dimanche 13 octobre 2013

Venise 2013... Mon tiercé gagnant de la Biennale !

C'était le jour, revue de paquetage : est-ce que j'ai bien tout mis dans mon sac ? Sandwich, plan des pavillons de l'expo, bouteille d'eau, délicieuses cerises achetées à la barca de S.Barnaba, porte-monnaie, carte d'identité... Mettrai-je mon chapeau ou pas ? Non, il va me gêner... Mon appareil photo avec sa batterie bien chargée à bloc, il ne me restait plus qu'à choisir la couleur de mes boucles d'oreilles...

J'étais impatiente de payer mon billet, j'étais arrivée à l'ouverture des caisses pour ne pas me laisser grignoter par le temps. J'avais ma petite idée sur ce que j'allais voir. Avant de partir à Venise, je m'étais imprimé un pense-bête, tout bête, quelques noms d'artistes qui me paraissaient intéressants, à ne pas manquer, je m'étais fabriqué "mon" catalogue bien raisonné, pour visiter utile tous les pavillons.


Enfin ! Le plan, le café...

Au moment de franchir l'entrée, je me suis aperçue que j'avais oublié mon précieux catalogue, préparé avec beaucoup, beaucoup d'attention. J'ai souri du bon tour que je m'étais joué, il faudra donc que je fasse la totale, sans rater un seul pavillon... Le parcours s'annonçait formidablement bien.


J'avais noté sur mon catalogue une artiste que j'aimais beaucoup, au pavillon Belge, Berlinde de Bruyckere, j'avais été très émue par ses œuvres au Palais des Papes en Avignon juste avant de partir à Venise. Une artiste qui sculptait ensemble, dans une même matière inconnue : l'arbre fossilisé, l'os humain ou animal, ces trois états traversent ses sculptures ce qui faisait que vous étiez tout de suite saisi par une émotion forte, vous n'arriviez pas à démêler l'homme de l'animal ou du végétal, condamnés à vivre ensemble pour toujours... Ils souffraient, se déchiraient, se contorsionnaient, leurs plaies, leurs histoires s’étalaient devant vous dans la pâleur diaphane de la cire et de la résine... C'était magnifique !


La blessure (2011-2012)... Berlinde de Bruyckere (Palais des Papes, Avignon, 2013)


 Berlinde de Bruyckere (Palais des Papes, Avignon, 2013)


Homme de douleur (2006)... Berlinde de Bruyckere (Palais des Papes, Avignon, 2013)

Mais je dois vous dire tout de suite qu'en fait, le seul pavillon que j'ai manqué, c'est le sien, celui de la Belgique : j'étais fatiguée, toute une journée à gambader d'un artiste à l'autre, Berlinde m'était sortie de la tête et la Belgique avec... Je n'ai pas eu trop de regrets, sachant que j'avais déjà vu de ses œuvres superbes en Avignon...

Quel bonheur d'arriver à la Biennale, l’œil au aguets, le cœur battant. Le premier pavillon qui me laissa sans voix fut celui du Japon, une très grande photo vous accueillait, simple et efficace :


Une énorme photo d'une manifestation de jeunes artistes dans la rue... Koki Tanaka


Détail... Koki Tanaka

Après Fukushima, comment continuer à créer ? C'est la question que se pose Koki Tanaka : que puis-je créer à partir de ma situation présente ? Installations, photos, vidéos, il organise la création à deux niveaux : seul, et en groupe, à partir de rien, que peut-on créer ensemble ?... Le pavillon japonais servait aussi de porte-voix aux victimes et aux témoins de la catastrophe. L'ensemble du pavillon était sous-titré en anglais, et je fus obligée de recourir aux bons soins d'une animatrice italienne qui parlait très bien le français pour essayer de comprendre les intentions de l'artiste... En fait, l'émotion était tellement grande que je pleurais en l'écoutant... Si je n'ai pas toujours compris le sens exact des installations, des vidéos, des objets posés ça et là dans le pavillon, je comprenais l'urgence ressentie par Koki Tanaka à initier par nécessité, par plaisir, des groupe de rencontres, pour parler, créer, construire, rendre encore possible un avenir de l'art après Fukushima. Le Japon confronté à l'isolement devait se défaire de la solitude nationale et internationale. Quelques artistes japonais, dont Koki Tanaka, travaillaient à rendre créatif ces collectifs porteurs d'espoir...

Voilà mon entrée à la Biennale, ça tapait fort !

Ma deuxième grande émotion fut Sarah Sze (jeune artiste de 43 ans déjà présente à la Biennale de Venise en 1999), au pavillon américain. Dès l'abord du pavillon, et après, quand  je suis entrée dans la première salle, je me suis dit : la Biennale est terminée pour moi, après avoir vu ces œuvres, que puis-je voir encore d'aussi génial ? J'étais submergée d'étonnement et d'admiration : ainsi, une artiste pouvait réaliser des installations éphémères, aussi légères, aussi dispersées, aussi évanescentes, aussi imposantes, aussi sublimes, avec des petits objets  la vie quotidienne, et étroitement liées au site dans lequel elles s'insèrent : bouts de papiers et tissus, fils de fer,  tickets de vaporetto, plumes, bouchons, sable, pierres, eau, terre, sable... Poésie, apesanteur,  quatrième dimension assurée...


L'oeuvre accrochée au pavillon... Sarah Sze


Suite...


Suite...

Le commissariat de l'exposition américaine était le Bronx Museum of the Arts, et le cahier des charges proposé à l'artiste fut le suivant : "Habiter et commenter l'architecture du pavillon, modifier l'apparence et la structure du bâtiment sans réel changement physique". À l'intérieur, Sarah Sze avait choisi le thème : "Orientation et désorientation", elle envisageait de créer différents environnements à l'intérieur du bâtiment. Elle construisit en deux mois l'ensemble des installations in situ.

Dès l'entrée du pavillon, on pouvait aisément constater que le pari était tenu et gagné, la circulation des couleurs, des volumes, des matières, tout ce savant désordre organisé et équilibré avec art, m'enthousiasma... Le pavillon, transformé avec talent, continuait à être parfaitement lisible...

À l'intérieur, la première oeuvre exposée illustra exactement le thème, mais en plus de la désorientation j'y trouvais du grandiose... Ses sculptures demandaient un minimum de bavardage et un maximum d'attention, de surprise et de temps, les univers qu'elle proposait étaient uniques : légèreté, lumières, couleurs, équilibre parfait et mouvement, chaque élément posé avec précision, comme sous microscope, contribuait à former une construction transparente et lumineuse, mâtinée de poésie, de grâce, d'impossible à définir, un grand choc esthétique !...



Sarah Sze


Sarah Sze


Détail...

Le travail de Sarah Sze est difficilement comparable avec un autre, mais pourtant je l'ai rapidement associé à un tableau extraordinaire de la Renaissance, qui se trouve dans l'église S. Francesco della Vigna à Venise : la Vierge et l'enfant (15e siècle) de Antonio da Negroponte. Ce grand tableau (3 x 2,25m) est exposé dans un coin tout noir, près du chœur de l'église, de sorte qu'en entrant sur le côté, les visiteurs ne le voient pas, il leur reste complètement caché. Mais quand l'oeuvre est éclairée, en glissant une petite pièce dans le petit tronc qui se trouve devant l'oeuvre, c'est un enchantement. Après un examen minutieux, on distingue une multitude de détails, un seul coup d’œil ne suffit jamais à en faire le tour, il faut la parcourir centimètre par centimètre : oiseaux, fleurs, fruits, rubans, herbes, animaux, dentelles, sculptures fines, plumes, ciel et eau... Negroponte a méticuleusement réuni tous les ingrédients d'un Paradis. Chaque année, je viens ici passer un moment à compter les brins d'herbes, distinguer les variétés de fleurs, examiner là une perle, ici une broderie d'or... Il y a toujours un prodigieux détail qui m'échappe...



La Vierge et l'enfant (1455) Antonio Negroponte



Détail...


Détail...


Détail...


Détail...

Sarah Sze invente une palette de sensations en trois dimensions, inépuisable et méticuleuse. Sa recherche est aussi ténue que celle de Negroponte, les couleurs, les formes et la lumière se croisent et s'éparpillent dans l'espace, plus fragiles que la peinture à l'huile, puisqu'un simple coup de vent mettrait à bas ces merveilles. On circule dans ses ambiances avec prudence et éblouissement, cherchant à retenir le moindre détail dans cette immense harmonie... Mais l'année prochaine elle ne sera plus là, il faudrait pouvoir la suivre dans le monde...


Sarah Sze


Détail...


Détail...


Détail...

Elle m'a bel et bien orientée et désorientée, ses œuvres luxuriantes déconcertaient certains, enthousiasmaient d'autres... Moi j'ai été conquise, sa puissance créative a pris une grande place dans mon cerveau pour longtemps. Plusieurs fois j'ai refait le parcours, dedans, dehors, dedans... N'arrivant jamais à en faire le tour...

À l'Arsenal, autre lieu officiel de la Biennale, je suis tombée en arrêt devant les œuvres d'Arthur Bispo do Rosario, Brésil (1910-1989), un artiste disparu depuis un quart de siècle. Entré à l'asile psychiatrique en 1939, à l'âge de 29 ans, il y passa cinquante ans, à peu près sans discontinuité, dont une bonne partie en cellule d'isolement. Il va construire tout au long de son internement une oeuvre très vaste, plus de huit cents pièces à sa mort. Contraint par l'isolement et le peu de matériel, il travailla d'une façon acharnée et méthodique. Il détourne les objets du quotidien pour créer des représentations du monde. Quelques oeuvres étaient exposées à la Biennale, et j'ai eu la chance de les admirer, faites de bric et de broc, leur force éclatait de beauté et de poésie comme celles de Sarah Sze. Petits éléments juxtaposés comme des coups de pinceaux choisis, disposés avec soin pour former un ensemble magnifique.


Arthur Bispo do Rosario


Grande cape brodée... Arthur Bispo do Rosario


Détail...






Détail...

Bien d'autres artistes ont fait forte impression sur moi... Je me réjouis de pouvoir partager avec vous leurs œuvres, je vais prendre mon temps pour y revenir...

D'ici là, prenez soin de vous et profitez du moindre rayon de soleil au sens propre comme au sens figuré...

6 commentaires:

ELFI a dit…

sarah et antonio..magnifique, la boule et ses reflets sur le plafond..
et la charrette ... oeuvre roulante, j'aime... merci danielle!

Anne a dit…

Une Biennale intéressante, en effet, avec des préférences, inévitablement. Merci de votre présentation pleine d'enthousiasme, de franchise et d'émotion.

Danielle a dit…

Nous sommes d'accord chère Elfi, ça tourne rond, j'aime beaucoup ton expression d'oeuvres roulantes...

Bises du soir.

Danielle a dit…

Anne je suis ravie de votre passage, moi j'ai trouvé la Biennale plus qu'intéressante, j'y ai vu des artistes tellement touchants, exceptionnels, mais il est vrai que les trois artistes dont je parle m'ont émue aux larmes...

À tout bientôt sur mes pages, merci.

Brigitte a dit…

Ton enthousiasme me touche. Ton billet est un enchantement comme certaines des oeuvres de ces artistes dont tu parles avec beaucoup d'émotion .
J'ai voyagé et je t'en remercie
Belle semaine Danielle
Bises du matin

Danielle a dit…

Merci Brigitte d'avoir voyagé et pris du plaisir dans les couleurs de mon billet...

Très bonne semaine à toi et gros bisous du matin.