vendredi 22 avril 2011

J'ai rencontré mon ami Jean...


À la médiathèque de notre ville, nous nous sommes assis autour d’une petite table de lecture et nous avons bavardé… Au beau milieu des livres de géographie. Comment vas-tu, Jean ? Son visage se contracta légèrement, et avec juste un petit sourire très étroit, il m'a dit, pas terrible.

Il restait encore une bonne heure avant la fermeture, nous avions bien le temps, les lecteurs passaient et repassaient à côté de nous, les livres sous le bras, des petits bonjours par-ci, par-là, et puis notre petit carré de géographie se fit plus calme… Comment ça pas terrible, raconte…

Ben tu sais, je suis toujours en déprime, j’ai plus envie de rien, à la maison, c’est le bazar, des fois même j’ai plus envie de faire attention à moi… Je vais chez un psy de temps en temps, j’ai même fait un tour à Ville Evrard, je suis resté 8 jours, je le souhaite à personne. Ah ! Bon, mais comment ça ? Son petit sourire avait pris du large sur son visage, il reprenait espoir pendant trente seconde. Tu aurais vu le monde qu’il y avait, de tout, de tout, ça déprime d’avantage, j’avais même pas le droit de téléphoner… Tu allais un peu mieux en sortant ? Pas trop, je suis sous médicaments, mais ça me fait dormir, je baisse les doses…

Il avait la voix douce comme d’habitude, mais en dedans il y avait du boucan, un torrent de sentiments.

Jean peint, dessine, écrit, il a un talent fou, mais quand il n’est pas bien, il est triste et ne voit pas la fin des angoisses, plus envie, vraiment pas en ce moment, ni peinture, ni écriture, je vends juste du miel au coin de ta rue, tu m'as vu, chez l'épicier, on forme un petit comité, on vend du miel... Il leva les yeux au ciel.

Jean, garde confiance, tu vas repartir, et si tu rentrais dans une association, rencontrer des gens ça fait du bien, ça rend plus gai, toi qui a un si joli coup de crayon, va dans un atelier, deviens artiste, fais nous rêver, et toutes ces belles phrases que tu écrivais, reprends les mots, raconte-nous comment faire pour inventer ses journées !

Tu vas au cinéma de temps en temps ? Oui, j’y suis allé l’autre jour, qu’est-ce que j’ai vu déjà ? Ah ! Oui, et il me donne un titre que je ne connaissais pas, tant mieux, ça lui laissait toute la place pour en parler…

Mon fils est loin, nous ne nous voyons pas souvent, chacun fait sa vie de son côté, tu vois Jean, l’espoir il faut se le fabriquer de l’intérieur, tu fais comme un charpentier, pièce par pièce, bien solidement tu bouches tous les trous, pour que le chagrin n’entre plus dedans.

Quand est-ce que ça t'a pris, Jean, d'être bien en dessous du niveau de la mer ? Si on en parlait, on verrait peut-être les vagues coupables ? Je crois que c'est à cause de la maison de retraite de ma mère, ils m'ont réclamé beaucoup d'argent, je pensais même que je devrais vendre ma maison, mais j'irais où, tu te rends compte, j'ai plus du tout touché terre à ce moment-là, j'ai tellement pleuré, je me suis laissé aller comme un noyé...

Nous avons parlé aussi de Fukushima, du monde qui va de travers, c’était pas fait pour se donner de la joie… Mais plus on parlait, plus son sourire reprenait sa vrai place, Jean, du devrais arrêter avec le psy, c’est trop long, ça remue trop de choses, ça fait 20 000 fois que tu essayes, va au cinéma, range ta maison, retrouve des amis, fais du dessin, écris de belles histoires, t’as pas un petit voyage à faire ? L’heure approchait de la fin, on avançait dans la reconstruction, viens chanter à la chorale, la musique ça fait du bonheur, pour chanter en choeur c'est obligatoire d'être ensemble, il ne faut jamais être tout seul, ça t'irait bien ça, d'être avec les autres, tu as une belle voix, je le sais.

Ça ferme ! On a repris nos livres abandonnés sur la table et on est passés « à la caisse », trois semaines pour lire entre les lignes… À entrecroiser nos histoires avec les auteurs… Ça en fait des mots dans les mots.

Jean, tu sais, je vais parler de notre rencontre sur mon blog, tiens, tu devrais t’y mettre au blog, t’aurais un tas d’amis... Tu peux dire tout ce que tu veux, j’te donne mes droits d’auteur d’histoire triste, me dit-il avec un très grand sourire… Il allait mieux le temps de la sortie, peut-être même le reste de la soirée, il va repenser à reprendre les rênes de sa vie… Si l'avenir pouvait tenir jusqu'à la fin de la semaine, ça serait toujours ça de gagné.

Mon ami Jean, ce petit post c’est pour toi, si tu pouvais le lire, tu verrais qu’il y a largement de quoi vivre dans tout ce que l’on a dit… Le printemps, en principe, fait pousser les feuilles même aux gens, le bleu du ciel se met dans les yeux, on se dit que c'est pour l'éternité, on a envie de partir à la campagne, de voir des vaches, des moutons, d'écouter le silence, de lire de faire du vélo, d'apprendre le nom des arbres... De rencontrer l'amour...

6 commentaires:

Robert M a dit…

Danielle comme ce texte est émouvant, à la fois triste mais avec une lueur d'espoir, Jean est-il seul ? Souffre-t-il de problème psychique ? ce sont souvent des gens doués mais trop sensibles qui tombent dans ces états, nous avons ce problème avec un de nos fils c'est très difficile à vivre aussi bien pour le malade que pour l'entourage. C'est vrai il y a des associations et des groupes de paroles encore faut-il accepter d'y aller.

Danielle a dit…

Merci Robert de ce partage, mon ami Jean n'a pas de problème psychique, il est seul et a du mal à surmonter sa dépression qui est venue presque subitement... C'est un homme si doux, si sensible, si doué...

Je l'ai vu l'autre jour au marché, il refaisait ses courses, avec son joli chapeau et son grand sourire...

Robert, pour ton fils, pour vous tous, garde la lueur d'espoir...

Bises du soir

zen a dit…

Allez viens, Jean, viens...
écoute la voix de Danielle...
Courage.

Danielle a dit…

Zen, j'espère que Jean va m'entendre...:-)))

Merci d'être passé par-là...

Bises du soir.

Enitram a dit…

Je ne sais pas quoi dire ! Alors je ne dis rien ....
Bonne soirée Danielle

Danielle a dit…

Merci beaucoup Enitram, je te bises du soir, fort.