samedi 17 décembre 2011

Le jeune homme du train...



Allons bon, voilà des voyageurs qui montent en nombre, j'avais pris mes aises dans le petit carré salon du compartiment, installé mon ordinateur sur la petite tablette, mon sac, ma valise à côté de moi, il va falloir que je change mes plans... Le jeune homme me demande s'il peut s'asseoir en face de moi, il m'aide à mettre ma valise dans le porte-bagages, merci, c'est très gentil, mais c'est normal d'être gentil avec les gens, tout le monde devrait faire ça...

Je reste abasourdie, je suis tombée sur un spécimen, je le remercie encore, il est très à l'aise, nous commençons à discuter, fait beau, mais froid, pas trop de monde, le train est bien chauffé, je hasarde vous allez jusqu'à Paris ? Oui, vous pourrez m'aider à descendre ma petite valise ? Mais bien sûr...

Je n'arrivais pas à lui donner d'âge, jeune, très jeune, mais je ne savais pas exactement. À la station suivante, le wagon fut rempli complètement, et je vois mon jeune homme dire : ben ça alors, c'est incroyable !... Il me dit en aparté : c'est mon prof d'anglais ! Je souris, la voyageuse qui s’assoit dit d'une voix joyeuse et forte : mais oui, c'est Armand, comment vas-tu, que fais-tu là, où vas-tu ? Quel âge as-tu maintenant, voilà combien de temps que tu as quitté le lycée ? J'allais tout savoir en un rien de temps...

Attends, dis moi si je me trompe, tu dois avoir 17 ans, non 19, incroyable comme le temps passe... Alors raconte... Tu vas où ? Je vais à Genève, à Genève ? Oui, je vais voir ma petite amie, elle est suisse... Ben dis donc, c'est pas facile pour vous voir, comment vous vous êtes rencontrés ? Vous allez vous moquer de moi... Mais non, mais non... On s'est rencontrés sur Facebook. Moi, je trouvais l'interrogatoire un peu intrusif, mais le jeune homme répondait avec gentillesse et un brin de malice, il avait son rang, sa place, il n'était certainement plus le jeune garçon qu'elle avait eu en classe, il parlait comme un homme jeune qui faisait sa vie, il répondait à ses questions parce qu'il le voulait bien, ça se voyait... Mais pas du tout,  je ne me moque pas, Facebook d'accord, vous vous êtes déjà rencontrés en vrai... Oui, oui, bien sûr... C'est épatant ça, elle fait quoi dans la vie ? Elle est Samaritain ! Il avait dit ça avec tant d'orgueil, de fierté, je me disais : c'est quoi, ce truc ? Samaritain, j'avais bien entendu quelque chose comme donner la moitié de son manteau à l'autre, mais je ne voyais pas bien la concrétisation du métier de nos jours. Elle fait ses études pour être Samaritain, on avait jeté de l'encre noire dans mon cerveau, je ne voyais pas du tout le genre de boulot de la dulcinée... Ma chérie doit me présenter sa famille... Ah bon ! C'est le grand jour ! Vous savez, elle a son caractère, quand elle a décidé quelque chose...

Il avait un grand sourire, pas gêné du tout, il avait reçu avec grâce la douche des questions, avait déballé sa vie professionnelle et sentimentale avec discrétion, il faut dire que la prof posait les questions comme une grande soeur, on n'avait pas envie de dire d'elle, mais de quoi se mêle-t-elle celle-là, elle retrouvait tout simplement avec joie un de ses anciens élèves, elle lui parlait comme avant, avant qu'il ne devienne tout à fait grand, elle parlait avec lui comme avec une copine qui connaissait quand même bien la vie...

Et puis la prof a continué de poser des questions, et lui à répondre avec le sourire...

Il était chocolatier-pâtissier, se marier avec une Suisse, il ne pouvait rêver mieux, entre les Suisses et les Français c'est toujours la grande bagarre pour le meilleur chocolat... Il parlait du chocolat comme un bouquet de fleurs, avec les couleurs qu'il fallait pour donner envie de croquer à belles dents... Je me disais, il doit drôlement bien s'y connaître en chocolat, ça serait le moment de lui parler des mendiants que je fais à Noël, toujours imparfaitement réussis, j'étais toujours à la recherche du petit tour de main, du petit secret, qui m'éviterait le tempérage du chocolat, si difficile à faire...  Mais je me suis retenue. Je n'allais pas, en plus du pillage de sa prof, le délester de ses secrets professionnels, je n'ai rien dit du tout.

Notre jeune homme avait 19 ans et rêvait de quitter papa-maman pour vivre une autonomie complète, il faut savoir ce que l'on veut, mes parents ne gagnent pas beaucoup d'argent, bien sûr c'est facile de rester près d'eux, on mange et on dort gratuit, mais moi je préfère vivre ma vie... Avec ma chérie.

En ce moment il avait des démêlés avec son patron chocolatier, il faisait un temps partagé entre l'école et l'entreprise, c'était un bon élève, il adorait les maths : attention, je suis arrogant quand je veux, et je vais défendre mes droits, je ne vais pas me laisser faire... Après, je crois que j'ai un peu dormi, la prof et le jeune étaient encore en grande discussion, mais la philosophie avait pris le relais du cacao : tu vois, dans la vie il faut en vouloir, il faut que tu fasses tes premiers pas, il faut savoir vraiment ce que tu veux et ne pas rater une belle occasion de faire le métier que tu aimes. Je sentais bien que ce qu'elle disait, ça comptait beaucoup pour lui, mais comme il était "arrogant",  je voyais bien aussi qu'il avait déjà commencé depuis un bon moment le chemin tout seul... Je voyais bien qu'avec son bon "Samaritaine", il avait pris la route qu'il fallait... Il faisait plaisir à voir, à entendre, il était touchant, brillant, pas du tout arrogant, simple et carré, juste ce qu'il faut pour aller plus loin.

Quand nous sommes arrivés à la gare, il m'a descendu ma petite valise, m'a souhaité de joyeuses fêtes et moi je n'ai pas été en reste pour lui adresser à mon tour un joli petit lot de bonheurs... Quelle belle traversée !

Chocolat Suisse

4 commentaires:

Marie-Josée a dit…

Voilà, Danielle, un bel exemple qu'il ne faut pas désesperer de l'humanité! Il m'arrive, à moi aussi, de croiser ainsi d'anciens étudiants et c'est souvent un plaisir de voir ce qu'ils sont devenus, surtout lorsque les cancres ont enfin trouvé la voie qui leur permet de se révéler à eux-mêmes et aux autres...

Bon dimanche à toi!

Danielle a dit…

C'est vrai Marie-Josée un bel exemple, je les voyais tous les deux, elle les mains dans les cheveux, le coude sur la petite tablette, à deviser avec passion avec ce jeune chocolatier... C'était touchant...

Il n'était pas cancre mais il regrettait beaucoup sa scolarité passée, il avait un sourire de bonheur, j'ai bien voyagé ce jour-là... Dans l'humanité.

Prenez soin de vous Marie-Josée.

Michelaise a dit…

Superbe Danielle ton histoire ! Tu sais, les profs, quand on y croit vraiment, on est forcément intrusifs : souvent on les au vus grandir, faire des bêtises, perdre pied, reprendre courage, changer de cap, bref, on les suit avec plaisir nos "gamins" devenus adultes. Et eux, ils se livrent sans retenue. Parfois même ils anticipent, t'appellent pour te demander un conseil perso, de faire remonter le moral. C'est une relation très privilégiée que celle que nous tissons avec ces jeunes qui nous font confiance, savent qu'on les connait sans masque, qu'on ne le juge pas mais qu'on est prêts à leur donner un coup de main. Pas plus tard que vendredi soir, un coup de fil
- Madame, je viens de vous envoyer mes notes par sms ... vous en pensez quoi ?
- Mais vous êtes où E... non je n'ai pas lu votre sms
- Normal je viens juste de l'envoyer
- Alors c'est quoi ces notes ??
Pas brillantes, elle, une de mes meilleures élèves, partie depuis deux ans, qui continue mais pas comme je le lui avais conseillé. C'est dur, elle venait d'avoir ses résultats et c'était la cata. Madame Michelaise était là, pour écouter, conseiller, remonter le moral ! Madame Michelaise congratule pour les mariages, s'extasie sur les bébés, conseille pour la carrière, bref je crois qu'on aime bien l'avoir comme référence quand on a besoin de s'affirmer un peu plus dans la vie. Longtemps ! Les "miens" ils ont parfois 40 ans et toujours une âme d'enfants.

Danielle a dit…

Comme ells sont belles aussi les notes que nous racontes... Merci Michelaise.

Garde bien tes enfants de 40 ans avec leur âme d'enfant.

Moi j'ai adoré mon jeune chocolatier arrogant...

Bises du soir Michelaise.