vendredi 7 octobre 2011

Venise 2011... La Biennale, le retour...Avec C. Boltanski


Chance, de Christian Boltanski

Depuis mon retour des champs, j'ai bien du mal à décoller... Pas de mots, pas de suite dans mes idées... Je vais donc reprendre là où j'en étais avant d'aller voir les vaches, les oies, les hérons et les carpes de l'Indre !

J'ai bien envie de revenir à ma dernière Biennale de Venise, il faisait doux, pas la grosse chaleur, donc un temps idéal, il suffisait juste d'avoir mon appareil photo et mon sac en bandoulière, j'avais oublié la bouteille d'eau... Bien sûr, je me suis tout de suite précipitée vers le pavillon français qui affichait Christian Boltanski... Personne... J'avais l'expo pour moi toute seule, quelle chance ! L'expo s'appelle Chance justement (bonne ou mauvaise), c'est vrai qu'il faut rudement de la chance pour arriver à exister et se construire une vie. Christian Boltanski a tendance à penser que généralement, c'est le hasard qui fait les choses. Le hasard est le thème de toute sa vie, de toute son oeuvre : "Notre vie est-elle écrite à l'avance et pouvons-nous intervenir sur son déroulement ? Pourquoi certains meurent et d'autres sont sauvés quand il se produit un accident ou un fait de guerre ? Y avait-il une raison, était-ce la volonté d'une puissance supérieure ou simplement le fait du hasard ?"




Oeuvre permanente à Berlin, le nom des victimes est apposé sur les murs sauvegardés

Et tous ceux qui sont morts comment s'en souvenir ? Comment garder leur souffle, leur visage, le battement de leur coeur, leur nom, leur trace ? Le thème du hasard qui fascine l'artiste est présent dans l'oeuvre permanente qu'il réalisa en 1990 à Berlin : "Il y a une maison qui a reçu une bombe en 1945, la partie centrale a été atteinte et ses habitants tués, les bâtiments latéraux ont été préservés et personne n'a été blessé. Pourquoi parmi ces voisins, certains sont morts et d'autres ont été sauvés ?" Il m'a été difficile de réaliser une photo qui prenne les deux pans de murs restants, j'ai pris juste d'un côté.


"Je pense aussi que chacun de nous est unique par le hasard de la naissance, et pour cela important." "Ce que je suis n'est-il que le fait du hasard ?


Christian Boltanski parle de son oeuvre avec une grande simplicité, il dit de lui-même qu'il n'est pas un intellectuel, il pense avec "ses tripes" c'est un artiste qui s'impose par la profondeur, la beauté et la grande émotion qui se dégagent de son oeuvre, après la surprise de la forme, avec lui on entre tout de suite de plein pied dans les questions de la vie, la mort, le souvenir, questions qui ne manquent pas de nous parler avec insistance de notre propre existence, du moins c'est comme ça que je reçois son oeuvre qui me touche tant.


L'oeuvre est à chaque fois différente, surprenante et fascinante, c'est pourquoi je n'en manque aucune (j'essaye). La roue tourne et c'est bien comme ça que j'ai vu son installation à Venise : 4 pièces, dans les pièces latérales 2 et 4, des gros chiffres qui défilent sur de grands compteurs, les uns verts pour les naissances dans le monde, les autres rouges pour les morts, il y a en moyenne 200 000 enfants qui naissent de plus que les gens qui meurent. les morts sont remplacés rapidement, aucun doute, l'humanité continue à se reproduire...


Le bébé aux trois images

Dans la pièce du fond (3) : un grand téléviseur, où défilent à vitesse grand V des visages de bébé découpés en trois parties, toutes différentes.


Le ruban de photos

Dans la pièce centrale (1) immense, celle par laquelle le visiteur accède, un énorme énorme échafaudage qui prend tout l'espace, entre lequel défile un long ruban de photos (N et B), ça me fait penser à une grosse rotative qui imprime un journal,  les photos représentent des têtes de nouveaux-nés, 60 polonais et 52 suisses décédés, le ruban de photos tourne à toute allure en faisant grand bruit.


Le bébé recomposé

Tout à coup, une musique se déclenche, l'installation arrête sa course, les photos qui défilaient entre les barres de échafaudage s’immobilisent, sur le moniteur de la pièce 3 on peut voir le visage d'un bébé, les trois images différentes qui défilaient de façon aléatoire appartiennent maintenant à la même personne, le bébé qui a la chance de naître, celui qui va avoir une bonne ou une mauvaise vie a été désigné par le hasard, nous pouvons contempler son visage, et nous poser la question, comment va-t-il vivre sa vie, bonne ou mauvaise ?

Au bout de quelques seconde d'arrêt, tout se remet en marche, le ruban de photos tourne, sur le moniteur les images défilent, la grande mécanique du hasard de la vie se remet au travail. Qui sera le nouveau bébé chanceux ?

Puis de nouveau, la musique nous prévient que la "chance" a opéré, le miracle d'une naissance se fait devant nos yeux.


Chance

L'oeuvre nécessite une visite prolongée, il faut se laisser surprendre par tout : la forme, la musique, le bruit, les photos, le défilé des images sur le moniteur, et puis comprendre la mécanique qui va donner naissance à un nouveau-né, participer, attendre sans cesse le résultat de la roue qui tourne... C'est beau, fort et ludique à la fois... Je me suis mise à penser à ce manège du jardin du Luxembourg qui propose inlassablement (encore) aux petits enfants la queue du Mickey, en passant un bâton dans l'anneau de cuivre qui passe juste au dessus de leurs têtes... Quel bonheur, quels rires, quel espoir de l'avoir, personne ne veut descendre du manège avant d'avoir eu la queue du Mickey, je suis comme eux, je regarde les visages des bébés se reformer... Une spirale irrésistible, et puis petit à petit on se met à penser... À la roue de la vie qui tourne pour tout le monde.

Je me suis promenée dans ce labyrinthe bruyant et j'ai réfléchi, forcément avec Boltanski, si on accepte de l'accompagner dans son travail, on est obligé de réfléchir, d'aller plus loin que la forme, de traverser les zones d'ombre, et forcément pour moi, d'être touchée, car il aborde toujours des questions essentielles de notre vie.

CHANCE est une oeuvre qui fait du bruit, du fracas même, elle dérange, peut même agacer, mais... Moi j'ai adoré, touchée, percée au coeur, c'est Boltanski le grand gagnant...

8 commentaires:

Robert M a dit…

Bien loin de l'art de la Renaissance, mais le commentaire élogieux donne envie de se confronter à cette création. La retrouvera-t-on au grand palais, c'est le problème des créations actuelles elles sont trop souvent dans l'éphémère.

Danielle a dit…

Oui Robert, loin de la Renaissance, mais pas si loin finalement, la renaissance a permis de voir plus loin avec la perspective, d'inventer, de redécouvrir le corps humain, de mettre moins d'or et plus de couleurs, ça bougeait fort en ces temps-là, de partout... et puis après la peinture s'est endormie pendant près de 400 ans... Depuis ça bouge encore de partout... Boltanski c'est maintenant, approchons, profitons, réjouissons-nous.

Merci Robert, je suis contente si ça te donne l'envie de la confrontation...

Les Idées Heureuses a dit…

J'ai emprunté une phase chez vous sur Fabre mais je ne sais où...je suis tombée dessus par hasard et ne retrouve pas la date pour faire correspondre l'* à la parution; Aidez moi pour que je rende à Danielle ce qui est à Danielle!!!
Belle soirée
Martine de sclos

Danielle a dit…

Chère Martine, je parlais de J. Fabre le 1er mai 2011 ça vous va ?

Gros bisous du soir...

Les Idées Heureuses a dit…

Voilà qui est rectifié!
A+

Miss Lemon a dit…

On perçoit une très nette émotion à lire votre point de vue, je veux parler d'une émotion comme primaire car ce dont il est question ici, et que le quotidien nous permet d'occulter, est un fondamental.
La mort, la vie, destinée, hasard...toujours des questions, jamais de réponse, que des pistes selon les philosophies; et c'est bien pour cela que les artistes dé-rangent, car ils posent les questions qui font mal!
Merci pour votre lumineuse présentation!

Danielle a dit…

Merci Miss, j'ai visé juste alors si vous percevez mon émotion, car c'est exactement ce que je vise, non pas à expliquer les oeuvres bien sûr, mais à communiquer le mieux possible pourquoi je les aime... J'essaye !!

A tout bientôt Miss.

Danielle a dit…

Martine :-)))))

A bientôt !