samedi 25 janvier 2014

Le vieux sac tout neuf !


Des sacs tout neufs

Je ne savais rien d'elle, j'avais juste remarqué en montant dans l'autobus qu'elle se tenait dans un petit coin (la place que je préfère...), les mains gantées, posées délicatement sur un sac en plastique noir, sur lequel je pouvais lire le nom d'une enseigne de la rue commerçante de la ville où j'habite.

Le sac en plastique était impeccable, neuf, l'arrête des plis du soufflet n'avait aucun faux-pli, le sac venait de sortir de la boutique...

J'étais tellement interloquée que j'ai continué à détailler la dame des pieds à la tête, je me disais :  voyons voir, cette femme est plus que méticuleuse, un gros rien conservatrice, puisque ce sac en plastique portait le nom d'un magasin de prêt-à-porter qui avait mis les clés sous la porte depuis plus de vingt-cinq ans !

Tout en elle paraissait également parfaitement neuf, neuf le bonnet de mohair rouge, neuf le manteau marron, neuves les chaussures noires reluisantes, bien cirées, de belle allure, neufs les gants de cuir noir qui avaient ce brillant des paires bien patinées, longuement portées, caressées, souples, bien ajustées aux doigts, une deuxième peau.

J'ai la terrible étourderie de perdre assez souvent un gant des paires que j'aime bien... J'ai eu beaucoup de chance, il m'est même arrivé quelques fois de le retrouver en rebroussant chemin, mais ma petite pile de gants uniques me fait enrager, au bout d'un moment je jette les esseulés avec mauvaise humeur, jamais je n'ai pu retrouver leurs petites sœurs aux puces, jamais... Je ne dis rien des parapluies que je perds aussi régulièrement : comment as-tu pu perdre ce joli parapluie ? Tu ne fais pas attention, me dit ma petite voix, mais rien n'y fait, je perds régulièrement même les beaux parapluies et les gants, je suis distraite...

Comment aurais-je pu garder un sac en plastique un quart de siècle ? Cette dame représentait pour moi une énigme, une fascination totale... 

J'ai connu une femme qui vivait comme ça, dans le neuf à perpétuité, de la cuisinière au sac à main qu'elle sortait du papier de soie à chaque usage, peut-être entretenait-elle avec les objets une espèce de contrat d'immortalité qu'elle ne pouvait avoir avec les humains ? Elle portait de très vieux vêtements qui étaient absolument intacts, neufs, comme sortis de l'usine une heure avant de les porter, nul souci de la mode, elle s'habillait classique mais chic, elle changeait rarement de couleur, c'était uniquement l'occasion qui faisait le larron, et elle s'arrangeait pour que les occasions restent rares..

Moi je n'ai jamais pu faire ça, je suis la reine du délestage, du jetage, du : ça débarrasse, quand un objet usuel ou un vêtement n'ont pas changé de place pendant plusieurs petites années, je me dis : voilà la preuve qu'ils ne me servent à rien, je les donne ou je les expose dans le local à poubelles, candidats libres pour une nouvelle vie...

Tout me revenait en tête en voyant cette femme qui transportait son vieux sac en plastique neuf, je me disais : comment peut-on dispenser une attention si grande, un temps d'entretien si énorme aux objets, sans perdre un temps qui serait plus utile de donner aux gens, à la vie, au dehors, car pour accorder tant des soins aux choses, il faut sans doute redouter la perte de façon un peu obsessionnelle ?

Je me demandais comment cette femme s'organisait pour replacer le vieux sac neuf dans ses plis, le remettre exactement à la même place, comment faisait-elle  pour n'avoir jamais eu le désir, la nécessité d'en changer ? Comment avait-elle fait pour ne pas l’abîmer, le froisser, l'oublier ?

Je l'ai suivie jusqu'au métro, je voulais en savoir plus, et je l'ai perdue de vue... L'énigme restait entière...

12 commentaires:

Brigitte a dit…

Quel mystère autour de ce vieux sac tout neuf et de cette femme ...Peut-être la reverras-tu,un de ces jours ?
Bises du samedi avec le soleil qui revient

Danielle a dit…

Brigitte j'aie oublié de préciser que ce vieux sac neuf contenait des choses , il était posé bien à plat sur ses genoux...

Un mystère de conservatisme...

Grosses bises à toi. Et bonne fin de journée...

Anne a dit…

Votre récit constitue presque une nouvelle. Souhaiteriez-vous le prolonger en imaginant ce que vous n'avez pu savoir de cette femme?
Bon dimanche, Danielle !

Danielle a dit…

Vous avez raison Anne, le petit post pourrait bien se transformer en petite nouvelle...

Mais je ne suis pas très bonne en fiction... Il y a pourtant matière...

Passez un bon dimanche, vraiment bon.

Marie Claude a dit…

Tu sais que je suis un peu comme cette personne.J'ai une collection de sacs (ici on dit des poches dans le sud -ouest)que j'ai eue dans des boutiques lors de voyages,elles sont parfois très jolies,originales.Par contre je ne les utilise pas pour ne pas les abimer...Cela prend quand même un peu (beaucoup)de place!.Tu crois que cela se soigne?...
Gros bisous du dimanche soir

Amélie a dit…

Sans doute une femme qui a beaucoup manqué... d'argent, d'affection... et qui garde en elle de profondes valeurs, prendre soin des choses, conserver le plus longtemps possible, ne pas gâcher, être soigneux, méticuleux... être une bonne personne... qui prend soin des autres, des choses et de soi-même...
Récit si joliment conté... merci Danielle !!

Danielle a dit…

Marie-Claude ça ne se soigne pas car ça n'est pas une maladie :-)))

Garde tes beaux sacs et enrichis ta collection :-)))avec tout le plaisir que cela te procure...

Cette dame se servait de ce vieux sac neuf pour faire ses courses sans le plier ni l’abîmer, c'est ce qui m'a interloquée...

Marie-Claude je te bises du soir, fortes.

Amélie a dit…

Je "rebondis" sur votre réponse à Anne, vous dites "je ne suis pas très bonne en fiction", j'ai bien le même souci Danielle, conter / raconter le "vrai" oui, imaginer et monter une fiction... je trouve cela très difficile également. pensées du dimanche :)

Amélie a dit…

pas évident de faire ses courses avec un sac sans le froisser ni l'abimer en effet... peu de gens doivent faire cela... serait-ce un sac qu'un être très proche lui aurait confié, et qu'elle essaierait de garder le plus longtemps possible, comme un bien précieux, un trésor...

Danielle a dit…

Amélie, oui, j'ai bien pensé à une fiction comme Anne le suggère, mais pourquoi pas...

J'ai pensé aussi à un sac qui aurait une grande valeur sentimentale, ça serait bien de terminer une nouvelle fiction avec une histoire d'amour...

Bises Amélie.

Georg Friedrich a dit…

C'est vrai que cette femme que tu croques semble si mystérieuse qu'on se prend, comme Anne, à imaginer une suite à ton récit... Cela m'intrigue moi aussi! Quelle histoire n'empêche!

Danielle a dit…

Oui GF nous sommes tous intrigués, la dame avais l'air de sortir de l'armoire, toute propre, bien pliée de partout, une vraie énigme...

Bisous du jour.