vendredi 27 septembre 2013

L'Indre... Rabibochage et épilogue !


La grappe

Vous vous souvenez de mon petit chagrin ? (post précédent) 

Allez, je m'étais dit : ne fais pas ta mauvaise tête, retournes-y, ce n'est pas un rendez-vous manqué qui va te faire capituler, assurément !

On ne va pas se quitter fâchés, j'y vais... Elle m'avait dit, avant le petit chagrin : prenez toutes les noisettes que vous voulez, ma fille en raffole mais elle est partie, et nous, on n'a pas envie de les ramasser... Voilà donc un beau prétexte pour le rabibochage, ni une ni deux, me voilà au milieu de leur belle propriété parfumée aux fleurs de toutes sortes. Ah ! Danielle, je suis si contente de vous voir ! Comme le mari n'était pas loin, voilà l'accueil à deux voix qui commença, elle me parlait de ses fleurs et lui de sa course en vélo, exactement en même temps, j'étais donc à la foire et au moulin, dans une ambiance agréable, nous étions bons amis, comme avant.

Certains soirs je m'étais dit : tu es bien seule avec ton petit chagrin, bon, ils n'ont pas pu t'emmener dans le village d'à côté, il y a plus grave dans la vie, eux, j'en suis sûr, ne se sont rendus compte de rien, ils avaient à faire, voilà tout...

Danielle, regardez, là, au milieu des cyclamens, surtout ne marchez pas dessus, il y a plein de noisettes, choisissez les plus grosses, celles qui sont claires, je vais vous chercher un panier... Et joyeuse, elle s'exécuta immédiatement...

Toutes les trente secondes il fallait se baisser, vous me direz : c'est bien mieux que le vélo d'appartement... Rapidement, la récolte déborda. 

Aurais-je assez de temps pour tout casser avant de partir ? Il va falloir que j'y revienne au moins une fois par jour, les noisettes en tombant faisaient un bruit de goutte d'eau en pierre...


Les noix

Le temps presse, bientôt le retour, dernières balades, dernières photos... En passant devant chez Mireille, je la vois à sa fenêtre, je fonce sur sa pelouse : Mireille, puis-je ramasser les noix qui tombent sur la route devant chez vous ? J'avais ouïe dire qu'elle avait rouspété, un gars qui glanait sous son nez... Comme je voulais une paix royale, je demandais la permission. Mireille avait la vue qui baissait, les reins, les os qui l'embêtaient : c'est la vieillerie, disait-elle en se tenant le dos. Mais Mireille, ce qui la gênait le plus c'était l'ennui : je ne peux plus rien faire avec mes mains, voyez, pleines d'arthrose, je ne plus plus coudre, j'aimais beaucoup ça, je ne peux même plus recoudre un bouton, il se sauve à l'autre bout de la pièce... Je ne sais pas ce qu'il y a cette année, les noyers sont bizarres, presque pas de noix, il y a deux ans il en tombait comme de la pluie, on les écrasait comme des mouches sur le chemin... Je me souviens de cette année-là aussi, les poches, les sacs n'y suffisaient pas, j'avais fait des provisions sans les décortiquer, ça prenait une place folle dans les bagages. J'avais donc la permission de ramasser autant que je voulais, avec la petite causette on creusait un peu la relation...


Mon petit butin, tout beau tout bio...

J'étais en vélo, je voulais tout faire à la fois, glaner, faire des photos, rouler, respirer largement sous le ciel bleu, l'étang m'attendait, ce soir j'irai à la ferme retrouver André qui fait la traite des blanches et noires...

J'avais oublié mon appareil photo, mais j'avais mes jumelles et ma tablette, quelques mots devant l'étang pour parler du temps qui passe, rien ne valait ces moments-là...

Dans quelques petit jours je reprends le chemin de la cité, comment ferais-je pour voir autrement, respirer autrement, à la place du vélo je prendrais le métro... Plus de jardins, pour rentrer chez moi il faudra bien que je prenne l'ascenseur.

Oui, oui, c'est comme ça, en attendant je retourne aux noisettes, je passe devant les maïs encore bien vaillants, les tournesols brûlés par le soleil, les millets cultivés en grandes quantités, bousculés à certains endroits par la pluie et le vent, piquent du nez. Mais je n'ai plus d'encre dans ma tablette, ma batterie est à plat, il faut pourtant que je parle du bruit d'ailes des cygnes qui s'envolent devant moi, ça ne ressemble à rien de connu, maintenant je reconnais un cygne qui vole, même en baissant la tête, c'est gravé...

Je fais la moitié du chemin à pied pour mieux m'approcher du paysage, sur mon vélo c'est autre chose, ça soulage mon genou et ça coule tout seul, je peux aller partout, le vent léger sent bon.

Si je pouvais sortir mon mouchoir pour dire au revoir à tout le monde, aux paysages, aux animaux, aux sentiers boisés, aux herbes sauvages, aux jardins, je serais un brin ridicule, donc je ne le ferais pas. Je mentalise ce geste de gare, quand le train s'en va, jamais je n'ai vu un mouchoir se tortiller dans des mains, ce n'est plus la mode, ça fait vieille France, vous imaginez un peu l'allure que vous auriez avec votre billet Internet, devant le contrôle au laser, si vous sortiez même le mouchoir en papier...

Aux gens je serre la main, on parle un peu, on se dit : au revoir, prenez soin de vous, à l'année prochaine, j'espère...

Épilogue :

Elle courait dans la chaleur du soir et s'est arrêtée juste devant moi, une jeune femme, institutrice par ici, nous avons parlé du temps : il fait beau, il fait chaud... Je voyais bien que c'était une coureuse pour la forme, elle avait son petit compteur au poignet, je ne vous dérange pas plus longtemps, continuez votre course... Mais pas du tout ! Les gens ne prennent plus le temps de se parler, pourtant c'est très important, ils disent qu'ils n'ont pas le temps, voyez, ça ne m'a pas pris grand temps de vous dire bonjour et bonsoir...

Je lui ai dit : merci, et elle est repartie sur sa petite poudre d'escampette... Quel beau sourire !




Le soir dans la routine
 

Deux secondes avant...

jeudi 26 septembre 2013

L'Indre... Les petits jardins, les petits chagrins...


Le fuchsia rouge


Je n'en n'ai jamais eu à moi, je n'en ai jamais fait, je n'ai jamais ratissé, biné, arraché, planté, même si quelques fois j'ai arrosé des œuvres faites avant moi : la pelouse chez mon frère par exemple, mais rien de bien méchant. Sur mon balcon de la région parisienne, j'ai toujours eu des fleurs, dès le mois d'avril je commençais à frétiller, pour l'espèce à planter j'avais toujours ma petite idée, pour les couleurs il me fallait un peu plus de temps... En fait j'étais un peu monomaniaque, je mettais la même espèce de fleurs, des géraniums pour ne rien vous cacher ou des pétunias, les années bissextiles... Une année, j'ai eu une énorme envie de fuchsias, de toutes les couleurs, avec des clochettes bringuebalantes qui sonnaient à toutes les heures...




Le fuchsia rose

Mal m'en a pris, car ils ont eu une maladie qui les a décimés les uns après les autres... Depuis j'ai compris, il faut planter varié pour ne pas trop pleurer... Pour les rosiers, j'ai bien essayé aussi : après la première floraison, tout est parti en vrille, le blanc, les pucerons, j'ai lutté, guerroyé tout l'été et l'année suivante, et puis une autre année avec espoir... Mais ce n'est pas moi qui ai gagné la bataille... Depuis j'ai remis des géraniums, avec de belles couleurs, et tout est allé à la perfection... Chaque jour j'arrosais mon petit jardin, quelques fois même ça débordait sur la tête de ma voisine d'en dessous, on prenait le thé pour en parler, je faisais très attention pour ne plus recommencer la douche saisonnière...

Mon balcon est grand comme un mouchoir de grande poche. Dès le printemps j'installais mes fleurs, je croisais les doigts pour qu'il ne fasse plus froid, j'étais impatiente. L'été, les fleurs avaient tellement poussé qu'on ne voyait plus le paysage du tout, plus de tours, plus de routes, plus de voisins, rien que le ciel, les fleurs, le parasol et moi... 


Je n'ai pas photographié mon moulin...

Et puis un beau jour, à force de demander aux voisins, aux enfants, aux amis : vous voulez bien arroser mes fleurs pendant je serais partie ? Même si c'était toujours : oui bien sûr, ne t'inquiète pas... J'ai arrêté de jardiner pour être plus libre, les fleurs à arroser, c'est un peu comme un chat ou un chien, il faut trouver quelqu'un pour s'en occuper, allez zou, je préfère voyager... J'ai fait du vide, gardé quelques pots, on ne sait jamais, s'il me prenait l'envie de recommencer... Cette année, au retour de Venise, j'avais rapporté un grand moulin en plastique avec un manche en bois, couleur de l'arc-en-ciel, qui tournicote au vent des fenêtres, je l'ai planté dans un pot, sur mon balcon, bien coincé pour qu'il prenne les bonnes habitudes... Voilà des années que j'en avais envie sans vraiment me laisser faire, quelle idée, rapporter un moulin dans ses valises... Je l'ai fait... Mais voyons, tu aurais pu trouver le même à Paris ! Oui, mais celui-là, il vient de Venise... Je suis allée le chercher là-haut, dans cette droguerie qui vend encore de tout sauf des masques et des plumes... On y trouve encore des perles de Murano au poids et à la pièce pour pas trop cher, il y a toujours un monde fou, les bricoleurs, les enfileuses de perles et autres travaux manuels créatifs, des pigments de couleurs, une vraie caverne d'Ali Baba...


Les aubergines


les haricots verts

Dans mon coin de l'Indre du mois de septembre, il y a beaucoup de jardins, chacun a le style du propriétaire : les prévoyants plantent toujours plus qu'il n'en faut, les nonchalants, ni trop ni trop peu dans les sillons, ça ira bien comme ça, du moment que je peux faire la soupe... Les méticuleux : salade, fenouil, haricots, l'essentiel est que tout rentre dans les rangs, au cordeau... Les rêveurs : ça va comme je te pousse, tomates et poivrons pour les belles couleurs, poireaux et pommes de terre pour manger varié. Les mathématiciens calculent tout, par espèces, par saison, par personne, ils iront loin, les fatigués comptent plus sur l'épicerie du coin que sur leur bêche et leur pioche, chez eux c'est la monoculture : salade, tomate, pour parer au plus urgent. Les poètes mettent des fleurs dans tous les coins... Et tous les autres inventeurs qui plantent des espèces en voie de disparition, tiens donc, ça se sème ça ? Bien sûr, et c'est rudement bon...


Les tomates


Le jardin féerique


Il y a des jardins où l'on trouve uniquement des fleurs, des ponts, des nains, des décors, des paysages féeriques... C'est féerique !

C'est dans un de ces jardins berrichon que j'ai vécu une drôle de petite d'histoire, un jardin de princesse, plein de poésie et de légèreté... La touche finale est donnée en automne quand les cyclamens de toutes les couleurs viennent sauvagement bleuir et rosir le sol sous les bouleaux... Pour faire beau, uniquement !


Les noisettes


La noix cassée

Nous étions à bavarder des retards de la saison : pour les noix il faudra attendre, les noisettes tombent, venez donc les ramasser, voulez-vous des pommes ? Je ne sais vraiment plus où les mettre, la générosité commence souvent quand les stocks deviennent trop encombrants...

Irez-vous cette année entendre les chanteurs amateurs qui se produisent demain dimanche à quelques minutes en voiture, dans ce beau lieu ? Il fait beau, c'est carrément le moment... Si vous y allez, puis-je me joindre à vous pour le petit trajet ? L'année dernière, nous y étions allés ensemble... Je n'avais rien demandé, j'étais revenue enchantée, et eux pareillement.

La jardinière avait à faire : mon jardin est très en retard, il faut que je m'en occupe... Elle mit ses deux mains dans son tablier, déjà prête pour l'ouvrage, son compagnon dit en se grattant la tête : toutes les pommes à rentrer, on va voir, on avait complètement oublié... Depuis bien des années, ils étaient tous deux à la retraite et vivaient doucement au rythme de leurs rosiers magnifiques, loin de la région parisienne où ils avaient passé tant de temps... Les enfants et les petits-enfants venaient quelques fois aux vacances manger les bonnes tartes aux pommes, aux prunes, aux fraises... Mais maintenant, c'était l'automne, plus personne ne venait...

J'ai vu rapidement qu'ils n'iraient pas, pas envie, pas le temps, autre chose à faire, désolés, on verra, oui, on va réfléchir.... Tout ça avec le sourire, restons bons amis.... C'est moi qui le dis...

Pas de soucis, je repasse demain matin si vous voulez, si vous changez d'avis, allez, passez une excellente journée, faites comme vous pouvez, je vais me faire une petite compote de mirabelles, bon jardinage... Mais je savais déjà que ça ne se ferait pas !

Évidemment, le lendemain matin je ne suis pas retournée les voir pour le petit transport en commun, la décision n'avait pas pu se prendre spontanément, trop tard, tant pis, la route est dangereuse en vélo, trop de voitures, des côtes, il faudra que je trouve autre chose que les chanteurs pour passer mon dimanche à la campagne...

Pourtant, j'en avais gros sur le cœur, même s'ils n'avaient pas l'intention d'aller au spectacle,pour cause de trop de choses à faire, ils auraient pu me proposer de m'y accompagner, le temps nécessaire aurait pris juste un petit quart d'heure, aller/retour/au revoir/à ce soir tout compris, mais il y avait les ensemencements et les rangements, pas motivés cette année pour aller se distraire...

Nous avions bien des fois pris ensemble le thé et les petits gâteaux, nous nous embrassions chaque fois que nous nous rencontrions, nous nous appelions par nos prénoms... Mais emmener la voisine qui n'a pas de voiture à une toute petite encablure d'ici, ce n'est pas possible, pas pensé, pas envisagé, pas proposé...

Les gens d'ici sont comme partout, ni meilleurs ni pires...

mardi 24 septembre 2013

L'Indre... Pas plus loin que le bout de mon nez...



La "routine" verte (petite route en berrichon)


Vous le savez, quand la pluie est tombée pendant plusieurs jours sur la campagne, les couleurs et les parfums deviennent plus intenses.... Ils suffit de faire une petite promenade à pieds dans n'importe quel chemin creux pour être assailli par la diversité des odeurs.

J'ai beaucoup de chance car ici je suis très loin de de la civilisation "agitée" je ne parle qu'aux canards et aux carpes, quand je suis sur les marches de "mon" étang ma conversation est très limitée : un bruit d'ailes, un clapotis dans l'eau et on se comprend parfaitement, pour communiquer avec ce que je vois j'ai juste besoin de mes jumelles et de mes yeux, rien à dire, juste regarder, écouter...



Les vaches...


Les figues...


La vigne...


Le futur petit feu d'herbes...


La terre labourée...


Le grand noyer et la petite loge... En ruine...


Mais pour les parfums de la terre, il faut que je mette des mots pour vous, car je n'ai pas de photo à vous montrer... Dès les premiers pas de la balade, si petite soit-elle je suis chez le parfumeur. Comme j'habite près de deux fermes, c'est d'abord l'odeur des vaches qui me parvient au cerveau, puis le purin, et les réserves d'herbes enrubannées dans des grands rouleaux de plastiques pour l'hiver, c'est de l'ensilage, les vaches en raffolent. Puis viennent les odeurs des végétaux, l'herbe, les arbres, le figuier éclatant, les buis, la paille, le foin, la vigne, le petit feu de bois dans le jardin... Les fleurs des champs son beaucoup plus discrètes...

Souvent je me suis dis comment vais-je faire pour emporter tout ça ? Respirer chaque odeur, la mémoriser... Quels parfums !

Quand il fait  beau il faut attendre  le soir pour respirer ces airs-là... Un par un ils composent les couleurs d'un arc-en-ciel invisible...

Le matin je me parfume souvent à la rose, une fragrance que j'achète à Venise, trois petits flacons, juste assez pour passer l'année, ainsi je suis obligée d'y revenir... Trois gouttes de rose tous les matins, trois petites giclées, battues à plate couture par mes amis les bêtes des fermes d'à côté...


L'étang...

L'odeur de l'eau est très compliquée, mais je sens le mouillé, la vase, les ajoncs, je ne peux pas vous la montrer non plus, juste l'image de l'étang...

Après une semaine de mauvais temps, le moindre rayon de soleil s'achète à prix d'or, j'ai glissé quelques écus dans cette photo...



C'est ici que le soleil mettait son or...

J'ai décidé de reprendre mon vélo, j'avais assez d'odeurs de septembre qui collaient à mes souliers. En passant devant le grand noyer j'espérais bien ramasser quelques noix, mon rendez-vous avec la nature était loupé, elle était en retard. Je persiste, secoue, guette, sur leurs branches, les noix sont encore emberlificotées dans leurs bogues, les mûres sont embrouillées avec les insectes et les toiles d'araignées, elles baissent du nez, trop tard, trop tard. Hier, j'ai pu en grappiller un kilo, sitôt cueilli, sitôt transformé en quatre pots de confiture, j'avais rajouté de la vanille pour améliorer l'extraordinaire, mais ce n'est pas probant... L'extraordinaire n'a pas besoin de plus que de lui-même.

Hier, Le vieux monsieur que j'ai rencontré sur le chemin de l'étang travaillait dans son petit jardin en plein air... Pas si petit que ça, le jardin qui pouvait nourrir tout un régiment, il m'avait dit en me voyant chercher des mûres : j'crois bien qu'il n'y en a pas par là, allez donc voir là-bas des fois, et le long du champs du voisin, des fois... Après recherches approfondies, dans le coin qu'il m'avait dit, il fut étonné de voir mon sac rempli : ben vrai, ben c'est inouï dites-donc... Ici, personne ne les ramasse... Ce que personne ne ramasse ne fait pas mystère, je suppose qu'il ne m'aurait pas indiqué des coins à champignons si facilement... Exactement comme moi à Venise, je ne donne aucune adresse, je garde presque tout pour moi, maintenant avec Internet, vos plates-bandes sont vite piétinées... Je renseigne le touriste ça oui, tournez à gauche où à droite, bon séjour à Venise, n'oubliez pas de vous perdre...

Aller :

Cet après midi, après avoir bien  respiré mes odeurs préférées, je filais sur mon vélo, doucement, vers l'étang. En passant devant le jardinier, mon appareil photo en bandoulière, j'ai mis pied à terre devant lui : bonjour monsieur, déjà à travailler dans vos terres, quel courage, je cherche quelques noix... Ben c'est trop tôt, tout est en retard, les noix tombent pas, faut attendre encore ! C'est sûr monsieur, mais moi je pars bientôt, j'espère bien qu'elles vont se décider... Ah ! Les plus belles sont en haut, quand elles tombent maintenant elles sont véreuses, vous croyez ? Je n'ai aucune chance ? Ben je ne sais pas, tout est en retard...

Pourtant les mûres étaient déjà passées, aussi vite que l'éclair, mes échantillons de confitures je vais les cacher, chasse gardée, bien gardée, au fond de mon placard...

Je le laissais à sa culture, en plein soleil, sous sa casquette...

Il ne me proposait jamais rien, ni salade, ni melon, ni poignée de mirabelles, son usine était fermée à double tour, il avait jeté la clé au loin... Notre conversation tournait autour du retard ou de l'avance de la nature, suivant l'année. Au bord de l'eau, je repensais à cet homme, souriant, attentif, méticuleux, travailleur, mais pas très généreux.

Retour :

Il faisait doux, rien, personne ne se bousculait à l'étang, j'ai vu l'épine dorsale d'une énorme carpe virer net à 180° à mes pieds, deux cygnes,  quelques poules d'eau, des bruits étranges, des ronds dans l'eau... Comme c'est beau ! Il faut rentrer...

Le berrichon du petit jardin, pas si petit que ça, terminait sa journée, il nettoyait ses outils avec soin, il avait ratissé tant et plus : les fraises, les salades, pas une seule mauvaise herbes ne dressait la tête, le mirabellier était tout secoué, bien net, ses branches étaient aussi propres que les os d'un poulet que vous auriez sucés.


Les pommes avant la compote...

Vos faites quoi avec tous vos fruits monsieur ? On fait des confitures, des compotes, des tartes, on en mange tous les jours... Je me demandais vraiment pour qui il secouait ses pruniers, ses pommiers, il fallait une sacrée famille pour venir à bout de la récolte, et même s'il se montrait partageux avec ses nombreux voisins, ses enfants, il devait en avoir de reste. Des melons traînaient encore sous leurs feuilles, je me disais comment font-ils pour manger tout ça, à moins d'aller les vendre au marché ? Il ne m'avait rien proposé, mais je ne lui avait rien demandé on plus.. Un petit sourire c'est tout ce qu'il m'a donné... Au revoir monsieur, bonne fin de soirée, alors seulement il me dit : j'vous donnerais bien un melon mais y sont passés, sont pas sucrés du tout, j'vais les donner aux poules, elles adorent ça, sans les pépins... Les pommes de terre nouvelles de novembre sont foutues aussi, tout est à jeter... Je vais arracher aussi les haricots, ils sont pourris, rien ne vient bien... Je souris, bonsoir monsieur à plus tard...


Gros plan sur les tomates...

Ainsi va la vie... Le partage, le don, ne se font pas n'importe comment, avec n'importe qui, il faut vraiment se rencontrer, avoir du plaisir à sourire, à parler, à être un peu heureux, ému, écouter ou parler, chacun fait ce qu'il peut pour faire fonctionner ou pas la rencontre...

mercredi 18 septembre 2013

L'Indre... Les deux soeurs font des photos...



Le petit feu du jardin, pour nous réchauffer de la pluie de ces jours-ci

Depuis que ma sœur était venue me rejoindre dans ma campagne, nous faisions des photos avec ardeur et nous confrontions nos points de vue. Nous savions depuis longtemps que nos yeux ne voyaient rien sous le même angle, elle prenait en plans plus serrés, moi en plans plus larges, ici il n'y avait pas assez de lumière pour elle, pour moi elle était parfaite, nos sujets se conjuguaient vraiment à tous les temps, et c'était tant mieux, c'était une arrangeuse, elle bricolait les lumières, pour les retouches elle était championne, elle vous transformait le paysage comme pas deux, sur ses logiciels miraculeux. Voyez un peu comme nous nous complétons bien... Moi je ne fais rien, mais rien de rien, je garde tout au naturel comme mes yeux ont vu... C'est mon point de vue et je comprends parfaitement le sien, il y a de la création à refaire la nature, la nature des choses... Elle me dit souvent : il suffit d'une petite bricole pour que tout soit plus beau, mais voilà, moi je ne veux rien savoir des enluminures et des dissimulations, les coups de soleil, les ratures et les ombres me vont très bien.

Dis-moi, c'est pas mal ce truc-là... : allez, je clic, en deux temps trois mouvements j'avais la photo dans la boîte, ma sœur arrive, tranquille, elle trouve le motif très intéressant et met trois fois plus de temps à prendre la choses, elle me dit souvent : tourne autour de ton sujet, ça, je l'ai retenu et j'applique dès que je peux... La voilà qui tourne, regarde le ciel, se baisse, fait trois pas en avant, deux en arrière, attention, le petit oiseau va sortir et sans se presser appuie sur le bouton... Elle justifie sa lenteur par un tas de raisons théoriques, vous pensez bien que j'ai tout oublié, il faudra que je lui redemande...

Pour ramasser les mûres nous adoptons la même cadence, elle et moi avons le même genre de sac plastique, nous avançons avec précaution dans les ronces, nous déchirons nos mollets avec le même plaisir, quelque fois elle met des vieux gants pour décrocher les fruits, moi je la regarde de loin et je souris... Pour soupeser la récolte nous avons du mal à nous accorder, tu crois qu'il y en a un kilo ? Je ne sais pas, je crois, attends et je reprends l'affaire en main, oui, il me semble bien que nous avons le kilo, nous avons trouvé notre point d'orgue...


Mon plan large et la cafetière renversée...

Mais revenons à nos moutons, c'est-à-dire à la photo, ce n'est pas la même chanson, aucune note n'est pareille entre nous. Si nous allions faire quelques photos au jardin ? Très bonne idée, et déjà l'herbe craque sous nos pieds... Zut, il n'y a pas assez de lumière, dit ma sœur, bon d'accord, mais quel cadrage vas-tu choisir pour prendre ces vieilles cafetières joliment disposées entre les arbres et les arrosoirs anciens ? Je la laisse tranquillement aller de gauche et de droite et la voilà qui pointe, clic, elle fait le tour du petit bric-à- brac, selon sa maxime : tourner autour du sujet... Et déclic, sans se presser... Je vois bien que nous avons fait toutes deux très différemment, je n'ai pas tourné autour du sujet, je dirais même autour du pot, selon ma maxime : j'ai déclenché comme je voyais...

J'avais hâte de voir les résultats de nos deux visions, toujours très passionnantes, très différentes, souvent nous en avons ri... Voyez...


Son joli  plan serré et la cafetière... Redressée...
 

Soudain, ma sœur s'est approchée de la série des cafetières de nos grand-mères, bien rangées sur une petit étagères en fer, et elle en redressa une qui était tombée la tête la première. Là je me suis dit : je reconnais bien ma sœur, toute en méticulosité, ayant horreur du laisser aller, elle aligna la récalcitrante avec ses autres congénères, et prit sa belle photo...

Moi j'avais justement trouvé que ce léger désordre allait mieux à mon goût, et je n'avais surtout rien fait pour arranger les choses avant de prendre la photo...


Et re-beau plan serré de ma soeur...

Ce moment fut délicieux car les photos aussi jolies les unes que les autres nous allaient comme un gant, l'une avait aligné et l'autre pas... 


Mon re-plan large dans l'autre sens...

Avec ma chère sœur, pas besoin d'attendre le soleil des éternités, un coup de bistouri et l'affaire est faite, son coup d'œil maintenant a totalement incorporé les retouches, donc pas de soucis, une voiture mal garée dans l'image, pas de problème, un fil électrique qui dépasse, elle coupe, rabote, déplace... Tandis que moi je me dis zut, c'est dommage, je vais revenir, et je ne reviens jamais, je passe à autre chose... Ainsi va la vie...

samedi 14 septembre 2013

l'indre sur le pied de guerre... Pour les mûres !


Pour les mûres...

Je marchais en tenant ma bicyclette à la main, le chemin ne permettait que des pas, de tous côtés le vaste horizon n'en finissait pas de grandir jusqu'au ciel... Aussi loin que mes yeux portaient, je regardais le champ de bataille. Cette année tout était dérangé, ici j'espérais  trouver des mûres toutes folles qui grimpaient aux arbres, là de même, elles devaient être à point, rouges sang sur les mains, douces et chaudes dans ma bouche, sous le soleil on les reconnaît à leur odeur de confiture... Les noyers, emplis à bloc, se tordaient dans tous les sens sous le vent qui arrivait avant l'orage. C'était bien de ce côté, pas d'erreur, il y en avait plein, deux-trois kilos à chaque tournée. Je comptais absolument sur elles cette année, pas de blague, je dois fournir une douzaine de pots, j'y compte sans faute, c'est mon cahier des charges...

La semaine prochaine, je reviendrai visiter les sentiers froissés, les tranchées, les trous et les bosses piétinés par les tracteurs, je liquiderai le problème en un tour de main, j'en trouverai des mûres, c'est moi qui vous le dis, avant qu'il ne soit trop tard...

Je marchais encore, tenant ferme ma petite reine, pas question d'aller seule, elle ne me quittait jamais, j'avais quasi les mains soudées au guidon, mon arsenal de survie était dans la sacoche, de quoi tenir un siège : sacs en plastique, cape de cycliste, appareil photo pour les fulgurances esthétiques, le téléphone pour les bonnes nouvelles ou en cas de malheur... Comme c'est beau, un grand moment de poésie m'arrivait droit dans les yeux, le silence était parfait, le vent s'était calmé, pas un bruit d'ailes, tous les becs étaient clos, ça pouvait presque faire peur... Personne pour me répondre, personne pour m'inquiéter, que le vent, le vent léger...


Les grands peupliers, quand il fait beau !

Je n'avais jamais vu les arbres sous ce jour-là, élancés, souples jusqu'aux frémissements, ils balançaient leurs branches dans l'air, un petit coup à droite, un petit coup à gauche, tout était admirable... Le ciel gris tacheté de noir rassemblait ses bataillons, je m'attendais au grand bruit du tonnerre, trop tôt, trop tard, avec le tonnerre on ne peut jamais prévoir. Les grands peupliers filaient tout doux, allaient du côté de l'air qui s'engouffrait  dans leurs entrailles, ils se laissaient faire gentiment en froufroutant, c'était impressionnant de légèreté...

J'allais plus loin, sans peur et sans reproche, tout avait été saccagé, haies vives et fleurs des champs, massacrées, hersées, retournées, mais il fallait bien cultiver les prés, déménager les herbes folles, les ronces, les jachères, je regardais ce paysage comme pour la première fois, c'était époustouflant de beauté.


Les grands maïs sous le ciel gris...

Le mauvais temps faisait ressortir les contours, d'un côté les maïs, de l'autre les tournesols... Jamais il n'y en avait eu par ici, les cannes bien droites comme des chevaliers, un épis ou deux par tige, bien dodus, accrochés à leur ceinture, le pop-corn dépassait de l'enveloppe, parés pour la bagarre... De l'autre côté les tournesols, énormes, leurs grosses têtes penchaient vers l'avant, immobiles, attentifs, ce face-à-face me faisait penser à un grand tournoi de campagne. Chacun regardait l'autre dans le blanc des yeux... Lequel partirait le premier ?



Les grands tournesols sous le ciel gris... Et la petite loge de vigne...

Le ciel gris acier assombrissait les pensées, je marchais entre ces guerriers, le nez baissé pour éviter quelques flaques laissées par la dernière pluie.


L'enrouleur (canon à eau)

La nature fourbissait ses armes sur mon terrain... Enfin, j'aperçus des ronces éclatantes de santé, ici un kilo, deux peut-être... Je laissais les fantassins de chaque côté du chemin, le temps ne laissait aucun espoir, il va pleuvoir, ce n'est rien, j'ai ma cape, ma reine, filons, je risque de prendre des coups, pas question... Depuis, je m'y promène quand il fait gris, j'analyse les stratégies, s'il se remet à faire beau ils vont tirer du canon à eau, pas de blague, laissez moi remplir mon panier, j'ai déjà préparé le sucre, la cocotte minute et la balance... La vanille attend d'être fendue pour exhaler son parfum...


Les reflets de l'étang, pas de ronds dans l'eau...


Dans les mêmes chemins, quand il fait un ciel de porcelaine, bleu profond et doux, nuages blancs, vaporeux, légers comme des houppettes de cygne qui s'éparpillent et se déplacent avec grâce, sans poids, sans but, j'admire le monde, la splendeur des lieux... La guerre n'a jamais eu lieu entre le maïs et le tournesol, je n'y pense même plus, le paysage a repris des couleurs inattendues, franches, nettes : quand elles passent sur l'eau de l'étang, alors se produit le grand mélange des nuances qui coulent dans tous les sens en faisant de la moire, du taffetas, de la soie sauvage. Seuls les peintres le savent, ils essayent depuis toujours de copier, touche après touche, le miracle des reflets, le mystère des vibrations irisées formées par les ronds dans l'eau... Sur leurs chevalets la nature est toujours trop petite, trop vive, trop pâle, trop exigüe, trop...Rien ne ressemble à ce que je vois...


Les cygnes et les oies..
 

mercredi 11 septembre 2013

L'Indre en vrac...



Les vaches du Berry

Attendez visiteur, n'allez pas croire que tout est noir, triste à pleurer ici... D'abord le chagrin, ensuite les couleurs... Le premier jour, le deuxième, même son de cloche : ça ne va pas !


les petits arrangements du jardin...

À mon arrivée nous avons tout révisé, Sylvie m'a dit en pleurant qu'elle avait vécu des foutus quarts d'heure, depuis le printemps : maman est tombée, pas moyen de la relever, j'ai dû appeler des secours et c'est à l'hôpital qu'elle a repris des forces, impossible de la laisser toute seule dans sa maison maintenant, il faut trouver une maison de retraite où elle sera bien, avec un bon lit, des beaux draps, quelques affaires personnelles, des photos, un jardin... Avec d'autres pensionnaires...

Pas faciles, ces moments-là...



L'eau nacrée du vieux lavoir

Je vous assure, c'était comme ça dès que je suis arrivée : à la ferme d'à côté, pareil, quand il est descendu de son tracteur pour m'embrasser au milieu de la rue, il m'a tout de suite dit tout ce qui n'allait pas, une blessure par-ci, un autre ennui par-là qui l'empêchait de faire tout le travail, pour le lait les prix qui baissaient, mais que voulez-vous, on continue, d'ailleurs quoi faire d'autre, il finissait toujours en beauté avec le sourire...

L'Indre de mon mois de septembre, c'était donc le mur des lamentations ? À croire...



Les belles d'ici

En tournicotant autour d'elle les deux chiens l'ont mise par terre, crac, un genou de fêlé, elle flotte maintenant dans sa blouse, elle avait sûrement perdu l'appétit... Plus de sortie, plus rien que du repos, elle ne peut plus aider son fils à la ferme, la traite des vaches se fait à deux, minimum, sans elle il termine beaucoup plus tard, si tout va bien. Justement c'est le moment où les vaches vêlent les unes après les autres, elles poussent et hop-là voici le veau, si tout va bien... Quand je suis arrivée dans la stabulation j'ai vu une vache qui avait trop poussé, la matrice était venue avec le petit, quelquefois même se sont les boyaux qui font le grand saut, la vache est fichue...



Mon étang sous le ciel de peinture...

J'étais au bord de "mon" étang à lire sur ma tablette, j'avais fait l'inspection des lieux, poissons, canards et hérons, tous y étaient, à deux pas on arrosait le maïs avec un engin automatique qui froissait les feuilles des peupliers en passant au dessus des champs... Dans tous les coins ça usinait dur pour survivre à l'été.

Voilà le patron qui passe avec ses trois chiens maigres et marchant de travers : eh bien, que se passe-t-il ? Ils sont vieux, demain j'emmène celui-là chez le véto, le tout fou qui flanche du train arrière, je l'ai trouvé au bord d'une route, il a été battu et pas qu'un peu, il a le dos tout rossé... Ça continuait... Et vous ? La santé, ça roule ? Affreux, affreux, j'ai passé un mauvais printemps, je m'en remets à peine... Pas possible, racontez...


Attendez lecteur, ne partez pas... Il m'a ensuite décortiqué son entrée aux urgences avec un remède de "vache" que lui avait donné son médecin pour une histoire ORL : je me suis retrouvé en détresse respiratoire, le sang tout clair, pour un mauvais rhume vous parlez, pas possible ! Mais ne vous inquiétez pas, j'ai des preuves, les médecins ont constaté, il s'est vraiment trompé... J'étais interloquée, comment redémarrer sur le chant des oiseaux et le beau maïs qui se faisait arroser dans le champ d'à côté ? Le printemps et l'été l'avaient entièrement décapité, il ne lui restait que ses yeux pour pleurer...



Le ponton de l'étang...

Il est reparti avec ses trois chiens faméliques et bancals dans son 4x4 bien nettoyé... Au retour, comme j'étais encore là à lire et réfléchir, il me dit : allez donc sur mon autre étang, il y a cinquante cygnes sauvages, des oies et des aigrettes, c'est magnifique, je vous y autorise, vous serez mieux qu'ici, sur le chemin.... Royal, le ressuscité me faisait un somptueux cadeau, je pouvais aller voir son bien de l'autre côté, c'est bien plus beau... Merci, merci, c'est rudement gentil à vous, il avait le sourire, ne vous en inquiétez pas, je préviendrai de votre présence le jeune qui fait la ronde. J'avais gagné du galon, de la confiance, désormais je vais vivre avec les cygnes et les hérons au milieu du silence et des liserons d'eau.

Bon, ce n'est pas tout ça et du côté du bonheur, quoi de neuf ? Dimanche prochain il y a un concert d'orgue à l'église, l'épicier a déménagé pour plus grand, c'est vraiment bien, les amis du musée s'agitent autour du patrimoine, demain, si je faisais du poulet aux oignons...


Le grand noyer

La colline est frisée comme un mouton, les noyers ont des grelots à toutes les branches, les pommiers sont pleins de gros boutons dorés, je guette les mûres qui poussent en pagaille, les poires dégoulinent des hautes cimes, c'est la première fois que j'en vois tant...

Les hirondelles sont déjà au rendez-vous pour le départ, tout est normal de ce côté, je ne vais pas me lever à 6h du matin pour les voir s'envoler... Non et non, je dors !

Demain je me promène avec les cygnes... S'il fait beau !





Un petit coin de nostalgie

vendredi 6 septembre 2013

l'Indre, Paradis à perte... De vues...



 La petite ferme de 1900


Le plus souvent, en arrivant dans ma campagne indroise, dans l'ancienne petite fermette que je loue, je regarde le paysage dans les yeux... Rien ne bouge, rien ne tremble si ce n'est avec le vent, les petites routes restent des heures à cuire sous le soleil qui fait perler le goudron...

Bien sûr, aujourd'hui je suis au paradis, mais avant moi, lors de la construction de cette petite ferme, en 1900, était-ce vraiment le paradis ? Monsieur Jean, le voisin d'à côté très âgé aujourd'hui, en maison de retraite depuis l'année dernière, m'en parlait : il avait logé ici avec ses parents, ses trois soeurs, une petite famille pour le pays, deux chambres, une cuisine-salle à manger, une cheminée, une cour herbeuse maintenant et sans doute boueuse de son temps. Devant la fenêtre de la cuisine il y avait le feu et l'eau, un four profond où l'on cuisait le pain et les pâtisseries, et même ceux des voisins... Le puits juste à côté, planté là avec le figuier et le tilleul... Depuis, ces deux arbres avancent à branches de géant sur un bon tiers de la cour, apportant fruits, tisane et ombre bienfaisante, un écureuil, comme un éclair fauve, de temps à autre montre le bout de sa queue, tiens, il est là...


 
 Le puits, le figuier et l'entrée du four...


Le tilleul et le figuier font de l'ombre ensemble
 
 
Une grande étable (transformée en grande salle de séjour) accueillait plusieurs vaches, juste au dessus on pouvait engranger la paille et le foin. Deux ouvertures juste au dessous du toit prévoyaient la présence des pigeons pour aller avec les petits pois, le bâtiment des bêtes était toujours plus grand que celui des personnes, à voir la cour aujourd'hui je ne sais pas où ils mettaient les poules, le cochon, les lapins. Le chien, qui était plus fidèle aux vaches et aux moutons qu'aux maîtres, n'avait pas de niche, dormait le plus souvent dans l'étable, au chaud, sans caresse..
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Le petit arpant du bon Dieu...

La vigne des propriétaires, qui fournissait le vin pour l'année, était peut-être derrière près de la rivière, à deux pas du lavoir dont il reste encore quelques planches. Bien des fois, au cours de mes promenades, j'ai saisi d'un clic la nacre de l'eau polluée qui passe encore entre ses palissades...

Je le savais, on me l'a si souvent raconté que par ici les gens étaient pauvres comme Job, ils vivaient quasi en autarcie, faisaient leur fromage, le beurre, et vendaient au marché le surplus, et même quelques lapins malades de la myxomatose... Si, si, c'est vrai, les gens de la ville n'y voyaient goûte ! Ah bon ! Quand même, vous n'y alliez pas avec le dos de la cuillère, c'est ce que je disais à cette vieille dame qui me racontait l'épisode, elle riait encore du bon tour joué aux acheteurs... Elle ajoutait : ils n'en sont pas morts ! Je repense aussitôt au cheval qui a remplacé le bœuf dans les lasagnes d'aujourd'hui...


Les appentis pour les petits animaux

 

Devant la maison, d'autres maisons, aussi petites, toutes faites sur le même modèle, les toits recouverts de tuiles rectangulaires en terre cuite, certaines ont des appentis pour loger les petits animaux qui faisaient les bons petits plats, la charcuterie et le poulet rôti... Le cheval aussi avait sa place, on en prenait soin, c'était un grand travailleur...
 


Le beau chemin où j'ai des fourmis... Entre les maisons...

Sur le chemin, il suffit d'entendre un pas pour que suive la conversation, bonjour Mesdames Colombe, Colette et Françoise, racontez-moi votre histoire, celle aussi des lieux qui vous ont vues naître... On prend rarement le thé, nous restons debout les deux mains dans les poches ou les bras croisés à se regarder les yeux dans les yeux, nos paroles vont et viennent, le plus souvent les histoires anciennes sont plus gaies que celles d'aujourd'hui, il faut compter avec les maladies, les morts et les disputes... À rester de longs moments immobiles, à entendre, à regarder, j'ai des fourmis dans les jambes... Mais je ne dis rien, pas un mot malheureux qui puisse risquer d'éteindre l'incendie d'une vie qui se raconte...


Ici... Où là... Je ne sais plus...

Trois rues plus loin, je connais aussi l'histoire du grand portail blanc, en ferronnerie ajourée avec art, de la grande maison bourgeoise, bien conservée pour son âge, qui s'ouvrait sur les belles toilettes du dimanche... C'est ici que j'ai embauché quand j'avais quatorze ans, bonne à tout faire depuis très tôt le matin jusque tard le soir, j'avais tout juste à manger, j'étais pas grasse comme maintenant... C'est Catherine qu'elle s'appelle, elle me raconte qu'elle était mal traitée, mal habillée, pas assez nourrie, elle enrage encore aujourd'hui, elle n'a jamais pardonné de n'être pas aimée.

Ces jours-ci, je me cache dans l'ombre de leurs mots, la vie est plus douce mais leurs âges avancés, comment tout recommencer, pas moyen, même pas moyen de rester tranquille chez soi, les jambes, les yeux, les mains, la tête quelque fois vous en empêchent pour toujours... La maison de retraite fera de bonnes affaires... Pas prévu de vivre aussi vieux... Maisons à vendre... Dans la rue on renouvelle les générations...


Maison à vendre ?

Allez, encore un tour de roue, jusqu'au moulin, zut, j'ai mon genou qui m'embête... Allons plus loin encore... Allons, quel beau mois de septembre, il fait chaud, la végétation à baissé d'un ton ses couleurs, j'ai déjà fait des confitures de mirabelles, belles comme le jour, suivront les mûres chauffées à la vanille, pour les figues on verra, elles sont encore trop petites, beaucoup trop petites, les pommes, je ne sais déjà plus où les mettre, le casse-noix est au taquet, j'attends qu'elles tombent...



Le petit coin de Paradis...