mercredi 15 février 2012

Danielle, je vais mourir, j'ai peur !


Ce cri, comme il m’est resté dans le cœur. C’était le printemps, je m’en souviens très bien, car quand il s’est précipité dans mes bras, je me suis adossée au lierre tout neuf qui poussait sur le mur, juste derrière moi.

À la ville, pour se rendre compte du printemps, il faut bien faire attention, les fleurs bien droites sur un balcon, un bout d’herbe bien verte qui pousse entre deux pavés, un massif bleu, violet, jaune, fraîchement installé par les jardiniers... S’il reste un tilleul dans le coin qui n’a pas été coupé, alors-là oui, c’est le printemps, sa belle odeur si douce, si sucrée, vous met tout de suite le rêve en tête, pour moi le tilleul dépasse en parfum la rose et le lilas, j’adore aussi l’acacia avec ses nuages de neige au bout des branches, enivrantes. Oui, c’était le printemps dans mon bout de rue…

J’avais ce seul souci ce matin-là, comparer les odeurs, admirer les couleurs, le ciel était peut-être bleu. Depuis, dans cette petite rue à sens unique, il reste encore le grand lierre qui couvrait tout un mur, coupé de nombreuses fois dans l’année, car il marchait tout le temps sur le trottoir comme un serpent vert, on se prenait les pieds dans ses jolies feuilles, c’était un coin presque sauvage, le lierre poussait jusque par terre… Et puis un matin, il était rasé de près par le propriétaire… Je me disais : quel dommage, il faudra encore attendre des mois pour marcher dessus…

Je l’avais vu venir de loin, ce jeune homme que je connaissais bien, nous avions eu souvent l’occasion de nous parler, de nous connaître, de nous estimer, au cours de ma carrière professionnelle.

Il était en danger, je le savais : je ne sais pas comment faire pour arrêter... Essaye, essaye encore, bats-toi, je ne sais pas comment faire, je n’y arrive plus. Je ne trouvais rien à dire de plus, car il s’est mis à pleurer, je lui ai ouvert les bras et je l’ai serré sur mon cœur, il pleurait toutes les larmes de son corps, de grands sanglots résonnaient entre nous, il avait mis sa tête dans mon cou, il pleurait, ce grand jeune homme si fragile…


Danielle, je vais mourir, tremblant, il me disait ces mots terribles, mais non, voyons qu’est-ce que tu dis, tu vas guérir, ils vont bien te soigner, tu verras, tu vas t’en sortir, c’est sûr, ne dis pas ça, et je pleurais aussi…

Il n’avait pas quitté mes bras, je sentais son désarroi, il me dit alors : Danielle, j’ai peur !

Comment dire, comment faire pour réconforter un jeune homme qui connaissait son destin d’aussi près, que dire à cet homme qui pleure, qui souffre, que c’est impossible, qu’il faut encore qu’il espère, qu’il lutte de toute son âme…

Aie confiance encore un peu, je le berçais comme un enfant, il pleurait longuement dans mes bras. Je me souviens de notre étreinte qui dura très longtemps, pour une fois je n’y arrivais plus à trouver les mots qui font du bien, qui consolent, qui aident vraiment, qui soutiennent profondément, je suis allée très loin au fond de moi pour cueillir de l’espoir pour lui… Mais que ferait l'espoir contre la mort qui venait si vite, qui était là, il n'y avait plus rien à faire, presque plus rien à dire, je me suis dit, surtout pour qu'il n’entende pas : mon ami, ne meurs pas s'il te plait, lutte encore...

Je savais qu’il ne s’en tirerait pas, on en avait déjà parlé, les risques, il les connaissait mieux que moi, comment le tirer de là ? Juste avec des mots on ne pouvait rien, juste avec mes bras, rien non plus, mes larmes inutiles aussi…

Je t’en prie garde confiance, je t’en prie ne pleure plus, tu vas guérir, j’en suis sûre, le contraire ne se peut pas.

Mais tout alla de travers pour lui, ils n’ont rien trouvé pour le faire vivre, rien inventé alors pour sa survie, son prolongement, il est mort quelques mois après nos baisers d’adieu, échangés dans la rue, contre le lierre, dans le printemps, près du tilleul qui sentait l'orange et le citron...

tilleul

Mon ami, comme j’ai de la peine, tu serais encore bien plus jeune que moi aujourd’hui, tu aurais pu aimer, rire, chanter, te promener dans toutes les saisons, tu aurais retrouvé des raisons de vivre, je ne t’oublierai jamais, jamais ton regard apeuré, tes tremblements, ton désespoir dans mes bras impuissants.

Ce jeune homme est mort du SIDA, il avait presque trente ans, sa contamination était passée par la seringue qu’il avait utilisée quelques années plus tôt.

Il était doux, intelligent, intéressant, il s’était trompé de chemin, mais il l’a appris bien trop tard, on ne lui avait peut-être pas assez tendu la main ? Le baratin, les mots inutiles, on avait bien essayé de les lui dire, il avait les oreilles bouchées, bouchées à en mourir.

Mon ami, je te dédie ce post et mes pleurs t’accompagnent encore

16 commentaires:

Les Idées Heureuses a dit…

Beaucoup d'amis se sont éteints, atteints par ce terrible mal... Je pense à Scott Ross...

Robert M a dit…

Avec l'âge on apprend à accepter l'approche d'une fin inéluctable, on la souhaite paisible et sans souffrance mais que sera-t-elle ? A trente ans elle est inimaginable et inacceptable.

Album vénitien a dit…

Danielle !!!Ton récit m'a mis le coeur dans un étau, comme si je vivais moi même le moment douloureux..de cette rencontre qui laisse sans voix..

Danielle a dit…

Martine oui, il y en eut tellement d'autres plus connus, plus en vue, mais lui tu vois, je le connaissais depuis son adolescence, il jouait avec le feu ... Aujourd’hui, je pense encore à son cri, à ses pleurs...

Bises du soir Martine

Danielle a dit…

Bien sûr Robert à son âge on a tout l'avenir devant soi, lui il l'avait derrière lui, déjà !!

Bonsoir Robert, à bientôt.

Danielle a dit…

Danielle moi aussi je suis restée sans voix ou presque, il y avait que la sienne qui comptait...

Merci Danielle d'en être émue.

Michelaise a dit…

Et ce qui est terrible Danielle, c'est quand on ne trouve plus mots qui seraient baume... ton récit est poignant.

Danielle a dit…

Oui Michelaise quand on ne sert plus à rien devant la peur de l'autre c'est terrible, redoutable...

je ne pouvais presque rien dire de plus que l'écouter pleurer...

Bises Michelaise.

Anonyme a dit…

Je suis sans voix ce soir à vous lire, les larmes aux yeux.
Votre récit est percutant, j'entends ses cris et ses pleurs, c'est terrifiant !
M.17

Danielle a dit…

Cher passager M.17, c'est vrai, c'était terrible...

Merci d'être passé pour le dire.

Bises du matin

Brigitte a dit…

Quel récit terrible et poignant ...
Les mots me manquent pour dire ce que j'éprouve .J'imagine alors ton désarrois de ne pas trouver les mots d'apaisement .
Mais tu l'a laissé pleuré et serré dans tes bras ,je pense que j'aurai agit ainsi .
La vie est bien injuste parfois...

Danielle a dit…

Merci Brigitte, la vie était bien dure pour lui ce matin-là... Nous avons pleuré...

Bonne journée à toi.

Enitram a dit…

Moi je reste sans voix

Danielle a dit…

Enitram, oui, je comprends, merci d'être passée.

A tout bientôt.

Marie-Josée a dit…

J'arrive avec un peu de retard. En lisant ton texte, j'hésitais entre cancer et SIDA...Le premier est beaucoup plus proche de mes expériences, mais il est vrai que le second frappe fort puisqu'il atteint souvent des jeunes.

Cum dolere... Les vraies condoléances. Avoir douleur avec l'autre. Il n'y a pas grand'chose d'autre à dire en pareilles circonstances...

Fais attention à toi!

Danielle a dit…

Oui Marie-Josée, cette triste histoire je l'ai connue de près, avec des jeunes gens qui habitaient ma ville, leur fragilité faisait peine à voir, rien n'y faisait...

Grosses bises du matin à toi, à tout bientôt.