait glissées dans l'oreille, dans le cœur pour longtemps.


Les fruits arrivent...

4 commentaires:

D'Art en Arts a dit…

Je connais, moi aussi, ces paroles de désespoir que tu évoques si bien ici, Danielle, à vrai dire, c'est mon quotidien, le choix d'une vie professionnelle que je ne regretterai jamais...
Et c'est très beau ce texte avec, à côté, l'espoir de "ton" abricotier...
Je t'embrasse très fort, je suis ravie de t'avoir retrouvée.

Danielle a dit…

Comme je comprends chère Norma que tu ne veuilles pas changer de métier :-) les aventures humaines nous apprennent tout...

L'abricotier revient chaque année avec ses fruits d'or, c'est une bénédiction...

Je suis contente aussi de te retrouver...

Bises du matin Avignonnais...

Brigitte a dit…

Seul à seul ces trois mots font échos à beaucoup de souvenirs .
Parfois c'est j'peux monter ... J'habite en haut d'un bourg . Et c'est partie pour des confidences et un échange qui réconforte .
Qu'il est beau ton abricotier ,tu vas pouvoir faire de belles confitures le moment venu . Dans le mien, hum ...il n'y en aura pas trop ,juste de quoi se rappeller qu'ils sont tellement bons !!!
Je t'embrasse ,bon séjour en Avignon

Danielle a dit…

Chère Brigitte, "j'peux monter" est une belle demande aussi :-))

L'abricotier est celui de l'immeuble, hélas, le plus souvent je ne suis plus là quand les fruits arrivent…

Mais pour les avoir goûtés je peux t'assurer qu'ils sont merveilleusement bons, parfumés comme la rose et sucré comme le miel;

je t'embrasse du matin Brigitte bonne semaine à toi.