samedi 16 mars 2013

Vingt ans déjà... Terminés, piétinés, adieu !




Collection privée


Il y a donc fort longtemps que nous sommes, ma tribu et moi, des adeptes, des fidèles, des aficionados, des sympathisants, des inconditionnels d'un petit restaurant vietnamien de Belleville... Un jour, il y a vingt ans, déjà ! Quand il n'y avait encore personne devant la porte, personne en salle, que nous y prenions toute la place... Nous y avons goûté tous les plats, retourné la carte dans tous les sens, quand on entrait on nous disait bonjour comme des hôtes de marque, on nous tendait la main, sourire, vous allez bien, mettez-vous là vous serez bien, on était chez nous, on avait presque notre serviette et notre rond de serviette près de notre assiette, plus qu'à se mettre les pieds sous la table...

Au début, on ne donnait l'adresse à personne... Si un ami très cher nous demandait : tu connais un petit resto vietnamien, bon, par ici ? Ben, oui par-là, et on répondait très évasivement, comme le paysan qui vous parle de ses coins à champignons et qui vous désigne l'horizon pour que vous n'ayez aucune chance de les trouver... Par-là, ce qui signifie : tu peux toujours te lever de bonne heure, jamais tu ne trouveras.

Nous, pour le resto, on faisait comme ça, comme les champignons...


Collection privée

Et puis après on a relâché l'affaire, on y a emmené des amis, des cousins, allez, mais oui bien sûr, tu verras c'est délicieux, très parfumé, très varié, tu vas te régaler, et de fil en aiguille on a passé du temps ensemble... Il y a eu de plus en plus de monde, quelques fois même il fallait attendre pour trouver une place, il fallait viser juste, ni trop tôt, ni trop tard, attendre...

Les mois, les années ont passé, pour dire, c'était notre quartier général... d'accord, 20h, le premier qui arrive réserve les places, top-là, on faisait toujours comme ça, chaque fois c'était la fête, irréprochable du côté du goût, pas toujours au top du côté hygiène, mais de grandes retouches furent apportées au bout de quelques années, parfait, parfait, jusqu'aux toilettes, un coup de pinceau pour faire beau, et le chemin a continué entre eux et nous.

Si j'avais amené un ami et qu'il n'était pas dithyrambique sur ce qu'il avait mangé, je lui disais : tu es sûr ? Déjà il baissait un peu dans mon estime, il faudrait faire un autre essai, tu verras, tu vas adorer... Rester sur une mauvaise impression c'est grave, très grave...


Collection privée

Les mois, les années ont encore passé, nous avons dépassé les vingt ans, alors-là, nous avons recommencé à ne plus donner l'adresse, enfin, surtout moi, car ceux de ma tribu étaient beaucoup plus généreux, ils emmenaient tout le monde, à force les petits ruisseaux ont fait les grandes rivières, il y avait une file d'attente dans la rue, on avait tout jute le temps de prendre son café, excusez-nous mais il y a du monde qui attend... Mais ça restait comme à la maison, détendu, convivial et bon, très bon, incomparables le phô, le bobun, inouïs les raviolis à la vapeur, un beau jour, la crêpe vietnamienne croustillante que nous adorions a disparu de la carte, ils ne la proposaient plus, faute de temps en cuisine, zut ! Coup dur !

Un dîner de famille, un rendez-vous gourmand, on n'avait qu'une adresse, disons deux pour être honnête, nous arrivions toujours à nous mettre d'accord, les deux restos étaient dans la même rue, juste un trottoir à traverser...

Nous pensions d'ailleurs que rien ne changerait jusqu'à la nuit des temps... Allô maman, si on se faisait une petite soupe à Belleville ? Bien sûr, à quelle heure ? La joie était toujours au rendez-vous...

Ma petite-fille ne jurait que par lui, la soupe est bien meilleure ici qu'ailleurs, mamie, si, je t'assure, bien sûr ma chérie, retrouvons-nous devant à midi.

Et pendant toutes ces années on a oublié de prendre des photos... Pas besoin de souvenirs puisque nous les vivions in situ, les souvenirs...


Collection privée

Au tout début, nous connaissions par coeur certains restos du 13e arrondissement, nous avions commencé par-là, c'était très loin de la maison, à l'autre bout de Paris, mais non vraiment, celui que nous aimions maintenant, c'était celui de Belleville, enfin les deux que nous aimions étaient dans ce quartier... Un petit coup de métro avec changement et nous étions arrivés, trois fois rien de transport en commun...

 Pendant longtemps, ils étaient ouverts (les deux restos) sept jours sur sept, et puis un jour, ils ont fermé une journée dans la semaine, et puis 15 jours dans l'année, et puis trois semaines, ça allait de mieux en mieux pour eux, il fallait qu'on ajuste nos calendriers pour ne pas tomber sur le jour de la porte close, car la déception était grande, mince, j'avais oublié, ils sont fermés, la cata ! On va où ?


Collection privée

On a ronronné ainsi plus de vingt ans ensemble, vous imaginez le bail ! Les serveurs ont défilé, mais en cuisine il y avait toujours la même bonne odeur, les mêmes saveurs, les herbes, les sauces depuis des temps et des temps venaient du même marchand... Même les cure-dents ne changeaient pas, du bambou, du bois, du bambou...

Et puis un jour, j'en viens à : terminé, piétiné, adieu ! Nous nous sommes tous retrouvés devant la soupe qui fumait, les raviolis bien tassés dans l'assiette, les rouleaux de printemps même en hiver, quelques bières chinoises, de l'eau du robinet dans la carafe, un thé par-ci un thé par-là, les petites serviettes en papier, tout y était. Pas tout à fait, les oignons ne sont plus pareils, les raviolis, regarde les raviolis, c'est plus comme avant, la soupe, grand Dieu la soupe n'a plus le même petit goût, je t'assure, ils ont changé de sauce, mais regarde, il y a eu un tsunami ici, pas possible, on reprend la carte, même la carte avait changé de caractères, tout était écrit en chinois... En sortant, la sentence est tombée, nous n'y reviendrons plus jamais, il va falloir traverser la rue, changer de crèmerie, envoyer des faire-parts à tous nos carnets d'adresses, n'y allez plus, tout a changé, c'est meilleur en face, non, si, croyez-nous, on a tout essayé, rien à faire, ce n'est plus aussi bon !!!!


Collection privée

Je savais que le resto avait été vendu quelques mois auparavant, j'avais découvert le pot-aux-roses en retrouvant par hasard, dans un autre quartier de Paris où je vais souvent aussi, l'heureux patron du nouveau petit resto vietnamien que j'avais déniché et que je trouvais fort bon. Bonjour, ça fait plaisir de vous voir, vous êtes ici maintenant ? Oui, j'ai vendu à Belleville, je n'aimais plus le quartier, un peu trop chaud à mon goût, j'ai vendu à un Chinois...

Voilà l'histoire, du début à la fin, il va falloir se réhabituer, partir sur d'autres bases, réessayer toute la carte, comparer, soupeser, affiner, on va se refaire une nouvelle vie dans le petit resto riquiqui, je vais recauser au patron et jouer cartes sur table : monsieur, je vous en prie, refaites tout comme là-bas, s'il vous plait...

Chers visiteurs, je vous tiendrai au courant très certainement dans pas longtemps...

Ainsi la vie passe vite, car s'il faut refaire vingt ans de festins, il faut vraiment que je touche du bois pour me tenir en bonne santé...


Collection privée

15 commentaires:

ELFI a dit…

cuisine vietnamienne... connais pas ..chinoise, je n'aime pas.. mais ce billet , je déguste! c'est extra!

Danielle a dit…

Merci chère Elfi pour ta "dégustation" peut-être aimerais-tu la cuisine vietnamienne qui est la simplicité même ... Affaire à suivre :-))

Passe un beau dimanche avec ton art superbe...

Bises du matin.

Amélie a dit…

La cuisine Asiatique, j'adore !! surtout la japonaise : les sushis, makis, sashimis... UN DELICE ! merci pour ces photos des belles baguettes, il y en a de vraiment sublimes !!!

Danielle a dit…

Amélie, tu es trop gentille :-))) mes baguettes sont très ordinaires, je me suis bien amusée à les photographier comme des pièces de collection :-)))

Moi aussi j'adore la cuisine japonaise mais encore plus la vietnamienne...

Passe un très bon dimanche.

Michelaise a dit…

Encore un billet teinté de cette nostalgie qui nous prend à l'évocation de ce qui est passé, parti, terminé, piétiné et qu'on regrette tant... certes, on en a bien profité, mais retrouver le goût est drôlement difficile et il faut retrouver l'enthousiasme des débuts, la fraicheur de celui qui découvre sans référence antérieure !! Bref, le tout accompagné de cette délicieuse "collection privée" de baguettes, dont celle à deux balles qui annoncent la disparition de cet Eden perdu, c'est génial !
Quant à ta remarque "Et pendant toutes ces années on a oublié de prendre des photos... Pas besoin de souvenirs puisque nous les vivions in situ, les souvenirs..." elle est parfaitement à sa place, c'est ainsi qu'il faut se "faire" des souvenirs, in situ !! On trouve toujours un moyen d'illustrer nos propos, à preuve les baguettes qui valent bien des photos de soupes et autres raviolis.

Danielle a dit…

Michelaise, t'as bon sur toutes mes lignes, tu n'as sauté aucune idée...effectivement au moment d'illustrer mon histoire, je me suis dit faisons ça d'ici, j'ai sorti mes quelques baguettes des plus belles au plus moches, c'était mieux que des plats pris sur internet... Pour illustrer l'Eden...

Ce resto oui, nous a fait vivre de bons moments en direct toutes ces années, on a jamais tiré une seule photo...

Si tu nous avais vus à la porte, en sortant, déconfits, penauds. Il faut tout recommencer...

Merci pour ta lecture si juste, je t'embrasse fort de dimanche.

Georg-Friedrich a dit…

C'est vrai que c'est 20 ans qui s'en vont brutalement en fumée et que c'est malheureux à vivre... Je me souviens de ma licence qu'on avait fêtée là-bas, un jour de juin 1995, tu m'avais offert King Arthur de Purcell qui venait juste de sortir, avec la belle pochette jaune radieuse, et j'étais heureux comme tout! Ton billet est magnifique, tu décris bien toutes les petits événements qui ont scandé ces vingt ans, mais tout n'est pas perdu puisqu'il nous reste Dong Huong sur le trottoir d'en face! Et ce nouveau restaurant à explorer à Arts et Métiers...

Danielle a dit…

Merci cher GF ton commentaire m'a énormément émue, et puis le Purcel avec la couverture jaune dont je ne me rappelai pas, quelle horreur ! Ta licence oui, la joie de ton beau succès...

Tu as raison, tout n'est pas perdu, nous avons des jokers... Et puis notre tribu, la plus belle...

Je t'embrasse très fort.

Enitram a dit…

C'est beau ce que vous dites tous les deux, des souvenirs avec des baguettes, rien que des baguettes qui ont su mener, de mains de maître, vos bonheurs de concerts gustatifs vietnamiens, à cette adresse si chère à toute votre tribu !!! Bravo !!!
Belle soirée !
Bises

Danielle a dit…

Merci Enitram de ton accompagnement, nous allons avoir du mal à changer de crèche, mais il faudra bien :-)))

Bises du soir à toi.

Danielle a dit…

Brigitte, oui il nous reste encore un peu de marge pour nos soirées vietnamiennes :-)))

Merci d,être passée par ici.

Bises du soir.

Amélie a dit…

quand on trouve un bon resto, en effet on y retourne avec plaisir assez souvent. et quand tout change, quelle déception... mais mon dieu qu'il faut en tester beaucoup pour en trouver un intéressant et pas trop cher...

c'est quand même fou, dans ce que vous relatez, le patron a vendu à un chinois qui ne sait visiblement pas très bien cuisiner... par contre, si j'ai bien compris la fin, vous avez retrouvé par hasard l'ancien patron qui avait ouvert un autre restaurant ?? quel heureux hasard !! quelle chance !! retrouver dans Paris, par hasard, l'ancien patron du restaurant que vous aimiez tant, il fallait le faire !!

j'attends avec impatience de savoir s'il va refaire la même carte aussi délicieuse... :)

Danielle a dit…

C'est vrai Amélie la perte est grande pour ma tribu...

Mais comme nous avons retrouvé notre patron dans un autre quartier, nous sommes contentes, je vous tiens au courant très vite...

Passez un bon dimanche Amélie, même s'il fait gris.

beatrice De a dit…

Comme quoi, il ne faudrait pas s'attacher ! La nostalgie fait souffrir.

Les baguettes, illustration magistrale de la cuisine asiatique que j'adore.
Au Japon, j'ai vu des parois entières de baguettes proposées à la vente. Il y en a de très chères. Comme chez nous... les services en argent.
j'ai édité les photos sur mon blog *Japon*, il y a quelques temps.
Un petit souvenir. A Nagoya, dans un resto, je m'évertuais à vouloir manger mes nouilles très glissantes en cette saison de cuisine d'automne. Pas une n'arrivait à ma mouche. Je rigolais, me sentant observée. Du coup, c'est tout le resto qui rigolait. Même les cuisiniers sortaient pour regarder ! J'ai du me rendre à l'évidence... vaincue, un des cuisiniers m'apportât des couverts continentaux, et, enfin, j'ai pu assouvir ma faim. Parfois, la persévérance paye, pas cette fois... nouilles vraiment trop glissantes.

Danielle a dit…

Mais Béatrice , en fait ce n'est pas de la nostalgie, mais véritablement de la rage, vendre un bon resto vietnamien, qui marchait du feu de Dieu, pour du moins bon, moyen... Moi je dis que c'est bête voilà...

Bon, c'est vrai j'ai retrouvé un autre resto aussi bon, puisque c'est le même patron...

Béatrice, les nouilles au Japon avec des baguettes c'est pas de la tarte :-))))

Bises à toi Béatrice et bon dimanche ensoleillé.