samedi 11 mai 2013

Marcelle qui avait perdu son porte-monnaie bien garni...


Le porte-monnaie de Marcelle


Ecoutez bien la belle histoire, elle est vraie et finit très bien :

Peu de temps avant de partir à Vienne, je suis allée faire un tour dans un Monoprix pas très loin de chez moi, je m'étais dit : je n'ai plus rien à me mettre, j'ai besoin de neuf, de gai, de léger, en fait je n'avais besoin de rien, c'était l'occasion rêvée pour aller faire des courses.

Les couleurs des garde-robes étaient toutes au printemps, ils avaient même sorti les chapeaux de paille, et mon chapeau de paille d'Italie, tout troué, avait besoin d'être changé : trop petit, trop grand, trop large, je suis affreuse avec celui-ci, la couleur ne me plaît pas, tant pis !

Pour tout le reste ce fut pareil, tout me plaisait et rien ne m'allait... Je me suis tout de même laissée tenter par un petit foulard tout doux, de texture et de prix, de la soie pour le vaporetto, c'est ce qu'il y a de mieux quand il marche à toute vapeur, le soir, sur le Grand Canal, ils devraient même la recommander dans tous les guides touristiques : si vous ne voulez pas avoir mal à la gorge sur la plus belle avenue du monde, mettez donc un ruban de soie autour de votre cou...

Ah ! Tiens justement, si je regardais au rayon ustensiles de cuisine, je trouverais peut-être le casse-noix idéal pour les amandes et les noisettes que je vais ramasser en automne dans l'Indre ? Et de loin en loin je virevoltais un peu partout, les idées me venaient au fur et à mesure que je ne pensais à rien de particulier mais ça, vous connaissez peut-être ?...

Face aux casseroles, sur l'étagère de présentation, je vois un gros porte-monnaie, posé là bien en évidence, je le regarde et je me dis dans la seconde : c'est quoi ça, allez hop, je ramasse, et je le mets prestement dans mon sac, j'avais bien vu quelques billets qui dépassaient, mais j'ai terminé mollement  mon tour de Babel sans rien acheter d'autre. Ma curiosité était en éveil !

Je jetais ça et là un œil sur les gens qui passaient dans les rayons, guettant si quelqu'un paraissait affolé d'avoir perdu son bien, mais tous vaquaient tranquillement à leurs occupations, personne n'était stressé à cet instant-là.

Que faire ? Remettre le porte-monnaie trouvé à la Direction du Monoprix ? Pas d'ennuis, pas de soucis, pas de temps perdu, le tour est joué, ils se débrouilleront ? Non ! Je n'ai pas confiance, l'argent est une telle convoitise, je ne peux compter que sur moi-même, j'examinerai l'affaire à la maison.

Je rentre donc chez moi, avec le porte-monnaie épais, plus très jeune, un peu déchiré, faux cuir mais bien garni, les billets, il y en avait dans toutes les poches, environ deux cents euros, les pièces je n'ai pas compté, mais assez pour rendre la monnaie pendant huit jours... Je vois immédiatement une petite carte vert foncé qui mentionnait un nom et un prénom : Marcelle S., et un numéro de membre, pas d'adresse, pas de téléphone, juste Marcelle S. Je fonce sur Internet, pages blanches, rien, sur liste rouge probablement. Je regarde attentivement le petit carton vert qui était celui d'un établissement de pompes funèbres, l'enterrement était réglé : Marcelle pouvait partir tranquille, je suis absente, tout est payé... Salut tout le monde ! J'avais dans l'idée que c'était une personne bien prévoyante, sans doute plus toute jeune, on ne fait pas un pacte avec les pompes funèbres à vingt ans.

Je réfléchis trente seconde et j'appelle la Compagnie des pompes funèbres dont le numéro figurait sur le petit carton : voilà, bonjour madame, et je raconte l'histoire de Marcelle et du porte-monnaie, je n'ai ni l'adresse ni  le numéro de téléphone de cette dame, pouvez-vous m'aider à la retrouver pour que je puisse lui restituer sa petite fortune ? D'accord, nous cherchons son dossier et on vous rappelle.

Mon état de conscience était au clair, le porte-monnaie avait un nom et un prénom, je ne pouvais pas faire comme si de rien n'était et inviter mes amis à boire à ma santé pour fêter la jolie trouvaille, non et non, impossible. Marcelle devait être triste de cette perte.

Ensuite j'ai ratiociné à loisirs, vu l'état du porte-monnaie, les billets pliés mis un peu partout, le monceau de pièces de monnaie, les obsèques payées, il ne pouvait qu'appartenir à une personne âgée, c'était mon idée.

Allô madame ? Nous avons retrouvé l'adresse de Madame Marcelle S., ne quittez pas, je vous mets directement en contact avec elle... Les pompes funèbres pré-payées venaient de me rappeler, l'affaire était dans le sac, j'allais connaître la chanceuse qui allait boire à ma santé.

Madame Marcelle S. ? Oui, madame, vous n'auriez pas perdu votre porte-monnaie au Monoprix aujourd'hui ? Ah ! Mais oui, justement, je croyais qu'on me l'avait volé, mais non madame, je l'ai trouvé au rayon cuisine, il y a environ deux cents euros... Tant que ça ? Non, je ne crois pas... Mais à ses réponses évasives, je comprenais que sa tête était quelque peu ennuagée...

Nous prenons rendez-vous pour la restitution : vous comprenez bien madame, devant le Monoprix, vous aurez un manteau beige, d'accord, et un sac noir, parfait, le mien est rouge, mais ne vous inquiétez pas, je vous trouverai, 17 heures, pas de problème. Elle semblait avoir tout compris, bien qu'avec une voix hésitante, j'étais contente, j'allais faire une heureuse.

Monoprix est à une encablure de chez moi, un petit coup d'autobus et m'y voilà, bien en avance pour y faire quelques courses, à 17 heures tapantes je suis devant la porte, je ne bouge pas pendant une grosse demi-heure, je fais les cent pas, je demande à toutes les dames qui passent en beige et sac noir : vous êtes Marcelle S. ? J'ai rendez-vous avec elle... Pas de Marcelle à l'appel du clairon, je reviens bredouille à la maison, avec la tirelire.

Je retéléphone : allô ? Elle est navrée, on ne s'est pas trouvées, je vous attendais à l'autobus, mais pourtant madame nous avions passé dix bonnes minutes à préciser que le lieu de notre rencontre serait devant la porte du Monoprix, ah ! Bon, je me suis trompée, nous repassons un petit quart d'heure pour bien expliquer le prochain rendez-vous... Elle m'avait dit plusieurs fois merci... Et je pars à Vienne.


Le porte-monnaie de Marcelle de dos

Ce matin, c'était notre jour, je l'avais appelée pas trop tard dans la matinée, midi exactement à la porte du magasin, elle devait porter le manteau beige et le sac noir, rien n'avait changé, les lunettes en plus, moi j'ai toujours mon sac rouge... Ne bougez pas, je vous trouverai, elle m'avait précisé qu'elle avait quatre-vingt-cinq ans et qu'elle habitait elle aussi très près du magasin. Je l'ai tout de suite vue sur le banc, les cheveux blancs, fringante, joliment mise, vous êtes madame Marcelle ? Oui ! Je suis bien contente de vous rencontrer, si nous allions prendre un petit café pour que je vous rende votre porte-monnaie ? Affaire conclue, nous prenons toutes deux un décaféiné, le porte-monnaie passe de mon sac au sien, non sans avoir vérifié la pochette arrière, où elle trouva les soixante euros qu'elle y avait oubliés : voilà, voilà pourquoi je ne pensais pas qu'il y avait deux cents euros, je ne me souvenais plus du tout de ceux-là, me dit-elle en me montrant les deux billets... Les nuages dans sa tête, il y en avait, elle reprenait sans cesse le même refrain, vous êtes gentille, merci beaucoup, j'ai de la chance, je suis tombée sur vous. Oui, vous êtes tombée sur moi, mais dites-moi, parlez-moi un peu de vous, et comme elle était en confiance, elle me raconta qu'elle était fille unique de paysans bourguignons : je suis montée à Paris en 1947, je ne voulais pas rester à la ferme, ça ne me disait rien du tout, mais rien du tout, j'ai habité une chambre de bonne et je me suis fait embaucher chez UGC comme secrétaire, j'en ai vu des films et gratuitement, mais quand je suis partie de chez eux ils ne m'ont rien donné du tout. J'adorais danser et c'est à la Coupole que j'ai rencontré mon compagnon, j'allais en vacances tous les ans au Club Med, c'était bien, vraiment bien, pour payer on avait des colliers de toutes les couleurs, j'ai beaucoup aimé, j'ai voyagé en Tunisie, en Israël, en Italie, et elle tournait en boucle ses beaux voyages.. Maintenant mon compagnon a la maladie de Parkinson, il tombe souvent, c'est triste. Au téléphone, quand j'avais eu le compagnon, il m'avait parlé de sa maladie, mais aussi de celle de sa compagne : elle n'a plus tout à fait sa tête... 

Je voyais bien que Marcelle avait dû être très jolie, soignée et bonne vivante : j'aimais beaucoup danser, m'avait-elle dit en levant les yeux au ciel et en souriant, elle avait mis du rouge à lèvres très doux, elle dansait encore...

Vous avez des enfants madame ? Non, je n'ai personne, ma sœur est morte il n'y a pas longtemps, mais j'ai beaucoup de cousins, et les habitants de ma cité sont très gentils, c'est une très belle résidence, j'y habite depuis très longtemps, j'y suis rentrée au titre du 1% patronal du temps où je travaillais, je suis très bien. Mais quand même je suis très distraite, pourtant c'est la première fois que je perds mon porte-monnaie, j'ai de la chance avec vous, c'est moi qui paye le café... Avec toute la monnaie qu'elle avait accumulée, elle pouvait largement payer les quatre euros des deux petits noirs. Ne vous inquiétez pas, je vais vous raccompagner à votre autobus.

Au moment où nous sortions du café, j'ai vu son autobus arriver, j'ai fait signe au chauffeur pour qu'il attende la vieille dame, elle trottinait, je l'ai prise par le bras : ne courez pas, faites attention, il attendra, soyez sans crainte, merci encore, merci beaucoup, et la voilà montée dans la voiture, que va-t-elle raconter à son compagnon, avec quels mots allait-elle lui dire qu'elle avait eu de la chance ?

Juste avant de partir, comme elle terminait avec élégance sa tasse de café, je demandais à Marcelle : madame, permettez-moi une question, avez-vous eu une belle vie ? Elle réfléchit : pas trop mal, ça aurait pu être mieux mais pire aussi, elle ne dit rien de plus sur sa longue vie, elle avait toujours ce petit sourire et son joli rouge à lèvres...

La belle histoire est terminée, Marcelle n'en revient sans doute pas d'avoir retrouvé son bel argent, moi j'étais contente aussi de l'avoir connue, comme j'ai toujours leur numéro de téléphone, dans quelques temps je les appellerai au moins une fois, pour avoir des nouvelles,  trois petits tours et puis s'en vont... 



Les sous de Marcelle

13 commentaires:

Brigitte a dit…

"Hé bendidon" c'est tout toi ça... Ton récit très vivant m'a fait penser une fois la lecture terminé qu'effectivement Marcelle avait eu beaucoup de chance !!!
Elle ne se souviendra pas de tout certainement, mais si tu lui retéléphone pour prendre de ses nouvelles ,il faudra que tu nous dises si elle t'a reconnu .
Bon week-end Danielle ,je t'embrasse

Danielle a dit…

Brigitte, bien sûr Marcelle a eu beaucoups de chance, mais s'il n'y avait pas eu son nom, je serais plus riche aujourd'hui ! Disons les choses comme elles sont...

Sans doute se souviendra-t-elle un moment de la dame qui lui a rendu son porte-monnaie bien garni, elle ne doit même pas encore en revenir...

Grosses bises Brigitte, bon WE à toi.

Marie Claude a dit…

Allez je fais encore un commentaire...avec un récit si bien narré et qui en plus a une fin heureuse!
Je suis sûre que vous lui téléphonerez dans quelques temps ,il me semble un peu vous connaitre depuis le temps que je suis votre blog( en silence).
A présent j'attends la suite de Vienne car je pense qu'il y en a une encore....

Danielle a dit…

Merci Marie Claude de votre re-visite :-) je reviens à Vienne bien sûr...

À très bientôt.

Anne a dit…

Vous avez su faire une vraie rencontre à partir d'un banal oubli. En vous lisant, on se dit que certaines occasions sont peut-être prédestinées, qui sait? Marcelle avait peut-être besoin de la constance d'une amitié désintéressée au moment même où vous avez "remué ciel et terre" (l'expression donne à réfléchir, non?) pour la retrouver...
Je vous souhaite un beau dimanche.

Danielle a dit…

Merci Anne d'être passée, Marcelle est dans l'oubli des choses de la vie, je vais la laisser... Je lui téléphonerai sans faute la semaine prochaine, pour lui faire un petit coucou curieux, tout va bien ?

Moi aussi je vous souhaite un beau beau dimanche. A tout bientôt.

Georg-Friedrich a dit…

C'est incroyable cette histoire! Ça pourrait vraiment faire un petit film, à la Alain Cavalier. dommage que tu n'aies pas, en plus de ton clavier et de ton appareil photo, une petite caméra! Les courses au monoprix, la découverte du porte-monnaie, l'enquête aux Pompes funèbres, puis la rencontre et le récit de la vie de Marcelle, tout est passionnant et cela s'enchaîne merveilleusement!

Michelaise a dit…

Oh Danielle, que ton histoire est douce et belle !! Avoue que, quand tu as vu ce porte-monnaie, tu as entrevue l'article possible !! Pas aussi riche, bien sûr, juste à l'état d'ébauche dans ta tête !! mais une rencontre en vue ... et puis tu nous a tourné cela avec une telle sensibilité, bravo, je t'ai lue avec encore plus de plaisir que Marcelle n'a eu en retrouvant son porte-monnaie... Tu as un vrai talent Danielle, humain ! Tu vis tellement fort ce que tu nous racontes qu'on participe...

Michelaise a dit…

tu as entrevu, sans "e" bien sûr...

Danielle a dit…

GF oui, tu as entièrement raison, mais seule la caméra d'Alain Cavalier aurait pu produire un petit bijou :-), il y a en effet tous les éléments d'un très beau film...Avec suspens torride...

Merci pour tes mots et ta visite, je te fais des gros bisous doux.

Danielle a dit…

Chère Michelaise tu n'y es pas du tout :-))) Au début je me disais, pas meilleure qu'une autre, s'il y a beaucoup de sous dans le porte-monnaie je fais la fête, c'est bien après, en voyant le nom de Marcelle, et après mes recherches avec les Pompes Funèbres (je savais que je ne garderai pas ma trouvaille) que je me suis dit, je vais raconter ça... Avec même dans l'idée que certains allaient me trouver bête, à ce point, quand même :-))

Plus d'une fois je me suis dit, dommage, mais je ne peux pas garder un porte-monnaie qui s'appelle Marcelle, comme celui qui ne peut tuer son lapin qu'il appelle Firmin, impossible.

Tu vois pas meilleure qu'une autre, mais fidèle au blog :-))

Grosses bises à toi.

Amélie a dit…

superbe histoire !! elle ne fut pas facile à trouver cette dame, mais vous avez mené l'enquête de main de maître Danielle ! bravo :)

il m'était arrivé de trouver un sac un jour de soldes, avec telephone portable, porte monnaie et argent débordant, clés, etc... je l'ai ramené à l'accueil du magasin et l'hotesse a fait un appel au micro. La dame s'est présentée quelques temps après et m'a regardée d'un air soupçonneux, comme si je lui avais volé. Pas un merci, pas un sourire, rien... Cela ne m'empechera pas de refaire de même si cela se reproduisait, mais tout de même... quel manque de savoir-vivre.

bonne journée Danielle :)

Danielle a dit…

Belle histoire aussi que la votre Amélie, un peu triste, sans reconnaissance :-((

Merci de votre passage.